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38… effets collatéraux !
« C’est aujourd’hui demain » qui eut lieu hier et désempara profondément le peuple de l’Hacienda on peut se demande pourquoi… Akio avoir été abreuvé de spots-pubs qui lavent plus net, voulu en avoir le cœur aussi net… il enquêta…
« J’écoute ! »
Dans son atelier, devant ses treize écrans, le Révérend domptait ses quatre claviers. Il répondit à la voix venue d’outre-tombe, il aimait bien ce concept popularisé par un écrivain français du XIXe siècle qu’il associait à Jérémie dont on n’avait jamais retrouvé la tombe, quant à l’auteur il reposait sur un rocher en bord de mer. Le Prophète, on le disait quelque part dans le désert égyptien… allez savoir où ?
Un clic… cliqua…
… c’est toi Révérend… dit la voix.
… c’est toi qui le dis… répondit le prophète John.
… de quel droit te mêles-tu de prêcher sur des histoires qui ne te regardent pas ? Tu n’appartiens à aucune chapelle, mon vieux. Reste dans ta cambrousse. Laisse aux prêcheurs l’art de prêcher la bonne parole…
… ô mon frère ! et l’amendement démocratique de la constitution qu’est-ce que tu en fais ?
… j’suis pas ton frère. J’appartiens à la Capapacite : Congrégation des Âmes du Paradis au Ciel et sur Terre… j’espère pour toi que tu connais !
… non… salutation… ô toi frère humain…
… attends, mon corniaud, viens pas te foutre sur nos chemins, ni dans nos centres où on communie, mon pot’… sinon on te cassera les reins…
… serait-ce le programme œcuménique de la Capapacite ?
… c’est ça, fais le mariole… avec tes discours…
… mes discours s’adressent au monde…
… mais il se prend pour une bille, le mec. Tu racontes que le peuple se fait escroquer par les sectes. Non, mais je rêve. La Capapacite Notre Congrégation serait une secte ? Sache que notre Église est reconnue par les autorités, nous prenons en charge les âmes qui ont besoin de pardons…
… les autorités ne reconnaissent que ce qui les arrange… tu connais Luther ?
… c’est qui ce mec ?
… un Germain qui dénonce les Indulgences. Contre un bon pourboire le mec repartait virginal, j’ai ouï que la Capapacite… ferait de même.
… c’est ça et la Banque des Saints Désœuvrés de Nèvweyorque accueille nos fafiots, mon vieux ! et toi t’es contre ?
… je suis contre tous les racket…
… on t’aura prévenu… !
… merci sublime représentant de la Capapacit’s Congregation.
… quel couillon ce jobastre !
Clic clac…
Au loin… les forces se liguaient, les fous de Dieu ne s’agitaient pas seulement sur les ondes…
Mais… il faut le dire, car pourquoi ne pas le dire… disons-le donc : le Révérend Prophète avait des protections surnaturelles… où ?… nul ne savait… aux cieux sans doute… généralement c’est là que les prophètes parquent les sécuritaires protections…
Le lecteur se souvient certainement que Josef était expert en secrets mythiques…
Pour l’instant, il était à une petite table, Akio aperçut soudain à travers la fenêtre un nuage de poussière dense soulevé par le galop surpuissant… de la célèbre Mustang de Lee Iacocca, un Italien US-géniteur-of-Mutang…
Il allait prévenir le Révérend, que 3 V6 de 145 chevaux… dévalaient le reste de prairies… à l’Est de l’Hacienda…
… je les attendais, dit le Révérend.
Il quitta son siège et descendit pour accueillir ses hôtes. Gottfried avait gardé son masque à souder qui le protégea du nuage de poussières… terrestres…
C’était trois authentiques Ford Mustang affichant des années au compteur, rutilantes, pimpantes, virginales qui se parquèrent en chevron libre dans la cour. Les queues de raton laveur suspendues aux antennes radio se mirent alors au repos…
Une douzaine de chefs indiens en sortirent, belliqueusement calmes, chacun se distinguait par des amulettes qui appartenaient aux peuples qui jadis vécurent sur ces terres.
Les personnages de Walt Disney illustraient le plus gros volume d’icônes collées sur les espaces métalliques des monstres.
Le Révérend les attendait bras croisés sur le seuil, en hiérarque qu’il était. Les regards aux noires pupilles des yeux bridés se mêlèrent au regard bleu du Teuton, l’émotion muette vint rencontrer les cœurs saignant d’empathie…
Ils venaient pour organiser une croisade… indienne.
Le Révérend serra chaque arrivant sur son large poitrail.
Il dominait les indigènes de sa haute taille héritée des lointains Germains…
La troupe entra dans la grande salle communautaire. Moment de papotage. On resserra les liens. Puis on s’assit comme le voulait la tradition, certains sur les peaux de bêtes près du feu, d’autres sur des chaises qu’ils transportèrent autour de l’âtre.
Les tantes indiennes et germaines servirent à boire – non pas la célèbre eau de feu qui fut l’un des moyens subtilement proposés aux indigènes pour les fourvoyer, mais la célèbre Bud, copie de la Tchèque Budweiser avec laquelle les US sont en procès depuis plus de cent ans après avoir pillé le nom de l’antique marque créée en 1876 (on avait comptabilisé plus de cent vingt procès à ce jour)…
Le conflit n’était toujours pas résolu…
Akio remercia chaleureusement le (relecteur) de lui avoir communiqué cette histoire relative aux pratiques du peuple étasunien conquérant, une sorte de nota bene… qu’il nota ben… pendant qu’Akio notait…
En attendant, seuls trois ou quatre chefs ne buvaient point le célèbre breuvage, ceux-là appartenaient à la ligue antialcoolique, ils arboraient d’ailleurs sur leurs vestes en jean denim une belle médaille qui rappelait ce chemin de croix.
La tante servit des boîtes de Coca… symbole d’intégration…
… on t’a vu, mon frère !
… tu as été Grand !
On attendait la suite, le Révérend écoutait, car un Prophète privilégie toujours le silence, il préfère attendre le message de l’arrivant pour être dans le ton…
… on nous a dit que tu faisais un autre pow-wow dans l’Indiana…
… non, c’est pas lui, c’est les Blancs qui décident !
… on nous a dit qu’ils coupaient tout ce qui ne les intéresse pas… comment peux-tu délivrer ton message s’ils te coupent la chique…
… mais il chique pas…
… t’avais compris…
… oui, mais, eu égard au beautiful language … il faut éviter les argots incongrus…
… Ô ! Eh !… Dis-moi… toi ! Taureau Bêlant… est-ce que les Blancs… ils z’ont toujours suivi nos règles ?
… bon, parle, frère !
Akio ne buvait pas, il écrivait…
Le manu-script devait être le témoin de cette réunion que les historiens commenteraient plus tard sous le nom de :
« Oracle de Taureau Bêlant »
« Le Révérend était pensif…
Il était sollicité par les déracinés qui voulaient l’investir d’un pouvoir d’opposition aux Blancs qui ne cessaient de remettre en cause tous les traités passés. J’ai entendu l’énumération de toutes les entorses subies depuis le début de la progression des Blancs vers l’Ouest.
En trois temps : d’abord ils s’opposent… puis ils prétendent négocier… enfin ils contestent…
Plus tard, si un avocat n’accepte pas la contestation, alors on subit les foudres des Winchesters.
Certains savants blancs appellent cela un traité… d’autres le qualifie de massacre.
C’est très docte, le résultat, c’est qu’il ne reste plus aux Indiens que quelques arpents de terre nue pour vivre. Et même s’ils parviennent à survivre dans ces réserves, voilà que des missionnaires arrivent pour ripoliner les âmes des Indiens. Comme si la vie parquée n’était pas suffisante, il fallait encore qu’ils leur déglinguent l’esprit…
« Ils ont conduit une guerre totale contre nous… Totale, tu en connais le sens… On n’épargne ni femmes ni enfants… un bon Indien, c’est un Indien mort ! »
… ça aussi, on l’a déjà dit !
… alors, on n’a plus rien à dire ?
Silence…
Je repensai à ce philosophe politologue inspiré qui avait dit : “Le droit, c’est la masse !” Et il est vrai que les trois cent mille Indiens qui restent ne pèsent pas lourd dans le jeu des conquêtes territoriales. Pourtant lorsque le Mayflower arriva, les Indigènes étaient au moins trente millions… et eux les envahisseurs… à peine une centaine…
… c’est un précepte Blanc ça marche plus… c’est donc pas qu’une question de masse…
… et le colt… et la winchester… et l’eau de feu… tu les comptes ?
… ça c’est de la dialectique guerrière ! éructa un chef Sioux… j’ai lu un Germain qui explique tout ça… et il cracha dans le feu…
… tu le connais, le nouveau guy… « Casque d’or »…
Il s’en fout de la masse. Il a reclassé des terres dans l’Utah, qu’on nous avait données… des terres d’Indiens pour ouvrir des mines… pollution… pollution…
Le Révérend écoute.
Il faudrait qu’une goutte fasse déborder le vase pour l’éliminer. Mais alors ce sera définitif, car, une fois révélé par les médias, il ne remontera plus sur son Aventin : il restera comme un fantassin dans les tranchées…
Ça, je peux le prévoir…
Mais pour l’instant le Révérend est au milieu de ses frères.
Cela m’émeut… je constate que Josef est en fait plus Indien que Germain…
Et pardon au futur lecteur si je donne dans la Jérémiade… ce sera l’unique fois !
Le pow-wow ne semblait pas se terminer. Gottfried et les Germains avaient faim. Ils s’installèrent à table et, en quelques minutes, l’assiette fut consommée pendant que les frères poursuivaient près du feu le dialogue du jour. Ensuite, les Germains, l’assiette à la main, se levèrent pour rejoindre la cuisine. Chacun prit un verre, le remplit d’eau tirée du puits et but pour s’en aller ensuite vaquer à ses occupations…
Plus tard, les visiteurs se levèrent…
En cercle… ils entourèrent Josef… ce fut une longue clameur… les 12 chefs commencèrent la danse de la concorde… Josef au centre… ils se rapprochaient lentement du centre… trois Algonquins de la famille sortirent avec les tambours et pendant des heures la danse se poursuivit… puis le son lentement s’éteignait decrescendo… jusqu’à parvenir à un grand silence où seuls les corps martelaient le sol…
Soudain… tout s’arrêta…
Chaque chef serra son Josef sur sa poitrine…
Puis tous remontèrent dans les Mustang, elles quittèrent l’Hacienda, les queues de raton laveur au vent laissant le Révérend devenu impénétrable par le message induit…
Mais je savais qu’il avait pris une décision… abyssale… fondamentale… qui atteignait son ontologie… sa compassion… son engagement en quelque sorte…
J’en étais certain… pourtant, il se tut… la résurgence faisait son chemin dans les limbes de sa conscience…
… tu vois, Akio… il y avait mon peuple… à présent, il y a le peuple… j’appartiens à tous les peuples… va te préparer… nous partons.
À l’instant où il terminait sa phrase… un écran s’anima…
… je te surveille, Révérend…
… salut Barnaby…
… je sais à quoi tu penses…
… tu es fort, Barnaby… mais cette fois-ci, j’en doute…
… tu as faim d’une tarte aux myrtilles…
… tu es génial… c’est vrai, j’avoue…
… tu partais as-tu dit… où ?
… ben, récolter des myrtilles !…
… non… c’est pas la saison…
… le prophète récolte en toutes saisons…
… tu as de la répartie…
… What else ?
… ça va, ça va ! Mais je t’ai à l’œil… J’ai lu ton interview dans le Pittsburgh-Afternoon-Paper-Edition, le Pape…
… tiens, tiens… Tu aimerais la lecture, Barnaby ?
… rien à foutre, mais tu sais que mon armée de fureteurs de renseignements lisent pour moi… rien ne leur échappe, mais pourquoi devrais-je m’expliquer ?
… mais parce que tu es un grand narcisse ? tu t’écoutes, tu t’entends, tu te vois…
… tu prétends trop de choses… Josef !
… mais encore ?
… tu n’as pas à révéler l’existence des langages en innu-aimun…
… c’est la langue de ma mère… ma génitrice est Algonquin ?
… mais tu n’as pas à écrire ni à révéler que le chef de l’unité de Yokosuka portait des pantys…
… je ne fais que traduire… j’apporte la culture de mes ancêtres à la grandeur des US.
… ouais… et ces parutions sur ma vie privée en danseuse étoile de l’opéra Nô au Japon… ça sert à quoi ?
… le peuple doit connaître doit savoir comment les astres nous dirigent… je te l’ai dit… là-bas outre-mer…
… tu prends un mauvais chemin, Révérend… Tu sais cela : il n’y a qu’une vérité…
… la ! la ! lanlère !
… mon ami, j’ai eu toutes les bontés pour toi mais à présent tu transgresses…
… quelle est cette vérité ?
… « Qui n’est pas avec moi… est contre moi ! »
… il me semble que j’ai déjà entendu cet apophtegme quelque part… c’est du bushman-sohn ou de l’enfoiré de la Capapacite : Congrégation des Âmes du Paradis au Ciel et sur Terre… le mec… il m’a envoyé ses oracles sanglants…
… c’est ça, fais le malin… tu sais trop de choses…
… merci, Barnaby, à présent, je vais chercher mes myrtilles… Ah, au fait… Félicitations pour ta seconde étoile de général… Je m’incline…
… mais comment sais-tu ça ? Ma nomination n’est pas encore imprimée au Journal officiel… Casque d’or vient juste de me la notifier de vive voix dans son Ovale Bureau…
… et les voix du Seigneur tu en as entendu parlé ? Les Tortues blondes, mon ami savent tout, à Yokosuka tu savais tout avant tout le monde… tu es frustré maintenant. Mais lis le journal… tu sauras… que le reste de ta journée soit grande et lumineuse…
… c’est moi qui maîtrise la com…
… tu causes… Parker… Casque d’Or te récompense… tu as réussi ta reconversion… traitre…
Et d’un geste libérateur le Révérend rendit l’écran aveugle – ce même geste qui permit à l’aveugle de recouvrer la vue… un geste antonyme… le Révérend en était capable… le manu-script l’affirmait.
« Barnaby n’a pas aimé ! » murmura Akio en faisant son paquetage.
Il se questionna aussi à propos des articles parus dans le Pape… que tous les citoyens de Pittsburgh lisaient avec passion… Comment ? quand ? qui avait reçu les textes ? où eurent lieu les négociations ?… Akio découvrait la face cachée du Révérend en action…
« Il faut laisser le mystère au mystère ! »
Conseilla le Révérend alors qu’ils montaient dans l’avion qui décollait pour Little Rock…
Le manu-script ne fit pas mystère de la suite. Il avouait qu’il ne savait pas ce que l’on allait faire à Little Rock. En attendant d’en savoir plus, Akio consigna sur le papier cette anecdote :
« Little Rock est une ville qui, malgré l’abolition de la ségrégation par l’État fédéral, a maintenu jadis contre la loi ce rejet des Noirs dans les administrations publiques. Dans cette ville, la population blanche est devenue minoritaire… C’est à peu près tout ce que je sais…
Le Révérend m’a répondu : “C’est bien suffisant, pour l’instant ! »
Lorsque le Révérend voyageait, il ne parlait plus. Sitôt assis à sa place, il sortait le livre de Jérémie, se plongeait dans ses révélations, le Prophète disparu l’habitait. Il ne répondait à aucune sollicitation, l’hôtesse devait baisser la tablette devant lui et poser elle-même le verre. Alors Akio précisait le choix de la boisson du méditant. Si le service apportait un amuse-gueule, il le consommait… si la compagnie n’offrait rien et faisait des économies sur le dos des passagers nul n’aurait entendu le Révérend faire une remarque ; il en profitait pour jeûner le temps suspendu d’un vol… un vrai Prophète-ermite.
Le voyage devait durer quatre heures trente, mais cela ne paraissait pas avoir une influence sur le comportement du Révérend, à croire qu’il était dépourvu de papilles et terminaisons nerveuses. Il semblait totalement insensible aux différences de température, d’altitude ou d’humidité ambiante. Il portait son livre devant lui comme un Saint-Père, il souriait en regardant le monde avec bienveillance.
Parfois, il achetait une revue et un journal, en général c’étaient Playboy et l’Evangelist News. Il commençait toujours par le mensuel, puis il se plongeait dans le quotidien. À aucun moment son attitude ne changeait pendant qu’il lisait les colonnes antithétiques. Son intelligence comblait l’espace entre les deux conceptions de l’être US-americanus intégrant le message de Calvin dans les délicieux charmes des Playmates…
Puis, lorsque l’hôtesse annonçait la fin du voyage, il pliait les papiers, il les calait dans le porte-journal devant lui, serrait sa ceinture et dormait le temps d’un retour sur le plancher des bisons, des dindes, des coyotes et des Indiens jusqu’à ce que l’aéronef roule sur le béton du tarmac…
Insensible aux mouvements des passagers qui commençaient à s’agiter, à se lever, à s’agglutiner une fois l’appareil à l’arrêt pour stationner debout un bon quart d’heure avant que s’écoule le début de la file, le Révérend restait assis, ignorant magnifiquement ce remue-ménage, il trouvait bien inutile cette propension à se contorsionner dans l’allée centrale de la boîte de conserve…
Parfois derrière lui sur la travée deux à trois représentants de commerce de Wall-Street piaffaient… le Révérend priait.
Lorsque le dernier quidam laissait la voie libre, avec solennité, il se levait… prenait la suite du dernier péquin…
Le Révérend ne se pressait pas, car il n’était pas pressé…
Akio ne savait quelle attitude prendre, il suivait la foule puis il attendait dehors sur la passerelle…
Le Révérend apparaissait, salué par les hôtesses, le personnel de bord, le service de nettoyage telle une divinité antique sous sa longue chevelure blonde et sa barbe fleurie…
… il a d’la gueule, ton Révérend… lui confia un livreur de journaux qui avait lu tous les articles… à l’œil !
Dans le hall de l’aéroport attendaient trois frères indiens que l’on avait vus à l’Hacienda…
Voilà ce que résuma le manu-script :
« Little Rock aéroport, ce vendredi, 3 heures de l’après-midi. Trois chefs indiens aux yeux bridés, sans âge bien qu’adultes, nous attendent, ces hommes ressemblent plus à mes origines qu’à celles du Teuton. Le Révérend fait figure d’extraterrestre au milieu d’eux avec sa taille de prophète biblique descendu de son cosmos. Ils se saluent et s’entretiennent dans une langue indienne que je ne comprends pas. Nous rejoignons un parking où attend un Ford-Van antédiluvien.
Nous partons pour le Pinnacle Mountain, non loin de la ville. Cette hauteur est encore restée dans la plaine… en pleine nature… sauvage en quelque sorte…
J’apprends que nous allons escalader la montagne Maumelle – ainsi nommée par des trappeurs français, parce que le sommet présente l’esquisse de deux mamelles d’une poitrine de femme…
« Les visages pâles, les trappeurs… trappaient les castors les élans et les bisons… ici… » m’informa un chef.
Pendant le trajet, nous sommes assis dans l’espace habitable du van aménagé comme un petit salon avec sa kitchenette. La conversation roule comme le véhicule vers des horizons meilleurs…
Le Révérend reprend parfois sa langue de Wall Street, selon la définition d’une de ses tantes…
Une phrase résonne, revient sans cesse, retournée comme une crêpe, ses mille facettes lui donnent une vertu incantatoire… Il faut la noter…
« Le totalitarisme ne cherche aucunement à sauver les âmes,
mais à les transformer. »
D’où venait ce brin de palimpseste… de Qumran… de la Mer Morte… ou de Washington…
Gravir le Mont Maumelle permettra-t-il de comprendre le totalitarisme transformateur ?
L’escalade aurait-elle l’objectif de transformer nos âmes ?
Était-ce le lieu propice pour l’éveil ?
En m’élevant, je fus plongé dans un puits de questions sans réponses. »
Une heure plus tard, le van se gara au pied du sommet à gravir…
Les chefs Indiens descendent du Ford avec prudence… font quelques pas au nord… au sud… à l’ouest… à l’est… ils se regroupent devant le van… « vent nul… c’est sûr ! » dit un chef des chefs.
Alors le Révérend suivi d’Akio peuvent s’ouvrir vers l’espace, hors du véhicule…
Nous chaussons nos mocassins de randonnée. Les squaws de l’Hacienda avaient sacrifié une peau de bison d’un Talweg des Rocheuses pour confectionner ce trésor du patrimoine Indien. Josef-John-Jérémie portait le modèle de Gottfried que Yépa avait taillé lorsqu’il était chauffeur chez les verriers… un 48 aux semelles compensées en deux épaisseurs.
Puis le chef distribua des bouteilles d’eau…
Chacun s’apprêta selon son rituel…
Après qu’il eut offert un long bâton et fermé le Ford-Van à clé, la colonne quitta le camp…
Les cinq pèlerins entamèrent un sentier qui devait rejoindre le sommet, les fameuses « maumelles » selon la transgression sémiologique locale de mamelles…
Nul ne parlait…
Chacun recherchait son souffle pour synchroniser son pas… et inversement…
La piste semblait faite pour des marcheurs plutôt que les marcheurs pour cette piste…
Akio bénit les heures de randonnées matinales de l’hacienda, mais aussi ses anciennes pérégrinations à Yokosuka…
La terre de ses pères lui semblait loin, malgré les hauteurs des mamelles… l’horizon était bouché par la végétation…
Depuis qu’il était sur les arpents de l’US-Land, tant de touches pointillistes s’étaient imprimées dans son cortex ! Soudain resurgit la phrase jetée à la réflexion… « Totalitarisme… transformer… les âmes… »
Il suffisait de l’insérer dans de multiples séquences pour en recevoir un choc… Cette piste serait-elle aussi totalitaire ?
Mais au fond qu’appelait-on totalitarisme ?
Pour l’instant, les pieds se posaient dans les pas de celui qui précédait. Akio suivait le rythme, mais la pensée cheminait, elle aussi débridée par cette escapade sur le Mont Maumelle.
Quand fut atteint le haut de la célèbre Maumelle… nul ne le sut.
Cette hauteur qui semblait si gigantesque, là-bas en bas, s’effaçait dans le paysage en haut.
Akio revint spontanément à son histoire. Lorsqu’il avait atteint le sommet du mont Fuji, qui culmine à trois mille sept cents mètres, ce fut pour lui comme un élan vers l’espace… cette sensation ne le soulevait pas à présent… alors il observa…
Les Trois Chefs Indiens s’étaient immobilisés…
Le Révérend n’avait pas dit un mot de toute l’ascension… tant l’instant était sublime.
« Je ne sais pas avec qui je suis en accord ou le contraire » notait le manu-script d’Akio…
Après un grand silence, alors nous fûmes immobiles sur la haute Maumelle… un chef indien se baissa, il prit une poignée de terre, il se plaça dos au vent, il psalmodia une incantation en laissant filer doucement la terre entre ses doigts refermés… elle s’écoula en un arc de cercle emporté par le souffle…
Le second reproduisit l’incantation…
Le troisième poursuivit le rituel…
Le Révérend termina le cycle… incantatoire…
Akio s’était posté à distance, pensait à son Fuji…
Alors le chef Indien psalmodia…
… Josef… de Little Rock à Fort Smith, il y a deux cents vingt-deux kilomètres. Jadis, entre 1836 et 1839, ce tronçon faisait partie du Sentier des Larmes, où pendant quatre ans des Indiens furent déportés par les Visages Pâles… si tu veux supporter notre cause… il te faut le parcourir… on t’épargne les 1500 premiers kilomètres… après cette épreuve tu appartiendras à notre race…
… hugh… répondirent les trois sages Indiens…
… hugh… prononça sagement le Révérend…
Il courba la tête… et même le corps… chaque chef posa sa main gauche sur son crâne…
Quand ils revinrent au lien mécanique de la civilisation, le soleil était bas sur le couchant. Le chef ouvrit la porte du Ford et le campement s’organisa. Sur l’aire de repos, des foyers pour grillades avaient été construits.
La saison était douce en accord avec la sublime élévation du Révérend, le fond de l’air affichait quelques degrés, l’espace de l’aire s’était relookée en vide biblique.
Seuls deux autres véhicules étaient garés très loin… silencieux…
Les caciques telles les meilleures squaws organisèrent le repas. Des poissons imprudents grillaient sur le feu, une soupière pleine d’eau soulevait les premières épiphanies de bulles en faisant danser les épis de maïs…
Le Révérend lévitait sur une autre planète… extraterrestre… incarné…
Autour du feu, sous la seule lumière des braises et de la voûte étoilée, se créa une communion entre la terre et les êtres qui la respectaient.
Néanmoins, dans les synapses d’Akio, résonnait toujours ce leitmotiv…
« Le totalitarisme ne cherche aucunement à sauver les âmes, mais à les transformer. »… qui avait écrit ce texte… und Warum ?
Qu’est-ce que ça venait faire ici ?
Là-bas, loin, à l’est, le nouvel élu siégeait sur le trône du pouvoir universel, le prénommé Casque d’Or, n’était-il pas l’héritier de ceux qui avaient décidé de jeter sur la piste le peuple Indien afin de prendre possession de son territoire ?…
« Nous allons souffrir… » confessa Josef qui se battait avec les arêtes du poisson…
« Alors, je compris… ! »
Il y avait encore peu, Josef Schmitt, là-bas à Yokosuka avait vu, grâce aux voix des Tortues blondes, que le futur Shérif serait celui qui jetterait son :
« Make America Great Again ! »
Les Indiens comprirent que Casque d’Or allait se pencher sur la condition Indienne…
Hélas…
Ce cri de ralliement était taillé par des spécialistes en marketing-cow-boy pour que Casque d’Or accède au strapontin de Washington…
Le peuple élimina la concurrente de l’establishment pour élire le Shérif milliardaire venu de nulle part… sauf que l’ancêtre géniteur, le Vater venait de Germany… comme John… et ça Barnaby le savait aussi…
Autour du feu… le chef en chef : Nuage-Sombre se perdit dans de noires réflexions…
… toi… Ô Révérend… tu savais depuis ta rencontre avec Franziska… alors que tu n’avais que trois ans et six mois… tu connaissais la traîtrise de Hissa Luna… les manœuvres de Barnaby Paker… toi tu pénétras le russe sans ruse… grâce aux talents de tes neurones… toi qui compris les roueries de Barnaby qui se passionnait pour son amant Japonais dans l’opéra Nô… puis-je Ô grand sachant te poser une question…
… pose Nuage-Sombre…
… toi… savais-tu… que l’une des premières mesures de Casque d’Or né Germain comme toi… serait de déclasser les territoires des Indiens de l’Utah pour que les industries minières puissent créer des exploitations sur les terres protégées ancestrales…
… !
… tu peux pas répondre ?
… je peux répondre… Nuage Sombre…
… alors ?
… le prophète ne peut prédire que ce qui fut écrit… depuis longtemps…
… très juste… approuvèrent les chefs.
Nuage-Sombre sombra alors dans un laïus égrotant, tant il était meurtri…
… hélas, tu as raison, c’est toujours le même tabac. Au début, avec Visage Pâle, on se cause… ensuite c’est bugne à bugne… puis signature d’un traité… enfin remise en cause par la Winchester… arrivée des prédateurs, cow-boys, troupes, trompettes… Always Great Again !
Et tous louèrent la lucidité du Prophète.
… Voilà… nous sommes ici ! résuma Nuage-Sombre.
Le chef indien avait étalé une carte sur laquelle était posée une lampe-tempête qui diffusait une noire fumée, le doigt suivait le fleuve Arkansas…
… de Little Rock à Fort Smith vous suivez la rive, il y a des sentiers balisés, les croix représentent les bivouacs organisés… on se retrouve à Evansville…
« C’est ainsi que je pris connaissance du projet dans ses détails géographiques… »
… tout le long, il y a des possibilités de ravitaillements… des gîtes… des auberges… des temples ! J’ai apporté deux sacs de couchage qui supportent des températures de – 18°C. Vous ne risquez rien, sauf les bêtes sauvages. Tiens, prends ça.
Le chef tend la nouvelle arme de poing de l’US Army, le P320 de Sig Sauer, rangé dans un bel étui de poitrine : une coopération US-Germany… je l’ai eu au black… pour quelques marks… Ça te rappellera des souvenirs…
« J’ai écouté, j’ai vu et j’ai noté… Tout est consigné dans le manu-script… Reste le motif de cette randonnée… C’est la première fois que je suis lâché dans la nature avec le Révérend aussi longtemps sans main-courante. Jadis, à Yokosuka, il y avait le bunker et le temple, là-bas, je connaissais ma ville… puis ce fut l’avion, le train, le taxi… enfin ce fut l’Hacienda. Mais à présent, je suis dans la nature perdu sur les bords de la rivière Arkansas, avec un prophète qui semble ailleurs…
Devais-je écrire mes observations dans ce manu-script au risque de les faire tomber plus tard dans des mains venimeuses ?
C’est sur ces pensées que je fermai les yeux après avoir fait mes ablutions au point d’eau et retiré avec une pince à épiler une arête de poisson qui s’était plantée dans la chair d’une gencive lorsque j’avais croqué avec appétit le poisson grillé… alors je pensais à Josef qui avait dit :
« Nous allons souffrir ! »
Heureusement, j’avais emporté ma trousse de pharmacie qui ne me quitte jamais. Ça peut servir tout autant que le P320 de Sig Sauer !
J’ai installé mon sac de couchage sur une protection de plastique qui m’isole de l’humidité. Les trois Indiens dorment près de l’astre, le Révérend est au milieu… près de l’âtre.
Au-dessus de nous, la voûte est étoilée… Je surprends une étoile filante qui resta anonyme… au moment où j’allais faire un vœu… je m’endormis.
Akio dort… il en a besoin, le narrateur anonyme alors prend le relais pour immortaliser cette nuit sans histoire.
Il tenait à le signaler car l’absence a tout autant de sens que la présence, il souligna que cette nuit fut insignifiante, c’est déjà caractériser la nuit.
Plus tard, bien plus tard, les lecteurs du palimpseste se pencheront sur la météo pour y trouver un sens tragique ou fractal, peut-être même que ce manu-script sera un jour retrouvé dans la jarre d’une grotte ou d’un sanctuaire perdu au milieu d’un désert du côté de Qumran comme la citation sur le totalitaire… alors, une foule de crânes d’œufs tentera de cerner l’indiscernable.
Par quelles voies aurait-il cheminé ?…
Nul ne le sait encore… mais avec Josef, l’hypothèse est plausible…
Les marchands de manuscrits trouveront bien la solution…
Nous voilà devant une énigme… Que vient faire le Révérend sur le Sentier des Larmes ?…
Oui… au fait… What is, le Sentier des Larmes ?
Eh bien, si vous voulez le savoir, il suffit de lire la suite…
Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes
Gentilés
Si le voulez bien
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L’Ange Boufaréu