Josef idéalise Franziska à la cafétéria de l’Uni… ce n’était qu’un/une succube… Russe…

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29… Who’s this ?

On se souvient que Josef, grand multiglotte devant l’Éternel, avait commencé un manu-script qui fera date dans les études métamorphiques des prophètes, car il décrivait la mutation d’un natif de Pittsburgh en Jérémie réincarné. On se souvient aussi qu’il évoluait par petites touches pointillistes entre le karma du plus haut grattouille-ciel et la ratiocination bas-du-cul de Béotien. Or, il voulait que cela se sache, en ajoutant des « paperolles » pendant son cheminement.
Adonc, lecteur, trouvez ci-après le fameux texte paperollé lors de son entrée à l’université universelle de l’US-Land… qui surgit bien avant son époque GI…

… « Эй, но это Йозеф[1]! »

Josef en resta coi… :
quoi ? Moi qui ne connois oncques citoyens en ce lieu, m’échoir ce salut pacificateur universel en russe ? Serait-ce un signe ?
Il était en mouvement pour quitter la vénérable Rosalie dont les cylindres ronronnaient rond. Moment jubilatoire : Gottfried avait accroché des papiers crépon aux poignées des portes et des fanions érigés sur les ailes qui lui donnaient un air de dragon rouge en goguette. Les étudiants qui stationnaient sur le parvis du gigantesque campus étasunien crurent voir la voiture promo-publicitaire du cirque qui donnait représentation dans l’un des faubourgs de la ville…
Josef, un pied dehors, un pied sur le marchepied, se laissa happer par la foule au sein de laquelle il disparut.
« C’est ainsi que commencent les grands hommes… dans l’anonymat ! – observation digne d’intérêt de Akio – dûment consignée dans le manu-script… le hasard rend souvent bien des services pour que certains deviennent célèbres par le miracle des conjonctions », ajouta Akio réflexion faite.
Et Josef se jeta à genoux devant celle qui était négligemment assise sur le pilier de la rampe d’escalier, à l’endroit même où jadis trônait une mappemonde bétonnée d’un cycle cosmique révolu.
Une Franziska en chair et en os… surtout en chair !
Elle venait d’apostropher Josef, qui était à des années-lumière de sa première adoration dans la cour de l’école primaire de Hissa Luna. À nouveau, la magie du verbe illumina l’impétrant à l’université qui le rendit aussitôt célèbre.
Car on fit cercle autour du passionné : certains applaudirent, d’autres posèrent un doigt sur leurs lèvres fermées en signe de mutique respect, des hosannas furent psalmodiés suivis de selfies. L’heure devint sacrée. Des murmures murmurèrent que cet homme était un Prophète. Il venait de distinguer… nul ne sut quoi… car prestement après son salut, la fille assise venait, elle aussi de se fondre dans la masse ondulante des étudiants…
… hé, prophète… c’est l’heure !
Josef se leva, transfiguré, il suivit la foule qui gravissait les degrés pour atteindre, au loin… le savoir. Franziska s’était immergée dans ce peuple. L’humilité de cette fille était un nouvel indice dont le sens échappait à Josef. Il voulait en avoir le cœur net.
Par un effet conjugué du hasard et de la fuite des corps vers un lieu fort vaste – une sorte d’hémicycle – il sut qu’il venait d’atteindre le saint des saints, c’était écrit sur la porte.
Il entra et vit la foule qui s’échelonnait sur des gradins, sans apercevoir l’objet de son illumination. On le poussait…
… ô, prophète… trouve-toi un siège… reste pas planté sur le seuil !
Il suivit le judicieux conseil…
Il prit place…
Il attendit que le concept vienne à lui comme les abeilles vont aux pistils des fleurs…
Un éminent personnage surgit au centre de l’amphi, sortit des feuilles qu’il posa entre lui et un micro… il tapota l’outil comme s’il voulait en faire tomber la dernière goutte. Il se croyait peut-être encore dans la pissotière. On entendit quelque ploc-ploc. Les portes se fermèrent. Les participants s’ouvrirent aux paroles du dernier arrivant omniscient sur l’estrade.
Ce fut un long laïus sur la nature évolutive des langues, qui était le thème du jour, car Josef suivait les cours de cette science qui étudie les signes linguistiques à la fois verbaux autant que verbeux que l’on nomme sémiologie, mais à la sauce étasunienne.
Ce premier cours fut le moment épiphanique… la réalité cachée ne se manifestait pas… car au bout de quelques minutes, Josef surprit l’hémicycle, qui contenait au bas mot deux fois une centaine d’âmes, se ramollir sous le poids de cet envahissant verbiage… des sons indifférents s’indifféraient…
Josef se leva et formula noblement :
… la thèse sans les parenthèses pour la synthèse de l’exemple, c’est de la foutaise…
C’était osé, mais il osa.
Le cacochyme du pupitre en avala son discours qui portait sur la transhumance des adjectifs épithètes…
… vas-y prophète…
… c’est prévu dans le cours… questionna un étudiant qui se réveillait.
On eut droit à la vraie transhumance des adjectifs, car Josef lia ce voyage à celui de ses ancêtres pour parfaire la chose.
L’autre au pupitre ne devait son titre d’ancien qu’à la seule fonction de son âge, alors que l’ancien Josef le devait à ses racines séculaires – autrement dit, le jeune Ancien en  culotte courte en savait plus que l’Ancien Émérite en culotte longue.
Bref, Josef développa sa thèse. Pour être clair, il prit un exemple avec un mot qui, bien que désignant une chose en réalité, pouvait en désigner une autre – thèse défendue victorieusement par un Suisse aux alentours de 1910…
… si je parle de l’antique Rosalie, par exemple, que je lui affecte un vocabulaire affectueux, affectif, admiratif, mais que je ne précise pas son âge, vous sombrez dans l’évanescent. L’image d’un être se forme dans votre cortex. Vous supputez que le sens de ma prognostication – selon les termes mêmes du très grand Rabelais – vous suggère que je cause d’une gente donzelle puisque Rosalie est un prénom féminin. Or, si j’emploie à présent un verbe… disons, « rouler ». L’histoire devient cocasse. Certes, une donzelle peut rouler des mécaniques… pourtant « Rosalie roule » semble abracadabrant. De quel roulement parle-t-on ? Roule-t-elle des hanches ? des épaules ? des meules ?
Progressivement, Josef, de degré en degré, descendait les marches de la nef. L’émérite s’était tu…
Dans les rangs on se soufflait de bouche à oreille : « c’est un prophète ! »
Le fonctionnaire rangea ses papiers dans une serviette de cuir fauve ayant vécu, sortit un grand mouchoir-éponge et se moucha bruyamment…
Josef arriva à sa hauteur…
L’autre en devint tout rabougri au point de se lever incidemment, de quitter l’estrade et de rejoindre un siège libre tout en bas pour que Josef le Grand poursuive cette magistrale leçon inaugurale que le peuple but à grande lampée…
Un Prophète qui supplante un Émérite… un exemple de cancel-culturenew-age.
… or, dit Josef, Rosalie n’est point une fée, encore moins une tante, ni même une jeune écervelée en guipures de l’époque Renaissance…
… Rosalie est une Ford T2 !
Ce fut l’apothéose…
On vécut un grand moment…
Mais ce n’était point tout…
Il eut le génie de tendre une passerelle entre l’oral et l’écrit, lorsqu’il saisit :
« A chalk to write on the blackboard » afin de décliner des algorithmes et autres extrapolations au tableau…
L’ex-génial professeur émérite avait sorti un portable vierge coréen, il notait le nouvel appli qu’il venait d’entendre, peu importe d’ailleurs sa place dans l’hémicycle, son salaire tombait tout aussi régulièrement…
Puis, l’émérite cessa son tipotap il commença à écouter… peut-être même pour la première fois.
Il était fort le Prophète !
Cette fin d’épisode fit date dans l’histoire de ce campus. Il fallut au bas mot trois quarts d’heure aux étudiants pour déchiffrer le palimpseste du tableau blanc devenu aussi chargée et codée que la stèle d’Hammourabi en cunéiforme…
Puis, l’hémicycle se vida, ne restèrent plus que trois acteurs dans l’agora selon le triptyque classique grec : l’ancien émérite, Jérémie-renaissant et Franziska, qui avait tout vu… tout entendu… et tout compris…
… grec… dites-vous ?
… personne n’a parlé d’Homère…
… j’ai qualifié d’homérique, bien sûr, mais par-dessus tout dramatique, car le nouveau supplantait l’ancien – l’émérite redevenu scolaire en bas de fosse.
La fille juchée aux cimaises de l’hémicycle riait comme une bossue, selon l’expression authentique, bien qu’elle soit dépourvue de cette anomalie physique, à son avantage.
Donc tension.
Le fils venait de tuer le père…
… c’est la référence grecque…
… au figuré of course nota la paperolle de Akio

Oui, le père blessé ruminait cette escobarderie… il comptait saillir pour reprendre la main. La fille, telle une Chimène acide, comptait les points. Nul ne pouvait prévoir le tiercé gagnant, car les personnages s’étaient murés en cire tel le Musée de la Mère Tussauds…
Le temps s’était arrêté jusqu’au moment où une main vint tapoter l’épaule de Josef et qu’une voix émit un message dynamique :
… on ferme !
… le musée ? souffla Josef en relevant la tête.
… non, l’hémicycle ! Répliqua la technicienne des surfaces qui appartenait à l’équipe du soir.
Enfuis, les foules…
Où avaient-ils sombré ces peuples qui avaient écouté la voix… muets d’admiration devant ce florilège de sapience ?
… à la cantine suggéra la technicienne des surfaces.
… Franziska ? murmura Josef en se redressant.
… non, moi… c’est Angelina… dit la balayeuse.
Il commençait à descendre les degrés de l’escalier…
… vot’ biasse ! dit l’Ange au balai, qui l’interpellait afin qu’il n’oublie pas son cartable en authentique peau « made in Germany ».
Aurait-il rêvé ?
Avait-il vécu un enchantement des situations ?
Il voulait en avoir le clair cœur. Il chercha un meilleur adjectif, mais n’en trouva pas sur le moment. Il n’était plus très net ; il oscillait entre deux mondes entre l’épithète et l’attribut, dans lesquels le seul lien tangible serait Franziska, car elle avait tout vu.
Il fallait donc qu’il la revoie.
Mais allez donc retrouver ce lien dans cette foule…
Il cogita, tel le philosophe dans son extase lors de sa découverte du Cogito ergo sum alors qu’il était en panne d’idées – tout comme Josef présentement.
Alors, il erra.
Tout en cogitant, il se perdit dans les dédales du campus, il ouvrait des portes sur des salles vides, des amphis presque déserts, des bureaux intimes, des hémicycles pour recyclages. Chaque fois, il auscultait le public restant, tête après tête, rang après rang, en dévisageant tout ce peuple indifférent, qui le laissait poursuivre sa quête de savoir. C’est en cheminant ainsi qu’il découvrit une formule devenue fameuse, tandis qu’il observait trois étudiants qui montaient les degrés d’un escalier…
« Parmi ces trois voyageurs, s’adressa-t-il à eux, il doit y avoir un enseignement. Il y a quelque chose à apprendre de chacun et de tous. Il faut choisir le bon exemple de chacun et le suivre, mais éviter leurs mauvaises manières ! »
… c’est de 孔子… assura l’un des passants qui jactait le confucéen…
Il fut contrit… sauf que Jérémie avait vécu avant Confucius, la citation du Chinois philosophe n’était autre que celle du Prophète… un plagiat sans doute.
… nonobstant, auriez-vous entraperçu celle qui hante mes nuits, illumine mes jours, astrolabe de mes chemins ? s’enquit Josef aux trois voyageurs ?
… oui, dit un des trois.
… elle est dans son amphi
tryon… ajouta le troisième, sans rire.
… il décrivit la voie… pour atteindre la femelle…
Nanti enfin du sentier qu’il déclina à chaque rencontre – illustrant ainsi le dit de孔子 : choisir le bon exemple, le suivre et éviter les chausse-trappes – il parvint enfin à la cafétéria…
C’était un vaste espace clos par une immense verrière, une chaude agora – telle la matrice femelle…

L’une d’elles était juchée sur un haut siège que, généralement on ne rencontre que dans les bars aux néons mouchés le soir dans de profondes caves enfumées. Que faisait-elle ici ? Nul ne le savait. Elle avait les jambes croisées avec art, il faut le dire. Elle le regardait venir à elle – tel l’aimant qui regarde la ferraille qui va se faire emboutir par les ondes magnétiques aussi sûrement que le moucheron va s’emplâtrer sur le pare-chocs de la loco lancée à vitesse grand V ou… pour filer une autre métaphore, le moineau, hypnotisé par les yeux verts du serpent, paralysé par ce pouvoir, immobile, va se faire gober par le reptile…
… eh bien, Josef… te voilà enfin !
Cette apostrophe lancée à son encontre l’émoustilla fort… elle sentait le biblique…
… comment as-tu fait pour me reconnaître ? La dernière fois que je te vis… c’était…
… dans la cour de Hissa Luna, cette salope…
… c’est ça…
… elle m’a piqué mes Hershey’s !
… tes chocolats… !
… je dépérissais…
… à ce point… ?
… alors l’orthodoxie de ma famille me retira de ce gourbi…
… le chocolat était meilleur là-bas ?
… c’était du шоколад.
… je comprends : chocolat !
… tu es doué…
… c’est toi qui le dit !
… bon, et à part ça ?
… …
Quelques amphis-bis venaient de se vider. Les étudiants remplirent alors l’agora chaude afin de restaurer les fonctions mises à mal par toute cette énergie dépensée à fixer le cogito de chacun.
Josef et la donzelle furent interrompus par le « Brou ! ha ! ha ! » qui s’apaisa lorsque le flux ayant pris place s’appliqua mutiquement à se régénérer.
Elle tira sur sa cigarette, jeta un nuage et dit :
… il faut s’élever hors des cadres, moi, je vais le faire. Tu n’as qu’une vie… Toi qui prétends au sublime, en réalité, tu n’es que germain…
ach was !
… je sais, j’ai tout suivi de loin. J’avais mes espions, c’est même eux qui t’ont fourni la tronçonneuse pour découper le tronc de la pruche de la cour de l’horrible Hissa Luna. Mais grâce à toi, mon nom est inscrit en lettres lumineuses sur la stèle qui offre mes poupées à l’adoration des peuples…
… tu savais quoi ?
… ton éclosion russe, je t’admirais de loin. Je sus que tu couvais une portée de dindes. Je savais que tu avais creusé une tranchée pour les rebelles, que les autorités avaient abdiquées devant ton cran. C’est là que j’ai connu… Barnaby.
… bibliquement ?…
… qu’est-ce à dire ?
… ben comme Eve ?
… mais, voyons, Josef tu plaisantes ? Il aurait fallu un ange Gabriel pour ça. Non, il venait me voir à cause de toi…
… moi ?
… oui, tu t’es confessé à ce GI. Il ne comprenait point ton inclination, mais il avait compris que ton russe pouvait le servir. Il voulait que tu deviennes cadet. Gottfried avait rassemblé la famille pour t’orienter…
… oh ! mais alors…
… ah ! Tu croyais qu’il suffisait que tu penses pour te croire libre. Observe l’enchaînement Josef : Barnaby t’a vu apprendre le russe en six semaines des quatre jeudis, il ambitionne au moins quatre étoiles, comme il est nul en russe, il te recrute, sachant que tu jactes aussi la langue de ta mère… que personne ne comprend.
… ma mère n’est pas Russe…
… ta mère est Algonquin… tu m’as trouvée. Je vais prendre ton destin en main…
À ce moment-là, Josef eut un sentiment obscur… presque un obscur pressentiment. Son inconscient recherchait le nom de l’auteur qui avait écrit :
« Ni Dieu ni maître ! »
La formule était alléchante parce que concise. Pourtant, son soubassement avait accéléré le triomphe rouge – ce qui semblait contradictoire avec cette devise…
… nous allons conquérir ce campus, puis la ville. Enfin, la Bannière perdra ses étoiles, ce design de tigre de papier… tu piges ?
… Blanqui… c’est Blanqui, le génial Blanqui, qui formula cet apophtegme :
« Ni Dieu ni maître ! ».
… tu me plais, toi… t’as d’beaux yeux… tu sais… dit-elle pensive.
Il y eut un hourra dans l’agora, on venait de livrer les nouveaux Mc en do majeur tout chaud…
Puis on en vint au plat de résistance…
… quel cycle suis-tu ?
… le meilleur ! répondit-elle.
… combien de…
… le temps n’a aucune importance, car j’étudie les Centuries de Nostradamus…
… le vieux François… ?
… l’Ancien… il sait tout.
Alors soudain arriva un groupe d’étudiants qui entourèrent la diva. Josef se sentit brusquement relégué au second plan, tel l’insecte rejetant sa vieille carapace après sa mue.
Ils mouftaient les langues en woke extrême… prémonitoire des années se profilant à l’horizon.
Mais plus que le mot, c’était le contenu du mot qu’il ne parvenait point à saisir…
Ils déclinaient leur glossaire en cancel-culture matinée de Coca…
Josef admit son incompétence…
Cela le chagrina fort… car enfin, il était Prophète… et il n’avait rien vu venir.
Car ces turlupins prétendaient également devenir les tenants de la pensée universelle en endossant le costume petit-bourgeois de leurs géniteurs alors au sommet de l’échelle sociale après que l’institution aurait validé leur savoir. En une nuit, le papier en poche, ils coupaient barbe et cheveux, brûlaient leurs oripeaux comme les pèlerins de l’Ancien Monde pour enfiler le look du notable parvenu.
Un auteur « françois » avait caractérisé cette situation d’une sublime concision : « Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary. »
On sautait de la jactance woke au soft language reconstruit, le tour était joué…
Au milieu, Franziska se dilatait dans le nuage des fragrances d’herbes bien de chez eux…
Une certaine lueur d’incompréhension illumina Josef. Il devait faire retraite. C’est ainsi que procédait Jérémie…
Il profita d’une nouvelle vague d’arrivants loqueteux pour se faire la belle en prenant la tangente pendant que l’autre, assise sur le tabouret, les jambes croisées, continuait de jacter.
Nul ne sut comment Josef revint au bercail…
Rosalie n’avait pas bougé…
Gottfried penché sur sa table de travail… dessinait le futur château d’eau…
On se rendit compte, que Josef n’était plus Josef…
Il n’avait même plus l’idée de ce qu’il était devenu…
Il avait envisagé sa future ontologie, mais elle se dérobait.
Un grand barouf l’agitait.
Il eut la prémonition que son temps sur terre était échu et que son rêve était déchu. Alors, il chut loin des vivants pour aller retrouver ses dindes dans son tepee : elles caquetèrent bruyamment en le voyant rejoindre le nid…
Aber warum ?
Ce fut une scène de ménage, avec prises de bec et cous bien droits – plusieurs chapitres d’intensités progressives que nous allons reconstituer…
En chœur, les femelles à plumes se relayèrent pour lui exprimer leur indignation… Elles gloussaient, elles jasaient, elles trompetaient, elles stridulaient en toutes langues pour fustiger son égoïsme et le fait de les avoir quittées pour retrouver cette Russe sur le campus…
Josef se récria que son évolution n’était point close et que le prophétisme l’attendait non loin…
L’explication en dindo-langage universel que Josef parlait à merveille fut musclée…
La pousselado (autrement dit ce troupeau de dindes nommé dans un jargon des troubadours latins), après cette entrée en matière, les dindes se groupèrent pour le snober. Elles exécutèrent une sorte de fandango dans lequel chaque dinde, telle une ballerine, traversa la scène devant Josef sur la pointe des ergots en l’ignorant. Ce fut la fameuse minute de dédain… théâtral bien sûr, car, au fond de leur cœur, les dindes temporairement courroucées gloussaient de chaleur filiale.
N’oubliez jamais que Josef les sauva du bain de sang auquel Gottfried les avait promises pour cette ignoble fête…
Josef comprenait leur réaction – un père a une âme pour ses dindes…
Alors, elles se calmèrent et vinrent toutes les huit se pelotonner contre lui…
Ce fut un moment sublime et rare au cours duquel Josef put enfin reprendre le fil de ses pensées fortement fracassées par l’apparition de Franziska, jambes croisées, cigarette au bec, sur son tabouret de bar…
… ce n’était pas la Franziska de ton éveil… assurèrent les huit… elles en savaient un rayon les filles…
… suis-je à ce point ?
… imbécile avec ce romantisme goethien… tu l’es !
Alors, il jura mais pas trop tard… qu’il suivrait la voie de Jérémie.
Ce fut une nuit prophétique…
Le voile de peau de bison qui constituait la porte du tepee s’ouvrit et la tante Algonquin proposa à Josef de venir manger, mais il avait promis, par égard paternel et solidarité animale, de partager le repas avec ses dindes.
La tante livra la pâtée, faite de son, d’épeautre cuit et de jaunes d’œufs bouillis mixés avec des graminées. Elle avait rajouté une délicatesse : des pointes d’ortie du dernier regain et des asticots vivants qui avaient colonisé les jarres d’orges de la réserve de Gottfried où il brassait sa Saxe-pale-ale… une bière maison bien à lui.
La couvée, ne pas confondre avec la cuvée, et leur géniteur se restaurèrent…
Lorsque la gamelle fut vide, la cellule reformée se plongea dans un sommeil profond…
Mais vous savez sans doute que les dindes ont l’oreille fine. Souvenez-vous de Tite-Live qui raconta le soir à la veillée que les dindes réveillèrent les Romains en voyant venir les Gaulois en catimini…
… c’étaient des oies ! précisa le correcteur.
… eh bien, j’élève mes dindes à ce même titre salvateur ! répondit Josef : parole de Prophète, sans se démonter.
Elles se dressèrent sur leurs pattes et sortirent, furieuses, du tepee, en jappant encore mieux qu’un loup écoutant la venue de l’intrus…
… holà, les filles ! intervint Josef.
Elles se calmèrent, mais n’en jactaient pas moins. L’arrivant sentait la brillantine « Sabre au clair » des GI de West-Point. Le costume était au pli. Le poil du crâne était ras. Les lunettes Ray-Ban en sautoir comme il se doit dans le premier bouton de la chemise amidonnée. L’appaloosa regimba au milieu des gallines qui auraient bien aimé lui croquer un bout de paturon…
… ho !
Le cavalier souhaitait pacifier les préambules…
Et il sauta sur le sol, ce qui provoqua l’envol des gardiennes à plumes…
« Quo vadis domine ? » proclama le hiérarque romain.
« Trattare ! » déclara l’officier cavalier.
Alors, militairement, le GI prit la tête du détachement, suivi des bipèdes et le cénacle s’éloigna afin que nul ne puisse entendre ce qui allait se trattarer…
Mais vous le savez sans doute : tout se sait…
… je suis au courant, commença le GI.
Vous avez bien sûr reconnu Malcom George Barnaby. L’officier Parker, l’ange protecteur autoproclamé…
Josef, tel le Prophète resta mutiquement silencieux, il attendait.
Barnaby prenait son temps pour qu’aucune oreille traînante ne puisse espionner son propos. Seules les dindes suivaient, attentives à la sécurité de leur géniteur…
Barnaby s’immobilisa un instant, se retourna et fit face aux huit paires d’yeux des filles à plumes…
… aucun souci, dit Josef. Elles ont besoin de ma protection, elles ne me quittent pas, et en plus elles savent se taire.
… oui, mais ce que je dis sera écouté, enregistré, divulgué…
… allons, Barnaby, ce sont des dindes… poursuivit Josef en faisant un clin d’œil aux oiselles…
Rassuré, il reprit sa progression par les prés et les champs et oublia la couvée qui derrière eux suivait le cou droit, le regard clair, l’oreille aux aguets…
… voilà… je voulais te dire ! commença Barnaby. Tu es au centre d’un immense complot…
nein?
yeah!
… le cosmos est indigent…
… non, tu as vécu ton premier jour inaugural à l’université…
… ah, tu sais ça aussi !
… j’ai mes mouchards.
… oh !
… on t’a joué un sale tour…
… … !
… la fille que tu as vue à l’entrée du campus assise sur la stèle qui supportait la mappemonde inaugurée par l’ancienne maîtresse du premier manager de ce temple du savoir universel étasunien… eh bien…
… eh bien ?
… c’est cette fille qui fit disparaître la mappemonde en béton que nul n’a revue…
… elle est kleptomane ?
… non c’est pas ta déesse slave, c’est une espionne à la solde des forces contraires… Elle se faisait passer pour ton égérie…
… je m’en doutais…
… sache aussi que depuis l’avènement du Mur effondré à l’Est, nous sommes envahis par ces peuples qui n’ont qu’une idée en tête : celle de nous coloniser. Nous, les US, le peuple le plus pacifique de la noosphère. Nous savons, nous, dans les services de renseignements, qu’ils ont envoyé des succubes sur tout le territoire des étoiles, ils arrivent par la bande pour nous espionner et nous voler les recettes de nos McDo… ils ont commencé par envahir l’université…

… je me disais aussi…
… décris-moi ton apparition…
… elle était blonde…
… évidemment…
… elle avait des yeux vert…
… toutes les Russes ont les yeux verts…
… le teint de porcelaine…
… le meilleur indice des espions… c’est le teint… imparable…
… elle fumait des cigarettes Severnaïa Palmira…
… nouvelle preuve soviétique…
… mais du tabac de Virginie…
… il te fait penser à quoi, ce tabac ?…
… il est virginal… !
… tu es tombé dans le piège de la virginité…
… elle était vêtue d’un sarafan authentique…
… pour te piéger, car ce costume russe est une ruse, il masquait une paire de couilles, mon ami, bien authentiques…
… je n’ai pas osé tâter, je comprends pourquoi elle avait les jambes croisées…
… tu aurais dû ! Et tu aurais compris le stratagème, tout s’explique !
… mais alors… où est Franziska ?
« Qui veut trouver la fille cherche ses empreintes parfumées ! » suggéra mystérieusement Barnaby, en citant un fameux proverbe west-pointien…
La procession progressait progressivement dans le processus de la connaissance. Ce dernier moment stoppa net la progression. Josef, affranchi des menaces qui planaient sur sa tignasse indienne, tourna les talons et se trouva nez à nez avec Barnaby et les dindes, qui incidemment s’étaient rapprochées du cénacle pour n’en perdre aucune miette…
… on t’avait prévenu… lui souffla à l’oreille l’une des huit…
Josef fit face à son destin…
… alors, que me conseilles-tu ?
… tu dois persister dans la voie !
… je retrouverai Franziska. Je le promets à la face du monde, à ses pompes, à ses œuvres…
… sois modeste, Josef, pense d’abord aux US…
Après la fac, tu iras à l’école des cadets de West-Point. Je veille sur toi, mais sois vigilant. Méfie-toi, les Russes travestis en succubes nous cernent, nous espionnent, veulent la peau de nos étoiles. Crois en moi ! C’est la domination du monde qui risque de nous échapper…
… ça, jamais ! caquetèrent les dindes.
… peux-tu imaginer que la noosphère, les peuples, les tribus, les continents doivent vivre sous le joug de l’Ours russe et son orthodoxie, que les moujiks soient contraints d’abandonner la langue étasunienne pour la cyrillique que le Mc à Do disparaisse au profit du bortsch à tous les repas enfin que le Co and Ca soit remplacé par la Vo and Ka ?
… ça, jamais ! jacassèrent les huit.
… alors Barnaby fut triomphant : ” Père, gardez-vous à droite ; Père gardez-vous à gauche!” ainsi que le disait Philippe le Hardi. Ouais, j’étais présent à la leçon…
Et c’est ainsi que s’en revinrent l’officier, l’impétrant et les huit dindes qui se dandinaient fièrement en position de serre-files. Le sujet qu’elles venaient d’entendre était analysé dans ses moindres détails. Faut pas croire, une dinde n’est conne que parce qu’on la traite ainsi, mais huit dindes ensemble, ça cause.
… comment trouves-tu l’appaloosa ?
… hélas ! soupira une ingénue.
… comment ça, « hélas » ?
… il a perdu ses roustons…
… mais il porte beau…
… c’est de la frime…
… il faudra aider notre saint Josef, il a tendance à tout confondre. Tu as vu avec les succubes. L’autre, elle en avait dans les brailles et il s’est gouré en le prenant pour la donzelle…
… la Franziska… il l’avait vue une fois chez Hissa Luna… il y a au moins vingt siècles…
… la seule fois…
… puis elle a disparu…
… depuis, elle a dû grandir, la petiote… mais le Vater, il reste sur son image de sainte…
… va savoir dit une autre, si la Franziska de chez Hissa Luna… n’avait pas une paire de cojones
… c’est vrai, pourquoi on l’a fait/faite disparaître
… il faudra en causer au Vater.
… il s’égare… la preuve, l’autre se fait passer pour la môme en causant russe… avec son sarafan ukrainien… qui masquait…
… ses grelots…
On était parvenu à rejoindre les abords du tepee dans le périmètre sécurisé. Dehors, sur l’aire ouverte de l’hacienda, étaient réunis les membres de la famille, tantes, oncles, papooses, ancêtres, autour du feu. On avait sorti les arcs et les flèches ; les tomahawks étaient aiguisés à la pierre philosophale, ils brillaient d’un gris aigüe. Le Russe pouvait venir. Pas de quartier comme à Little Rock ! La famille fut émue de revoir Barnaby. Il fut fêté comme il se doit. Il était devenu frère lors d’un pacte de sang, où il avait mélangé son sang à son nouveau frère après avoir lardé un coup de poignard sur leurs bras et les avoir liés l’un à l’autre…
Ce fut émouvant, sauf pour l’appaloosa qui se faisait chambrer par les dindes au sujet de ses amourettes absentes. Les filles caquetaient en souvenir du coq de la basse-cour de Gottfried qui avait perdu ses glaouis. Pourtant, il poursuivait toujours les poules à grand renfort de battements d’ailes et de cocoricos de haute-contre…
Les minettes lui tiraient la langue, se gaussaient…
L’appaloosa se morfondait en attendant Barnaby, il jouait au coq…
… c’est un bon guy, pontifia-t-il… Allez ! On y va militaire !
Il parlait de Josef…
Et le fier cavalier reprit son chemin vers son home… Quel homme !

 Comment Josef allait-il franchir cette césure de vie ? Il resta un long moment à observer les postérieurs de l’appaloosa qui traversait les champs fièrement en fouettant ses flancs musclés des longs crins de sa queue. Les dindes caquetaient. Elles prétendirent qu’avec son crincrin, il faisait diversion pour nous faire oublier l’absence de ses joyaux de famille – ceux-là mêmes qui démangeaient Josef… Lisez donc la suite et vous saurez !

[1] « Tiens, mais c’est Josef ! » Cette phrase apparaît immédiatement dans la paperolle du manu-script afin que le lecteur ne se perde point dans l’écriture inventée par saint Cyrille – le russe traduit, en somme…

                                           Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

Une réflexion sur « Josef idéalise Franziska à la cafétéria de l’Uni… ce n’était qu’un/une succube… Russe… »

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