Fin de maturation, retour aux sources… Pittsburgh…

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31… épisode où le cosmos constate la fin de la maturation de Josef… et constate  la transhumance vers Pittsburgh…   

Josef est toujours dans son temple au bout du monde, à Yokosuka. Les vents contraires se liguaient pour retarder l’éclosion. Oh ! le malin est bien malin. Akio assistait à cette lente naissance. Le manu-script rendait à merveille par le détail toutes ces phases, mais tout a une fin. Alors qu’ils venaient de rendre l’allée virginale à l’aube de ce jour et qu’ils allaient remiser leurs râteaux, on entendit crisser le gravier concassé qui hurlait de douleur sous les brodequins d’une escouade de GI… Ciel !
… prends la plume, cria Akio au scribe de service.
Le « nègre » venait juste de recevoir ses gages de fin de mois pour aller baguenauder dans des ailleurs jouissifs…
on ne dit pas nègre… rectifia le sensei mais… « prête-plume »… ah ces vents mauvais !
… soit ! il remisa ses billets verts et reprit du service.
Ce matin-là, le sensei avait pris la précaution de fermer à double tour de passe la clenche du grand torii de la porte d’entrée principale. Le command-car resta hors de l’enceinte. Seules des semelles sémillantes semèrent le trouble sur les sensibles cailloux – un mal qui rongeait l’ordre. Chaque fois deux moines ratisseurs suivaient les iconoclastes, ils rabouillaient les pierres en miettes afin de relooker le sol…
Or, sur ce sol avançaient une… deux… trois… paires de rangers…
Elles se dirigeaient vers le dojo…
Une cloche sonna sans but précis, mais signalons-le au passage des bottes.
Ils étaient martiaux, ces arrivants, bien qu’ils ne semblassent pas pratiquer cet art martial, à en juger par leurs cheveux gominés et leur tenue vestimentaire repassée, empesée et décorée aux insignes de l’US-Land…
Néanmoins, quatre moines-pantoufles se précipitèrent pour offrir les pompes ad hoc qui permettraient d’entrer dans le saint espace…
… nous resterons dehors ! Sous le sycomore !
Et tels des seigneurs, ils s’assirent sans autre cérémonie sous le chêne à palabres.
… nous voudrions voir l’impétrant Josef !
Les quatre moines-pantoufles repartirent prestement et revinrent avec des râteaux…
… il faudra attendre… nous en avons au moins pour trois bonnes heures avec l’icelui.
Les quatre moines repartirent prestement et restèrent postés non loin.
Le matin était peu pressé de se terminer, il flânait pour rejoindre les heures de midi – tout comme Josef qui n’apparaissait point…
… il est en dévotion !
… yeah !
Une cloche sonna… elle faisait écho à la première…
… sans doute la fin des dévotions… !
Fausse alerte, ce n’était que la fin des ratissages…
Les GI’s commençaient à trouver le temps incommensurablement long…
… patience, chef… le Révérend est en quelque sorte un miraculé…
… sans doute… mais faire attendre un émissaire des Bannières étoilées… c’est grave !
… le pardon n’existe-t-il donc point ?
Le sycomore masqué en chêne n’en crut pas ses oreilles d’apprendre que le pardon :
… serait une notion étasunienne… !
Soudain arrivèrent le moine et son ombre…
Le moine prit place, mais, prudente son ombre suivit lorsqu’il se fut assis.
Ce fut tout d’abord un long moment d’observation, puis :
… Josef, je t’informe que tu n’auras pas besoin de renouveler la garde-robe de ton grade…
… Pourtant, c’est nécessaire, il a maigri ! dit Akio.
… peu importe le poids… il est rayé des effectifs de l’armée !
Ce fut la « Soixantedouzemillième » illumination du tondu…
Et ce qui était écrit advient enfin !
… normal… reprit le gradé… ton contrat se termine aujourd’hui. Tu avais signé pour quelques années. Tu as rempli ta mission selon les règles du parfait matelot ! À présent, tu es libre !
Alors les trois militaires se mirent au g’ard’à’vous. Un GI qui portait un clairon entonna la : « Marche des brigades sauvages de l’Ouest »… qui précipita tous les moines armés d’un râteau dans la cour pour faire face aux agresseurs…
Josef eut un geste de la main pour leur signifier que ce rituel était normal chez les descendants de West-Point…
Ils refluèrent, inquiets, sur le qui-vive, l’arme ratisseuse à la main et tous se réfugièrent dans des guérites et casemates… ils surveillaient.
La sonnerie de clairon cessa… elle fut suivit d’un son de la cloche… la troisième celle des tocsins qui ouvrait l’œil du torii.
… nous ne pouvons rester plus longtemps… déclara l’émissaire qui devait, selon les normes de son galon, oraliser une prose choisie, car le devoir nous appelle… Cependant, afin d’entériner cette fin du contrat, il serait utile, nécessaire et obligatoire que le GI Josef vînt au quartier pour la traditionnelle visite médicale, la signature des palimpsestes et le pot Cocahola d’adieu qui aura lieu demain en fin de journée !
Josef méditait…
Il en avait l’habitude à présent. Il cherchait à comprendre le sens caché de sa dernière illumination, mais il ne trouvait pas.
… tout a une fin ! dit le clairon.
… voilà le sens que je cherchais…
Le musicien venait de donner la clé illuminatoire de la partition, cette marche à trois dièses qu’il venait de jouer haut et fort.
… comment vais-je m’y rendre ?
… nous viendrons vous chercher, si Votre Sainteté le veut bien…
… pas d’emphase rectifia l’envoyé en chef des forces universelles étasuniennes en voyant les deux troufions déjà en train de canoniser le Josef et de lui faire de l’ombre avec ce nouveau titre…
… bien, à quelle heure ?
… disons le matin… après le casse-croûte, les ablutions, les dévotions et le ratissage…
Akio intervint :
… un impétrant Prophète ne peut se passer de ratisser…
On consulta le sensei qui ne l’entendait pas de cette oreille, mais de l’autre
… un moine se doit d’accomplir sa voie de pénitence… pour une dérogation, il proposa que les bidasses ici présents prennent un râteau avant de partir pour revirginiser le lieu que leurs piétinements avaient ulcéré…
… je serai libre à 9 heures… !
Tous se levèrent ; une armée de moines-râteau vint apporter un outil à chaque GI.
Il fallut expliquer brièvement comment bien le maîtriser – ce qui rendit les cantonniers… moins niais…
Quelques minutes plus tard, en ordre, les représentants de la garde universelle de l’US-Land franchissaient le seuil du torii, le menton fier, la colonne droite, heureux d’avoir commis le geste de virginiser les sols conquis.
Mais…
car il ne faut pas l’oublier…
Josef, assis sous le sycomore redevenu chêne, était sous le coup de sa soixante et onzième illumination – cette phase où l’insecte, sous la puissance des forces de la génétique de sa condition, brise le cocon de sa chrysalide…
Akio, tel l’entomologiste, suivait en live cette métamorphose que les textes avaient annoncée, mais qui se dérobait toujours à l’œil de l’homme.
… je vais devoir quitter ça ! dit Josef.
… tu n’es pas encore sevré ! dit Akio.
… c’est vrai ! J’ai encore des restes du clairon dans mes synapses, ils naissent d’une conscience non encore pacifiée. Tu as bien fait de m’en révéler l’existence. Je vais m’efforcer d’éradiquer ce reliquat de fossilisation ancienne qui encombre encore mes plis.
Alors, il se leva il prit un râteau – symbole de la pénitence – et seul, au milieu des touristes, visiteurs, péquins et autres étrangers, il déambula derrière chaque passant pour effacer les traces de ces envahisseurs. Le sensei fut alerté par quelques pèlerins venus se recueillir, ils se trouvèrent soudain suivis par ce moine-râteau allogène qui voulait effacer chaque pas laissé dans le gravier. Mais Josef ne se contentait pas d’effacer : il maugréait des remarques sur l’art de poser les pieds sur le sol afin de ne pas le traumatiser, ce qui faisait fuir les touristes en mal d’illumination.
Le sensei devait trouver une solution pour ne pas compromettre les finances du temple, c’est-à-dire la recette du jour versée par les visiteurs.
Il vint rejoindre le matelot qui cabotait ou plutôt qui cabotinait au milieu du peuple…
Doucement. (Il ne faut pas brusquer un futur prophète, car souvent la remarque provoque des végétations qui nuisent à la parole… si, si !)
Il trottina un instant à côté de lui…
… c’est bien, mon brave ! lui dit-il.
… j’en suis heureux chef… répondit Josef.
… qu’accomplissez-vous par ce geste ?
… je purifie !
… à quel niveau hiérarchique placez-vous la purification ?
… je n’avais pas envisagé cette problématique… mais puisque la question est posée : au sommet !
… certes…
… c’est vous qui le dites, ô sensei
… vous avez beaucoup donné… ici. Il serait temps que vous alliez donner… ailleurs !
… oh, sensei, vous savez ?
… je sais…
… que disent les oracles ?
le sensei semblait perturbé.
Josef cessa de ratisser, puis le regarda…
… que se passe-t-il ?… Vous savez ?
… des messages dans mes méditations m’assaillent… ils venaient de votre terre où vous vîtes le jour…
… des voix ?…
… il y en a…
… les Tortues blondes, n’est-ce pas… (ceci fut dit à voix très basse NDLR)
… elles vous réclament !
… oui, mais… clama Josef en regardant le sol à virginiser et le ciel qui l’attendait…
… je vous fais grâce de cette queue de pénitence… vade in pace
gratias tibi tam sensei
Alors Josef rendit son râteau au sensei qui ratisse encore…
Ce fut la libération du jour…
Il fallut faire les malles du mâle, il s’y plia sans mal.
Le carré qui avait abrité Akio et Josef devint sacré.
Depuis, cet espace est devenu un musée. Une plaque commémorative en lettres de feux a été apposée sur le mur de ce lieu nu, peint à la chaux vive, là vécut le Révérend et son aide-de-camp…
Le nouveau sensei y trouva son compte, car le chiffre d’affaires du temple tripla. Souvent même, le temple était déserté au profit de cette modeste chambre. Là, tout visiteur pouvait acheter un râteau – symbole de l’illumination.
On trouvait des râteaux porte-clés ou brodés sur des fanions des maillots des couvre-chefs, des pin’s-badges que l’on pouvait épingler au revers d’un veston et même un râteau aux griffes de bambou étoilé emmanché d’un long cou de noisetier du Japon. Puis lorsqu’on n’eut plus de noisetier ni de bambou, le style plastique made in China devint un grand succès.
Et l’on était ému de voir le peuple béat repartir avec son outil de virginisation extrême…
Car enfin, cette cellule n’offrait aucun conforts qu’on trouve outre-Atlantique : ici, quatre murs, deux canisses sur une planche, deux malles, deux lumignons produisant quelques lumens… c’est tout…
Voilà justement ce qu’expliquait le guide à un groupe de milliardaires de la côte ouest des US qui venaient de faire escale après être descendus d’un jet privé de six cents places. Ce cadre dépouillé fut le « must déclencheur » qui déclencha le troisième œil de la conscience de ces heureux anachorètes voyageurs…
« Observez le blanc des murs… Ici, le clou du spectacle, qui fut utilisé par l’ermite pour suspendre ses reliques… »
Et tous se précipitèrent sur la photo, qui, souvenez-vous, était l’image en quadrichromie défraichie qui immortalisait l’écorce de l’arbre – le fameux pruche sur lequel l’égérie Franziska s’était adossée – une sorte d’ex-voto d’à peine quelques yens.
Une construction annexe avait été dressée à quelques mètres pour recueillir les oboles, après les paraboles, en échange de souvenirs dans un grand bol. Ici vivaient donc les « marchands du temple » que les touristes connaissent bien. Ils trouvaient les mêmes à chaque escale, avec leur sabir universel étasunien.
« Vous pouvez aussi suivre ce sentier… il conduit au temple… ! »
Le peuple avait vu l’essentiel : l’ermitage de l’idole. Songez donc, un GI matelot des cadets de West-Point qui s’était retiré du monde et de ses œuvres pendant des jours, des nuits, matin et soir, dans un dénuement total…
« Pour ratisser ! » soupira un touriste ébloui…
Ce soupir en disait long…
Et tous de se creuser la tête devant cette énigme. Alors qu’il était le number one des polyglottes, voilà qu’il venait se perdre ici sans un sou, en bouffant des légumes…
… un marxiste ! souffla un autre.
ça bouffe des légumes les marxistes ?
… la Russie… c’est loin… comment qu’ils faisaient pour livrer…
Et comme ils ne pouvaient répondre, ils remontèrent dans le bus transcontinental air conditionné à sièges basculant pour la sieste, car le guide avait l’œil sur le chronographe suisse. On venait de dépasser de quatre minutes le temps imparti : soit soixante-sept minutes au total entre l’hôtel, la visite, les achats et le départ…
« Le lendemain… » dit le manu-script.
Mais là, il faut se rendre à l’évidence, un paperolle manquait à l’appel. Akio ajouta bien plus tard un document apocryphe qui tentait de décrire les tourments de la nuit… les humeurs du matin… le départ… ce que d’ailleurs… plus tard… bien plus tard certains exégètes découvrirent…
« En réalité, Josef était bouleversé par des ennuis aux gros et petit côlons…
“Nous caracolions de guingois, ben, mon colon !” jurai-je…
Alors je souffris par compassion pour le souffrant… »
Voilà pourquoi : soit par décence, soit par absence, soit par aisance, le paperolle manquait.
Et puis, avouons-le franchement, doit-on emmargailler[1] le lecteur avec les intestins d’un prophète ? Ça n’a aucun intérêt…
Alors vint l’heure dite… le moment où concomitèrent plusieurs signes. Les moines ratisseurs venaient de terminer leur pénitence, ils posaient l’outil illuminatoire. La cloche numéro 29 sonna, le torii s’ouvrit, le command-car s’arrêta, le GI vira la clé de contact et Josef sortit aisément pour la huitième fois des lieux…
Alors…

Les moines agitèrent des petits drapeaux…
Alignés sur le pas-de-porte du dojo, avec la perspective de l’allée en face d’eux, ils assistèrent au départ. Devant eux s’illustrait la fuite du temps.
Le sensei avait conservé son râteau – qui est le pouvoir symbolique de l’éveil de la pensée cosmique… d’un chef.
La transhumance commença au moment où le moine et son acolyte foulèrent les graviers qui crissaient d’émotion…
Selon l’habitude, ils ne se retournèrent pas pendant les huit cents mètres que comptait la perspective…
Ils franchirent le torii
Et ce fut tout…
Les matelots de l’US-Land ouvrirent les portes du command-car et offrirent les sièges arrière pour qu’ils puissent poser leur séants.
Le véhicule quitta l’espace dans un grand froissement de pneus qui laissèrent de nombreux stigmates sur le sol. Ils restèrent longtemps pour marquer le passage du sage, car les moines-râteaux n’avaient pas accès à l’extérieur.
Le retour fut empreint d’une grande émotion, il fut interrompu quatre fois, qui permirent à Josef d’éliminer encore quelques scories de son passage dans le temple – quatre escales qui pourraient devenir un nouveau chemin de pèlerinage si l’office du tourisme l’entendait ainsi…
C’est ainsi que l’on devient prophète : un long cheminement, un processus complexe, parfois troublé par des embarras gastriques…
« C’est dur de devenir prophète ? » demanda le chauffeur.
Mais son voisin lui ordonna le silence que requérait la situation.
Enfin, après avoir traversé les espaces conquis vassalisés, le véhicule se présenta devant le porche universel que barrait le long sésame d’un madrier de métal…
Devait-on négocier ?
Un émissaire vint s’enquérir du pourquoi, du comment, de qui venait ainsi troubler la quiétude du lieu…
Une fois renseigné, le factotum, tout penaud, jura mais un peu tard que l’on ne l’y reprendrait plus.
Et le portail s’ouvrit…
Le véhicule impérial décrivit une longue ellipse qui se referma sur elle-même en forme de cercle, ce qui permit aux occupants d’admirer sur toutes ses facettes le mât érigé en haut duquel flottait le célèbre Stars and Strippes qui remuait les tripes du moindre quidam US. À preuve, Josef était soudain remué par son côlon – ce qui est tout à fait logique dans une enceinte militaire.
Le véhicule stoppa devant la cantine qu’ici on nomme cafétéria. Comme une flèche, Josef sauta d’un seul élan la volée d’escaliers et franchit les portes avec aisance pour atteindre le ravissement aux W.-C.
Les cuisiniers se précipitèrent sur les congélateurs. On sortit les célèbres Frankfurter Wurst et les bouteilles de curry-ketchup qui attendaient le retour du matelot.
Mais voilà, le GI était passé par la case des ermites, son alimentation devait en être chamboulée…
Sauf que pour l’heure ce n’était pas le sujet…
Enfin libéré, après tant d’heures assis à être cahoté sur les routes des sentiers vassalisés, Josef sentit sa tripe libre parce que libérée.
Il reprit le chemin du command-car qui l’attendait portes ouvertes…
Enfin, ils parvinrent devant le bunker…
La porte… mais avant, on put se rendre compte que le toit s’était hérissé d’antennes de boîtes à malice et de paraboles moins prophétiques que métalliques…
Les grandes oreilles croissaient en verrues exponentielles. Le bunker ressemblait à présent à un gros porc-épic assoupi hérissé de terminaisons…
La porte… mais après, on entra dans un espace vide de factotum…
L’ermite et son aide de camp furent accueillis par un sbire clinquant qui leur intima l’ordre de le suivre…
Et on revint dans la salle des pleurs, des douleurs et des lamentations…
Pourquoi ?
L’huis s’ouvrit lorsque l’huissier inséra son badge. Tant de modifications intriguaient les observateurs.
Mais, à l’intérieur, toujours la même table, derrière laquelle une douzaine de treize costumes parfaitement amidonnés attendaient.
Une voix suggéra :
« Entrez et posez vos fesses sur ces sièges ! »
Ce qu’ils firent…
Il n’y avait que deux tabourets sans dossier, afin de forcer l’assis à rester vigilant sur sa position…
« On ne pose pas les coudes sur la table !
– Seulement les mains ! »
Devant eux donc… les douze… divisés en deux par un treizième… au centre…
Et derrière eux, la porte se referma…
Devant eux donc…
Derrière eux, la porte se rouvrit…
Devant eux alors, les douze se détendirent, car un petit chariot, dont une roulette gémissait à chaque tour de roue, apportait à chacun un plateau odorant, avec le McDo, le gobelet, la fiole universelle contenant l’élixir de vie cocalien et le carré d’étoffe de synthèse utile pour essuyer les scories qui surgiraient des dégâts collatéraux…
Les deux ermites ne reçurent qu’un gobelet chacun et une bouteille d’eau pour deux… soit les douze étaient radins… soit il vénéraient ces ascètes…
Le chariot repartit… en roulette mezzo vibration…
Et derrière eux, la porte se referma…
La cène était intéressante… Les douze qui en fait, vous l’aviez compris étaient treize rompirent le silence…
Le pain aussi…
Plus tard…
Derrière eux, la porte se rouvrit…
Ils rompirent donc le mutisme par une mastication différenciée, car tous redoutaient les bougnettes[2].
C’est donc cela ! pensa Josef.
Mais il ne dit mot, se contentant de siroter son gobelet en plastique. Akio, lui… vida l’eau d’un trait… de plume.
« Je vous ai réunis, dit le grand prêchant, car l’heure est grave.
En ce moment… Casque d’or règne ! »
Grands mouvements chez les douze-treize sans un son…
« Il règne… Mais curieusement, il arrive au moment où vous quittez votre bunker… Ce fut notre grande interrogation…
« Comment est-ce possible ?
« Depuis… nous constatons entre autre que les forces russes ne sont pas loin, avant, pendant et après cette élection. N’est-ce point étrange que les forces russes se fussent autant intéressées à Casque d’or… Pourquoi ? »
Le débat… l’âge du… capitaine… la pointure des pompes…
« Ne détournez pas le propos ! »
Ils n’avaient encore rien dit…
Et derrière eux, la porte s’ouvrit…
Un second chariot dont les deux roulettes avant couinaient à chaque tour de roue vint se porter à la hauteur du censeur déversa sur son côté gauche une pile de documents, puis se retira. Alors, on put remarquer que les roulettes ne gringraillaient[3] plus – sans doute, le poids de l’accusation était-il trop important pour ces modestes axes…
La porte derrière eux se cadenassa alors.
« Je lis vos états de service, Josef Schmitt, de Pittsburgh…
Comment se fait-il que, fils d’un Germain et d’une Indienne Algonquin, vous vous passionnâtes pour la langue qui n’utilise que l’alphabet cyrillique ? Langue que vous parlâtes dès votre entrée à l’école de Hissa Luna…
Elle nous a tout raconté… la traitresse…
« Hissa Luna ? interrogea Akio.
« Eh oui… rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, selon le dit d’un sage californien…
« Cette citation est d’un chimiste François ! précisa Akio qui intervint pour la seconde fois.
«  Po ! po ! po ! po ! onomatopa un participant qui voulait placer son mot.
« Question : comment devîntes-vous expert en langue moscovite… si vite ? N’y avait-il point derrière cette dévorante passion une non moins dévorante volonté d’introduire le loup dans la bergerie ?
Je vous le demande ?
« Il le demande… ! glissa Akio à Josef qui restait mutiquement muet.
« Nous pensons que depuis plus de trente ans, se prépare ce complot. Casque d’or n’a été élu que parce qu’un vaste réseau a pu se construire pour qu’éclose son apparition…
Ah, vous vous taisez !
« Qui ne dit mot…
« Mais que dire de cette Franziska ? Cette espionne que nous espionnons depuis son arrivée sur les territoires de la Bannière universelle et pour laquelle vous livrâtes des textes, des discours, des thèses, des libelles et des prédications qui allaient dans le sens du pourrissement. Pourquoi cette soudaine recrudescence des ours dans les Rocheuses si l’invasion n’avait pas été programmée de longue date ? Ils gangrènent notre civilisation. Et même les Indiens qui furent la semence de votre sang ne boivent plus de bourbon pour se gaver de vodka.
Elle nous a tout raconté. Nous savons vos liens avec elle, des liens avec les décideurs de là-bas qui ourdirent la chute de notre égérie-candidate, dont la pureté n’a d’égal que la lessive double action. Nous avons tous vos textes…
Vous fûtes un Mitfresser[4], qui se cacha en son sein…
Pendant des années, nous crûmes en votre honnêteté, votre attachement à la Bannière, à votre conversion au grand concept qu’érigea cette nation, le Mc-Co-muf, derrière laquelle vous vous cachâtes.
Mais le pire, ce fut votre comportement… »
Les treize à la douzaine serraient les rangs et les fesses, car le dénouement était proche.
« Vous fûtes d’une perversité odieuse avec notre frère d’armes en vous transformant en agneau à peine sachant bêler, lui qui vous fit suivre toutes les étapes de l’intronisation afin de vous placer à la tête du plus grand service d’espionnage du monde…
Or, vous étiez un agent double…
On le sait à présent !
Que répondez-vous ?… »
Josef se taisait… toujours…
« Messieurs… nobles gentilés… intervint Akio… permettez-moi de prendre la parole en son nom. Cet homme n’a plus toute sa tête à lui. Vous le voyez muet, car sa position ne lui permet pas d’être ouvert au monde. Tous ses sphincters sont clos…
« Qu’est-ce à dire ?… formula doctement le grand prêtre.
« Mon côlon… gémit Josef.
« Je suis général, oh Josef Schmitt… vous déraillez…
« Oui, mais il a besoin de votre autorisation pour clarifier son encéphale…
« Je la lui accorde… »
Et le grand sanhédrin annonça cérémonieusement :
« Pause pipi pour tous… »
Ce fut un grand soulagement… au propre et au figuré…
Josef redevint combatif…
La porte se referma derrière eux…
Mais il manquait quelques experts…
La porte s’ouvrit alors à nouveau derrière eux.
« Qu’avez-vous à dire, matelot ?
« Ben, ça va mieux…
« Curieuse réponse…
« Nous allons vous soumettre à la question. Notre témoin digne de confiance apportera à ma question une réponse qui permettra de révéler si vous êtes de bonne foi ou si votre foie est encore défaillant…
Des voix auraient souligné qu’elles vous auraient vu dans les faubourgs des steppes où vivait cet homme… ici devant vous… le général Barnaby Parker.
« Votre Honneur… je n’ai pas présent à l’esprit ce fait… bien que je fusse – et cela est vrai – étudiant dans l’une de nos universités de Pennsylvanie…
« Barnaby Parker poursuit… plus tard, l’avez-vous conseillé dans la voie universelle des Bannières étoilées afin que son origine immigrée mutât vers les concepts Mc-Co-muf ?…
« Votre Seigneurie… j’ai conseillé comme mon ordre me le commandait, mais à des dizaines de milliers de parents qui voulaient conduire leurs enfants vers la lumière de la Bannière étoilée. Mais des langues bifides semblent vouloir oublier… peut-être jouent-elles un double jeu…
Barnaby Parker, ici, dans cette île pacifiée par nos soins, perdue au milieu du Pacifique, avez-vous, en votre âme et conscience, eu le sentiment que cet homme aurait pu construire à votre insu un réseau qui aurait permis cette évolution… une invasion russe dans nos contrées ?…
« Votre Sainteté… j’ai tenté d’y voir clair… Votre Grandeur, observez comment je fus fracassé, hospitalisé, brisé par cette recherche. Peut-on m’accabler pour cette quête ? Alors, moi, dans ma grande compassion, je ne veux pas charger cet homme qui pourrait se repentir… s’il le voulait… et faire amende honorable…
« En clair, vous connaissez à peine cet homme…
« C’est c’la, à peine ! »
Les treize à la douzaine retenaient leurs sanglots longs des violons de l’automne…

Au loin, on entendit un coq cocoriquer… une fois…
« Qu’avez-vous à répondre, Josef Schmitt ?
« Mais, dit Akio qui avait de la suite dans les idées, le GI a terminé son contrat…
« Et alors ?…
« Alors il n’est plus soumis à l’obligation militaire…
« Et alors ?…
« Et alors il n’est soumis qu’aux affres de son côlon…

Au loin, on entendit le même coq cocoriquer… une seconde fois…
« Ce qui est pire !
« Que faire ?

Au loin, on entendit le coq cocoriquer… derechef, une troisième fois…
« Faire ce qui est prévu au contrat : il rend son paquetage et passe sa visite médicale.
Barnaby lui a même donné sa bénédiction en toute ignorance, mais, messieurs, il reste maintenant la vôtre. Car n’oubliez point : cet homme est prophète. Ne l’avez-vous point baptisé « Révérend » ? Est-ce que la Bannière va donc se déjuger sur ce point ? Voyons, des cadets de West-Point commettraient-ils cette hérésie ?
L’Histoire avec un grand H, messieurs, vous jugera…
Je vous rappelle que cet homme fut autorisé par vous-mêmes ici présents à suivre sa voie dans un ermitage, un temple, une retraite, après avoir eu la révélation par les Tortues blondes de l’avènement de Casque d’or.  Depuis un an, il vit retiré du monde. Comment aurait-il pu fomenter un complot ?
D’ailleurs, si Barnaby ne peut rien prouver, c’est que les preuves n’existent pas ! »
Certes, certes, car tous craignaient l’Histoire… cette prosopopée !
Après une longue délibération, on constata que les charges laissaient les plateaux du trébuchet parfaitement horizontaux – c’est donc qu’il n’y avait aucun poids…
Derrière eux, la porte s’ouvrit aussitôt.
Le groupe d’experts quitta la salle des pleurs et des gémissements sans un mot ni un regard pour les deux civils… Le divorce par consentement unilatéral était consommé.
Les douze-treize ne connurent ni ne reconnurent plus jamais les deux quidams… Certes, ils s’étaient côtoyés mais chacun dans son camp. Nul n’avait fricoté, louvoyé, comploté…
Alors la complicité… ah ! ah !… ça me fait rire…
… tu vois Akio, comment Barnaby a obtenu son étoile… en me livrant au sanhédrin pour quelques thalers…
… quand l’histoire se répète, ça devient une farce… a dit le Kerl… résuma Akio.
Sauf que Josef ne voulait pas que sa bibliothèque restât dans le bunker.
Alors que nos deux anachorètes étaient attablés à la cafétéria devant un bol de chocolat chaud et que Josef était redevenu civil, après avoir revêtu son vieux jean denim, sa petite laine en coton et ses pompes de circonstance, une estafette lui apporta un message écrit sur lequel était dit :
« Ordre de la Bannière : mettre sous scellés le carré, y compris les tintinnabules. Motif : espionnage ! »
C’est donc avec son sac à dos qui ne contenait que quelques anodines bricoles, dont son manu-script, que Josef Schmitt quitta l’enceinte, le cœur léger.
Les cuisiniers pleuraient à chaudes larmes devant les curry-wurst restés intacts offerts sur un plateau. Cette rupture marquait une césure dans l’art de vivre de Josef…
Du curry-wurst, plus jamais !
Akio ouvrait la route.
Ils prirent un taxi qui les amena au célèbre restaurant que le lecteur va identifier immédiatement, car c’est ici que l’éveillé apostropha les occupants d’une table où était assise une femme qui avait perdu ses bijoux.
Elle les cherchait encore… peut-être…
Là, un léger mâchon les attendait…
Puis ils prirent la direction de l’hôtel aux lanternes mouchées qui accueillaient toutes les passions… on a dit : toutes…
« Il faut le soigner… » s’inquiéta Akio en s’adressant à la tenancière.
Elle le regarda, pensive…
« Il ne maîtrise plus son côlon. Vous comprenez, ce n’est pas très confortable suivant la position que l’on adopte… »
Elle ouvrit un vieux tabernacle et en sortit une fiole…
« Tu lui donneras trois gouttes de báijiŭ[5]… type 白酒.
Et tu verras… »
Il vit la vigueur érectile. Celle-ci était si vigoureuse qu’il fallut cacher cette situation : le gland avait retrouvé la liberté d’action, il venait de transformer le pauvre Révérend en triomphant Priape – car vous savez, gentilés, que le priapisme consiste à bander indépendamment de toute libido. On les exila dans une aile de la cambuse…
Enfin, Josef se détendit, sauf son… gland.
Akio sortit son manu-script… et Josef expliqua…
« Tu as vu, Akio, comme ces gens sont veules et lâches. Par trois fois, Barnaby a nié. Mais nous avons également appris que Hissa Luna était aussi complice. Souviens-toi comme Barnaby la pelotait lors de mon anniversaire. Enfin, Franziska double jeu. Tu parles… j’en sais long sur son manège avec Barnaby. Je vais te conter cela !
Mais avant, je vais te faire voir quelque chose…
Il sortit le bout de papier que les treize à la douzaine lui avaient adressé :
« Ordre de la Bannière : mettre sous scellés le carré, y compris les tintinnabules de Josef. Motif : espionnage !”
« Les pauvres pommes !
Regarde !
Et le métamorphosé sortit de son sac à dos soixante-treize disques durs en électrons libres de stockage de données qu’il étala sur le lit…
« Ils ont gardé ma bibliothèque, mais moi, j’ai la mémoire de l’US-Land depuis l’assassinat d’Abraham. Tu ne sais pas et Barnaby non plus, mais tu vas savoir, je sais tout. J’ai scanné tous les textes depuis l’aube… autant que ceux de Saint Cyrille… je les confronterai ces affreux…
« Il y en a combien ?
« Des millions…
« Ah !
« Le dernier, il s’appelle Donald… il copulait avec Franziska… je sais tout… elle voulait me corrompre… pour que je me taise…
Un long silence suivit cette sortie…
« Akio, nous rentrons…
« Mais…
« Tu rentres aussi… tu vas vivre en « live » mon projet lorsque je serai à Pittsburgh.
« Mais…
« Avec moi… tu viens !
« Mais…
« Je sais, mais un aide-de-camp suit le boss qui déménage de camp, sinon à quoi servirait-il ?
« C’est juste, mais je n’ai pas les moyens de faire cette transhumance, et je dois résilier mon contrat de location…
« Laisse tes filets et suis-moi…
On ne résiste pas à un prophète !

« Mais, dit soudain l’inspiré, il me faudrait résoudre cette… tension… cette crampe… au…
« Il suffit de la tirer…
« Tirer une crampe… bonne idée !
Et le très grand claqua des mains. Le contenu de la fiole ajouté au báijiŭ avait opéré sur son corps un charme nouveau…
Deux sublimes donzelles vinrent dans un grand nuage de brillantine parfumée…
« Enfin, nous allons voir vos chastes visages…
« Tu te souviens, Akio, à quel point nous fûmes des goujats de n’avoir eu aucun souvenir de vos expressifs minois ?…
« Ce n’étaient point nous, grand seigneur…
« Si ce n’est toi, c’est donc ta sœur…
« Qu’avaient-elles offert ?…
« Ben… la même chose que toi…
« C’est beaucoup dire… mais encore ?…
Elles tendirent le menu…
« Ah, c’est vrai ! dis-je. Voyons… Moi, je prendrais bien…
« Moi… je prends toute la carte…
« Toute la carte, seigneur ! dit la première courtisane.
« Quel homme ! dit la seconde.
« C’est un prophète ! révéla Akio
« Un honneur que d’être honorées par la chair d’un GSPR : (grand sage prophète révérend NDLR)… Nous n’en pouvons plus de jouissance…
C’est ce qu’ils firent !
Laissons là ces ébats bien utiles pour ces jeunes pousses et reprenons le cours de notre récit que le scribe de service harassé s’efforce de conduire à son terme.
Jusque-là, nous venons de vivre un beau récit, mais il n’est point achevé. Pendant que ces messieurs calment leurs impatiences, voyons la suite.
Après avoir tiré leur crampe, ils préparèrent leur départ vers l’aéroport. Là, ils prirent un aéronef qui faisait la liaison de cette province Japanese en cours de pacification sur l’espace Pacifique : direction espace Étasunien… centre du pouvoir universel. Il suffisait seulement de franchir l’étendue liquide déjà colonisée où voguaient des bateaux, des porte-avions, des porte-canons et des porte-matelots – une flottille étasunienne que l’on pouvait voir très facilement des hublots…
Pendant le voyage, Josef acheva sa mutation. Il livra au seul Akio les derniers soupirs métamorphiques de l’insecte naissant avant de prendre son vol…
Eh ben !… si tant vous sied d’en savoir un peu plus… lisez donc la suite !

                                                     Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

[1]Emmargailler : antique expression antédiluvienne intraduisible qui se traduit d’elle-même…
[2]Bougnettes : la traduction se déduit d’elle-même. Faire des bougnettes sur son beau costume n’est pas conseillé lors d’un débat sur la réalité cosmique des révélations émises par les Tortues Blondes… ça fait tache…
[3]. Traduction inutile, il suffit d’en déduire l’onomatopée.
[4]. De mit : « avec » et Fresser, qui vient de fressen, « bouffer » en germain. Littéralement : « parasite »…
[5]. Alcool blanc… made in China.

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