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35… comment Akio l’aide-de-camp émérite s’acquitta de sa mission…
Je vous invite à découvrir que furent les conséquences suite à l’événement tectonique du premier jour de Graceful à l’université sur les acteurs, sur la ville et sur le monde. Les images de CBT furent diffusées à la planète entière aller-retour… ne croyez donc point que ce fut simple… il fallut d’abord rapatrier Graceful et son rejeton… Voyons cela…
État des lieux…
À la fin du chapitre précédent, dans le bureau du doyen, il ne restait que la chaîne CBT et le Révérend, ils avaient pris place dans un fauteuil et attendaient en lisant une revue vieille écornée antique – ces revues que l’on trouve dans les salles d’attente chez les dentistes, où il manque un tiers des pages. Or, ici, on était dans l’une des plus prestigieuses universités de Pittsburgh, qui conservait tout ce qui était édité y compris chez les dentistes… et… même chez un canonique Doyen…
… et… le Doyen revint s’asseoir…
Il avait pris une douche… il sentait bon l’After-Young… il avait gagné trente ans de jeunisme peut-être plus… il n’était pas encore dans le tempo de la nativité de Graceful ni dans celui du retour de Josef… il voguait en peignoir blanc… babouches aux pieds… il lévitait… il était suivi comme son ombre par son gentil… qui prévenait chacun de ses gestes…
En tant que Seigneur qui a beaucoup saigné, il s’installa à l’orée de l’other side de sa nouvelle carrière, à côté des deux promesses qui lui ouvraient un futur possible…
Oh ! oui, lui aussi il avait connu Barnaby qui avait utilisé les compétences de Josef.
Oh ! oui, il avait compris, lui aussi que ce Révérend devenu, allait le replacer sur une trajectoire cosmique sidérale… il en était sidéré.
Oh ! oui, il connaissait la fameuse chaîne « CBT ». Elle aussi avait compris que le pactole pub était à portée de main… demain ou à jamais !
Akio était toujours assis dans l’herbe rase d’un rond-point du campus à côté de Graceful qui avait tondu la moitié de la prairie et en guise de désert elle s’était offert un parterre d’agapanthe umbellatus… cette plante herbacée majestueuse qui offrait de grandes ombrelles de fleurs campanulées d’un bleu lavande lumineux… la brassée de feuillage rubané semi-persistant… n’avait pu persister…
À présent, elle ruminait de béatitude pendant que le moutard tétait – acte, qui par mimétisme pavlovien suscita la même réaction chez Akio – il avait faim.
Ailleurs, Josef était au centre subliminal d’un projet entre le doyen et le producteur de l’émission au titre séduisant :
« C’est aujourd’hui ». qui aurait lieu plus tard.
L’homme en manteau blanc : « Fit venir ses laquais leur parla sans témoins »…
… ça me rappelle une fable suggéra Josef…
… ah ! tu es fort Révérend confessa le Doyen… et il le vénéra…
… vous traduirez si possible quémanda CBT…
Avant toute chose le Doyen rectifia le titre de l’émission qui devint :
« Le futur : c’est maintenant ! »
Puis, ils débattirent des pages qui se dérouleraient sublimement depuis Amerigo Vespucci qui y était pour rien via le Mayflower et les Fathers qui y étaient pour beaucoup pour atteindre le nouvel eldorado cosmique de la nouvelle culture polyphonique étasunienne qui dans un grand élan de protectorat compassionnel allait unir The World… selon la voix des Winchester… et plus tard de l’Etasunien-Act…
Il fallait boucler des reportages, écrire des biographies, collecter des photos que l’on virerait en sépia pour gagner en authenticité antique.
Garfield avait son idée sur le nombre de pages publicitaires et par déduction le volume de redevance qu’il toucherait. Ce nœud gordien-pub fut le clou du débat, puisque les autres n’avaient de fonction que de favoriser la diffusion des clips-pub…
L’élan métaphysique du Révérend planait sur l’ensemble…
Garfield anaphorisa… il disait :
c’est grâce à mon uni que cet homme fut instruit…
c’est grâce à mon campus qu’il fut accueilli…
c’est grâce à amphi qui vit la naissance du cadet…
c’est à moi Garfield que je lui donné asile contre les forces externes proches et lointaines qui le menacent…
c’est grâce à lui qui lancera un enseignement multiculturel, trans genres, trans couleurs, trans sexuel, transcendantal, transmutation, transsubstantiation… autant que transatlantique…
« Enseigner à des veaux… était-ce nouveau ? nota Akio dans son manu-script »
Et, par conséquent…
c’était lui Garfield Jr. qui devait toucher la plus grosse part de la redevance pub.
Le Doyen était modeste, il vivait chichement, mais il avait un gentil-mignon qui telle la mouche : «… va, vient, fait l’empressée… pour s’attribuer sa gloire ! »
… celle-là aussi je la connais précisa Josef…
… tu connais le savoir de La Source précisa le Doyen…
… de La fontaine… rectifia Josef
… fabuleux… s’extasia Jr. Et il l’admira.
… CBT était largué…
En fait, le bellâtre-mignon avait des goûts de luxe, il avait pleuré comme une madeleine pour avoir sa minute dans l’émission…
Lecteur : nous avons oublié de vous révéler que le Doyen Garfield était accro aux mignons… ben alors, si, c’est possible… ce jour-là… il fit son coming-out… enfin !
Le voilà émancipoté…
Alors CBT comprit qu’il faudrait négocier…
Ils négocièrent… le micheton était capricieux… il tapait des pieds…
Il aura donc sa minute : ce sera un direct enregistré quelques jours plus tôt afin d’éviter un lapsus regrettable, car le pauvre avait des zzzzeuveux zzzzur la langue…
Un faux direct, mais une vraie révélation placée au centre du programme lorsque tous les téléspectateurs auront gagné leur siège, lorsque, la bouteille à la main ils ne parviendront plus à se lever de leur pouf, alors, le biquet présentera un programme ad hoc pour l’univers des autres sexes… si, si… il y en a… tante et tant !
Là on conclut…
Adonc, puisque les négociations étaient terminées, tous se pressèrent vers la sortie…
Le doyen fermait le bureau, il se retirait dans ses appartements – car le soupirant soupirait, il commençait à titiller le doyen après tant de bonté – quand…
… ah mais, Josef, mon Révérend, tu es encore là !
… je méditais !
… je te comprends.
… oh ! l’émizzzzion zeura zi bbbbbbeeeeeeelle, z’imazine l’audienzzzze qu’on va zob-tenir.
Le Révérend restait méditatif… à écouter tant d’élans compulsifs en autant de plumitifs…
« Je vous laisse à vos spasmes ! »
Alors le doyen : closa the door… talonné par le giton qui n’en pouvait plus…
Non loin, le soir était tombé, il avait couvert les espaces sombres. Les couloirs étaient ténébreux où régnait l’écholalie de ses pas. Le Révérend reprit sa marche solitaire dans les dédales du labyrinthe. Il croisait des êtres courbés sur des machines, des goupillons, des pattemouilles… les lustreurs… lustraient !
À son passage, chacun levait la tête et se signait…
… ’soir, Révérend !
… ’soir, mon fils !
Dans ce long cheminement de purificatoire, le campus se pacifia et s’apaisa à son paisible passage. Au moment où le Révérend closa ze door, retentit une sirène annonçant l’heure du couvre-feu intérieur. Les portes se refermèrent pendant le sésame.
Et le campus fut clos…
Telle une ombre, le Révérend revint vers Rosalie, qui n’avait pas bougé. Elle était couverte d’une légère rosée qui l’émut. Elle avait eu froid peut-être. Il leva le regard et vit non loin l’ombre démesurée d’Akio projetée par un spot fiché au sol, il s’était posté un peu en retrait. Ce fut la seconde émotion de Josef. Assis dans sa houppelande de samouraï, Akio dormait, gardé par Graceful et son bébé. Alors ce fut l’extase. Ce moment devait être consigné dans les annales du manu-script.
Le Révérend resta longtemps à contempler cette nativité dans laquelle il ne manquait que l’angélus à la place de la sirène, pour donner de l’épaisseur au sujet… un âne… un « ravi », quoi que… un bœuf… un mont-ticule…
Mais comme tout a une fin, Akio leva la tête.
… Quo Vadis Domine ?
… Tenebris noctis !
… Ita !
… Sequi me !
(Traduction : NDLC : Où vas-tu Seigneur ? La nuit est tombée ! Oui ! Suis-moi !)
Car Josef tout comme Akio avait faim…
Graceful avait tondu la pelouse… le bambin avait eu ses rations…
Certains journaux apocryphes prétendirent que la pénultième réponse : « Ita ! » fut en réalité « はい ». C’était mal connaître la profondeur des échanges… de ces pseudo-exégètes. Suivons l’ultime Sequi me ! Qui traduit bien l’intention et rejoignons les soupes Germaines de l’Hacienda.
On notera la tonalité cosmique de :
… Sequi me ! qui révèle une profondeur spatiale… d’un ailleurs… latent…
L’injonction réveilla Graceful qui ne dormait que d’un œil, le bambin se mit à téter.
Puis ce fut l’embarquement… non ! pas celui de Cythère d’un certain Watteau version campuséen-US… non, non, le Révérend allait rejoindre Sa Terre Ancestrale : l’Hacienda.
Le silence enveloppait la scène que, plus tard, des penseurs sachant penser rapprocheraient de la fuite en Égypte, jadis, sous le regard des étoiles…
Rosalie fila, tel l’âne docile, droit au but, sans le moindre hoquet…
Le Révérend psalmodia une douce complainte de son jeune âge qu’Akio n’avait jamais entendue…
Un homme imprévisible, ce Révérend !
Ils traversèrent l’impénétrable ville, puis la convulsive banlieue, enfin le no man’s land qui faisait suite. Alors, parvenus à cette hauteur, ils découvrirent l’espace sombre de l’Hacienda dont seul le château d’eau se découpait sur fond du ciel : c’était dantesque.
Graceful salua d’un profond meuglement, suivi d’un vagissement du rejeton…
Alors Josef coupa le ronron du moteur pour laisser doucement dériver Rosalie qui lentement suivit l’inclinaison de la pente entra sans un bruit dans la cour de la maison des ancêtres, tel un ange. Emportée dans son élan, elle atteignit le corral où habitait Graceful, qui piaffait d’impatience d’être bientôt revenue at home.
Foulant le foin frais, Josef la laissa materner…
Rosalie ronronna à nouveau pour se garer dans l’immense grange…
Le lendemain… était un jour maigre…
Tôt, une estafette arriva en grande tenue : c’était un émissaire de l’université qui portait ses lettres de créance au grand prédicateur…
Akio accueillit le messager comme il se doit près des érables, ce que le manu-script consigna dans ses pages et paperolles sous le nom de :
« Préambule de l’Hacienda »
L’émissaire posa son séant sur une autre pierre plus petite, plus moussue et moins utilisée, donc forcément aux angles plus aigus…
L’entretien en fut pour cette raison bien plus court, confirmant ainsi ce théorème devenu un classique :
« Que la tête ne peut supporter plu’qu’ne supporte le cul ! »
Hugh, toi juste penser… confirma un chef Indien qui passait par là.
Puis le courrier se retira : il était arrivé dans une martiale allure, il s’en revenait d’un pas bien goï, il devait tritouiller ses brailles qui lui collaient aux fesses…
Missive en main, Akio sortit son higonokami, célèbre couteau de samouraï qui ne quittait jamais sa poche. Après une courte invocation aux mânes de ses pères, il ouvrit le pli en glissant la lame dans l’interstice du rabat afin d’extraire le document.
La lame exécuta une saignée franche d’une propreté sublime : pas de bavure, craquelure, chiure, écorchure – l’enveloppe semblait encore close : du grand art de samouraï, alors même qu’il ne pratiquait plus ces rituels – preuve que la discipline ancestrale entre dans les gènes… Darwin ne soutenait pas cette thèse…
« Darwin, n’est pas Japonais… précisa Akio… devait-il placer cet apophtegme dans le manus-script ?… en annexe sans doute ! »
Il lut.
Après les salamalecs d’usage, on demandait au Révérend de faire une apparition l’après-midi même ce tantôt donc, afin de définir le déroulé de l’émission :
« Le futur : c’est maintenant ! » qui aura lieu dans quelques jours…
Il fallait en référer à John…
À pas lents, Akio revint vers l’Hacienda, au passage, il admira la grange dans laquelle Gottfried, en bleu de chauffe, dans un enchevêtrement de tuyaux, de gouttières et de tubes, frappait sur l’enclume des ferrailles qu’il sortait de la braise pour les façonner en supports de canalisation des eaux.
L’image, telle l’étincelle de la forge de Zeus sauta immédiatement à la conscience illuminée d’Akio qui par la grâce de Josef était devenu expert en histoires grecques… là, Gottfried fourbissait des armes grâce au feu de Dieu…
Il laissa le Vater jurer, baigné par cette image sublime, il pénétra dans l’Hacienda, monta les escaliers de bois qui résonnaient à chaque pas…
… entre, Akio !
Là, il vit un autre démiurge : John assis à sa table devant quatre écrans qui diffusaient des textes…
… je sais, Akio !
John méditait…
… je croyais qu’on avait bouclé le timing… hier… mais… c’est bien le style de Garfield…
Un bâton d’encens insensible… se consumait…
… tu iras !
Le mince panache du bâton d’encens eut un hoquet. Il n’était donc pas si insensible –comme quoi, il faut se méfier de toute impression préconçue – I thank my Révérend !
… tiens !
Le Révérend tendit une liasse de billets verts à Akio.
… tu prendras un taxi !
Sur les écrans, des pages défilaient en multi langues à une vitesse supersonique qui ne semblait pas incommoder Josef…
… juste une précaution, Akio…
Les pages s’arrêtèrent…
… tu ne connais ni Barnaby…
… ben…
… ni Franziska !
Ce fut une vraie révélation…
… pour le reste… tu écoutes… tu décides… comme un aide-de-camp !
Les pages des écrans repartirent dans une folle sarabande…
… Ah ! Ah ! Ils voulaient me piéger… c’est raté !
La chaleur intense agitait Jérémie quand, soudain, un système de ventilation vint refroidir
les matériels et les âmes…
… c’est raté, je vous dis !
Le Révérend vivait sur une autre sphère, après la noosphère, il avait atteint la stratosphère… pendant que Akio partait vers la blablasphère…
Le cœur battant il revint au centre de l’Hacienda…
C’était le temps dit du Osterputzen ou grand nettoyage de Pâques…
Les tantes Germaines avaient déteint sur les Indiennes, tout ce collectif était plongé dans le ménage. Elles avaient viré les vieux qui s’étaient exilés autour du Eckbank monumental intransportable, puis plus tard elles avaient jeté tout le peuple dans le bois d’érables… où ils végétaient pensifs.
Le sol était nu : on avait pendu les tapis sur les élingues de la grange…
Les anciens grognaient, les cendres des calumets se rebellaient, nul n’osait dire mot devant le diktat des femelles, ils attendaient en groupe inutile, en faisant le pied de grue, impatients.
Une tante avait placé Akio sur un coin du Eckbank nus pieds : mocassins dehors. Akio
gisait sous les têtes de bison d’élans de coyotes empaillés des cornes d’auroch.
… tiens… tu en auras besoin… pour faire face à tous ces Blancs de l’université !
Akio avait un appétit de moineau, ce qui chagrinait la tante…
« J’ai déjà entendu plusieurs fois les tantes Algonquin définir ainsi les gens de la ville, des universités, des administrations, des armées, des lois, ce sont toujours les “Blancs”. Même si un Noir est juge, professeur ou officier, le Blanc est celui qui a muté vers le pouvoir. Généralement, le ton est neutre, parfois il est ironique ou con-descendant, mais il est toujours prudent. Ensuite, il y a les Noirs des rues… les Latinos des zones… les Chinois des commerces… les Arabes des banlieues… chaque strate dans sa case.
Aujourd’hui, je vais en mission chez les Blancs pour un Blanc qui m’a donné le pouvoir Blanc de parole. C’est une consécration ; moi Japonais, je dois me nourrir pour être fort… »
Un taxi jaune pénétra dans la cour. Akio était assis sur sa pierre, il se leva pour le rejoindre. Le conducteur semblait natif d’un « outre-mer » …
… à l’université ! notifia Akio en japonais.
Le conducteur battit des paupières… dans le Sud, on dit : « il parpelège »… il inclina aussi la tête. Il avait donc compris. Le taxi exécuta un virage prudent et reprit la côte, direction la ville…
… je peux… dit le taxi driver.
… tu peux ! et Akio l’autorisa à poser ses questions sous réserve de courtoisie…
… d’où viens-tu ?
… Yokosuka !
… moi Nagoya !
… je connais pas !
… j’avais reconnu en toi un frère…
… j’avais besoin d’un taxi…
… tu es étudiant ?
… non !
… ah !
… je suis l’aide-de-camp d’un Révérend !
… ah ! Un religieux ?
… si tu veux !
… et si je veux pas ?
… c’est pareil !
… un saint, alors ?
… sans doute !
… un grand homme, alors ?
… il l’est, mais on ne le sait pas !
… c’est un mystère ?
… parfaitement… un vrai mystère !
… ah ! Mais alors… tu sais !
… ben un mystère… c’est un mystère !
… pour sûr !
Le dialogue fut interrompu faute de substance… car le règne de Josef restait à écrire.
… la religion de ces Blancs est très compliquée… non ?
… comment tu sais que c’est un Blanc ?
… cela me semblait évident… ici, y’a les Blancs… qui emploient les autres !
… c’est pas faux… et toi, tu as une religion ?
… celle de mes ancêtres… et toi ?
… un aide-de-camp n’a pas de religion !
… tu attends que le Grand Homme soit au ciel pour te prononcer !
… c’est ça ! J’attends !
Heureusement, que le dialogue avait lieu entre deux natifs des îles du Soleil-Levant sans quoi nous aurions eu droit à un trajet centré sur les coûts du tabac, les embouteillages, ou le climat de l’époque Jurassique…
Akio sortit du taxi jaune.
… tu en as pour longtemps ?
… seul sait le sage !
… tiens voilà ma carte. Tu m’appelles, j’arrive ! Bonne négociation, Votre Grâce !
Il n’y avait aucune ironie dans sa politesse, mais « Votre Grâce » lui plaisait bien.
Ainsi vêtu de son costume de samouraï et muni de sa biasse, c’est-à-dire son sac contenant le manu-script et son higonokami, Akio se dirigea hardiment vers la pelouse qui les avait accueillis lui, Graceful et son rejeton devenu Chouchou.
L’espace n’avait pas changé d’adresse… sauf le sol… on se rendait compte à quel point une bisonne pouvait bisonner… le sol était labouré par les sabots et les incisives de la femelle qui avaient brouté l’herbe ainsi que le massif d’agapanthus umbellatus dont il ne restait que le souvenir, les trognons des bulbes hors sol et les quatre piquets solitaires…
Mais, se dit Akio, la nature est bien faite… Les plantes reverdiront…
Cette pensée lui donna des ailes pour son entretien futur.
Il escaladait allègrement la volée de marches conduisant au saint lieu des négociations lorsque deux montagnes de muscles authentiquement noires se posèrent devant lui…
… je vais chez le doyen Garfield… !
… pas possible !
… voyez la convocation, jeune homme !
… on t’escorte !
Entre ses deux anges gardiens Akio se sentit chez Lilliput…
Il repensa à la réflexion de la tante Algonquin et au taxi driver…
Ces Blancs ont des ressources infinies…
Lorsqu’il arriva devant la porte du boss, on dut négocier l’entrée en pianotant sur un écran à codes. La porte s’ouvrit sur un couloir qu’ils suivirent pour parvenir devant une porte intime qui déboucha sur une grande salle déjà très animée par des personnes de tous les sexes existants et reconstruits que la création divinise…
Et croyez-moi, il y a diversité…
Une femme en frac, dont le visage semblait celui d’une copie de Toutankhamon, se pencha pour le saluer. Elle tenait un registre.
Elle lut…
… vous êtes John Smith… ?
… non !
… ah ! mais alors !
… je suis l’aide-de-camp de mon seigneur, le Révérend John Smith… je suis Akio !
… Akio comment ?
… ben… Akio !
… bon prenez place, monsieur Ben Akio, on n’attendait plus que vous !
La beauté en frac revint vers l’espace fractal pour aller susurrer à l’oreille du doyen que le sauveur était arrivé… le groupe se fractura… le doyen se précipita et tomba nez à nez avec Akio.
… mais le mien est plus haut blanc éthéré… s’exclama le Doyen.
… souvenez-vous, Seigneur, j’étais présent : je gardais Graceful et Chouchou…
… où est le Révérend ?
… il prépare l’oracle-sermon pour Votre Grandeur ! Il m’a envoyé en tant qu’éclaireur, fantassin, poilu, l’avant-garde pour préparer le terrain…
… c’est parfait !
Une hôtesse passait avec un plateau chargé de verres aux vertus colorées…
… scotch ou bourbon ?
… eau…
… Soda, Seven Up, Coca, Scrunch ?
… eau…
… avec ou sans… questionnèrent les lèvres ironiques de l’escort-girl.
… ou sans quoi ?
… bulles…
… eau simplex…
… je n’ai pas cette marque… elle était désolée…
… on commence, claironna le doyen qui agrippa Akio par la manche…
Entraîné par l’autorité, il doit s’assoir, un gobelet de plastique vide à la main et nulle hôtesse pour le remplir…
Le Doyen est debout… il frappe un solide verre d’une clé USB… car on est aux US…
« Merci, mesdames et messieurs !
« C’est un grand jour pour notre université. Vous le savez, j’organise un grand show dans l’émission : « C’est aujourd’hui » qui aura lieu dans quelques jours…
… « Le futur : c’est maintenant ! » rectifia la voix de basse du mignon…
… peu importe le titre… c’est le chiffre d’affaires qui compte… enfin je veux dire : l’événement!!!
« Je suis honoré de rassembler autour de cette table les représentants de CBT que nous nommerons CBT et vous… mes amis…
« Actionnaires, représentants, délégation des professeurs, syndicats qui sans eux rien n’est possible, forces de l’ordre qui éviteront le désordre, bref, tout ce monde pensant.
« Je n’ai oublié personne !
Akio leva la main…
« Et vous… bien sûr, cela va de soi, mais votre présence était induite lorsque j’ai « précisé au début qu’aujourd’hui était un grand show doublé de grand-messe…
« J’ai eu l’honneur de titrer moi-même humblement, je l’avoue cette émission :
« Le futur : c’est maintenant ! »
Tonnerre d’applaudissements…
Les parfums se dilataient, les cous se rengorgeaient, les colonnes vertébrales s’assouplissaient, les verres à moitié pleins se vidaient, sauf celui d’Akio désespéramment… sec…
« Voyez-vous, depuis des années, je m’interroge sur le bien-fondé de notre « enseignement étasunien qui part du tréfonds de nos antiques fonds, lesquels « luttèrent contre les bas-fonds. J’ose dire que nous pouvions toucher le fond si… « par un sursaut au-delà des plafonds… je n’eusse osé ce refond vers « le temple d’un meilleur carafon ! »
Tonnerre d’applaudissements Bis.
« c’est fort…
« ça s’est bien dit…
« yeah…
« hugh…
« ach…
« my zzzzouli Garfield…
« Je vous ai réunis, car il faut que chacun puisse apporter sa pierre à l’édifice. »
Le Doyen s’humecta les lèvres sous le regard de… tous… car il allait révéler la synthèse de sa lumineuse pensée :
« Ainsi, la valeur intrinsèque du bison dans la culture de l’Ouest… sera un thème « majeur » : je précise bien « majeur ».
« Car cet être offre plusieurs entrées de réflexion ethnologique, anthropologique, « sociale, agricole, futuristes, économiques, écologiste : non seulement ses liens anciens avec la population indigène « autochtone disparue depuis Custer ». Mais aussi la question de l’élevage sur prairies en batterie, de la consommation de viande en burgers et de l’exportation des quartiers « congelés », sans parler de l’influence à Wall Street ni oublier l’apport publicitaire « sur les hormones de croissance des bovidés »
« Tous ces thèmes seront enseignés ici, chez nous, dans des hémicycles multiculturels « où se mélangeront les couleurs les mammifères transcendants leur nature d’origine « les vivants à deux pattes à plumes et à poils…
« En un mot mesdames et messieurs : un œcuménisme vivant. »
Tonnerre d’applaudissements Ter.
Les verres sont encore humides quand celui d’Akio est toujours sec… le discours est presque terminé.
« Bref, une immense palette de thèmes sera illustrée par des spots… bien juteux « enfin, je veux dire, fort à propos…
« Ai-je résumé, ma chère Élisabeth, la quintessence de nos projets communs ?
« Parfaitement, mon cher Garfield. Comme à votre habitude, vos fleurs de rhétorique sont d’une précision comptable quasi surnaturelle. Permettez-moi de les saluer par mon applaudissement bien modeste eu égard à leur valeur… »
Et la salle de claquer des mains… devant tant de civilités…
Akio avait sorti le manu-script…
« Jusque-là, tout va bien… enfin… presque… »
Akio était assis entre le directeur des décors et le directeur de la lumière… de la CBT.
« C’est ici que j’appris que, dans ce monde de la TV, tous les techniciens portent le titre de directeur : directeur du son… de la lumière… du cadre… de l’image… des décors… des claps… de la régie… des chichons aussi. La seule personne non pourvue de ce titre était la script-girl… logique pour un titre féminin ! »
Élisabeth prit la parole… pendant que le Doyen posa son cul sur le coussin de velours tendu sur son siège par son biquet… là… souplement, il écouta la directrice du programme.
« Merci, cher Garfield… l’émission est donc, un direct basé sur des enregistrements « anciens célèbres. Ils illustreront les antérieurs, les futurs, les ailleurs, les questions « afin de permettre la diffusion des spots, car l’émission est, vous le savez, un « support… d’aucuns prétendent un « prétexte », mais je récuse ce mot… je lui « préfère celui de « support » qui est le terme consacré pour caractériser ce moment « culturel qui porte son offre à un public avide de connaissances.
« … ça c’est notre choix… souffla un directeur de la caisse enregistreuse…
« C’est un peu sec Bob, tu dois surveiller ton estime quant aux taux d’audience…
Et Élisabeth de poursuivre:
« Il y aura donc, mon cher Garfield, des échanges entre vous et vos invités. Je vous « ai envoyé le déroulé, le story-board qui vous laissera largement le temps de réaliser la « promotion de l’université que je vénère.
« Je magnifie la célèbre CBT… en mondial télévision… qui sera notre Hermès…
« Il faut envisager les audiences, car vous le savez certainement, le chiffre d’affaires « de cet espace est proportionnel à l’audience. Le volume d’écoute est tout aussi « proportionnel à la qualité, à la profondeur et à la beauté du thème que nous allons « créer. »
Un silence suivit ce brillant plaidoyer pour ce numéro de :
« C’est aujourd’hui » au titre emblématique de :
« Le futur, c’est maintenant. » qui aurait lieu on ne sait quand…
« Questions ? » demanda le doyen qui n’attendait pas de réponse… il semblait prêt à lever l’ancre devant une telle perfection des gens de l’art…
« Je levai la main et je dis :
« Que devient le Révérend dans ce schéma ? »
« … le Révérend ! surpris Garfield déjà sur le départ…
La directrice des programmes se redressa…
« Il y aurait un révérend… dans quelle séquence ?
« Mais bien sûr le Révérend a toute sa place : répondit Garfield qui de la main gauche « brassait dans l’air un signe d’apaisement à l’attention d’Élisabeth afin qu’elle ne « prolonge pas ses questions…
« Nous réalisons actuellement une biographie sur sa vie… c’est secret…
« Ce grand homme a marqué la vie de cette université…
« C’était quand ?
« Voilà bien une trentaine d’a…
« Mon cher Garfield, je vous informe que nos téléspectateurs sont incapables de se « souvenir de la date d’élection d’un président à la blonde tignasse… élu il y a quelques mois… alors quarante ans… !
« Je vous entends bien ma chèèèèèèèèère Élisabeth, ce sera d’une durée digeste.
Vous n’êtes pas sans savoir que la référence biblique s’impose, on ne peut, on ne doit, il ne faut point contourner ce spasme sacré, car il va permettre d’insérer la vie des premiers pionniers qui s’illustrèrent dans notre État et la préparation des viandes « de divers mammifères comme le bison et autres volatiles comme les dindes »
« Je vois ! » murmura Élisabeth qui d’un pouce alerte sur son e-pade effeuillait les pages de son scénario.
D’autres mouvements exploratoires furent brefs, on traita divers points sur les décors, les lumières, le siège du doyen, son costume qui devaient parfaitement rendre la réalité et donc masquer totalement l’embonpoint du grand personnage qui dirigeait d’une main sportive cette brillante université que le Comté avait superbement ignorée. Une assistante qui assistait proposa à Garfield une ceinture qui… pouvait réduire d’au moins… et même plus la taille du notable… à devenir svelte…
Elle fut priée de revenir au story-board…
Le programme faisait naturellement place à la diffusion des avantages qu’il y avait à être étudiant sur ce campus plutôt que dans un autre…
Soudain, sans aucun signal particulier, la foule se leva comme un seul homme pour s’en retourner vers ses pénates…
Une hôtesse attendait les sortants derrière un petit bar. Certains burent, d’autres grignotèrent le dernier chips. Akio restait encore assis pour terminer la transcription des messages. On pouvait lire :
« Je n’ai rien compris ! C’était bien curieux. Le Révérend doit savoir, lui… »
L’espace se vidait… le doyen, pressé, le vit s’avancer vers le bar, mais le retint au passage… pour lui souffler son sentiment… en sorte de happy end.
« C’est du tout cuit ! » il levait le pouce de la main droite en clignant d’un œil…
Akio, par mimétisme pavlovien, voulut répliquer de même, mais il était chargé. Il se hâta donc de transférer son manu-script dans son sac à dos, son verre vide dans la main gauche pour lever le pouce droit vers le doyen pressé qui déjà lui tournait le dos et quittait la salle d’un pas martial.
Akio se dirigea vers le bar clos.
… c’est fermé ! psalmodia les lèvres pulpeuses de la barmaid.
Alors, Akio suivit la foule, le gobelet dans la main gauche. Il se perdit en cherchant les portes à codes. Soudain, alors qu’il était sur la plus haute marche d’un escalier de service, là, il remarqua que les deux cerbères qui observaient son gobelet.
… you can’t drink, the toilets are closed.… c’est pour jeter ce plastic… You go down and on the left you have a trash can
… Thanks !
… your welcome !
Ce jour d’octobre était lumineux au moment où il jeta son gob dans le bac à ordures.
Il en fut ému sans savoir pourquoi. Alors pour masquer son état d’âme, il sortit son téléphone et appela le taxi. Les deux matons ne le quittaient pas des yeux. Non, ils ne semblaient pas inquiets, leur mission consistait seulement à observer… ils virent le geste d’Akio jetant son gobelet vide… car inutile pour téléphoner…
Ils écoutaient ce que révélait Akio qui s’interrogeait sur la facilité de Josef à pénétrer dans le campus, les couloirs à codes et l’amphithéâtre principal.
Pourquoi n’avait-il point été arrêté par ces mercenaires ?
Il avait en écho la remarque de la tante : « Tu sais, ils ont tous les droits, ces Blancs… » Était-ce une hypothèse ou un constat ? Difficile de trancher.
Heureusement, le taxi du Nagoyen arrivait…
Akio salua les forces de l’ordre et monta sans son gobelet dans le taxi…
Les deux molosses ne crurent pas judicieux de cesser leur mastication du dernier Wrigley’s de Chicago – à peine une grimace plus appuyée sur le dernier coup de mâchoire – pour découvrir des canines carnassières…
… rebonjour, mon seigneur ! annonça joyeusement le Nagoyen, qu’est-ce que je vous sers ?
… le même chemin… sens inverse !
Pendant ce temps, un vigile disait à l’autre :
« You understand : comprends quelque chose à la cancel-culture ? »
« I think it’s a white thing… and…» … un truc de Blancs… le reste se perdit dans le démarrage du taxi…
… alors, grand sage ! Tu es content des négociations… ?
… tu sais que le sage est silencieux… !
… oh oui, grand censé… je sais… Musashi l’a dit !
… j’ai vu… !
… et parce que tu es un très grand habile… à présent, tu sais !
… j’ai entendu… !
… et comme un grand vertueux, tu as déduit… de l’action à venir !
… j’ai tout pour comprendre !
… et comme un grand éclairé, tu vas rendre compte !
… je suis venu !
… j’admire ta modestie, grand circonspect… J’admire… Heureusement, que nous sommes venus ici, nous les pauvres samouraïs mis au rancart dans nos îles, pour irriguer de notre culture antique les veines de ce corps matérialiste de l’Ouest…
… je le pense !
Et soudain le château d’eau se découpa sur le ciel avec une acuité sublime… il levait tous les doutes d’Akio…
… tu es chez ton Révérend… Seigneur !
Une délégation d’Algonquins l’attendait, toutes plumes dehors au vent. Ah ! non, ils partaient sur le sentier du potager cueillir des légumes pour le repas du soir…
Le Nagoyen en fut bouleversé. Il quitta à regret l’espace de l’Hacienda en se jurant d’y revenir si on le mandait à nouveau.
Dans un nuage de poussière causé par les sabots en caoutchouc du cheval à essence et par les mocassins des cueilleurs, Akio médita un court instant dans l’espace redevenu paisible. Il s’avança vers l’huis principal lorsqu’il reçut l’appel du Révérend…
Car, le Révérend avait posé son cul sur l’une des pierres proches du sanctuaire des dindes. Le vent talentueux mystérieux jouait des sons autour de lui, Akio se retourna et s’en vint dans sa direction.
… prends place !
Son siège de basalte était libre. Le Révérend, comme toujours, occupait la pierre la plus anguleuse afin de poursuivre ses macérations et sa pénitence…
Akio posa son séant… séance tenante… pour cette scène… sainte.
… je vois que ce fut superbe…
… cela le fut… je le crains…
… je vois… ils ont regimbé au sujet des messages que je compte diffuser…
… on peut le dire… mais…
… oui, Akio… je serai prudent… mais ferme… progressif… authentique… L’authenticité n’est-elle point la ligne de conduite pour que les caciques comprennent ?
… sans doute… mais…
… je te le dis… je serai pédagogue… parabolique… biblique… La métaphore est le seul chemin possible vers l’Illumination… !
… comment va Chouchou ?
… allons la voir !
Le Révérend, tout comme Graceful, ruminait ses sermons ; il était inutile de l’inonder d’informations qui n’avaient aucun intérêt. Il avait décidé que l’intendance suivrait – concept qu’Akio avait lu dans un livre d’histoire qui racontait la vie d’un antique général, il portait un chapeau rond à deux étoiles… mais cette idée s’appliquait parfaitement au Révérend…
Malgré cela, Akio était un peu inquiet, enfin, il ne savait pas vraiment pourquoi, mais il suivait le Révérend qui, dans son monologue cosmique, venait d’introduire le règne du bison dans la liturgie métaphysique de la lutte des corps… de l’université de Pittsburgh.
Devant Graceful et Chouchou, on se pâma longuement jusqu’au moment où la délégation indienne revint du sentier, chargée de choux, de salades et de navets…
« On aura du pot-au-feu ce soir ! » oracle d’Algonquin.
La prédiction s’avéra exacte…
L’Hacienda était habitée… par la grâce des dieux…
C’est dans cette position que les acteurs se trouvèrent au moment où se termine ce chapitre qui rayonne de félicité radieuse de promesses. Ce sera dans un tout autre décor que nous les retrouverons dans la suite de ce récit. Aussi, je vous conseille de bien manger et de bien boire avant d’attaquer ce qui va suivre, car le morceau va être solide. Songez à cette émission et au grand prêche officiel du Révérend que personne n’attend. Nonobstant ce chapitre s’arrête ici…
Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes
Gentilés
Si le voulez bien
Lisez suite jour prochain
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… vous trouverez les opus édités…
L’Ange Boufaréu