N°24 on the way to Shikoku…

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24… on the way to Shikoku…

C’est ainsi que commença la vie hors les murs militaires du GI… Josef… et comme l’avait prédit l’oracle, il commença par réaliser le Shikoku… qui, comme chacun sait est un pèlerinage où chacun transporte son ontologique viatique avec le vœu de régénération…     

 … Le Pic du vautour ! annonça Akio, triomphant.

Ils étaient sur la Voie…
Josef tenta de comprendre l’émotion qui envahissait son aide-de-camp… la voix ne trémolotait point, ses yeux ne parpelégeaient point… pourtant, il était tému… peut-être à cause de sa nature japonaise…
Seul son bourdon toquait le sol – un son étrange, comme seuls les Lieux saints en ont le secret. Voilà l’indice évident de l’émotion d’Akio. Car enfin le Ryozen-ji n’était qu’un temple parmi les quatre-vingt-huit qu’ils allaient visiter. Commencer à se pâmer au premier ! Qu’allait-il lui rester pour les autres ?
Économise tes forces sur la voie… pensait Josef…
… Ici se tient Shaka Nyorai… !
… Le bouddha ?
… Sa-Kyamuni !
… Sa… alors ! Dit la voix émue de Josef.
Ce fut sa première illumination sur la Voie… aussi étrange que celle qu’il eut en découvrant la taille de guêpe du Colon. Car Josef lui-même ne portait ni n’était plus porté par l’uniforme des Marines US : il était nu comme un ver de terre, un vulgaire lombric… hors hiérarchie… et donc non identifiable !
… c’est une métaphore ? demanda Akio
… si tu veux !
Là, devant le Ryozen-ji, il prenait conscience de la réalité des choses.
Il n’était rien sans son costume US des marines… ni Première-Classe et pas encore prophète devenu…
Il avait jeté la pierre au colon pour cette naïve pantalonnade et voilà que le Ryozen-ji le lui renvoyait tel le boomerang javanais…
… indigène !
… pourquoi pas ?
… son image compassionnelle l’avait conduit depuis des lustres à croire que, chez l’élite de West-Point, la taille du neurone était inversement proportionnelle au grade porté sur l’épaule… à présent il ne doutait plus…
Josef se fustigea…
Soudain.
Ce fut l’illumination suivante ! Depuis, il ne compta plus… Akio était là pour ça.
Il comprenait enfin pourquoi la taille de guêpe de Barnaby Parker tenait tant à son étoile qualifiée de bonne : c’était tout bonnement pour être réintégré.
Eh ben, moi… enfin… Josef… je serai celui qui est sans ses seules nippes…
Alors, il se dépouilla…
Mentalement s’entend… tel les peaux de l’oignon… Ainsi symboliserait-il son parcours : il ôterait une peau du légume chaque fois qu’il franchirait un nouveau temple – le Shikoku comptait quatre-vingt-huit temples… l’oignon de Josef recensait autant de couches et davantage encore…
Une fois parvenu au cœur, la voie serait accomplie et le prophète naîtrait… disait-on, pour l’instant le germe était en sommeil.
Il fallait le vérifier.
Alors Josef posa son cul sur un banc de pierre qui jouxtait un plan d’eau où des carpes koïs jouaient aux quatre coins sous un tapis de nymphéas…
… Une nouvelle illumination… chuchota Akio qui notait.
Eh bien… on n’est pas encore arrivés ! ajouta-t-il dans un souffle à peine audible.
Revenons au manu-script de Josef où cet instant fut consigné.
« Nuitamment, je dormis mal… I have a dream… indéfinissable… le futur venait vers moi… dans ma grande compassion, j’avais longuement parcouru les espaces pour diffuser mon prédicat qui aidait tant et tant d’humains à survivre… ma mission était positive et productive… je fus accueilli dans une hacienda à bras ouverts… je rendis grâce aux hommes qui vivaient là, loin des villes, des ports, des aéroports… ils m’invitèrent à participer à leurs humbles travaux des champs… le pouvoir transcendant fertilisait heureusement les résultats… on m’attribua une couche sous les solives, presque à ciel ouvert où j’eus le bonheur de partager l’espace des pigeons ramiers fort roucoulants… je partageais le pain le matin le midi et le soir avec d’autres apôtres, pendant que nos hôtes, hélas malades selon leur dire, sous prescription, devaient régénérer leur chair… les ordonnances médicales ordonnaient un menu fort roboratif digne d’un Trois Étoiles au Michelin : quenelle de brochet, rôti de faisan sauce sapience, godiveau d’ablettes des cours d’eau claire… j’étais empli de compassion pour ces gens qui se soignaient avec tant de rigueur… très souvent, ils devaient rester à leur table sous les lumières crues des candélabres pour terminer leurs plats… alors que nous allions allègrement reprendre le sillon du Seigneur, au bout de six semaines et quatre jours, je préparai mon sac à dos et mon bourdon et je descendis, laissant ensemble mes amis columbiformes s’ébattre joyeusement, lorsqu’un grand diable se jeta sur moi avec un fouet afin de me flageller – ce que tout pèlerin prédicant doit subir une fois dans sa vie pour parvenir à l’essence de la sapience du savoir transcendant… prophétique…
« Que veux-tu de moi, homme, dis-je ? »
Il débita une litanie de blasphèmes qui me causa le plus grand souci pour son âme… car, enfin, me dis-je, depuis quarante-six jours que je prêchais dans cet espace, n’avais-je point donné à cette hacienda ma noble vérité ?
J’étais fâché par tant d’ingratitude et par cette violence verbale autant que fouettable…
… Homme de peu, dis-je, tu me navres… Songe que par mes actions généreuses, ton grain fut ramassé… tes tomates engrangées… tes betteraves récoltées… ton maïs ensilé… ta terre arrosée… ton blé séparé de l’ivraie… je ne crois pas avoir volé mon quignon de pain quotidien…
Repens-toi… car tu ne sais pas ce que tu fais…
… Fous-lui la paix ! décida alors le Saint-Père de l’hacienda.
… Tiens ! me dit-il, pour tes bonnes paroles.
Alors, il m’offrit trois dollars. Or, tu le sais, Akio, le chiffre trois est le symbole de la Trinité… Ce geste simple, cette parole épurée en disaient long sur l’humanisme de cet homme, qui ajouta :
… Je te souhaite un long et grand chemin de paix dans les plaines du Grand Ouest. Nous prierons pour toi… va en paix !
Et cet homme authentiquement authentique m’invita dans un véhicule qu’il venait d’acquérir afin de me conduire dans la ville la plus proche, distante de cent vingt kilomètres…
Ma soif d’humilité ne me permit point d’accéder à sa requête : le carrosse était rutilant, y monter eût été un sophisme…
… Je vais avec ! dis-je en montrant mes pieds.
… Alors va !
Et je traversai les cent vingt kilomètres avec la joie de la mission accomplie, à la tête d’un groupe de quatre-vingt-neuf pèlerins qui eux aussi avaient laissé les terres de l’hacienda pour d’autres aventures…
… Pourquoi tu as refusé de monter dans la Mustang ? Tu aurais économisé cent vingt bornes !
… Homme de peu de foi…
Tu ne sais pas ce que tu dis…
Regarde les faits et choses en face !
… Ben… je vois que tu marches à pied !
Je ne répondis point… devant tant d’inculture.
Moi, je savais que je n’étais point tombé dans la colère et l’indignation…
Pourquoi ces révoltes syndicalistes ?… Ces sentiments pourrissent le lien avec nos frères humains… attisent l’incompréhension… appellent un cortège d’hommes qui viennent bousculer l’ordre des relations humaines… brutalement… inutilement… alors que tout pourrait être résolu par le dialogue…
J’entendis des quolibets…
« Faux-cul ! »
… Fouteur de merde !
… Casseur de grèves !
… Tu parles, on lui avait réservé un palace dans sa soupente avec vue imprenable… alors que nous, on dormait à quarante dans des dortoirs comme des poules !
… Et il snobe la Mustang ! Le curé !
… Un jobastre !
Ce rêve venait à point dans mon cabotage sur la voie… Jérémie, lui aussi, avait subi ces insultes, qui fortifièrent sa raison, son cœur, sa pensée de celui qui disait :
« Que cela soit ainsi ! »
… là, je m’éveillai…

À l’aube du nouveau jour, vers les 5 heures, le dormeur Josef ouvrit les yeux sous l’effet d’un signal venu d’en haut. Il vit alors le dortoir du Shikoku où il avait chu : il était passé d’un seul coup de l’état d’inconscient à celui d’éveillé, une mutation de quidam vers le pèlerin-prophète…
Et cela le réjouit fort !
Akio n’eut pas cette chance… qu’il dorme tantôt d’un sommeil profond, tantôt les sens en alerte, il était resté aide-de-camp, il veillait. Le mouvement de Josef le réveilla. Une fois leur paquetage rassemblé, ils filèrent à la table du minshuku, l’auberge traditionnelle japonaise pour pèlerins et autres péquins.
Car il faut le préciser clairement. Josef et Akio accomplissaient le Shikoku, un pèlerinage de 1 200 kilomètres sur l’île éponyme – un long chemin pas si tranquille que ça. (Tu l’as déjà dit. Note du NDLR)
Il est peuplé de quatre-vingt-huit temples que le pèlerin doit pénétrer.
La Voie est une boucle… elle se termine par le temple 88 qui se trouve non loin du temple 1… un cercle aussi boiteux que le pèlerin à l’arrivée mais dans le sens des aiguilles d’une montre.
Au passage, on peut admirer le détroit de Kii, l’océan Pacifique, le détroit de Bungo et la mer Intérieure…
Si on résume, il fallait cheminer pour visiter les quatre-vingt-huit temples… tous plus ou moins identiques.
La réalisation de la voie se divise en trois élévations qui marquent le passage du pèlerin : l’Éveil, l’Ascèse et enfin l’Illumination.
… Un parcours initiatique… expliqua Akio.
… Faut voir… confessa Josef sceptique comme tout prophète naissant.
Le chemin conduisant au temple 12, le Shosan-ji, permit à Josef d’atteindre à la fois le sommet du mont où se juchaient l’édifice et une forme d’Illumination avant l’heure…
Il pleuvait…
… C’est bon signe ! Psalmodia Josef, car le Bouddha, dans sa noble compassion, envoyait aux marcheurs-pèlerins une rosée afin de les rafraîchir des sueurs de la marche…
Que ce geste était judicieux et plein de sagesse !…
Mais le chemin était glissant comme tout raisonnement dialectique, tel son rêve de la nuit précédente où un gaillard avait voulu le fouetter, là-bas, dans les plaines de l’Ouest… oh ! grands dieux : ce n’était qu’un rêve !
… C’est du bon sens ! Approuva Josef – car toute glissade dans la vie conduit l’homme à accepter chaque jour un peu plus d’avanies jusqu’à ce que, le dos courbé, il transcende l’inacceptable…
Le ciel dans son infinie bonté abreuvait la terre, qui pour ce faire avait dressé un merveilleux décor de sombres parures en velours nuageux qui parfois s’éclairaient de splendides zigzags lumineux… le spectacle était grandiose.
… Nous sommes aux premières loges. Murmura Josef, soudain illuminé par un éclair du Metteur en scène… céleste.
Le sentier, par la magie de son créateur, le moine Kobo Daishi, présentait des variantes topologiques : il traversait des végétations, des espaces boueux qui reflétaient le ciel, montait au milieu de magnifiques drailles, puis descendait en pente raide, comme une piste noire pour skieur septième degré… c’était sublime…
Enfin, le must, furent les marches de pierres taillées en forme d’escaliers… Josef avait déjà compté trois cent soixante-deux degrés lorsque survint l’illumination finale…
… C’est fort bien architecturé… Allait-il formuler quand le support sur lequel il venait de poser son pied gauche s’avéra… branlant.
Josef plana, Jérémie chut pendant un certain temps vers l’espace plus bas par la grâce de la pesanteur recouvrée. Le pèlerin alla rejoindre tout droit la boucle qu’il venait de franchir une demi-heure plus tôt… ce fut un choc choquant.
Là, l’Illumination cessa soudain – elle ne dura qu’un instant et fut suivi d’une réelle abomination… tel l’Enfer Noir de Dante…
Josef venait de découvrir la réalité de l’Illumination alternative qui est le cheminement normal vers l’Illumination continue…
… Ça va ?
Josef ouvrit les yeux… Un Nippon le regardait… Il lui rappelait quelqu’un…
… Heureusement, qu’il y avait des bambous sur la falaise… Ils étaient mouillés… Tu as glissé, mais ils ont freiné ta chute… Tu peux te lever ?
Le premier réflexe in petto de Josef fut : C’est la première fois que j’entends cet homme prononcer une phrase aussi longue… Serait-il lettré ?
Alors, il se leva… Il était entier…
… un miracle ! dit le scribe, quoique faut voir !  poursuivit-il… car il comptabilisait les événements…
Le pèlerin s’était rétabli dans sa capacité bipédique, il fallut refaire la boucle du chemin qu’il venait de grimper une demi-heure plus tôt et revenir là-haut au point de départ du glissement de rhétorique randonneur. Il reprit du souci et se souleva pendant bien quarante minutes jusqu’à ce niveau. Là, il fit une halte pour apprécier la fameuse boucle de rétrocession qui illustre le couple action-réaction… depuis la pierre angulaire où il avait glissé…
… Car, vois-tu, Akio… tout acte génère des conséquences… Kobo Daishi a eu bien raison de construire cet escalier, c’est le seul moyen qui permette l’éveil.
… Déjà ? S’étonna le scribe émerveillé.
Et ils arrivèrent enfin au lieu-dit « Shosan-ji »…
Et ce fut bon.
Ce fut encore meilleur lorsque Josef prit l’ofuro, le bain traditionnel japonais purificateur. Dans l’eau à 42 °C, il médita si bien qu’il finit par s’endormir, soudain, il coula comme une pierre au fond de l’eau alors qu’il élaborait une métaphore sur le poisson koï, cette célèbre carpe japonaise qu’il tentait de transformer en parabole.
Heureusement, Akio veillait…
Il était là pour ça.
… Toi fatigué !
Josef comprit le message. Sa hanche droite ressentait autre chose : la peau était calligraphiée dans le sens vertical, c’est-à-dire de l’épaule au talon, labourée, égratignée, traumatisée, estransinée, ensanglantée…
… Ce n’est rien… c’est le début de ma métamorphose…
Mais ce « rien » fut balayé d’un revers de main… si tant est que cette litote soit possible !
Pourtant, la nuit, qui généralement porte conseil, n’apporta point le baume du réconfort… Josef dormit quelques secondes… de 21 heures à 5 heures… espace-temps qui totalise plusieurs dizaines de milliers de secondes espacées…
Au signal d’en haut, Akio, vif comme l’argent dont il était dépourvu, ouvrit le chemin vers la cantine du minshuku… Josef suivait, cacochyme à la marche syncopée, à cause de la hanche droite qui regimbait à l’appel de l’éveil.
Ils reprirent des forces, car il restait soixante-seize temples à visiter.
La question lancinante perçait quant à l’éveil dès la douzième station sur la Voie.
Fallait-il accomplir les 76 suivantes… telle était la méditation du jour…
Ils sortirent…
Et là, garé, hors de l’espace sacré, un véhicule de l’US-Land attendait.
Telles les carpes koïs dans le bassin du hondo proche… les pèlerins, en formations erratiques dans leurs aubes blanches, quittaient, repus, le minshuku, en grappes, en colonnes, deux par deux, évanescents ou solitaires, ils s’engageaient sur la Voie dans un ordre que Barnaby, raide à côté du chauffeur, avait qualifié de « chaotique ».
Le peuple pèlerin lui rendait bien la pareille en ignorant superbement son « tas de ferraille US ».
C’est de cette façon que procède la pensée métaphysique lorsqu’elle ne peut faire autrement. La négation se traduit par l’inexistence du fait : même si le pèlerin glisse, évanescent, à dix centimètres du réel métallique, son indifférence rend cette chose sans consistance ni enveloppe ni contenu.
C’est bien ce qu’avaient tenté Josef et Akio, pèlerins sur le Shikoku, dans leur camouflage authentiquement nippon et particulièrement pèlerin. Mais c’était sans compter sur la perspicacité de Parker Barnaby, technicien des services secrets, colonel en quête de son étoile, qui reconnut avec l’acuité qui était la sienne… Josef costumé en pèlerin.
Pourtant, en camouflage, il était fort, le Josef.
… Le voilà !
Et selon la formule, le colon gicla pour couper la voie au mutant.
Josef réagit…
… Que viens-tu faire ici, homme de peu ?… Ôte-toi de mon soleil !
Barnaby se tourna vers le chauffeur
… qu’est-ce qu’il dit ?
… sauf votre respect mon colon… il vous oppose la même réponse que Diogène de Sinope, fit à Alexandre…
Ah ! Lexandre !
Alors, nous vîmes ce que peu de quidams eurent la chance de voir et pour cause les pèlerins étaient déjà loin en cette heure de disette de lumière solaire, personne ne s’était attardé, si bien que seuls Akio, le chauffeur érudit douillettement planqué à l’intérieur du command-car et le prophète en vol ubiquitaire virent le phénomène : un colon, du pays de l’Ouest, le plus fort, le plus beau, le plus compassionnel, le plus universel, le plus mcdonalisé aussi… tomber sur ses genoux afin de vénérer le pèlerin arrivant…
Presque canonisé ! pensa Akio. Nous n’en sommes qu’à la visite du douzième temple et le quidam devient déjà vénérable… J’ai un doute… Mais il garda sa pensée pour lui-même.
… Relève-toi, militaire, tu vas salir ton beau costume ! Prononça, patelin, le pèlerin du début de la Voie…
Le colon n’en fit rien…
Il pleurait…
Il geignait…
Il frappait le sol de son front bombé – de tèste d’ase (expression tirée des troubadours médiévaux méditerranéens, la seule qui vint à l’esprit de Josef : tête d’âne traduisit NDLR).
La scène était pathétique, la mise en scène dramatique, sur ce sol datant du miocène, peut-être même du pliocène…
… Que veux-tu de moi ? formula le pénitent.
… Reviens !
… C’est bien ce que je pensais… murmura Akio presque à haute et intelligible voix.
… Je n’ai pas encore accompli ma métamorphose… je suis encore inaccompli !
… Que nenni !
… Mais encore ?
… Putain… on a des papiers et personne n’y pige que couic !
… Ça, c’est parlé !
… Causons !
Ils causèrent…
Lisons le texte du manu-script qui révéla l’accord secret qui naquit ce jour-là.
« Je consens à quitter temporairement le Shikoku pour la mission de décodage – ce qui, au fond, est une épreuve de plus vers la voie, à condition de vivre le sentier érémitique loin des pompes et circonstances de l’US-Land, dans la thébaïde que mon aide-de-camp m’offre spontanément… Tous les matins après mes oblations, je décoderai…
Le plus complexe fut de définir l’heure de la fin des oblations… Ce fut long… L’aiguille du quart s’arrêtait souvent entre 5 heures et 11 heures, mais ne parvenait pas à se fixer sur une demie… Akio qui veillait eut alors cette idée géniale :
… on décodera après le déjeuner du matin !
… parfait ! dit le colon, qui était ému d’émotion de pouvoir parvenir à ce résultat.
… donc, il faut fixer l’heure du déjeuner ! Suggéra Akio.
… la négociation reprit…
Pour se fixer à cette boussole simple que le déjeuner dépendait de l’inspiration de l’éveil, car on ne pouvait prévoir la faim de l’Illuminé…
… autant que la fin de l’Illumination…
on
fixa donc le cap de Bonne-Espérance « après le déjeuner » sans autre consigne…
Ce qui permit de conclure une conclusion.
Et nous fîmes le trajet jusqu’à Yokosuka… selon une logique toute US… dans un command-car.

Lisez donc !
Akio grimpa dans l’habitacle, suivi du pèlerin en mutation qui revenait presque dans le giron US par la petite porte.
Ils traversèrent en command-car l’île Shikoku d’est en ouest jusqu’au port de Matsuyama… ils auraient dû le faire à pied… mais ! là, au port, ils embarquèrent le véhicule et ses corps intégrés sur un ferry, qui cabota en catimini sur la mer dite Intérieure jusqu’à Iwakuni – disons pour être précis sur une rive où se situait la Marine Corps Air Station, sur laquelle on ne peut s’étendre davantage au risque de compromettre les secrets de ce corps d’élite.
Pendant tout le trajet, les consciences des quatre personnages en quête d’absolu se perdirent en conjectures… Le chauffeur cherchait sa route… Barnaby cherchait le moyen de moderniser ce pays en traçant d’un trait une voie rapide en ligne droite qui aurait eu l’avantage de faire gagner deux heures et une étoile pour avoir modernisé cet antique territoire grâce à un gain de rentabilité fordien. Akio cherchait ses lunettes, eh bien, oui, il en avait, où étaient-elles ? Josef cherchait ses mots, afin de compléter son manu-script selon les principes du métamorphisme permanent…
Le cabotage dut subir des brises marines qui se brisèrent lorsqu’ils touchèrent terre… Une délégation discrète de quatre véhicules de police encadra le command-car et la colonne, sous le silence ronronnant des moteurs quatre ponts, fila quelques nœuds pour atteindre la base.
Dont nous ne révélerons rien.
Là, un avion discret type jet-set les attendait.
On admira le soin avec lequel Barnaby Parker organisa le camouflage qui consistait à infiltrer le tissu d’espions dans ce territoire vassalisé mais encore rebelle. Or, les deux personnages en costume de pèlerin étaient contre toute attente de vrais pèlerins. Il suffisait de les voir, avec leurs vêtements blancs et leur chapeau conique en paille de riz – sauf qu’aucun spectateur ne le savait, car tous croyaient apercevoir des espions masqués en pèlerins… sous la houlette surveillante de Barnaby…
Il était fort, Parker.
La classe.
Nul ne dit mot…
Barnaby était sur la voie de son étoile future en vue à l’horizon.
Et l’avion prit de la hauteur céleste pour la rejoindre…
Hélas, il fallut quitter l’espace où migrait la conscience des prophètes pour revenir sur l’asphalte…
Sauf que Josef ne réintégrait point la communauté des cénobites de l’US-Land… Toutefois, l’emergency exit le fit gicler vers un groupe de MP qui attendait.
Quel voyage !
Les forces du Power-Universel encadrèrent les deux inconnus devenus henro par la grâce du Shikoku. On monta dans une ambulance et, discrètement, sous le meuglement des sirènes, ils franchirent d’une traite l’espace-trajet qui ouvrit les portes de la base sécurisée du corps des marines.
… Ouf ! Certifia Barnaby, qui mit cette victoire à son actif pour compléter son CV, toujours dans l’optique d’obtenir son étoile.
Nous étions devant le bunker…
… Allons-zi ! suggéra Parker.
Alors, ils y allèrent !
Et toujours aussi discrètement, ils franchirent tous les sésames sous les regards ahuris-indifférents, selon le bel oxymore qui caractérisait les camouflages de Parker… Les voilà devant l’huis du GI, qu’Akio découvrit pour la première fois – car l’US-Land avait fait une concession de taille en laissant un natif pénétrer dans le saint des saints du bunker.
La musique céleste égrena sa gamme à cinq notes…
… composition de Matabuwa ! précisa Akio. Époque bleue !
… ah ! tu sais ! toi ! Souligna Josef.
Les tubes tintinnabulèrent tels qu’en eux-mêmes…
… un tube à la mode. Ajouta Akio doctement.
… un aide-de-camp comme on n’en fait plus ! Conclut le défroqué GI.
Ils entrèrent dans l’espace…
… attends !
Josef redevint l’Indien Algonquin qui tente de déceler le moindre indice d’une effraction dans son carré sacré. Il se posta comme toujours à l’extrême des rayonnages pour évaluer l’alignement des volumes… Longuement, il observa… Et à pas de loup, tel un renard en chasse, il s’approcha de l’étage number five pour sortir un bouquin. Il avait été bousculé par une main espionne…
L’exemplaire était défraîchi… C’était The Deadly alliance, un manga que Josef avait acheté pour étudier le vocabulaire de la zone nippone…
… c’est manga-cul, ça ! Affirma Akio.
… sauf que certains s’intéressent à manga-cul !
On frappa à l’huis…
Les tubes tintinnabulèrent (le temps de permettre aux occupants de se préparer à l’imprévisible) et la porte s’ouvrit : un messager leur apportait une missive pliée en quatre et scellée par une cire rouge encore chaude.
… Comme chez l’empereur. Souffla Akio qui avait fait des études historiques.
Josef tenta de briser le sceau encore collant…
… On est priés de venir prendre le thé !
C’était un texte codé… bien sûr.
Le planton restait planté…
… tiens, mets-toi un peu de ça, c’est du « Sang Bon de GI! » un parfum à la mode.
Et Josef fit le geste après la parole en lui vaporisant vigoureusement de sa lotion…
… moi, pas aimé ! Confessa Akio.
… cette fragrance te protège des influences néfastes… Ici, les succubes prolifèrent… Tu ne les vois pas, mais elles te corrodent profond !
Et ils suivirent le factotum. Derrière eux le son tintinnabulant tintinnabulait déclinant dans un diminuendo douloureux…
Parce que le peuple est affranchi, nous ne décrirons point la progression vers la salle des pleurs qui était le rendez-vous final… le scribe a déjà détaillé ce processus… Seule touche nouvelle à ce tableau pointilliste, et quelle touche ! l’entrée du Josef flanqué de son aide-de-camp en vêture de henro, chapeauté comme il se doit du couvre-chef conique en paille de riz…
Heureusement, le thé était servi et cette arrivée passa totalement inaperçue – le camouflage était parfait.
Selon le rituel, la toute-puissance de l’US-Universel était rassemblée d’un côté de la longue table selon l’art de la Cène… Des estafettes avaient ajouté des rallonges afin que les convoqués arrivants puissent débattre plus aisément. Barnaby Parker était au centre ; à sa droite, deux groupes de trois ; à sa gauche, deux groupes de trois… Josef comprit que cette mise en scène avait un sens… Lequel ? Secret-défense !
Il restait donc aux deux henro – que l’on désignera par commodité du titre de « pèlerins » –  de poser leur séant sur l’autre bord en face de ce dispositif complexe… Ce fut simple : ils n’étaient que deux pèlerins ; il n’y avait d’ailleurs que deux sièges… La configuration donnait à peu près certainement ceci : un face-à-face entre treize sommités aux cheveux ras, costumées de lumière, de décorations et de cols empesés – un bloc de gloires et de pouvoirs non occultes – et deux henros du culte zen…
Ils eurent chacun une pensée pour caractériser ce dispositif…
Pour Josef, ce fut l’alternative bien connue soit… c’était ça… soit c’était autre chose… take care…
Pour Akio, ce fut du simple calcul mental… Treize, ce n’était pas un compte rond… il y en avait un de trop… Il chercha lequel pouvait riper pour faire douze… Il ne put aller plus loin, car ils furent interpellés par un subtil prédicat :
… Bienvenue ! prononça la voix west-pointienne de Parker.
Écoutons maintenant comment Akio devenu témoin de ces échanges rendit compte dans son manu-script : rien n’est plus révélateur que celui qui décrit ce qu’il voit sans comprendre le sens caché des symboliques, des rituels, des codes. À l’instar de ces diplomates de l’ère Meiji qui vinrent jadis dans les espaces de l’Ouest et retracèrent par le menu tous leurs étonnements…
« Pourquoi tant de circonvolutions ? m’étonnai-je… Pourquoi Josef se mystérisait-il à ce point lorsque le débat roulait sur un chef qui prenait la tête des croisés universels… un Casque d’Or… qu’un François aurait prophétisé ?…
Devant Parker Barnaby, grandiose, il y avait des papiers… Beaucoup… C’était, semblait-il, l’objet du débat et du retour de Josef…
Mais ce qui m’étonna le plus, c’était que les treize à la douzaine ne parvenaient point à lire ce qui était écrit…
Voilà donc à nouveau la mission de Josef… il n’en finirait donc jamais ?
Le cacique lui tendit un papier que je pus lire… Oh ! un très court message…
« Casque d’or… élu ! »
Mais je pus le lire en langue universelle US compassionnelle… Je levai la tête, étonné que ces treize qui portaient sur eux tant de diplômes, affichaient tant de barrettes colorées sur le côté gauche de leur fronton vestimentaire, ne pussent le comprendre…
Mais Josef sut interpréter ce message…
« Ce n’est pas le candidat que vous attendiez, s’pas ? »
Eh oui… c’était bien cela.
Alors un débat déballa les ébats contrariés des carrières, ce fut le déballage. Tout foutait le camp. Ces treize avaient misé sur une notable qui n’entrerait pas dans les points – exit les nominations en instance que recélaient les petits papiers du déchu… il fallait reprendre tout à zéro… le lèche-cul enseigné à West-Point… quel temps perdu !
La question fut formulée selon d’étranges spirales en progressions concentriques, qui, résumées, demandaient… imploraient presque :
« Que disent les Tortues blondes ? »
Josef venait de reprendre du galon. »
Le manu-script s’arrêtait là… Akio, vaincu par la mise en scène de Barnaby, préféra laisser la page vierge plutôt que d’user son pinceau à calligraphier…
D’ailleurs, il n’avait plus d’encre – ce fut le point d’orgue… cet instant où une assistante entra pour offrir des esquimaux au chocolat…

Mais qu’en pense le lecteur, lui qui a payé pour lire ? Il veut savoir, lui qui est assis sur son fauteuil ou derrière sa tablette, bousculé dans le métro ou ballotté dans le bus. Il en veut pour son argent, à moins d’avoir volé cet opus – normal, il en veut pour son larcin… canaille !  

                                      Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
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vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

2 réflexions sur « N°24 on the way to Shikoku… »

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