… Voyage d’Est en Ouest… retour at home…

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32… Voyage d’Est en Ouest… retour at home…

Après avoir purgé leur corps pendant une semaine, les deux ermites, vêtus en denim, sacs à dos sur l’épaule, prirent incognito un « ferryboite » à Yokosuka qui cabota dans la Tokyo Bay. Il faisait beau. Les goélands surveillaient les bouillonnements du sillage du ferry – ce qui inspirait Josef, sans que l’on sache pourquoi (il ne faut pas déranger un prophète qui s’inspire). À Tokyo, ils prirent les transports collectifs qui les conduisirent dans un hôtel – dernière étape…
Le lendemain, à 6 h 10, ils quittèrent Haneda, l’aéroport de Tokyo, pour O’Hare International, à Chicago, via Dallas…
Suivons la voie…


… oh !… maman regarde l’oiseau qui vient manger dans la main de l’étranger !

L’image eût été céleste, si elle s’était déroulée au bord d’un ruisseau glougloutant son eau pure sur des graviers ronds, mais ce n’était pas le cas. Sans doute, cette image d’Épinal fera-t-elle date dans les pages du manu-script qui immortalisait les actes du pèlerin – car enfin, pour quelle raison un goéland nippon avait-il plané dans ce ciel du Soleil-Levant pour cueillir une miette de « cake » dans la main d’un quidam, sous les yeux d’un innocent orphelin samouraï ?
Mystère !
Cette scène biblique eut lieu sur le pont d’un ferry qui assurait la liaison quotidienne entre Yokosuka et Tokyo…
L’étonnement de l’enfant était bien réel. Et pour toute réponse, la dame qui se tenait à côté du petit rétorqua, le visage fermé :
… on ne montre pas du doigt !
C’est de cette façon que l’on tue dans l’œuf toute vocation de naturaliste… pensa Akio.
… il aime l’oiseau, alors il lui donne une partie de son repas… expliqua Akio.
… il n’a pas faim ? répondit le môme.
… si, mais il partage… c’est la marque de son immense compassion ! Tu comprends ?
… non !
… on dit : « Non, monsieur » ! s’insurge la mère.
… tu voyages avec lui ?
… oui !
… il ne t’aime pas ?
… pourquoi ?
… ben, il ne te donne rien à manger !
La dame raide comme la… raide enfin… raide… remercia Akio, entraîna le « pilon »… mot ancien de l’univers des traboules… en langage lyonnais que maîtrisait Akio depuis sa rencontre avec Josef. L’enfant était curieux, mais rapidement il prendrait la coloration de sa mère… une distanciation grincheuse.
Le goéland était d’ailleurs le symbole de cette curiosité : l’oiseau venait quérir sa nourriture là où il la trouvait, tel le migrant qui cherchait, lui aussi, comment piquer celle des autres.
« Une belle parabole ! » confirma Josef qui n’avait plus rien à proposer aux oiseaux…
Alors le symbole de plumes vola vers un autre quidam compassionnel sans doute qui offrait un énorme sac de victuailles aux oiseaux toujours affamés…
Or le ferry arrivait à destination. Une corne de brume retentit. Les matelots s’activaient. Le bateau manœuvrait. On se dirigea vers la passerelle qui venait d’être lancée entre la terre ferme et le bord instable…
… lui, les oiseaux, il les aime bien plus que toi ! poursuivait le marmot qui ne perdait aucune occasion de se taire…
… suivez les pancartes ! ordonna un homme du bateau qui guidait les passagers vers la passerelle… insensible aux vols des goélands…
Et les oiseaux disparurent pour rejoindre le quai. Eux aussi, ils avaient compris que le sac du quidam changeait de bord.
Lestes et légers, Akio et Josef, sac au dos, prirent un bus…
Josef connaissait parfaitement la ville…
Akio n’était jamais sorti de son village…
Soudain, Josef se raidit souplement. En réalité, il redevint attentif – professionnel, en somme. Akio le perçut. Il jeta un coup d’œil à Josef…
… on nous suit !
… où ça ?
… chut !
… bon !
Suspendu à l’une des dragonnes disposées sur les barres de sécurité, Josef s’obligea au mutisme-vigilant pendant tout le trajet du bus…
Il ne se détendit qu’une seule fois lorsqu’ils qu’ils furent descendus…
Dans la rue, il s’arrêtait parfois pour regarder dans les vitrines… le reflet des passants. Il détaillait longuement leur image, puis repartait. Akio suivait, il n’avait rien vu de suspect… car il n’était point Prophète.
À l’hôtel, Josef conserva cette attitude…
Au restaurant aussi…
Et même pendant leur courte nuit, il se leva pour inspecter les armoires, les tapis, les alcôves…
Il cherchait des micros…
Enfin…
Vers 3 heures, au pays du Soleil-Levant qui n’était pas encore levé, ils quittèrent l’hôtel comme des ombres pour prendre un taxi…
À 6 h 10…
L’aéronef quittait le sol…
Vous connaissez sans doute les décorums des vols transcontinentaux. On peut les comparer à une métamorphose : l’insecte en recherche de lui-même entre dans le cocon métallique et en ressort onze heures plus tard assommé. Parfois, quelques cocons volants se volatilisent en vol… c’est infime !
Ils firent une halte à Dallas, où les goélands étaient absents. Pourtant, l’espace dénombrait quelques gosses qui attendaient un geste… Akio n’ajouta aucune paperolle au manu-script. À quoi bon écrire qu’il n’y avait rien à écrire ? Si rien n’avait été écrit, c’est donc qu’il n’y avait rien à dire…
… on nous suit encore ? demanda Akio.
… quelle idée ! répondit Josef.
Fallait-il rajouter une paperolle pour consigner cette interrogation ?
… ce sera l’objet des chercheurs qui chercheront dans quelques siècles !
… c’est ça… le mystère… sera révélé !
Et l’aéronef s’élança sur la piste… du hublot, on pouvait voir des goélands qui décollaient, eux aussi en même temps… ils avaient été alertés, qu’un Révérend prenait l’avion… sans doute pensaient-ils que l’oiseau métallique réservait des victuailles à consommer en vol…
Akio attendait toujours les dernières révélations que Josef annonçait… pour les valider dans le manu-script… on n’écrit pas des textes saints qui seront lus des siècles plus tard sans qu’ils soient sanctifiés par une autorité… à ça mais !
… je suis certain qu’on nous espionne, dit enfin Josef après un long silence, j’en ai la certitude ! Plus tard, Akio, lorsque je serai sur mes terres celles que je connais bien, dans un espace sécurisé, je pourrai parler sans contrainte.
Je vais revoir l’hacienda… Akio songe que j’ai quitté jadis… ce havre de paix… un lieu de concorde…
… vous désirez une boisson, monsieur ?
Stupeur…
… oui, sans doute…
… méfie-toi, Akio, souffla Josef en japonais.
… ne craignez rien, monsieur, répondit l’hôtesse, tous ces produits sont authentiquement étasuniens-made…
… ah bon… je prendrais un Bourbon, alors…
… je croyais que… l’alcool était… commença Akio…
… ici, on est hors-sol ! Sans glaçons…
… bien, monsieur…
C’est ainsi que le bourbon chassa l’espion, car Josef se lança dans une confession que Akio recueillit avec passion, elle fera date dans les paperolles du manu-script
« Tu vois, Akio… tout est simple à dire… mais autant le dire.
Prenons le cas de Barnaby, ce cancre qui influença Gottfried pour que j’aille à l’école des cadets. Moi, je voulais étudier l’archéologie des langues médiévales du continent Eurasie…
Tu sais pourquoi il s’est servi de moi ? Parce que son bagage lexical se réduisait à quelques mots basiques. Tu connais ça, Akio : « Time is Money ! » « No parking no business ! » « We can ! » Voilà le discours de ce primaire primate. Alors, il me couvait pour que je traduise les documents des services secrets de l’Army et il prétendait que c’était lui qui les avait traduits. À chaque mutation, je partais avec lui dans ses valises. Il a le bras long, mais court le neurone. Maintenant qu’il a son étoile de général number One, il ne me reconnaît plus…
Poursuivons avec le cas Hissa Luna, cette grosse truie. Tu sais où elle est à présent ? Non, bien sûr, tu es au-dessus de ça. Elle dirige la bibliothèque de West-Point. Qui l’a nommée à ce poste ?… Ben, Parker, voyons…
Il reste Franziska…
Ah ! celle-là. Tu vois, Akio, c’est le plus gros complot qui se trame depuis la révolution d’Octobre.
Voilà…
Depuis un siècle, on veut nous faire croire que les Russes vont envahir le territoire des étoiles…
Note bien…
On veut nous faire croire que… !
Mais imagine que les Romanov aient survécu. On aurait équipé leurs armées, fricoté avec leur tsar, torpillé leur économie, là comme ailleurs, sauf que c’est la nation qui a le plus grand territoire au monde… Ça, Akio, c’est déjà un crime pour les Stars and Strippes qui n’est que la troisième surface au monde… alors, officiellement on a décrété que ces gens étaient le diable… mais en sourdine, on les a équipés en bon dollars bien verts.
À preuve, tous les cadets de West-Point – je sais, j’en fus un – étudient toutes les rhétoriques des Russes : leurs armes, leurs codes de commandement, les moindres détails anthropologiques, leurs vêtements, leur alimentation, leur paranoïa. Le Russe est communiste congénital, c’est-à-dire autant face que pile, le contraire du quidam US, selon la liturgie west-pointienne, l’ennemi héréditaire qui prouve notre supérieure puissance – c’est pourquoi on en a tellement besoin de les équiper pour qu’ils restent notre Sparring-partner…
Songe que des générations d’étudiants se plièrent à étudier le russe. Imagine l’investissement, si brusquement Casque d’or faisait ami-ami avec l’Ours ?
Et si Franziska avait été le lien qui unissait Casque d’Or à l’Ours ?
Et si Franziska dans la cour de l’école de Hissa Luna m’avait déjà affranchi pour que je connaisse ce secret ?
Et si Franziska était l’indice du mal, que le doigt pointait… qui agissait en douce… qui corrompait les rapports… qui contaminait sournoisement les lignes…
Une vraie Russe…
Foutaise…
Mais c’était un beau brin… enfin beau… ou plutôt belle… enfin belle…
Je sais, j’ai aussi vécu cette illusion. Franziska, lorsque je l’ai vue la première fois, dans la cour de l’école de Hissa Luna, elle m’a ébloui pour le restant de ma vie passée. Oui, Akio, je me suis moi-même trompé, je l’avoue… Parker en a profité…
… quand as-tu découvert ce drame… ?
… lorsqu’il simula son infarctus bidon… ! À l’hosto ! Tu te souviens ?
… c’est récent !
… mieux vaut tard que jamais !
… un tiens vaut mieux que deux tu l’auras !
… bien mal acquis ne profite jamais… !
… la fin justifie les moyens… quoique Parker ait reçu son étoile et Hissa Luna ait posé son cul sur le fauteuil de la grande prêtresse des étagères de grimoires…
… et Fran…
… verschwunden…
… ziska ?
… überhaupt verschwunden…
… autrement dit : absolument disparue dans l’espace céleste…
… Ja !
… tu vois Josef… il m’a suffi de te fréquenter… et je comprends naturellement ton idiome natif…
Silence !
Chicago. Fin du voyage en avion…
… ici, confessa Josef, furent assassinés des membres de la famille de ma mère. Je veux d’abord leur rendre visite avant d’accomplir mon projet !
Dès lors, Josef se replia en quatre dans un mutisme total. Il avançait telle une ombre, le visage illuminé, jusqu’au cimetière Mount Olivet
… tu vois… Akio. Ici, est enterré un sergent de la bataille de Little Bighorn que les Sioux nomment bataille de la Greasy Grass. Lui, ce sergent, a sa croix sur un beau titulus…
Hélas, les ancêtres de ma mère sont ici, peut-être ailleurs, mais dans une fosse anonyme. Seule leur mémoire se transmet…
Ici, tu as toute la tragédie d’un pays qui ne jure que par l’hypocrisie en lettres d’or…
Les visiteurs déambulaient au gré des allées sous le vent, lorsqu’un mauvais crachin venant du lac Michigan les surprit. Mais cela ne gêna en rien Josef, qui continua de flâner. Il se transformait, il s’apaisait, il se confortait… mutatis mutandis… (traduction d’une parole latine NDLR… en changeant ce qui doit être changé. )
Ils ressortirent trempés comme des soupes…
On se dirigea vers la cathédrale du Saint-Nom…
Tandis que Akio restait sur le narthex, Josef fit le tour du monument. Il suivit le chemin de croix et ses stations et s’arrêta longuement à la quatrième, qui est celle où Jésus rencontre sa mère, alors qu’il porte la croix et va sous les coups de fouet vers le Golgotha.
Un léger nuage enveloppait Josef, la brume vespérale s’élevait vers la nef produite par la chaude ferveur du visiteur… alors… là… des pèlerins, croyants, pénitents découvrirent de leurs yeux… ce miracle de la transmutation de la pluie en une aura céleste illuminant le prophète… ils se rassemblèrent autour de Lui…
Et l’émotion parcourut l’assemblée…
Il tendit une allumette qui étincela sous l’action de la flamme, il alluma les lumignons qu’il avait installés sur le présentoir…
Long recueillement… de recueil…
… c’est qui demanda un passant qui passait…
… un prophète…
… ils quittent Washington maintenant ?
… !
C’est ici – mais nul ne pourrait le prouver à part Akio – que Josef-Schmitt devint John Smith. Il n’était pas à un paradoxe près : lui qui voulait réformer les Bannières, le voilà qui se débaptisait de son nom germain pour un patronyme parfaitement étasunien
Un aide-de-camp n’est point nommé pour contester, il constate, c’est tout.
Plus tard Josef lui confia que :  « C’était une ruse ! »
Alors John eut faim – ce qui pour un ermite, révérend et prophète est parfaitement normal…

Mais John ne comptait pas se restaurer dans n’importe quel boui-boui. Il héla un taxi et ils embarquèrent en direction du Chinatown local…
… qu’en penses-tu, Akio ?
… je te suis !
Josef… devenu John remettait les pieds dans ce quartier après des lunes d’absence. Mais tout quartier chinois dans une ville occidentale est forcément en expansion… Il suffisait de voir le nombre d’enseignes lumineuses, des tigres de néons et autres dragons électriques qui avaient poussé depuis…
Non loin, ils repérèrent un hôtel authentiquement US, sur la façade flamboyante duquel une armée de spots clignotants inondaient la marquise d’une vague changeante… en calligraphie chinoise…
… on pose les malles ici, on ira manger en face !
Ce qu’ils firent…
… on aura au moins la possibilité de manger avec des baguettes, même si ta cuisine diffère de celle du « Milieu ». À moins que tu souhaites t’immerger dans les délices de la haute cuisine locale, que le monde nous envie : le McDo ketchup service Yankee…
Hélas…
L’intérieur était un clone des popotes, cadre incontinent sur tous les continents, dans lequel un panoramique de photos criardes annonçait le contenu et le prix du plat. Il suffisait de pointer un doigt pour être servi. La cuisine était ouverte aux yeux du public. Le plateau passait d’étagère en étagère pour remplir les cases. Des donzelles en jupe courte et boléro olé ! olé ! chapeautées d’un petit casque rouge, assuraient chacune à son poste le transport du support sur des rampes métalliques, après une dizaine de stations comme sur le parcours du Nazaréen. Puis le plateau plein arrivait. La salade côtoyait le canard aux champignons parfumés, toute proche de l’alvéole du riz blanc, comme le service d’un hôpital de banlieue. C’était chaud. On payait, on prenait le plateau et on se démerdait pour trouver une place. Au passage, on prenait une fourchette en plastique ou un long sachet dans lequel s’inséraient de pauvres courtes jumelles de bois qu’il fallait séparer d’un coup sec et qui feraient office de baguettes pour la soirée…
Chicago… Yokosuka… Dallas… Tokyo… même service… même rituel… même panoramique… même sabir des donzelles… même pognon… même cauchemar climatisé… celui d’Henry Miller…
… tu connais ?
… jamais lu…
… eh bien, vois… lui aussi était Germain d’origine…
On pouvait même laisser le plateau sur la table en sortant. Les donzelles caquetaient toujours totalement indifférentes. On avait même vu venir un chariot poussé par une subalterne colorée qui, la table libérée, devait nettoyer les espaces à coups de balai, de racloir, d’éponge et de brosse à récurer et assainir le sol avec un seau d’eau javellisant pendant que les ermites goûtaient les succulences…
Du grand art… rentable…
John avait son air des mauvais jours…
… heureusement que… !
Mais il n’acheva pas…
On ne sut jamais ce que cet introït allait révéler…
… on se barre ce soir !
… mais on a payé l’hôtel !
… oui, mais non ! On prendra une couchette !
Ce qu’ils firent…
Le train en gare de Chicago, le célèbre Capitol Limited, conduirait en une dizaine d’heures, dans ses voitures Surperliner à deux niveaux, les robinsons de la nouvelle civilisation.
Songez que John… Josef… enfin J.-J… l’arrivant… arrivait, tels les Pères du Mayflower, sur une terre vierge – ce qui n’était plus le cas au moment où ils posaient le pied sur le quai de la gare de Pittsburgh, terre inconnue, certainement, car il ne reconnaissait ni le quai ni la gare et encore moins les visages des ombres pressées penchées sur leur téléphone… coréen… à triples caméras intégrées…
Akio ne connaissait pas la ville, ce qui par déduction le conduisait à ne point reconnaître ce qui aurait pu être reconnaissable si les images existaient encore dans les magazines, qu’il n’avait d’ailleurs pas ouverts depuis des lustres.
Pour lui apparaissait un nouveau monde, sur lequel il posait le pied pour la première fois…
Quant à J-J…
Eh bien, allez savoir !
Puisqu’il n’en savait rien lui-même.
Le taxi saurait…
La course d’une bonne demi-heure plongea J.-J. dans un muet questionnement à propos des lieux traversés…
… arrêtez-vous à l’angle… oui… à l’angle… c’est ça !
Le conducteur en avait vu d’autres – tous ces illuminés qui demandaient un lieu et s’arrêtaient à un autre…
… gardez tout !
… OK, boy !
Le naufragé renifla l’air, jeta son sac sur le dos et enfila les bretelles. L’aide-de-camp fit de même, mimétique réplique du revenant prodigue de silences…
D’un même pas, ils marchaient. Ils quittèrent, toujours au pas, un espace spacieux, spatial, coquet, habité et traversèrent un axe routier pour entrer dans un paysage désaxé, une sorte de zone sans éclairage axial où pourrissaient des carcasses de vieilles voitures dont certaines avaient connu la gloire et le feu. John reconnaissait l’ancienne aire en pire, c’était le boulevard périphérique qui traçait la frontière dans toutes les villes entre la civilisation centrifuge et la zone centripète…
Alors, ils empruntèrent des rues que les voitures avaient délaissées. Las, ils les laissèrent à leur sort. L’asphalte se craquelait. Quelques arbres semblaient vouloir coloniser ce macadam fracassé.
Les constructions étaient peuplées sur leur pas-de-porte de groupes disparates dont la carnation paraissait authentique. Non, ce n’était point un maquillage de carnaval, ils étaient bien colored-profond. Ils écoutaient des musiques nouvelles dans un décor que les boueux avaient sans doute oublié depuis plusieurs lustres. Des montagnes de déchets s’accumulaient. J.-J. mesura la vitalité des occupants à la taille des tas. Ils avaient centuplé depuis qu’il les avait vus la dernière fois… voilà des siècles…
John retrouvait un paysage lunaire, il avait vu le même dans un Time-Illustred… lorsqu’il était à Yokosuka… une mise en scène… sans doute…
Mais non, les âmes même, avaient quitté le macadam…
Il ne restait plus que des vestiges… des moignons… d’énormes chicots… des ruines…
L’hacienda existait-elle encore ?
Ils longèrent une usine sans toit. Des arbres avaient cru bon de croître, insolents, dans la cour de l’ancienne entrée aux vitrages explosés. Les tags inondaient la façade. Partout, des voitures calcinées… des monceaux de bouteilles vides…
Enfin, cela faisait quatre heures que les pèlerins marchaient quand soudain…
… c’est là !
Ce « là » ne ressemblait à aucun la connu : celui-là était las –  la note sonnait plutôt la bémol bien trémolo… ah ! la la !
John s’arrêta, suivi comme son ombre par Akio…
Ils étaient sur un promontoire du haut duquel ils pouvaient jouir de la vue d’un immense panorama.
La ville était très loin derrière eux…
L’hacienda, au bas non loin, devant eux…
Une brume rendait les espaces cotonneux. À l’horizon, un château d’eau se dressait toujours à quelques mètres du sol près d’une grange aux outils.
Fierté de Gottfried, il avait conçu ce réservoir alimenté par un réseau de canalisations qui drainaient les pluies des toits : un dédale mû par un moteur électrique, qui était actionné par une éolienne qui rechargeait les accus quand le vent soufflait. C’était génial. Surtout lorsqu’il y avait du vent. Or, ici, il y avait surtout de la pluie…
Sur cet espace paissaient jadis tranquillement des troupeaux. À présent, le bétail devait ruminer dans les étables. Pas un seul bison, pas un seul bœuf, pas une seule vache, pas un seul veau à l’horizon… ni dinde… ni coyote… espace nu…
John fit le premier pas…
Akio l’imita…
Ils franchirent la clôture. L’herbe était haute… la palissade était effondrée…
Ils progressèrent dans la haute savane, les ronces, les chardons, les orties. John recherchait le graphisme d’un tepee se découpant sur le ciel gris. Au lieu de ça, il découvrit des arbres. Un îlot inconnu se dressait à la place des habitats traditionnels…
Mais alors les dindes, qu’étaient-elles devenues ?
Ils rejoignirent un coude du chemin de terre qui serpentait sur la propriété…

Quand deux coups de feu éclatèrent en face d’eux…
Ils ne voyaient rien. Instinctivement, réflexe de GI, ils s’aplatirent sur le sol. Des rumeurs s’élevaient au loin. John redressa le buste et fut accueilli par une volée de bastos. Plusieurs atteignirent le réservoir d’eau et ricochèrent sur les montants métalliques en sifflant dangereusement. C’est à ce moment que John découvrit la pub grand format du cow-boy d’une marque de cigarettes de l’US-Land qui pourrissait sur les parois du château d’eau. Chaque balle fracassait un peu plus la peinture. Le cow-boy, toujours debout mais criblé d’impacts, avait dû être souvent pris pour cible…
Dans les herbes hautes, John se glissa hors des bretelles de son sac, qu’il laissa derrière lui en sorte de présence absente… pour pouvoir ramper dans la verdure. Akio était blotti dans une fondrière… Immobile, il attendait…
Les tirs reprirent sans aucune logique pendant que John se faufilait dans les ronces pour contourner le tireur, autour duquel se tenaient un groupe d’Indiens…
« Die Russen kommen! » hurlait le tireur…
Gottfried, la Winchester du Vater en alerte, hirsute, débraillé, furetaient du regard vers le sac à dos immobile sur le chemin d’accès à l’hacienda et jurait dans tous les tons et tous les dieux du Walhalla germain qu’il n’avait plus de cartouche…
« Die Russen kommen!
… où sont-ils ?
Alors John se leva. La Winchester ayant épuisé son magasin, la voie était libre…
… ici… Vater !
Gottfried immobile. Étonné ? Non ! Surpris ? Même pas ! Dérangé : certainement. Les bretelles vibraient sur le tricot de flanelle ouvert sur la poitrine… Il assura un pas, mais il marcha sur l’un des lacets de ses brodequins. Il aurait chu sur le sol si l’un des Indiens ne l’avait soutenu…
« Ach! Cheisβe » jeta-t-il, calmé, en baissant le canon de l’arme…
Mais brusquement, il se ressaisit aussitôt…
… où il est, le Chinois ?
… un ami, Vater… un ami… ! Laisse-le venir !
Lentement, John s’approcha, tout en prononçant une litanie – tel le psalmiste qui tente de calmer les fureurs du tireur par le lien apaisant de la voix. Il ne quittait pas la Winchester du regard. Enfin parvenu à quelques centimètres du Vater, doucement il tendit la main, en murmurant :
Grüss Gott, Vater !
Il tendit la main…
… was machst du hier ?… qu’est-ce que tu fais ici ?
Là, il désarma Gottfried…
Les Indiens n’avaient pas bougé d’un pouce. Impénétrables, aussi vieux que les clôtures en ruine, ils regardaient venir Akio, crotté de boue comme un vrai GI après une progression dans les tranchées…
… les Chinois… maintenant !
… non, Vater… Japonais !
Nul ne sut plus quoi dire, mais tous regardaient le revenant prodige qu’ils ne reconnaissaient pas…
Il faut dire qu’il avait un peu vieilli. Il avait perdu sa tignasse blonde.
Il y avait surtout ce quelque chose d’indéfinissable qui émanait de lui – ce grain d’incompréhension que ces enracinés évaluaient chez ce déraciné… il transportait avec lui des fragrances, des senteurs, des états, d’ailleurs, inconnus, indéchiffrables…
Comment renouer le fil des humeurs passées ? Le sang n’était plus suffisant. Il ne parlait plus. Pour l’instant, il se cherchait…
Ce fut Yépa qui trouva la solution en arrivant, toujours aussi menue, dans sa robe de peau, légère sur ses mocassins qu’elle-même concevait dans la tradition des Indiens Algonquins…
Un doux sourire flottait sur ses lèvres. Elle s’approcha sans un mot, ouvrit les bras et les referma sur la grande carcasse de son fils. Et ce fut un déluge de larmes, les reniflements de Gottfried, les litanies des Indiens.
À quelques pas de là, Akio observait les coutumes vernaculaires des gens de l’hacienda…
Alors, on se tourna vers lui. On l’accueillit comme un alter ego. Un Jaune pouvait très facilement trouver sa place ici, surtout s’il avait été épargné par la Winchester du Vater… et puis Akio était jaune comme les indigènes d’ici… ceux d’avant les Visages Pâles…
Gottfried partit à la recherche du sac à dos de John…
Ce fut laborieux. Le cercle d’Indiens le suivit sur le sentier qui avait vu la dernière bataille pour la liberté des peuples. Il fallut que chacun accrochât sa main au sac, qui vint ainsi, telle une dépouille, rejoindre la grande salle que vous connaissez.
Le chorus fut grandiose lorsqu’ils entrèrent, car les femmes près du feu se levèrent, même les perclus de rhumatismes… toutes glougloutaient de la voix…
Enfin, le cercle de famille était en liesse pour le retour du « petit ». Josef était caressé, chouchouté, choyé, admiré, touché, évalué – en un mot, adoré tel le Messie.
Il fallut monter ses affaires dans la chambre de Josef, qui était restée telle qu’il l’avait laissée. On la dépoussiérait seulement lors du « Osterputzen » le nettoyage au moment du grand ménage de printemps… à Pâques…
Les tantes se précipitèrent en file indienne dans les escaliers pour ouvrir les portes et installer les « petits ». Akio venait de gagner une famille… lorsqu’il reçut sa chambre.
On l’installa dans celle contiguë à celle de John. Elle avait jadis appartenu à un oncle germain. Au mur, plusieurs têtes de cerf et quelques hures de sanglier naturalisées attestaient que l’oncle avait une passion pour la chasse. On pouvait admirer quelques modèles de Winchester, des poignards, des couteaux de chasse et même des scalps, authentiques répliques de plastique, « pour faire peur », disait-il.
Les tantes s’en moquaient. On aéra les armoires vides bourrées de naphtaline. Il fallut ouvrir la fenêtre qui donnait sur le toit de la grange…
Puis, lorsque les sacs furent remisés, on redescendit dans le cœur de la tribu…
Gottfried s’était encastré dans son grand fauteuil, qu’il avait lui-même construit. Le meuble pesait trois bons quintaux, ce qui était nécessaire pour soutenir les fureurs du patriarche. Il éructait sur tant de choses. Et même pendant sa sieste après le repas, il se redressait en hurlant des litanies à l’encontre du mal et du bien… bref, contre ceux qui troublaient l’ordre… son ordre.
Gottfried dormait…
À côté, comme un elfe, la squaw Yépa, discrète, avait distribué ses consignes…
Et l’on retrouva le campement et la grande cheminée à proximité de laquelle campaient les Indiens sur des peaux de bêtes. On avait ajouté des bancs de bois avec des dossiers pour que les vieux guerriers puissent se poser en fumant le calumet… L’immense table avait été réduite à trois rallonges, mais restait, dans son style « banc de coin » traditionnel, le fameux Eckbank.
Le peuple avait perdu quelques chenus de chaque côté, mais les murs avaient gagné des tableaux, des tomawaks, des photos, des fanions, des ramures de cerf et des armes. Au-dessus de la tête de Gottfried trônait un tableau à la gloire des forêts germaines où trois biches apeurées venaient se rafraîchir à l’eau cristalline d’une source au centre d’une frondaison traversée par un rayon de soleil biblique – le tout peint par Gottfried… La réalisation de l’œuvre avait duré quatre mois. Il n’y avait que trois couleurs : les biches étaient violettes sous des végétations d’un vermillon orné de bleu azur ; l’eau de la source reflétait forcément les couleurs des frondaisons. C’était le seul tableau qu’il ait jamais peint avec des restes d’acryliques qu’il utilisait pour la rénovation des volets et des palissades.
Parce qu’il ne voulait pas que ces peintures se perdent en séchant dans les bidons, il avait décidé de peindre ce tableau qui représentait un instant de la vie des ancêtres là-bas dans les plaines de la Mitteleuropa, un ex-voto qu’il ne reverrait jamais – ou plus exactement qu’il ne verrait jamais, puisqu’il avait fait souche ici, dans le Nouveau Monde.
Puis ce fut la visite de l’hacienda…
On laissa Josef guider le petit dernier, juste au moment où Gottfried se réveillait, en disant :
… eh… vous venez d’où ?
Question qui devait faire suite à un rêve non élucidé…
… ils y vont ! répondit une tante qui couvait Josef du regard.
Et elle rajouta :
… mais que tu es beau, vé !…
Gottfried commença à énumérer ce qu’il ne fallait pas toucher, ni déplacer, ni pousser dans l’ordre qu’il avait instauré…
Les Indiens, n’ayant rien à protéger sur le campement, n’ajoutèrent rien à ce propos…
… va… mon petit ! On s’en occupe ! reprit la tante.
Et à l’adresse de Gottfried, elle cria – car il était sourd :
… il est grand ce petit… maintenant !
Gottfried eut un haussement d’épaules qui marqua sa désapprobation…
… ça dépend !
La tante le fustigea du regard.
… Oh ! Oh ! dit-elle.
Et ce fut tout… pour l’instant.
La première étape de la visite fut pour le village des tepees qui occupaient un espace à une bonne centaine de mètres de la cour principale. Un bosquet de frênes avait pris une place. Le tepee où vivaient les dindes avait disparu, les dindes aussi. Problème sans solution immédiate. John hiérarchisait ses savoirs. On revint vers l’hacienda et l’on se dirigea vers la grange…
John n’avait pas prononcé plus de vingt mots depuis son arrivée. Il descendait lentement dans le tréfonds d’un autre être – celui qui avait vécu ici. Il avançait face à un miroir étoilé par un choc qui renvoyait mille facettes inertes…
Comme l’immense portail de la grange ne laissait qu’un mètre d’espace, il fallut le pousser sur son rail pour découvrir l’intérieur…
Le grand ventail gémit sous la poussée. En grinçant sur les roulements, lentement, il offrit l’espace intérieur d’une caverne du Walhalla plein jusqu’à la gueule…
La montagne hétéroclite aurait pu entrer dans un musée d’un siècle disparu. Le volume atteignait des mètres et des mètres de hauteur. Toutes les vies de plusieurs générations y étaient rassemblées. Une archéologie, une montagne de fossiles, couverte d’une poussière grasse et jaune et de toiles d’araignées laborieuses qui tissaient le voile du temps. Les couleurs originelles ne parvenaient plus à franchir le fin masque qui s’insérait dans tous les pores des inerties. La description en était impossible, sauf qu’au centre du magma, sous un arceau échafaudé en madriers, poutres, coffrages, bardeaux, linteaux et autres solives fracassées, dans une alcôve, reposait Rosalie, recouverte d’un linceul gris de poussière… Elle trônait sur quatre blocs de béton – impossible d’atteindre le flanc, car les vestiges s’étaient accumulés tout autour…
… c’est… ! dit Akio.
… beau… ! poursuivit John ému qui exprimait son sentiment pour la première fois depuis son arrivée. Très beau !
Et les roulements grincèrent plus encore lorsqu’on poussa l’immense ventail…
… laisse un mètre d’ouverture !
Gottfried les attendait dehors. Il vérifiait qu’aucune main n’avait dérangé son œuvre…
… c’est pour le chat !
Il tenait un râteau, Akio et John regardèrent l’outil, Gottfried aurait-il, lui aussi, des rituels de pénitence ?…
Sans un mot de plus, Gottfried prit le chemin de l’hacienda, le râteau à la main… Aimantés par ce mouvement, les nouveaux venus le suivirent. Gottfried s’arrêta devant un carré d’herbe, posa son râteau, sortit une faux, cachée dans un petit épicéa, et une pierre à aiguiser, travailla longuement la lame, faucha une dizaine de mètres carrés de regain, puis remisa la faux et sortit du même épicéa un sac en chanvre dans lequel, grâce à son râteau, il engrangea le foin coupé qu’il avait ramassé. Le râteau rejoignit la faux dans son logement et, sac sur le dos, il repartit vers l’hacienda. Derrière la grange s’étendait l’enclos de la basse-cour…
Il jeta l’herbe coupée, replia le sac et, toujours indifférent à l’environnement, revint au cœur chaud de la maison…
Akio se promit de consigner ses mystères dans le manu-script
Voyez-vous, gens, c’est à ce point du récit que l’on se rend compte de la dimension sociale des hommes. Pour l’hacienda, John était resté « le petit », celui qu’ils avaient toujours connu en culottes courtes… Aucune mutation, fût-elle cataclysmique, n’eût pu modifier cet état de perception.
Il revenait… Sa chambre l’attendait… Il reprenait son lit… Eux n’avaient pas bougé – certes, quelques chenus avaient disparu… Les rhumatismes étaient plus aigus, les genoux plus cagneux, la mémoire moins vive, l’œil voyait souvent du brouillard au loin par temps clair…
Il était inutile de conter les moments enfuis pendant ces siècles passés, car tous les jours étaient identiques…
Alors, que venait faire John ici, lui qui n’avait atteint aucun âge canonique ?… Venait-il s’enterrer… disparaître… ou bien… ?
C’est ce que vous apprendrez si vous avez encore envie de le suivre dans le cheminement qui doit le conduire sur sa voie de prophète…

                                                        Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

 

 

Fin de maturation, retour aux sources… Pittsburgh…

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31… épisode où le cosmos constate la fin de la maturation de Josef… et constate  la transhumance vers Pittsburgh…   

Josef est toujours dans son temple au bout du monde, à Yokosuka. Les vents contraires se liguaient pour retarder l’éclosion. Oh ! le malin est bien malin. Akio assistait à cette lente naissance. Le manu-script rendait à merveille par le détail toutes ces phases, mais tout a une fin. Alors qu’ils venaient de rendre l’allée virginale à l’aube de ce jour et qu’ils allaient remiser leurs râteaux, on entendit crisser le gravier concassé qui hurlait de douleur sous les brodequins d’une escouade de GI… Ciel !
… prends la plume, cria Akio au scribe de service.
Le « nègre » venait juste de recevoir ses gages de fin de mois pour aller baguenauder dans des ailleurs jouissifs…
on ne dit pas nègre… rectifia le sensei mais… « prête-plume »… ah ces vents mauvais !
… soit ! il remisa ses billets verts et reprit du service.
Ce matin-là, le sensei avait pris la précaution de fermer à double tour de passe la clenche du grand torii de la porte d’entrée principale. Le command-car resta hors de l’enceinte. Seules des semelles sémillantes semèrent le trouble sur les sensibles cailloux – un mal qui rongeait l’ordre. Chaque fois deux moines ratisseurs suivaient les iconoclastes, ils rabouillaient les pierres en miettes afin de relooker le sol…
Or, sur ce sol avançaient une… deux… trois… paires de rangers…
Elles se dirigeaient vers le dojo…
Une cloche sonna sans but précis, mais signalons-le au passage des bottes.
Ils étaient martiaux, ces arrivants, bien qu’ils ne semblassent pas pratiquer cet art martial, à en juger par leurs cheveux gominés et leur tenue vestimentaire repassée, empesée et décorée aux insignes de l’US-Land…
Néanmoins, quatre moines-pantoufles se précipitèrent pour offrir les pompes ad hoc qui permettraient d’entrer dans le saint espace…
… nous resterons dehors ! Sous le sycomore !
Et tels des seigneurs, ils s’assirent sans autre cérémonie sous le chêne à palabres.
… nous voudrions voir l’impétrant Josef !
Les quatre moines-pantoufles repartirent prestement et revinrent avec des râteaux…
… il faudra attendre… nous en avons au moins pour trois bonnes heures avec l’icelui.
Les quatre moines repartirent prestement et restèrent postés non loin.
Le matin était peu pressé de se terminer, il flânait pour rejoindre les heures de midi – tout comme Josef qui n’apparaissait point…
… il est en dévotion !
… yeah !
Une cloche sonna… elle faisait écho à la première…
… sans doute la fin des dévotions… !
Fausse alerte, ce n’était que la fin des ratissages…
Les GI’s commençaient à trouver le temps incommensurablement long…
… patience, chef… le Révérend est en quelque sorte un miraculé…
… sans doute… mais faire attendre un émissaire des Bannières étoilées… c’est grave !
… le pardon n’existe-t-il donc point ?
Le sycomore masqué en chêne n’en crut pas ses oreilles d’apprendre que le pardon :
… serait une notion étasunienne… !
Soudain arrivèrent le moine et son ombre…
Le moine prit place, mais, prudente son ombre suivit lorsqu’il se fut assis.
Ce fut tout d’abord un long moment d’observation, puis :
… Josef, je t’informe que tu n’auras pas besoin de renouveler la garde-robe de ton grade…
… Pourtant, c’est nécessaire, il a maigri ! dit Akio.
… peu importe le poids… il est rayé des effectifs de l’armée !
Ce fut la « Soixantedouzemillième » illumination du tondu…
Et ce qui était écrit advient enfin !
… normal… reprit le gradé… ton contrat se termine aujourd’hui. Tu avais signé pour quelques années. Tu as rempli ta mission selon les règles du parfait matelot ! À présent, tu es libre !
Alors les trois militaires se mirent au g’ard’à’vous. Un GI qui portait un clairon entonna la : « Marche des brigades sauvages de l’Ouest »… qui précipita tous les moines armés d’un râteau dans la cour pour faire face aux agresseurs…
Josef eut un geste de la main pour leur signifier que ce rituel était normal chez les descendants de West-Point…
Ils refluèrent, inquiets, sur le qui-vive, l’arme ratisseuse à la main et tous se réfugièrent dans des guérites et casemates… ils surveillaient.
La sonnerie de clairon cessa… elle fut suivit d’un son de la cloche… la troisième celle des tocsins qui ouvrait l’œil du torii.
… nous ne pouvons rester plus longtemps… déclara l’émissaire qui devait, selon les normes de son galon, oraliser une prose choisie, car le devoir nous appelle… Cependant, afin d’entériner cette fin du contrat, il serait utile, nécessaire et obligatoire que le GI Josef vînt au quartier pour la traditionnelle visite médicale, la signature des palimpsestes et le pot Cocahola d’adieu qui aura lieu demain en fin de journée !
Josef méditait…
Il en avait l’habitude à présent. Il cherchait à comprendre le sens caché de sa dernière illumination, mais il ne trouvait pas.
… tout a une fin ! dit le clairon.
… voilà le sens que je cherchais…
Le musicien venait de donner la clé illuminatoire de la partition, cette marche à trois dièses qu’il venait de jouer haut et fort.
… comment vais-je m’y rendre ?
… nous viendrons vous chercher, si Votre Sainteté le veut bien…
… pas d’emphase rectifia l’envoyé en chef des forces universelles étasuniennes en voyant les deux troufions déjà en train de canoniser le Josef et de lui faire de l’ombre avec ce nouveau titre…
… bien, à quelle heure ?
… disons le matin… après le casse-croûte, les ablutions, les dévotions et le ratissage…
Akio intervint :
… un impétrant Prophète ne peut se passer de ratisser…
On consulta le sensei qui ne l’entendait pas de cette oreille, mais de l’autre
… un moine se doit d’accomplir sa voie de pénitence… pour une dérogation, il proposa que les bidasses ici présents prennent un râteau avant de partir pour revirginiser le lieu que leurs piétinements avaient ulcéré…
… je serai libre à 9 heures… !
Tous se levèrent ; une armée de moines-râteau vint apporter un outil à chaque GI.
Il fallut expliquer brièvement comment bien le maîtriser – ce qui rendit les cantonniers… moins niais…
Quelques minutes plus tard, en ordre, les représentants de la garde universelle de l’US-Land franchissaient le seuil du torii, le menton fier, la colonne droite, heureux d’avoir commis le geste de virginiser les sols conquis.
Mais…
car il ne faut pas l’oublier…
Josef, assis sous le sycomore redevenu chêne, était sous le coup de sa soixante et onzième illumination – cette phase où l’insecte, sous la puissance des forces de la génétique de sa condition, brise le cocon de sa chrysalide…
Akio, tel l’entomologiste, suivait en live cette métamorphose que les textes avaient annoncée, mais qui se dérobait toujours à l’œil de l’homme.
… je vais devoir quitter ça ! dit Josef.
… tu n’es pas encore sevré ! dit Akio.
… c’est vrai ! J’ai encore des restes du clairon dans mes synapses, ils naissent d’une conscience non encore pacifiée. Tu as bien fait de m’en révéler l’existence. Je vais m’efforcer d’éradiquer ce reliquat de fossilisation ancienne qui encombre encore mes plis.
Alors, il se leva il prit un râteau – symbole de la pénitence – et seul, au milieu des touristes, visiteurs, péquins et autres étrangers, il déambula derrière chaque passant pour effacer les traces de ces envahisseurs. Le sensei fut alerté par quelques pèlerins venus se recueillir, ils se trouvèrent soudain suivis par ce moine-râteau allogène qui voulait effacer chaque pas laissé dans le gravier. Mais Josef ne se contentait pas d’effacer : il maugréait des remarques sur l’art de poser les pieds sur le sol afin de ne pas le traumatiser, ce qui faisait fuir les touristes en mal d’illumination.
Le sensei devait trouver une solution pour ne pas compromettre les finances du temple, c’est-à-dire la recette du jour versée par les visiteurs.
Il vint rejoindre le matelot qui cabotait ou plutôt qui cabotinait au milieu du peuple…
Doucement. (Il ne faut pas brusquer un futur prophète, car souvent la remarque provoque des végétations qui nuisent à la parole… si, si !)
Il trottina un instant à côté de lui…
… c’est bien, mon brave ! lui dit-il.
… j’en suis heureux chef… répondit Josef.
… qu’accomplissez-vous par ce geste ?
… je purifie !
… à quel niveau hiérarchique placez-vous la purification ?
… je n’avais pas envisagé cette problématique… mais puisque la question est posée : au sommet !
… certes…
… c’est vous qui le dites, ô sensei
… vous avez beaucoup donné… ici. Il serait temps que vous alliez donner… ailleurs !
… oh, sensei, vous savez ?
… je sais…
… que disent les oracles ?
le sensei semblait perturbé.
Josef cessa de ratisser, puis le regarda…
… que se passe-t-il ?… Vous savez ?
… des messages dans mes méditations m’assaillent… ils venaient de votre terre où vous vîtes le jour…
… des voix ?…
… il y en a…
… les Tortues blondes, n’est-ce pas… (ceci fut dit à voix très basse NDLR)
… elles vous réclament !
… oui, mais… clama Josef en regardant le sol à virginiser et le ciel qui l’attendait…
… je vous fais grâce de cette queue de pénitence… vade in pace
gratias tibi tam sensei
Alors Josef rendit son râteau au sensei qui ratisse encore…
Ce fut la libération du jour…
Il fallut faire les malles du mâle, il s’y plia sans mal.
Le carré qui avait abrité Akio et Josef devint sacré.
Depuis, cet espace est devenu un musée. Une plaque commémorative en lettres de feux a été apposée sur le mur de ce lieu nu, peint à la chaux vive, là vécut le Révérend et son aide-de-camp…
Le nouveau sensei y trouva son compte, car le chiffre d’affaires du temple tripla. Souvent même, le temple était déserté au profit de cette modeste chambre. Là, tout visiteur pouvait acheter un râteau – symbole de l’illumination.
On trouvait des râteaux porte-clés ou brodés sur des fanions des maillots des couvre-chefs, des pin’s-badges que l’on pouvait épingler au revers d’un veston et même un râteau aux griffes de bambou étoilé emmanché d’un long cou de noisetier du Japon. Puis lorsqu’on n’eut plus de noisetier ni de bambou, le style plastique made in China devint un grand succès.
Et l’on était ému de voir le peuple béat repartir avec son outil de virginisation extrême…
Car enfin, cette cellule n’offrait aucun conforts qu’on trouve outre-Atlantique : ici, quatre murs, deux canisses sur une planche, deux malles, deux lumignons produisant quelques lumens… c’est tout…
Voilà justement ce qu’expliquait le guide à un groupe de milliardaires de la côte ouest des US qui venaient de faire escale après être descendus d’un jet privé de six cents places. Ce cadre dépouillé fut le « must déclencheur » qui déclencha le troisième œil de la conscience de ces heureux anachorètes voyageurs…
« Observez le blanc des murs… Ici, le clou du spectacle, qui fut utilisé par l’ermite pour suspendre ses reliques… »
Et tous se précipitèrent sur la photo, qui, souvenez-vous, était l’image en quadrichromie défraichie qui immortalisait l’écorce de l’arbre – le fameux pruche sur lequel l’égérie Franziska s’était adossée – une sorte d’ex-voto d’à peine quelques yens.
Une construction annexe avait été dressée à quelques mètres pour recueillir les oboles, après les paraboles, en échange de souvenirs dans un grand bol. Ici vivaient donc les « marchands du temple » que les touristes connaissent bien. Ils trouvaient les mêmes à chaque escale, avec leur sabir universel étasunien.
« Vous pouvez aussi suivre ce sentier… il conduit au temple… ! »
Le peuple avait vu l’essentiel : l’ermitage de l’idole. Songez donc, un GI matelot des cadets de West-Point qui s’était retiré du monde et de ses œuvres pendant des jours, des nuits, matin et soir, dans un dénuement total…
« Pour ratisser ! » soupira un touriste ébloui…
Ce soupir en disait long…
Et tous de se creuser la tête devant cette énigme. Alors qu’il était le number one des polyglottes, voilà qu’il venait se perdre ici sans un sou, en bouffant des légumes…
… un marxiste ! souffla un autre.
ça bouffe des légumes les marxistes ?
… la Russie… c’est loin… comment qu’ils faisaient pour livrer…
Et comme ils ne pouvaient répondre, ils remontèrent dans le bus transcontinental air conditionné à sièges basculant pour la sieste, car le guide avait l’œil sur le chronographe suisse. On venait de dépasser de quatre minutes le temps imparti : soit soixante-sept minutes au total entre l’hôtel, la visite, les achats et le départ…
« Le lendemain… » dit le manu-script.
Mais là, il faut se rendre à l’évidence, un paperolle manquait à l’appel. Akio ajouta bien plus tard un document apocryphe qui tentait de décrire les tourments de la nuit… les humeurs du matin… le départ… ce que d’ailleurs… plus tard… bien plus tard certains exégètes découvrirent…
« En réalité, Josef était bouleversé par des ennuis aux gros et petit côlons…
“Nous caracolions de guingois, ben, mon colon !” jurai-je…
Alors je souffris par compassion pour le souffrant… »
Voilà pourquoi : soit par décence, soit par absence, soit par aisance, le paperolle manquait.
Et puis, avouons-le franchement, doit-on emmargailler[1] le lecteur avec les intestins d’un prophète ? Ça n’a aucun intérêt…
Alors vint l’heure dite… le moment où concomitèrent plusieurs signes. Les moines ratisseurs venaient de terminer leur pénitence, ils posaient l’outil illuminatoire. La cloche numéro 29 sonna, le torii s’ouvrit, le command-car s’arrêta, le GI vira la clé de contact et Josef sortit aisément pour la huitième fois des lieux…
Alors…

Les moines agitèrent des petits drapeaux…
Alignés sur le pas-de-porte du dojo, avec la perspective de l’allée en face d’eux, ils assistèrent au départ. Devant eux s’illustrait la fuite du temps.
Le sensei avait conservé son râteau – qui est le pouvoir symbolique de l’éveil de la pensée cosmique… d’un chef.
La transhumance commença au moment où le moine et son acolyte foulèrent les graviers qui crissaient d’émotion…
Selon l’habitude, ils ne se retournèrent pas pendant les huit cents mètres que comptait la perspective…
Ils franchirent le torii
Et ce fut tout…
Les matelots de l’US-Land ouvrirent les portes du command-car et offrirent les sièges arrière pour qu’ils puissent poser leur séants.
Le véhicule quitta l’espace dans un grand froissement de pneus qui laissèrent de nombreux stigmates sur le sol. Ils restèrent longtemps pour marquer le passage du sage, car les moines-râteaux n’avaient pas accès à l’extérieur.
Le retour fut empreint d’une grande émotion, il fut interrompu quatre fois, qui permirent à Josef d’éliminer encore quelques scories de son passage dans le temple – quatre escales qui pourraient devenir un nouveau chemin de pèlerinage si l’office du tourisme l’entendait ainsi…
C’est ainsi que l’on devient prophète : un long cheminement, un processus complexe, parfois troublé par des embarras gastriques…
« C’est dur de devenir prophète ? » demanda le chauffeur.
Mais son voisin lui ordonna le silence que requérait la situation.
Enfin, après avoir traversé les espaces conquis vassalisés, le véhicule se présenta devant le porche universel que barrait le long sésame d’un madrier de métal…
Devait-on négocier ?
Un émissaire vint s’enquérir du pourquoi, du comment, de qui venait ainsi troubler la quiétude du lieu…
Une fois renseigné, le factotum, tout penaud, jura mais un peu tard que l’on ne l’y reprendrait plus.
Et le portail s’ouvrit…
Le véhicule impérial décrivit une longue ellipse qui se referma sur elle-même en forme de cercle, ce qui permit aux occupants d’admirer sur toutes ses facettes le mât érigé en haut duquel flottait le célèbre Stars and Strippes qui remuait les tripes du moindre quidam US. À preuve, Josef était soudain remué par son côlon – ce qui est tout à fait logique dans une enceinte militaire.
Le véhicule stoppa devant la cantine qu’ici on nomme cafétéria. Comme une flèche, Josef sauta d’un seul élan la volée d’escaliers et franchit les portes avec aisance pour atteindre le ravissement aux W.-C.
Les cuisiniers se précipitèrent sur les congélateurs. On sortit les célèbres Frankfurter Wurst et les bouteilles de curry-ketchup qui attendaient le retour du matelot.
Mais voilà, le GI était passé par la case des ermites, son alimentation devait en être chamboulée…
Sauf que pour l’heure ce n’était pas le sujet…
Enfin libéré, après tant d’heures assis à être cahoté sur les routes des sentiers vassalisés, Josef sentit sa tripe libre parce que libérée.
Il reprit le chemin du command-car qui l’attendait portes ouvertes…
Enfin, ils parvinrent devant le bunker…
La porte… mais avant, on put se rendre compte que le toit s’était hérissé d’antennes de boîtes à malice et de paraboles moins prophétiques que métalliques…
Les grandes oreilles croissaient en verrues exponentielles. Le bunker ressemblait à présent à un gros porc-épic assoupi hérissé de terminaisons…
La porte… mais après, on entra dans un espace vide de factotum…
L’ermite et son aide de camp furent accueillis par un sbire clinquant qui leur intima l’ordre de le suivre…
Et on revint dans la salle des pleurs, des douleurs et des lamentations…
Pourquoi ?
L’huis s’ouvrit lorsque l’huissier inséra son badge. Tant de modifications intriguaient les observateurs.
Mais, à l’intérieur, toujours la même table, derrière laquelle une douzaine de treize costumes parfaitement amidonnés attendaient.
Une voix suggéra :
« Entrez et posez vos fesses sur ces sièges ! »
Ce qu’ils firent…
Il n’y avait que deux tabourets sans dossier, afin de forcer l’assis à rester vigilant sur sa position…
« On ne pose pas les coudes sur la table !
– Seulement les mains ! »
Devant eux donc… les douze… divisés en deux par un treizième… au centre…
Et derrière eux, la porte se referma…
Devant eux donc…
Derrière eux, la porte se rouvrit…
Devant eux alors, les douze se détendirent, car un petit chariot, dont une roulette gémissait à chaque tour de roue, apportait à chacun un plateau odorant, avec le McDo, le gobelet, la fiole universelle contenant l’élixir de vie cocalien et le carré d’étoffe de synthèse utile pour essuyer les scories qui surgiraient des dégâts collatéraux…
Les deux ermites ne reçurent qu’un gobelet chacun et une bouteille d’eau pour deux… soit les douze étaient radins… soit il vénéraient ces ascètes…
Le chariot repartit… en roulette mezzo vibration…
Et derrière eux, la porte se referma…
La cène était intéressante… Les douze qui en fait, vous l’aviez compris étaient treize rompirent le silence…
Le pain aussi…
Plus tard…
Derrière eux, la porte se rouvrit…
Ils rompirent donc le mutisme par une mastication différenciée, car tous redoutaient les bougnettes[2].
C’est donc cela ! pensa Josef.
Mais il ne dit mot, se contentant de siroter son gobelet en plastique. Akio, lui… vida l’eau d’un trait… de plume.
« Je vous ai réunis, dit le grand prêchant, car l’heure est grave.
En ce moment… Casque d’or règne ! »
Grands mouvements chez les douze-treize sans un son…
« Il règne… Mais curieusement, il arrive au moment où vous quittez votre bunker… Ce fut notre grande interrogation…
« Comment est-ce possible ?
« Depuis… nous constatons entre autre que les forces russes ne sont pas loin, avant, pendant et après cette élection. N’est-ce point étrange que les forces russes se fussent autant intéressées à Casque d’or… Pourquoi ? »
Le débat… l’âge du… capitaine… la pointure des pompes…
« Ne détournez pas le propos ! »
Ils n’avaient encore rien dit…
Et derrière eux, la porte s’ouvrit…
Un second chariot dont les deux roulettes avant couinaient à chaque tour de roue vint se porter à la hauteur du censeur déversa sur son côté gauche une pile de documents, puis se retira. Alors, on put remarquer que les roulettes ne gringraillaient[3] plus – sans doute, le poids de l’accusation était-il trop important pour ces modestes axes…
La porte derrière eux se cadenassa alors.
« Je lis vos états de service, Josef Schmitt, de Pittsburgh…
Comment se fait-il que, fils d’un Germain et d’une Indienne Algonquin, vous vous passionnâtes pour la langue qui n’utilise que l’alphabet cyrillique ? Langue que vous parlâtes dès votre entrée à l’école de Hissa Luna…
Elle nous a tout raconté… la traitresse…
« Hissa Luna ? interrogea Akio.
« Eh oui… rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, selon le dit d’un sage californien…
« Cette citation est d’un chimiste François ! précisa Akio qui intervint pour la seconde fois.
«  Po ! po ! po ! po ! onomatopa un participant qui voulait placer son mot.
« Question : comment devîntes-vous expert en langue moscovite… si vite ? N’y avait-il point derrière cette dévorante passion une non moins dévorante volonté d’introduire le loup dans la bergerie ?
Je vous le demande ?
« Il le demande… ! glissa Akio à Josef qui restait mutiquement muet.
« Nous pensons que depuis plus de trente ans, se prépare ce complot. Casque d’or n’a été élu que parce qu’un vaste réseau a pu se construire pour qu’éclose son apparition…
Ah, vous vous taisez !
« Qui ne dit mot…
« Mais que dire de cette Franziska ? Cette espionne que nous espionnons depuis son arrivée sur les territoires de la Bannière universelle et pour laquelle vous livrâtes des textes, des discours, des thèses, des libelles et des prédications qui allaient dans le sens du pourrissement. Pourquoi cette soudaine recrudescence des ours dans les Rocheuses si l’invasion n’avait pas été programmée de longue date ? Ils gangrènent notre civilisation. Et même les Indiens qui furent la semence de votre sang ne boivent plus de bourbon pour se gaver de vodka.
Elle nous a tout raconté. Nous savons vos liens avec elle, des liens avec les décideurs de là-bas qui ourdirent la chute de notre égérie-candidate, dont la pureté n’a d’égal que la lessive double action. Nous avons tous vos textes…
Vous fûtes un Mitfresser[4], qui se cacha en son sein…
Pendant des années, nous crûmes en votre honnêteté, votre attachement à la Bannière, à votre conversion au grand concept qu’érigea cette nation, le Mc-Co-muf, derrière laquelle vous vous cachâtes.
Mais le pire, ce fut votre comportement… »
Les treize à la douzaine serraient les rangs et les fesses, car le dénouement était proche.
« Vous fûtes d’une perversité odieuse avec notre frère d’armes en vous transformant en agneau à peine sachant bêler, lui qui vous fit suivre toutes les étapes de l’intronisation afin de vous placer à la tête du plus grand service d’espionnage du monde…
Or, vous étiez un agent double…
On le sait à présent !
Que répondez-vous ?… »
Josef se taisait… toujours…
« Messieurs… nobles gentilés… intervint Akio… permettez-moi de prendre la parole en son nom. Cet homme n’a plus toute sa tête à lui. Vous le voyez muet, car sa position ne lui permet pas d’être ouvert au monde. Tous ses sphincters sont clos…
« Qu’est-ce à dire ?… formula doctement le grand prêtre.
« Mon côlon… gémit Josef.
« Je suis général, oh Josef Schmitt… vous déraillez…
« Oui, mais il a besoin de votre autorisation pour clarifier son encéphale…
« Je la lui accorde… »
Et le grand sanhédrin annonça cérémonieusement :
« Pause pipi pour tous… »
Ce fut un grand soulagement… au propre et au figuré…
Josef redevint combatif…
La porte se referma derrière eux…
Mais il manquait quelques experts…
La porte s’ouvrit alors à nouveau derrière eux.
« Qu’avez-vous à dire, matelot ?
« Ben, ça va mieux…
« Curieuse réponse…
« Nous allons vous soumettre à la question. Notre témoin digne de confiance apportera à ma question une réponse qui permettra de révéler si vous êtes de bonne foi ou si votre foie est encore défaillant…
Des voix auraient souligné qu’elles vous auraient vu dans les faubourgs des steppes où vivait cet homme… ici devant vous… le général Barnaby Parker.
« Votre Honneur… je n’ai pas présent à l’esprit ce fait… bien que je fusse – et cela est vrai – étudiant dans l’une de nos universités de Pennsylvanie…
« Barnaby Parker poursuit… plus tard, l’avez-vous conseillé dans la voie universelle des Bannières étoilées afin que son origine immigrée mutât vers les concepts Mc-Co-muf ?…
« Votre Seigneurie… j’ai conseillé comme mon ordre me le commandait, mais à des dizaines de milliers de parents qui voulaient conduire leurs enfants vers la lumière de la Bannière étoilée. Mais des langues bifides semblent vouloir oublier… peut-être jouent-elles un double jeu…
Barnaby Parker, ici, dans cette île pacifiée par nos soins, perdue au milieu du Pacifique, avez-vous, en votre âme et conscience, eu le sentiment que cet homme aurait pu construire à votre insu un réseau qui aurait permis cette évolution… une invasion russe dans nos contrées ?…
« Votre Sainteté… j’ai tenté d’y voir clair… Votre Grandeur, observez comment je fus fracassé, hospitalisé, brisé par cette recherche. Peut-on m’accabler pour cette quête ? Alors, moi, dans ma grande compassion, je ne veux pas charger cet homme qui pourrait se repentir… s’il le voulait… et faire amende honorable…
« En clair, vous connaissez à peine cet homme…
« C’est c’la, à peine ! »
Les treize à la douzaine retenaient leurs sanglots longs des violons de l’automne…

Au loin, on entendit un coq cocoriquer… une fois…
« Qu’avez-vous à répondre, Josef Schmitt ?
« Mais, dit Akio qui avait de la suite dans les idées, le GI a terminé son contrat…
« Et alors ?…
« Alors il n’est plus soumis à l’obligation militaire…
« Et alors ?…
« Et alors il n’est soumis qu’aux affres de son côlon…

Au loin, on entendit le même coq cocoriquer… une seconde fois…
« Ce qui est pire !
« Que faire ?

Au loin, on entendit le coq cocoriquer… derechef, une troisième fois…
« Faire ce qui est prévu au contrat : il rend son paquetage et passe sa visite médicale.
Barnaby lui a même donné sa bénédiction en toute ignorance, mais, messieurs, il reste maintenant la vôtre. Car n’oubliez point : cet homme est prophète. Ne l’avez-vous point baptisé « Révérend » ? Est-ce que la Bannière va donc se déjuger sur ce point ? Voyons, des cadets de West-Point commettraient-ils cette hérésie ?
L’Histoire avec un grand H, messieurs, vous jugera…
Je vous rappelle que cet homme fut autorisé par vous-mêmes ici présents à suivre sa voie dans un ermitage, un temple, une retraite, après avoir eu la révélation par les Tortues blondes de l’avènement de Casque d’or.  Depuis un an, il vit retiré du monde. Comment aurait-il pu fomenter un complot ?
D’ailleurs, si Barnaby ne peut rien prouver, c’est que les preuves n’existent pas ! »
Certes, certes, car tous craignaient l’Histoire… cette prosopopée !
Après une longue délibération, on constata que les charges laissaient les plateaux du trébuchet parfaitement horizontaux – c’est donc qu’il n’y avait aucun poids…
Derrière eux, la porte s’ouvrit aussitôt.
Le groupe d’experts quitta la salle des pleurs et des gémissements sans un mot ni un regard pour les deux civils… Le divorce par consentement unilatéral était consommé.
Les douze-treize ne connurent ni ne reconnurent plus jamais les deux quidams… Certes, ils s’étaient côtoyés mais chacun dans son camp. Nul n’avait fricoté, louvoyé, comploté…
Alors la complicité… ah ! ah !… ça me fait rire…
… tu vois Akio, comment Barnaby a obtenu son étoile… en me livrant au sanhédrin pour quelques thalers…
… quand l’histoire se répète, ça devient une farce… a dit le Kerl… résuma Akio.
Sauf que Josef ne voulait pas que sa bibliothèque restât dans le bunker.
Alors que nos deux anachorètes étaient attablés à la cafétéria devant un bol de chocolat chaud et que Josef était redevenu civil, après avoir revêtu son vieux jean denim, sa petite laine en coton et ses pompes de circonstance, une estafette lui apporta un message écrit sur lequel était dit :
« Ordre de la Bannière : mettre sous scellés le carré, y compris les tintinnabules. Motif : espionnage ! »
C’est donc avec son sac à dos qui ne contenait que quelques anodines bricoles, dont son manu-script, que Josef Schmitt quitta l’enceinte, le cœur léger.
Les cuisiniers pleuraient à chaudes larmes devant les curry-wurst restés intacts offerts sur un plateau. Cette rupture marquait une césure dans l’art de vivre de Josef…
Du curry-wurst, plus jamais !
Akio ouvrait la route.
Ils prirent un taxi qui les amena au célèbre restaurant que le lecteur va identifier immédiatement, car c’est ici que l’éveillé apostropha les occupants d’une table où était assise une femme qui avait perdu ses bijoux.
Elle les cherchait encore… peut-être…
Là, un léger mâchon les attendait…
Puis ils prirent la direction de l’hôtel aux lanternes mouchées qui accueillaient toutes les passions… on a dit : toutes…
« Il faut le soigner… » s’inquiéta Akio en s’adressant à la tenancière.
Elle le regarda, pensive…
« Il ne maîtrise plus son côlon. Vous comprenez, ce n’est pas très confortable suivant la position que l’on adopte… »
Elle ouvrit un vieux tabernacle et en sortit une fiole…
« Tu lui donneras trois gouttes de báijiŭ[5]… type 白酒.
Et tu verras… »
Il vit la vigueur érectile. Celle-ci était si vigoureuse qu’il fallut cacher cette situation : le gland avait retrouvé la liberté d’action, il venait de transformer le pauvre Révérend en triomphant Priape – car vous savez, gentilés, que le priapisme consiste à bander indépendamment de toute libido. On les exila dans une aile de la cambuse…
Enfin, Josef se détendit, sauf son… gland.
Akio sortit son manu-script… et Josef expliqua…
« Tu as vu, Akio, comme ces gens sont veules et lâches. Par trois fois, Barnaby a nié. Mais nous avons également appris que Hissa Luna était aussi complice. Souviens-toi comme Barnaby la pelotait lors de mon anniversaire. Enfin, Franziska double jeu. Tu parles… j’en sais long sur son manège avec Barnaby. Je vais te conter cela !
Mais avant, je vais te faire voir quelque chose…
Il sortit le bout de papier que les treize à la douzaine lui avaient adressé :
« Ordre de la Bannière : mettre sous scellés le carré, y compris les tintinnabules de Josef. Motif : espionnage !”
« Les pauvres pommes !
Regarde !
Et le métamorphosé sortit de son sac à dos soixante-treize disques durs en électrons libres de stockage de données qu’il étala sur le lit…
« Ils ont gardé ma bibliothèque, mais moi, j’ai la mémoire de l’US-Land depuis l’assassinat d’Abraham. Tu ne sais pas et Barnaby non plus, mais tu vas savoir, je sais tout. J’ai scanné tous les textes depuis l’aube… autant que ceux de Saint Cyrille… je les confronterai ces affreux…
« Il y en a combien ?
« Des millions…
« Ah !
« Le dernier, il s’appelle Donald… il copulait avec Franziska… je sais tout… elle voulait me corrompre… pour que je me taise…
Un long silence suivit cette sortie…
« Akio, nous rentrons…
« Mais…
« Tu rentres aussi… tu vas vivre en « live » mon projet lorsque je serai à Pittsburgh.
« Mais…
« Avec moi… tu viens !
« Mais…
« Je sais, mais un aide-de-camp suit le boss qui déménage de camp, sinon à quoi servirait-il ?
« C’est juste, mais je n’ai pas les moyens de faire cette transhumance, et je dois résilier mon contrat de location…
« Laisse tes filets et suis-moi…
On ne résiste pas à un prophète !

« Mais, dit soudain l’inspiré, il me faudrait résoudre cette… tension… cette crampe… au…
« Il suffit de la tirer…
« Tirer une crampe… bonne idée !
Et le très grand claqua des mains. Le contenu de la fiole ajouté au báijiŭ avait opéré sur son corps un charme nouveau…
Deux sublimes donzelles vinrent dans un grand nuage de brillantine parfumée…
« Enfin, nous allons voir vos chastes visages…
« Tu te souviens, Akio, à quel point nous fûmes des goujats de n’avoir eu aucun souvenir de vos expressifs minois ?…
« Ce n’étaient point nous, grand seigneur…
« Si ce n’est toi, c’est donc ta sœur…
« Qu’avaient-elles offert ?…
« Ben… la même chose que toi…
« C’est beaucoup dire… mais encore ?…
Elles tendirent le menu…
« Ah, c’est vrai ! dis-je. Voyons… Moi, je prendrais bien…
« Moi… je prends toute la carte…
« Toute la carte, seigneur ! dit la première courtisane.
« Quel homme ! dit la seconde.
« C’est un prophète ! révéla Akio
« Un honneur que d’être honorées par la chair d’un GSPR : (grand sage prophète révérend NDLR)… Nous n’en pouvons plus de jouissance…
C’est ce qu’ils firent !
Laissons là ces ébats bien utiles pour ces jeunes pousses et reprenons le cours de notre récit que le scribe de service harassé s’efforce de conduire à son terme.
Jusque-là, nous venons de vivre un beau récit, mais il n’est point achevé. Pendant que ces messieurs calment leurs impatiences, voyons la suite.
Après avoir tiré leur crampe, ils préparèrent leur départ vers l’aéroport. Là, ils prirent un aéronef qui faisait la liaison de cette province Japanese en cours de pacification sur l’espace Pacifique : direction espace Étasunien… centre du pouvoir universel. Il suffisait seulement de franchir l’étendue liquide déjà colonisée où voguaient des bateaux, des porte-avions, des porte-canons et des porte-matelots – une flottille étasunienne que l’on pouvait voir très facilement des hublots…
Pendant le voyage, Josef acheva sa mutation. Il livra au seul Akio les derniers soupirs métamorphiques de l’insecte naissant avant de prendre son vol…
Eh ben !… si tant vous sied d’en savoir un peu plus… lisez donc la suite !

                                                     Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

[1]Emmargailler : antique expression antédiluvienne intraduisible qui se traduit d’elle-même…
[2]Bougnettes : la traduction se déduit d’elle-même. Faire des bougnettes sur son beau costume n’est pas conseillé lors d’un débat sur la réalité cosmique des révélations émises par les Tortues Blondes… ça fait tache…
[3]. Traduction inutile, il suffit d’en déduire l’onomatopée.
[4]. De mit : « avec » et Fresser, qui vient de fressen, « bouffer » en germain. Littéralement : « parasite »…
[5]. Alcool blanc… made in China.

… éveil de la chair avant sanctification…

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30… éveil de la chair… mais Barnaby rode…   

 Où il s’avère que les renseignements du cavalier monté sur l’appaloosa sont justes et pertinents… Les mises en garde se vérifient dans la chair même de Josef. Que dit Akio le fidèle aide-de-camp qui assiste à l’éclosion antéro-postérieure du sage Jérémie ?
… je sais, Josef, c’est dur, mais c’est la voie ! Tu te repentiras plus tard pour tes péchés. Accouche donc !
L’injonction était de nature ésotérique autant qu’érotérique…
… c’est pas au dico…
… je pensais à marotique…
… ça rime ?
… c’est ça ! de marotte…
Alors un narrateur reprit du service. Il poursuivit la rédaction du palimpseste… Akio était en congé…
Saluons, ici, l’abnégation des scribes sans nom qui prirent la relève. Jérémie avait connu, lui aussi nombre de quidams qui œuvrèrent pour son livre aux oracles rassemblés.
Ces anonymes reposent quelque part dans les mausolées de l’histoire de la littérature comme tant d’autres nègres inconnus…
… on ne dit plus nègres, on dit « sous-traitant » ou bien « prête-plume » Oracle de HYWH !…
Josef jeûnait, se mortifiait, s’imposait des contraintes de tous ordres, physique, chimique, biblique. Bref, il tentait de muter, sauf que la chair refusait parfois les ordonnances.
Il eut fallu une bonne b…
… où tu veux, j’irai… baiser !
… ben…
… tu voulais biaiser… ou bais…
… j’endurerai toutes les souffrances…
Et un soir, à l’heure où les coqs se couchent, libérant les chiens qui gardent pendant que les sangliers maraudent, deux ombres sautèrent dans un taxi. La nuit nous empêche de distinguer ces « Hombres »
Où allaient-ils ?
Biaiser, que diable !… une fois n’est pas coutume.
A-t-on ici un élément dans les livres qui puisse laisser à penser que les prophètes ne furent pas tentés par la chair ?
Je vous le demande… ma Chère !
Allons, soyez magnanimes et honnêtes avec vous-mêmes. Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre…
… dans un taxi, c’est difficile il n’y a pas de cailloux… avoua celui qui accompagnait l’autre en regardant la moquette à la recherche du rocher sacrificiel…
La course révélait une certaine pulsion de la part des occupants, ils avaient revêtu leurs masques les plus neutres afin de franchir les dédales des chausse-trappes qui jalonnaient le parcours…
Tous feux éteints, le véhicule fit halte devant une enseigne sans lumière. Les apparences du réel toquèrent à la porte qui s’ouvrit à hauteur des yeux une sorte de judas grillagé qui encadrait un regard masqué…
Le spectre en attente sur le seuil délivra un mot de passe, le lumignon de l’alcôve s’éteignit. L’huis s’entrouvrit sur une noire béance, les deux ombres glissèrent sans bruit dans la chaude matrice.
Des fragrances assaillirent les deux « hombres »…
On se souvenait d’eux !
Ah ! Ah !
Le décorum ouaté était à la hauteur du besoin de leur future mutation. Ils suivirent le guide vers un espace où bruissaient des tintements, des froissements d’ailes, des frous-frous d’étoffes suaves. Des mains libérèrent chaque arrivant de ses défroques profanes pour le nimber d’un linge souple et vierge. Puis elles les dirigèrent vers une étuve où montait une vapeur dilatatoire…
Le voile tomba. Le corps dénudé fut immergé dans une chaude empreinte en water-amniotique. Alors les chairs s’apaisèrent temporairement dans le flux aromatisé.
Les deux corps clapotaient dans le bain chaud…
Ils n’étaient point seuls…
Autour d’eux, on papotait, assis sur le bord du bassin ou perdu dans un rêve adultérin peuplé en queue et tête !
Le barbotage n’était que prolégomènes naturels vers l’étape suivante. Ils furent invités à se placer entre des mains agiles, qui à grande eau bouillante inondèrent des tables sur lesquelles, nus et crus, ils s’allongèrent sur le dos, tous grelots offerts à la sagacité technique des malaxeurs de chair.
L’athlète nippon avait ceint ses hanches d’une braille qui ne masquait que ses pendentifs, torse et jambes nus, il entreprit de récurer le corps du gisant, telles les deux faces d’une crêpe, selon une progression académique, de bas en haut – « étriller » – serait plus juste. Chaque angle, chaque pli, chaque jointure, chaque pliure, chaque muscle, chaque anfractuosité, chaque concavité fut passée en revue. L’athlète écarta les deux segments que d’aucuns nomment jambes qui libérèrent les bijoux de famille. Le trinôme fut délicatement soulevée afin d’en analyser ses dessous. Puis lorsque l’exploration fut terminée, le délicat préparateur physique reposa sur son aire, la triade dûment étrillée et apte à se trémousser ailleurs selon son humeur.
Pour finir, il jeta un grand seau d’eau plus que chaud pour libérer l’être redevenu.
Les ombres fumantes pouvaient alors se jeter sous une fontaine d’eau glacée… entrer dans une pièce aux pierres brûlantes pour éliminer quelques toxines… et rejoindre un guichet qui offrait une serviette-éponge ajoutée d’un kimono présentés dans une enveloppe transparente cachetée, totalement stérile…
On franchit un espace entre étuve et séductions. Là, ils se vêtirent et, plus blancs que la virginité vierge, ils pénétrèrent dans un grand salon où s’alignaient une trentaine de couches. Certaines étaient déjà occupées…
Ce fut l’étape d’un autre massage… après l’eau, direction les onguents…
Ils consultèrent le menu, qui proposait des massages des pieds, du dos, de face, de profil – bref, toutes les surfaces du corps étaient tarifées…
Ils optèrent pour la séance des pieds, qui dura quasiment une heure…
L’office était assuré par des donzelles en tenue vaporeuses
On fut hors-sol…

Ils planèrent… le temps d’une plombe.
La nuit était largement avancée. On franchit l’heure du rat allègrement pour entrer dans l’heure du bœuf – ce qui réveilla le taureau en rut qui était en eux.
Ils attendaient l’apothéose avec impatience, car ils n’en pouvaient plus, les pauvres, de se faire triturer, titiller, tâter, mater, masser, bouléguer. Le vit en alerte était désormais d’attaque turgescente…
Et le divin vint…
Juchés sur des semelles de vent après tant de frotti-frotti, ils quittèrent le dortoir qui s’était plongé dans un sommeil collectif pour rejoindre l’alcôve qui leur avait été attribuée…
Là attendait le miel de l’ultime épreuve celle de la « jouissance sans entraves »… lu dans un French canard made in France…
La maquerelle de l’établissement avait procédé au choix des chairs pour leur ravissement…
Ils avançaient dans un nuage d’ivresse qui émoustillait les neurones. Les ondes sonores musicales d’instruments électroniques s’ajoutaient à ce spleen. Un seul membre de leur corps était encore conscient. Ils n’étaient plus qu’un nœud qui cherchait la matrice…
Les corps s’unirent dans une extase quasi biblique – comme dans le premier livre, celui de la Genèse, avant que le Tout-Haut annonce la chute et la honte…
… ça t’ennuie…
… quoi ?
… la honte !
… je te dirai ça plus tard… il faut savoir avant de dire…
… c’est prophétique…
… à chacun son Job…
Laissons ces sybarites zélés à leurs ébats. Songeons que ces pauvres êtres furent privés des délices de la chair durant leurs macérations dans le temple. À présent, ils mettaient les bouchées doubles… hé bé !
Le manu-script d’Akio développe d’ailleurs une pensée fort judicieuse à ce sujet – nommée étape « post-éjaculatoire » une forme de révélation…
« Car, que tu sois moine, dévot, ascète, ermite, chaste ou religieux, comment peuvent-ils comprendre le renoncement des dilatations de la chair s’ils n’en connaissent point les ivresses, hein ? Certes, il n’est pas nécessaire de se rouler dans le fangouïas, selon l’archaïsme des poètes méridionaux qui en connaissent un rayon au sujet de l’ivresse de l’homme. Mais après un bon bain, un étrillage du corps, un massage des terminaisons nerveuses, il est judicieux de faire suivre ces prémices par un massage du gland dûment reluisant, propre et sain…
Sain, il faut souligner ce concept. Ne baiser que dans un environnement sain. Voilà le secret de l’illumination du saint. Il ne faut pas s’en priver, même si certains textes de scrogneugneux vous agitent du contraire. Baisez à couilles rabattues, car c’est la meilleure façon de comprendre le renoncement trimestriel qui suit…
C’est ainsi que le saint ne peut parler que du tempo sain qu’il connaît. Le prophète, bien que sain lui-même, n’est pas encore saint. Il prophétise, tous les méandres malsains de la pensée humaine ne doivent avoir aucun secret pour lui… pour parvenir à la saine pensée…
Au fond conclut Akio : Dans ce dessin, baisser saint dans un physique sain vont insainble… »
Les deux cénobites, les bien nommés, ne connurent qu’un élan, certes, répétitif, mais un élan bien rut qui les conduisit jusqu’à l’heure du lièvre, vers les 6 heures du mat. Après avoir exprimé plusieurs fois généreusement les arpèges de leurs gammes, ils quittèrent ce local que beaucoup pudiquement nomment : « bordel ».
C’était un peu iconoclaste un brin canaille après tant d’illuminations…
C’est en anachorètes devenus, après avoir revêtu leur costume séculier, que les deux ombres reprirent le taxi, dans lequel elles s’effondrèrent en béatitudes…
Une pensée traversa le physique… non l’esprit des voyageurs. Ni l’un ni l’autre ne se souvenaient ni du corps, ni du visage, ni du galbe, ni des cheveux, ni des fragrances de peau, ni même du nom – si elles en avaient un – de la chair d’une nuit. Seule vibrait encore la pensée du membre au souvenir de la chaude matrice…
… la prochaine fois ! proposa l’un…
… parfaire la connaissance ! dit l’autre…
Pour l’instant, l’extase… les inondait…

Josef allait quitter le Japon… il était salué…

Après cette nuit torride, le taxi les déposa devant le torii dont le grand portail était clos.
Ils pénétrèrent dans le lieu saint par la porte de service…
Promptement, mais sûrement, ils troquèrent leur tunique pour le vêtement monastique des travailleurs du matin et arrivèrent au moment même où se rassemblait le collège des moines cantonniers qui allait ratisser l’allée du temple. Chacun empoigna son outil.
Pendant deux heures… soutenus par deux lignes de moines ratisseurs, plongés dans un profond sommeil, selon une réflexe pavlovien… ils avancèrent en ligne pour virginiser l’allée de gravier concassé et accomplir la pénitence du matin…
Le recueillement était total…
Arrivés au bout des huit cents mètres, après récupération, ils s’éveillèrent.
Nuls n’avaient vu Josef, il était resté dans les starting-block de la ligne de départ. Il méditait… deux heures dura cette introspection sur la jouissance qui irradiait toujours le pensant…
Le sensei salua cette illumination qui forçait l’admiration vers l’accomplissement de la dévotion méditative intérieure de moine…
C’est ainsi que la discipline se révèle chaque jour méthodique et identique : la pénitence permet à la lumière de jaillir au centre de l’être… surtout si on l’attend deux heures de rang…
La journée fut vécue comme un grand moment de recueillement… après tant de purification des chairs…
Akio était debout, tel un androïde qui ne pensait qu’à l’heure du chien pour se mettre au lit ; Josef cheminait accroché à son ombre. Lors des psalmodies en position du Lotus, il s’endormit dans le dojo – ce que le sensei salua comme la quintessence du savoir méditatif, tant le visage, aux yeux clos, illuminé de béatitude forçait l’admiration…
Josef ne revivait pas sa nuit… il dormait… simplement… prophétiquement s’entend.
Si l’art de la concentration se confondait avec le sommeil profond et si le sensei l’assurait, alors toutes les hypothèses étaient possibles…
Et Josef les envisagea.
Dans un élan pavlovien, il repartit voguer dans ses années archéologiques à l’université – celles de son éveil.
Là-bas, il avait découvert le karma sous draps
Ce qui permit de rajouter une paperolle au manu-script
« Nous sommes revenus dans notre carré après le frugal repas du soir, révélait le : manu-script d’Akio. Jugez plutôt : un bol de soupe de légumes sans légumes, puis un bol d’indices de légumes bouillis, enfin pour terminer un légume épicé sans légume. Non, pas de boisson, car la soupe remplit déjà cet office. Un claquement d’un long bois de sycomore sur un autre, tel un clap cinématographique, et nous fûmes restaurés…
Avec ce régime, Josef avait perdu tous les kilos qu’il avait stockés au cours de ses stations précédentes dans les cafeterias Mc-truck visitées autour de la planète, il avait troqué une nouvelle taille de kimono…
Il faut le dire : jadis, inconscient, il entrait chaque fois dans le saint cadre étasunien qui ennoblit le vrai boy franchissant la guérite d’enceinte. Il pénétrait dans un vaste espace au centre duquel flottait une bannière. Bien exposé, se situait le centre de restauration qui offrait ses richesses, au monde ébloui qu’envient toutes les nations de la planète – que l’on nomme l’universalité universelle vers quoi tend l’univers : le Mc-Cola-ketchup-muf en prime… (Précisons que la syllabe “muf” dans ce néologisme n’est pas la lettre grecque “μι” évadée d’une formule mathématique. Que nenni ! la racine « Muf » désigne le muffin, qui rassasie le GI au dessert…)
Mais avant de faire ce périple transplanétaire, Josef, vous vous en souvenez, fut un étudiant consciencieux… »
Il n’était pas encore rassasié de savoir…
Il voulait tout connaître, bien que déjà très avancé dans sa dizaine d’années  – car au moment où il franchit les portes de l’université, il jactait déjà par le menu dix-huit langues totalement fluently et une bonne douzaine d’autres très moyennement qu’il se proposait d’améliorer…
Il fut repéré par des admiratrices qui succombèrent au charme de ce garçon d’une rare beauté, né du croisement d’un Germain et d’une Indienne Algonquin…
Vrai… c’était pas banal !
Bien que l’amphi fût peuplé de gentilés de tous les pays, la couleur blanche dominait – la couleur de peau, dois-je souligner, car pour les cheveux, les vêtements, les pompes et autres attributs divers, c’était un kaléidoscope de nuances dignes d’un rayon de Wal-Mart…
Josef fut donc câliné par une folle troupe de groupies autant pour sa belle tignasse indienne blonde de germain que pour son joli derme de Peau-rouge…
Mais si la plupart des adoratrices quémandaient son attention, c’était surtout pour qu’il se penche sur leurs travaux. Sachez que d’affreux professeurs imposaient des dissertations aussi sottes que grenues…
Alors Josef se penchait sur les donzelles qui donnaient à voir d’autres devoirs bien jubilatoires.
C’est ainsi que Josef pondait spontanément, en l’espace d’une petite heure, une douzaine de papiers sur des sujets les plus divers que ces demoiselles lui demandaient de traduire en langue souhaitée parmi les divers idiomes colonisés de cette même Mitteleuropa, qui était le berceau des gènes de notre héros.
Par ce biais, il put approfondir ses connaissances en matière linguistique, car la progression des notes de ces étudiantes le renseignait sur sa propre évolution (il passa ainsi avec succès une dizaine de diplômes de fin d’année) ainsi que dans une autre matière plus… plutôt moins diplômante… où en travaux pratiques charnels, il était excellent… car les donzelles offraient des remerciement jouissifs.
Notre homme découvrit éros avec héroïsme – une sorte de monnaie d’échange, dans le style :
« Je te baille une copie en échange d’un coït »
Il découvrit que la connaissance des langues pouvait lui donner accès à la connaissance des corps, des cul-tures, des chairs, des postures, des techniques, dans toute leur diversité… kama et sous draps… compris…
Mais puiser dans ces ébats peut épuiser le quidam…
Un matin, il se retrouva seul sur son siège alors que chaque aube le voyait entouré de nouvelles créatures…
« Non, cette fois-ci, ç’en est trop… Tu ne pourras pas continuer à ce rythme… j’y mets le holà !
… qui es-tu ?
… ne me reconnais-tu donc point ?
… je travaille beaucoup… tu sais…
… Franziska ! Enfin…
Là, le scribe ne sut jamais s’il fallait ponctuer avec un point d’exclamation ou d’interrogation. Il opta donc pour les points de suspension, qui sont la marque de l’hésitation dubitative…
Là, Josef eut la révélation du fameux « double bind » d’un certain Bateson que l’on peut traduire par « double contrainte ». Le concept était célèbre.
Disséquons-le néanmoins dans notre menu…
Josef se trouvait face à une nana qui prétendait être Franziska (premier bind), mais qu’il ne reconnaissait pas (toujours le même bind) elle était bien carrossée (on est encore dans le bind initial)
Or, en toile de fond, une injonction de Barnaby le taraudait, tel un tintinnabule à clochettes :
« Take care, Josef, tu es au centre d’un complot… « Père, prends garde à droite ; père, prends garde à gauche » gare à la multiplication des pains… et des succubes ! »
( ça … c’était le second bind.)
Double contrainte… grand écart… que faire au milieu ?
Tâter : avaient conclu les dindes…
Là… à la cafétaria… ben… c’est… pas con-fortable…
L’objet de son interrogation était plus qu’agréable à regarder. Mais doit-on se fier à cette impression-là ?
… quel est l’énoncé de ton devoir ? proposa-t-il.
… je n’ai aucun devoir imposé par ces mandarins, seulement celui que je m’impose à moi-même pour te protéger contre toi-même !
Gottfried lui avait appris alors qu’il était encore nouveau-né que toute relation était toujours tarifée, même et surtout les impositions du fisc, selon un leitmotiv devenu rituel :
Wieviel ? combien ?
Et quelqu’un qui vient te dire qu’il te protège gratuitement, c’est suspect !
… mais l’Ancien Testament ?
propaganda, ajoutait-il… il y a un vice kolossaaaaaaaal… Tu dois prendre tes distances avec ces écrits. Verstanden?… il voulait dire : tu as compris… en un seul mot ! Ah, ils sont forts ces germains…
Elle avait de beaux yeux, des lèvres pulpeuses. La concupiscence jouait un grand rôle dans les relations humaines… dit-on.
« Les lèvres du premier étage sont la clé de celles offertes au rez-de-chaussée ! » prophétisait Gottfried et Josef redécouvrait la poésie pratique de son père, que certains nomment « practicum poeticum ».
Ou quelque chose d’approchant…
Franziska, elle aussi, s’approchait.
Josef eut une idée…
Il s’adressa à ses pulpeuses lèvres en russe – ce qui ne désarçonna en rien la demoiselle, qui répondit dans son jargon cyrillien… c’était un bon indice.
Alors suivit un dialogue que nous tenons à restituer en intégralité :
… comment savoir si tu es vraiment celle qui fut la lumière de mes yeux…  il y a tant d’années ?…
Elle : eh bien, vérifie ! en multi-langue… si tu veux!
Lui : c’était dans une cour !
Sie : c’est ça, un espace…
Er : je te vis en face de moi…
 : vis-à-vis…
他: tu étais adossé à l’ombre
Elle suite : sans soleil…
Lui luit : la taulière africaine t’avait pris par la main…
… elle était noire…
… c’était un matin…
… avant midi…
… il y avait un peuple…
… des gens…
… je te vis, plus tard tu quittas ce lieu…
… pour aller ailleurs…
… je te perdis…
… moi aussi…
… mais alors tu sais tout ce que nous avons vécu…
… forcément puisque c’est moi…
… ah, Franziska… je te retrouve enfin !
Ce fut la soixante-septième révélation bis que Josef obtint ce jour-là. Il en oublia Barnaby et ses avertissements oiseux.
Hélas ! car l’icelle n’était pas Franziska mais sa doublure une succube russe qui espionnait sans vergogne… vous vous en doutiez perspicace lecteur…
Le texte authentique révélait une quantité de paperolles enflammées retraçant ce moment…
Dès lors, Josef ne pondit plus d’in-folio pour les donzelles qui se lamentaient en recevant leurs productions caviardées de red pencil sévère – vengeance du correcteur qui se gaussait de tant de nullités.
Sa protectrice veillait à repousser les assauts des séductions ; elle enflammait les foules, car elle prophétisait l’égal, le juste, le partage, voire la spoliation pour ceux qui bavaient des ronds de chapeau et étaient pressés de jouir…
La foule écoutait l’égérie – enfin un commencement de foule. Josef fut le premier témoin du discours de la zélote russe…
Un après-midi, à la fin d’un cours dans un amphi peuplé de quidams, la voilà qui interpelle le mandarin de service dans une envolée lyrique. Elle avait distribué des tracts ronéotypés qu’elle fabriquait dans une cave. Elle s’était inspirée d’un écrivain français qui avait intitulé l’un de ses romans Les Faux-Monnayeurs dans les caves du Vatican ou quelque chose de très proche. Elle tenait son journal de bord comme le célèbre scribe, qui avait noté dans le sien :
« Le mauvais romancier construit ses personnages ; il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les regarde agir ; il les entend parler dès avant que de les connaître, et c’est d’après ce qu’il leur entend dire qu’il comprend peu à peu qui ils sont. »
… voilà, dit-elle à l’adresse du mandarin qui n’en demandait pas tant, votre diktat nous impose de devenir des clones… de penser selon vos codes… mais sans vos moyens ni vos comptes en banque, ni vos passe-droits, ni votre berline sport ! Or, nous voulons être et être entendus !
Le mandarin était rompu à ces épisodes. Il posa ses lunettes et ses pieds sur le bureau, puis attendit que la donzelle eût terminé sa causerie – ce qu’elle n’était pas prête à faire…
Quelques bolcheviques l’approuvèrent en applaudissant. Soudain, une banderole fut déployée pour revendiquer le droit au droit du droit à l’endroit des droits de toutes sortes que le quidam doit exiger à son endroit afin d’être l’égal en droit et en moyens : c’était adroit… le tout en cancel-culture…
Ce fut un beau ramdam pour valoriser le discours réclamant le droit selon l’antithèse de la droite, c’est-à-dire la gauche à la sauce US, s’entend…
Mais on vit – ou plutôt on entendit – les accents révolutionnaires des jacteurs qui souffraient de faiblesses linguistiques. Car, dans leurs émois, la phonétique révélait des peuples au passé proche de la vastitude russe d’origine sibérienne, ukrainienne, ouzbek, iakoute, bélarusse ou moscovite. Les Géorgiens de Tbilissi mêlèrent leurs voix aux Géorgiens d’Atlanta. Ils n’étaient point cousins, mais, dans cet œcuménisme de revendications, ils pourraient, peut-être gagner quelques dollars…
« Le vrai… l’enseignement vrai… doit non pas cloner… mais laisser la parole aux acteurs, les écouter, les regarder agir. Votre enseignement bourgeois est tout le contraire. À l’extrême limite, vous ne servez à rien… car le vrai est en face de vous… l’authentiquement vrai. Nous ne sommes pas que des numéros. Vous passez à côté de l’insondable… le sublime… le peuple… tous ces êtres qui ont une vie profonde incommensurable… telle celle de cet homme… Oui, je vous le dis, cet homme est l’égal de mille fois votre misérable nature… Lui, c’est un prophète… Josef… lève-toi et marche… parle au monde… »
Un grand hourra accueillit ce sermon…
Et Josef ne jugea pas nécessaire de se lever… il voulait voir avant tout…
L’oratrice poursuivit son oracle en forme de panégyrique :
… il parle dix-huit langues sans avoir suivi les cours d’oncques émérites. Dans ses gènes coule le sang de l’histoire. Il n’a besoin d’aucun certificat pour être, car il est. Nous non plus, nous n’avons besoin d’aucun papier, parce que nous sommes. Il n’y a qu’à investir les start-up par notre seule présence pour que la croissance bondisse…
Parle, Josef…
Josef alors se souvint des célèbres BD comics qu’il lisait jadis… celle de Hagar Dunor le célèbre Roi Viking qui répondit :
«  Oui, mais pour dire quoi ? »
Josef n’était qu’un Béotien, un néophyte des amphis urbains, un cul-terreux du nord de Pittsburgh, un pauvre philistin n’ayant encore jamais pratiqué l’art revendicatif en public.
Certes, la postulation à la fonction de prophète ne comble pas l’abîme entre le vouloir et le pouvoir !…
Alors Josef s’y abîma en racontant sa révolte selon une métaphore devenue célèbre :
« Sacrifier mes dindes… jamais ! »
On applaudit et le peuple devint fervent, car enfin occire une dinde, n’était-ce point un acte barbare où l’horreur se mêlait au racisme pur et dur envers la gent à plumes ?
Alors Josef conta :
« Il était une fois une hacienda modeste de quarante hectares sur laquelle un peuple de migrants se fixa voilà des lustres. Ils venaient de la Mitteleuropa et étaient démunis, pauvres, mais unis. Comme vous tous, ils voulaient s’intégrer. Ils défrichèrent le sol, coupèrent les arbres et repoussèrent les assauts des gens d’en face qui tentaient de les chasser. Ces Pèlerins venaient évangéliser les tribus qui vivaient sur ces arpents. Oh ! Dieux ! Odieux ! Ce furent de sanglants combats, certains d’entre nous périrent… »
Il eut fallu choisir un sacrifice symbolique : occire la dinde un 4 juillet pour réaliser la renaissance intégrale dans la Bannière étoilée. Mais mon cœur ne le put…
… Un jour… c’était un matin…
Et Josef s’arrêta pour jouir de l’effet oratoire, l’amphi était en extase, il poursuivit :
« La dinde avait pondu huit œufs… Je les subtilisai contre le diktat du Vater, qui jura qu’on ne l’y reprendrait plus à nourrir des dindes qui ne pondaient plus d’œufs. Je m’installai dans un tepee et couvai les huit œufs »
Le peuple émit un grand « Wouahhhhh ! ». polyphonique.
Franziska « Approuvouahhh » elle aussi de sa vouah !
… c’est vrai, j’ai vu et j’ai cru ! affirma-t-elle.
… depuis, à l’hacienda, mes huit dindes vivent en paix et l’on ne sacrifie plus cet être sur l’autel de la consommation selon les rites barbares du symbolisme étoilé…
Et pendant que je couvais, j’eus la révélation, que moi aussi, j’étais devenu un barbare… comme tous ceux descendus du Mayflower, je vous le dis mes sœurs et frères, qui assassinèrent ce peuple Indien qui occupait ces lieux depuis vingt mille ans… alors que nous étions venus pour les évangéliser.…
Depuis, je me promis de rectifier cette situation et de rendre à ce peuple les terres et doits qu’ils lui reviennent… depuis je me morfonds je me fustige je me frappe… je me maudis…
… j’ose dire avec fierté qu’en couvant je me confesse de tout ce mal…
Un tonnerre d’applaudissements et de contre-applaudissements salua cette conclusion, qui marqua la fin de la représentation et du cours de cet après-midi-là, car une partie était pour, l’autre contre…
… mais que suis-je ?… ajouta Josef après que le vacarme se fut calmé par la voix autoritaire de la modératrice…
Alors des vagues contradictoires se formèrent dans le peuple amphibien…
Josef vécut son premier sermon d’apprenti prophète…
« Tu n’en resteras pas là ! » conclut Franziska.
Elle avait gagné le premier round. Les adhésions au Mouvement pour la Libération des dindes, dindons et coyotes : la Mouli augmentèrent de jour en jour…
En réalité, souligna le scribe-narrateur, la fille gangrenait le campus… en discours déconstructeur…
Un jour, c’était juste avant midi, la fièvre du vendredi matin allait emporter celle du samedi soir… un anachronisme caché bouleversa les foules…
La fille haranguait le peuple estudiantin avec une fougue qui en amusait certains et en traumatisait d’autres, car enfin qui viendrait emplir les caves et les caisses enregistreuses des salles enfumées pour la sacro-sainte messe du soir, de la nuit et du petit matin ?…
Cette déstabilisation ponctuelle pouvait dégénérer en graves désordres qu’un célèbre transfuge polonais avait décrit sous la théorie dite de « l’effet dominos » qu’il ne faut pas confondre avec « l’effet Dominus » de nos lointains ancêtres – cette théorie veut que, dans certains cas, le premier pion qui tombe entraîne les suivants dans sa chute. L’université de Pittsburgh était célèbre à cause de son melting-pot. Allait-elle gangrener selon la théorie le reste des cinq mille autres campus ?
La donzelle russe le savait et voulait en profiter. Elle étendit son management subversif.
Elle harcelait Josef de courtes injonctions qui le dopaient afin qu’il ponde des oraisons, sermons et prédicats de tous ordres pour qu’ensuite la fille, juchée sur un tonneau renversé, métamorphosée en philosophe existentiel, les lise urbi et orbi à la terre entière… au milieu du campus.
Le mouvement faisait tache d’huile – une réaction qui est également citée pour illustrer l’effet dominos…
Elle devint célèbre… Josef, dans son ombre, produisait autant de textes qu’à l’époque où il soutenait les étudiantes, sauf que l’échange n’était plus aussi fructifieux, fructifiant, fructificatoire…
« Tu baiseras plus tard ! Il faut que les révolutions se passent… »
Un matin… c’était à l’aube…
Josef dormait benoîtement dans son tepee au milieu de ses dindes. Voilà la donzelle qui rapplique.
Les dindes sortirent en furie et se jetèrent sur l’arrivante qui n’était pas seule, car une foule de témoins venait témoigner de visu
« Voilà, mes amis… le sort… l’enfance… la genèse d’un prophète… Voyez comme il conduit sa vie… ! »
Et les flashs de flasher, les caméras de camérer, les téléphones de dreliner car en ce temps-là, ils n’avaient qu’une fonction : le transport de la parole par électron maîtrisé… téléphonie en somme. Ce ne fut que plus tard que la mutation transforma l’instrument en preneur de photos, reléguant le transport son au second plan…
Mais n’allons pas trop vite dans l’enfance d’un prédicateur ni dans la révolution des bécanes électroniques…
« C’est ici que cet homme pond… »
Le peuple ébloui cherchait l’œuf…
« … ses textes… »
Et elle exhibait des liasses de feuillets noirs de calligraphie en ronde à la plume sergent-major…
« Ils vont devenir le sel du peuple… le sang des martyrs… le pain des pauvres… ! »
C’est à ce moment-là qu’arriva Gottfried…
Oh, il n’était pas seul…
Une troupe sur le sentier de la guerre chargeait. Une troupe armée pour de vrai…
De loin, on entendit un certain brouhaha. De près, ce fut un cri de ralliement que Gottfried poussait à chaque dizaine de mètres en se rapprochant. Donc sur cent mètres, il hurla quasi dix fois. Au début, la donzelle, les reporters, les témoins, les groupies, les lobbyistes, les badauds, les pique-assiettes ne comprenaient rien au message et tous croyaient que cette troupe allait se mélanger à leur caravane.
Ce ne fut qu’au septième cri poussé par Gottfried qu’ils comprirent ou plus exactement entendirent sans comprendre, car le Vater jactait en Germain. Il s’époumonait dans un slogan combatif :
« Die Russen kommen! »
… Mais on n’est pas russes ! s’étonna un authentique quidam lorsque éclata le premier coup de feu…
Il restait trente mètres donc trois cris de guerre. Le son s’amplifiait, car Gottfried s’était placé dans le sens du vent qui s’était allègrement allié aux Germains et aux Indiens. Il venait à pas de loup…
… c’est pas juste ! sur les terres des bannières ! dit un témoin qui y perdit son chapeau, car les preneurs de son, d’images et d’intimité refluaient vers l’arrière.
C’est à ce moment que l’on put évaluer la quantité des prosélytes. À l’aller, la donzelle s’était désolée de ne compter qu’un petit groupe, mais lorsque vous les recevez tous sur le paletot, vous mesurez le poids de cette vague…
« Die Russen kommen! »
Gottfried, la pétoire Winchester à la main, le sombrero sur le crâne, tel Custer à la bataille de Greasy Grass, dévalait ses champs, les Indiens à sa suite…
Une douzaine d’Algonquins, de Sioux, d’Apaches, peut-être même quelques Comanches, parents, proches, amis de Yépa, mère de Josef, formaient l’arrière-garde du patriarche germain…
C’était sérieux…
Ils étaient armés de couteaux, d’arcs et de flèches et ils jactaient en langue indienne que nul ne put comprendre, à part les derniers autochtones en liberté qui refusaient de rester derrière une vitre dans un musée.
Ils arrivèrent vers le tepee de Josef, alors, on fut certain que l’hostilité était proche, car tous arboraient des peintures de guerre sur leurs visages… sauf le Vater qui venait de prendre sa douche.
La troupe emmenée par la donzelle russe se délita, se débanda, se replia, hélas, en désordre, dans une fuite éperdue synonyme de bataille perdue. Pourtant, une petite partie qui avait l’esprit vif se tourna vers l’escadron menaçant. Les caméras panotaient… Gottfried hurlait…
Les Indiens posaient pour le journal du soir – on ne passe pas à côté d’un tel moment de gloire : c’était le dernier et ils le savaient.
Devant le tepee donc, l’escadron retrouva quelques monceaux composés de paletots, de casquettes, d’appareils photo, de bouteilles, de chaussures, de lunettes dernier cri, d’un sac à dos plein de paires de chaussures de ballerines, d’un jeu de Monopoly et même de trois jeans qui furent brandis comme de sublimes trophées à l’instar de l’ancien scalp…
Alors les Indiens, sous les ordres de Gottfried, ramassèrent le tout, car la propreté du Germain est proverbiale. Une fois qu’ils eurent recueilli l’ensemble, ils se proposèrent de le revendre au marché du lendemain matin sur une place de Pittsburgh réservée aux minorités qui troquent de pauvres choses contre quelques billets verts…
Ils faisaient les comptes devant le tepee…
La ravageuse… la conductrice… l’oratrice… avait toujours son micro à la main, son amplificateur en sautoir privé de batteries… un petit groupe s’était réfugié dans son dos qu’elle avait large…
Allait-on assister au pire ?
Elle aussi éructait dans son sabir. Elle interpellait les dindes qui montaient la garde devant l’entrée du tepee…
Les Indiens n’en croyaient pas leurs yeux ni leurs oreilles, car les dindes parlaient russe…
« Ça, c’est fort ! dit un éclaireur Sioux.
… mais comment est-ce possible ? s’étonna un Algonquin de passage qui allait faire ses courses au supermarché en construction…
… Josef !

Alors Gottfried leur rappela les capacités du Petit. C’est Josef qui avait instruit ces dames à plumes et elles tenaient tête, ces braves filles, physiquement, car, nul ne comprenait le contenu des échanges…
On se résolut donc à attendre la fin des débats. Gottfried eut le temps de tirer sur un vol de palombes qui eurent la mauvaise idée de passer par là…
« On aura du pigeon aux lentilles demain ! »
Les Indiens détestaient le pigeon. Et pour cause : depuis plus de trois cents ans, c’étaient eux que l’on canardait en les prenant pour ces volatiles. Ils s’assirent donc tranquillement selon la mode indienne et fumèrent la clope du vainqueur…
La donzelle jactait toujours…
Les dindes caquetaient tout autant…
Josef restait absent…
Alors, au loin, on vit venir un appaloosa qui hennit en idiome universel – ce qui pouvait passer pour un prolégomènes pacificateur…
Là, les Indiens jetèrent leur mégot en ricanant…
Les dindes gloussèrent, car elles allaient pouvoir se payer encore une tranche de caquètements en dindo-langage connu d’elles seules… hormis Josef… of course.
La donzelle cria, désespérée :
« Encore lui ?… mais comment fait-il pour savoir ? »
Mais comment cette pauvre fille pouvait-elle ignorer qu’un officier des renseignements US sait tout ?
« Non ! Je ne savais pas ! » confessa-t-elle.
Tout simplement parce que tout ce qui est russe est suspect. C’est le principe même du fondement de la légitimité du parc agressif, défensif, subversif, dissuasif, offensif et même impératif autant que vomitif de l’US-Land – enfin, cette Bannière donnait du travail à son peuple. N’était-ce point, le seul argument ? Construire des canons ou des McDo, peu importait : l’essentiel, c’était le job… contre le Russe.
Eh bien, ce n’était pas le seul. À preuve, Gottfried lui-même n’avait-il pas pris les armes au seul cri de « Die Russen kommen! » ?
Gottfried n’était natif  US que depuis plusieurs générations. Il venait de la Mitteleuropa qui avait vu l’Ours russe…
Cet épouvantail lointain était suffisant pour provoquer l’effroi, le froid, ma fois… parce qu’il était russe et lointain… na !
L’appaloosa vint…
Les dindes se dandinèrent…
Le militaire sauta sur le sol…
… je viens faire la paix… selon les principes étasuniens…
… c’est fait ! dit un vieux Comanche.
… oui, mais je viens signer… cette paix !
Tel César, il se dirigea vers le tepee, ouvrit la peau de bison qui en marquait le seuil, porta son clairon à la bouche et sonna le « Réveille-toi, soldat »
Une fois… deux fois… trois fois… le tepee ne bougeait pas…
Alors… seules… les dindes pénétrèrent dans l’espace réservé aux hôtes qui généralement habitaient ce lieu… le clairon se tut…
Quelques minutes plus tard, Josef sortait sur le seuil…
Il dit :
« I have a dream! »
La fille poussa aussitôt le volume de son ampli portable qui portait haut sa voix après avoir acheté des batteries au comptoir Indien…
« Pour l’emploi, la liberté, l’expression, le partage des riches… »
… arrête de blasphémer ! ordonna le militaire.
Il claqua des doigts… Alors arriva une escouade de GI qui saisit la donzelle par les sentiments. Les caméras s’étaient débandées, les photos épuisées. Nul ne put déchiffrer ce moment puisque aucune image ne parvint à la postérité…
Ce fut donc un non-événement : pas de journalistes, pas de caméras, donc réalité inexistante. On causa, bien sûr… mais sans preuves TV… état rédhibitoire.
Il ne resta devant le tepee que Josef, ses dindes, le militaire, l’appaloosa, les Indiens et Gottfried…
Nul ne sut quel rêve avait remué Josef…
Sauf que Barnaby s’approcha de Gottfried. En privé, il lui souffla très bas, afin qu’aucun
Indien ne puisse l’entendre :
« Cette fille qui poursuit votre fils est un danger pour les étoiles. Elle est l’avant-poste russe qui veut conquérir les territoires en bandes serrées… une espionne qui travaille dans l’ombre… »
… une cinquième colonne !
… ah, vous savez… rassurez-vous, nous la surveillons…
… c’est la fameuse Fran…
… chut ! ne prononcez pas son nom !
… pourquoi ?
… c’est une transfuge… !
… un succube !
… ah, vous savez !
… Josef est-il en danger ?
… lui… non… mais ma carrière… oui !
… que faire ?
… vous savez que je suis à ses côtés ! Je veille !
… bon… j’y vais !
… nous aussi… on va au marché », confirmèrent les Indiens.
C’est ainsi que chacun retourna à ses occupations… et Josef à son rêve…
Heureusement, les dindes veillaient.
Mais nul ne savait ce qui se mijotait dans le crâne de Josef, sauf ceux qui découvriront plus tard ce palimpseste en élaboration. Mais disons-le tout net, Josef, vous l’avez bien compris, se construisait comme tout un chacun. Il allait devenir prophète et ça ne naît pas par enchantement, ce type de bonhomme. Il faut un bon nombre de paperolles, mues et mutations métamorphiques, doutes et redoutes, sans doute…

Laissons ce verbiage et poursuivons… si vous le voulez bien !

                                                Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

 

 

 

Josef idéalise Franziska à la cafétéria de l’Uni… ce n’était qu’un/une succube… Russe…

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29… Who’s this ?

On se souvient que Josef, grand multiglotte devant l’Éternel, avait commencé un manu-script qui fera date dans les études métamorphiques des prophètes, car il décrivait la mutation d’un natif de Pittsburgh en Jérémie réincarné. On se souvient aussi qu’il évoluait par petites touches pointillistes entre le karma du plus haut grattouille-ciel et la ratiocination bas-du-cul de Béotien. Or, il voulait que cela se sache, en ajoutant des « paperolles » pendant son cheminement.
Adonc, lecteur, trouvez ci-après le fameux texte paperollé lors de son entrée à l’université universelle de l’US-Land… qui surgit bien avant son époque GI…

… « Эй, но это Йозеф[1]! »

Josef en resta coi… :
quoi ? Moi qui ne connois oncques citoyens en ce lieu, m’échoir ce salut pacificateur universel en russe ? Serait-ce un signe ?
Il était en mouvement pour quitter la vénérable Rosalie dont les cylindres ronronnaient rond. Moment jubilatoire : Gottfried avait accroché des papiers crépon aux poignées des portes et des fanions érigés sur les ailes qui lui donnaient un air de dragon rouge en goguette. Les étudiants qui stationnaient sur le parvis du gigantesque campus étasunien crurent voir la voiture promo-publicitaire du cirque qui donnait représentation dans l’un des faubourgs de la ville…
Josef, un pied dehors, un pied sur le marchepied, se laissa happer par la foule au sein de laquelle il disparut.
« C’est ainsi que commencent les grands hommes… dans l’anonymat ! – observation digne d’intérêt de Akio – dûment consignée dans le manu-script… le hasard rend souvent bien des services pour que certains deviennent célèbres par le miracle des conjonctions », ajouta Akio réflexion faite.
Et Josef se jeta à genoux devant celle qui était négligemment assise sur le pilier de la rampe d’escalier, à l’endroit même où jadis trônait une mappemonde bétonnée d’un cycle cosmique révolu.
Une Franziska en chair et en os… surtout en chair !
Elle venait d’apostropher Josef, qui était à des années-lumière de sa première adoration dans la cour de l’école primaire de Hissa Luna. À nouveau, la magie du verbe illumina l’impétrant à l’université qui le rendit aussitôt célèbre.
Car on fit cercle autour du passionné : certains applaudirent, d’autres posèrent un doigt sur leurs lèvres fermées en signe de mutique respect, des hosannas furent psalmodiés suivis de selfies. L’heure devint sacrée. Des murmures murmurèrent que cet homme était un Prophète. Il venait de distinguer… nul ne sut quoi… car prestement après son salut, la fille assise venait, elle aussi de se fondre dans la masse ondulante des étudiants…
… hé, prophète… c’est l’heure !
Josef se leva, transfiguré, il suivit la foule qui gravissait les degrés pour atteindre, au loin… le savoir. Franziska s’était immergée dans ce peuple. L’humilité de cette fille était un nouvel indice dont le sens échappait à Josef. Il voulait en avoir le cœur net.
Par un effet conjugué du hasard et de la fuite des corps vers un lieu fort vaste – une sorte d’hémicycle – il sut qu’il venait d’atteindre le saint des saints, c’était écrit sur la porte.
Il entra et vit la foule qui s’échelonnait sur des gradins, sans apercevoir l’objet de son illumination. On le poussait…
… ô, prophète… trouve-toi un siège… reste pas planté sur le seuil !
Il suivit le judicieux conseil…
Il prit place…
Il attendit que le concept vienne à lui comme les abeilles vont aux pistils des fleurs…
Un éminent personnage surgit au centre de l’amphi, sortit des feuilles qu’il posa entre lui et un micro… il tapota l’outil comme s’il voulait en faire tomber la dernière goutte. Il se croyait peut-être encore dans la pissotière. On entendit quelque ploc-ploc. Les portes se fermèrent. Les participants s’ouvrirent aux paroles du dernier arrivant omniscient sur l’estrade.
Ce fut un long laïus sur la nature évolutive des langues, qui était le thème du jour, car Josef suivait les cours de cette science qui étudie les signes linguistiques à la fois verbaux autant que verbeux que l’on nomme sémiologie, mais à la sauce étasunienne.
Ce premier cours fut le moment épiphanique… la réalité cachée ne se manifestait pas… car au bout de quelques minutes, Josef surprit l’hémicycle, qui contenait au bas mot deux fois une centaine d’âmes, se ramollir sous le poids de cet envahissant verbiage… des sons indifférents s’indifféraient…
Josef se leva et formula noblement :
… la thèse sans les parenthèses pour la synthèse de l’exemple, c’est de la foutaise…
C’était osé, mais il osa.
Le cacochyme du pupitre en avala son discours qui portait sur la transhumance des adjectifs épithètes…
… vas-y prophète…
… c’est prévu dans le cours… questionna un étudiant qui se réveillait.
On eut droit à la vraie transhumance des adjectifs, car Josef lia ce voyage à celui de ses ancêtres pour parfaire la chose.
L’autre au pupitre ne devait son titre d’ancien qu’à la seule fonction de son âge, alors que l’ancien Josef le devait à ses racines séculaires – autrement dit, le jeune Ancien en  culotte courte en savait plus que l’Ancien Émérite en culotte longue.
Bref, Josef développa sa thèse. Pour être clair, il prit un exemple avec un mot qui, bien que désignant une chose en réalité, pouvait en désigner une autre – thèse défendue victorieusement par un Suisse aux alentours de 1910…
… si je parle de l’antique Rosalie, par exemple, que je lui affecte un vocabulaire affectueux, affectif, admiratif, mais que je ne précise pas son âge, vous sombrez dans l’évanescent. L’image d’un être se forme dans votre cortex. Vous supputez que le sens de ma prognostication – selon les termes mêmes du très grand Rabelais – vous suggère que je cause d’une gente donzelle puisque Rosalie est un prénom féminin. Or, si j’emploie à présent un verbe… disons, « rouler ». L’histoire devient cocasse. Certes, une donzelle peut rouler des mécaniques… pourtant « Rosalie roule » semble abracadabrant. De quel roulement parle-t-on ? Roule-t-elle des hanches ? des épaules ? des meules ?
Progressivement, Josef, de degré en degré, descendait les marches de la nef. L’émérite s’était tu…
Dans les rangs on se soufflait de bouche à oreille : « c’est un prophète ! »
Le fonctionnaire rangea ses papiers dans une serviette de cuir fauve ayant vécu, sortit un grand mouchoir-éponge et se moucha bruyamment…
Josef arriva à sa hauteur…
L’autre en devint tout rabougri au point de se lever incidemment, de quitter l’estrade et de rejoindre un siège libre tout en bas pour que Josef le Grand poursuive cette magistrale leçon inaugurale que le peuple but à grande lampée…
Un Prophète qui supplante un Émérite… un exemple de cancel-culturenew-age.
… or, dit Josef, Rosalie n’est point une fée, encore moins une tante, ni même une jeune écervelée en guipures de l’époque Renaissance…
… Rosalie est une Ford T2 !
Ce fut l’apothéose…
On vécut un grand moment…
Mais ce n’était point tout…
Il eut le génie de tendre une passerelle entre l’oral et l’écrit, lorsqu’il saisit :
« A chalk to write on the blackboard » afin de décliner des algorithmes et autres extrapolations au tableau…
L’ex-génial professeur émérite avait sorti un portable vierge coréen, il notait le nouvel appli qu’il venait d’entendre, peu importe d’ailleurs sa place dans l’hémicycle, son salaire tombait tout aussi régulièrement…
Puis, l’émérite cessa son tipotap il commença à écouter… peut-être même pour la première fois.
Il était fort le Prophète !
Cette fin d’épisode fit date dans l’histoire de ce campus. Il fallut au bas mot trois quarts d’heure aux étudiants pour déchiffrer le palimpseste du tableau blanc devenu aussi chargée et codée que la stèle d’Hammourabi en cunéiforme…
Puis, l’hémicycle se vida, ne restèrent plus que trois acteurs dans l’agora selon le triptyque classique grec : l’ancien émérite, Jérémie-renaissant et Franziska, qui avait tout vu… tout entendu… et tout compris…
… grec… dites-vous ?
… personne n’a parlé d’Homère…
… j’ai qualifié d’homérique, bien sûr, mais par-dessus tout dramatique, car le nouveau supplantait l’ancien – l’émérite redevenu scolaire en bas de fosse.
La fille juchée aux cimaises de l’hémicycle riait comme une bossue, selon l’expression authentique, bien qu’elle soit dépourvue de cette anomalie physique, à son avantage.
Donc tension.
Le fils venait de tuer le père…
… c’est la référence grecque…
… au figuré of course nota la paperolle de Akio

Oui, le père blessé ruminait cette escobarderie… il comptait saillir pour reprendre la main. La fille, telle une Chimène acide, comptait les points. Nul ne pouvait prévoir le tiercé gagnant, car les personnages s’étaient murés en cire tel le Musée de la Mère Tussauds…
Le temps s’était arrêté jusqu’au moment où une main vint tapoter l’épaule de Josef et qu’une voix émit un message dynamique :
… on ferme !
… le musée ? souffla Josef en relevant la tête.
… non, l’hémicycle ! Répliqua la technicienne des surfaces qui appartenait à l’équipe du soir.
Enfuis, les foules…
Où avaient-ils sombré ces peuples qui avaient écouté la voix… muets d’admiration devant ce florilège de sapience ?
… à la cantine suggéra la technicienne des surfaces.
… Franziska ? murmura Josef en se redressant.
… non, moi… c’est Angelina… dit la balayeuse.
Il commençait à descendre les degrés de l’escalier…
… vot’ biasse ! dit l’Ange au balai, qui l’interpellait afin qu’il n’oublie pas son cartable en authentique peau « made in Germany ».
Aurait-il rêvé ?
Avait-il vécu un enchantement des situations ?
Il voulait en avoir le clair cœur. Il chercha un meilleur adjectif, mais n’en trouva pas sur le moment. Il n’était plus très net ; il oscillait entre deux mondes entre l’épithète et l’attribut, dans lesquels le seul lien tangible serait Franziska, car elle avait tout vu.
Il fallait donc qu’il la revoie.
Mais allez donc retrouver ce lien dans cette foule…
Il cogita, tel le philosophe dans son extase lors de sa découverte du Cogito ergo sum alors qu’il était en panne d’idées – tout comme Josef présentement.
Alors, il erra.
Tout en cogitant, il se perdit dans les dédales du campus, il ouvrait des portes sur des salles vides, des amphis presque déserts, des bureaux intimes, des hémicycles pour recyclages. Chaque fois, il auscultait le public restant, tête après tête, rang après rang, en dévisageant tout ce peuple indifférent, qui le laissait poursuivre sa quête de savoir. C’est en cheminant ainsi qu’il découvrit une formule devenue fameuse, tandis qu’il observait trois étudiants qui montaient les degrés d’un escalier…
« Parmi ces trois voyageurs, s’adressa-t-il à eux, il doit y avoir un enseignement. Il y a quelque chose à apprendre de chacun et de tous. Il faut choisir le bon exemple de chacun et le suivre, mais éviter leurs mauvaises manières ! »
… c’est de 孔子… assura l’un des passants qui jactait le confucéen…
Il fut contrit… sauf que Jérémie avait vécu avant Confucius, la citation du Chinois philosophe n’était autre que celle du Prophète… un plagiat sans doute.
… nonobstant, auriez-vous entraperçu celle qui hante mes nuits, illumine mes jours, astrolabe de mes chemins ? s’enquit Josef aux trois voyageurs ?
… oui, dit un des trois.
… elle est dans son amphi
tryon… ajouta le troisième, sans rire.
… il décrivit la voie… pour atteindre la femelle…
Nanti enfin du sentier qu’il déclina à chaque rencontre – illustrant ainsi le dit de孔子 : choisir le bon exemple, le suivre et éviter les chausse-trappes – il parvint enfin à la cafétéria…
C’était un vaste espace clos par une immense verrière, une chaude agora – telle la matrice femelle…

L’une d’elles était juchée sur un haut siège que, généralement on ne rencontre que dans les bars aux néons mouchés le soir dans de profondes caves enfumées. Que faisait-elle ici ? Nul ne le savait. Elle avait les jambes croisées avec art, il faut le dire. Elle le regardait venir à elle – tel l’aimant qui regarde la ferraille qui va se faire emboutir par les ondes magnétiques aussi sûrement que le moucheron va s’emplâtrer sur le pare-chocs de la loco lancée à vitesse grand V ou… pour filer une autre métaphore, le moineau, hypnotisé par les yeux verts du serpent, paralysé par ce pouvoir, immobile, va se faire gober par le reptile…
… eh bien, Josef… te voilà enfin !
Cette apostrophe lancée à son encontre l’émoustilla fort… elle sentait le biblique…
… comment as-tu fait pour me reconnaître ? La dernière fois que je te vis… c’était…
… dans la cour de Hissa Luna, cette salope…
… c’est ça…
… elle m’a piqué mes Hershey’s !
… tes chocolats… !
… je dépérissais…
… à ce point… ?
… alors l’orthodoxie de ma famille me retira de ce gourbi…
… le chocolat était meilleur là-bas ?
… c’était du шоколад.
… je comprends : chocolat !
… tu es doué…
… c’est toi qui le dit !
… bon, et à part ça ?
… …
Quelques amphis-bis venaient de se vider. Les étudiants remplirent alors l’agora chaude afin de restaurer les fonctions mises à mal par toute cette énergie dépensée à fixer le cogito de chacun.
Josef et la donzelle furent interrompus par le « Brou ! ha ! ha ! » qui s’apaisa lorsque le flux ayant pris place s’appliqua mutiquement à se régénérer.
Elle tira sur sa cigarette, jeta un nuage et dit :
… il faut s’élever hors des cadres, moi, je vais le faire. Tu n’as qu’une vie… Toi qui prétends au sublime, en réalité, tu n’es que germain…
ach was !
… je sais, j’ai tout suivi de loin. J’avais mes espions, c’est même eux qui t’ont fourni la tronçonneuse pour découper le tronc de la pruche de la cour de l’horrible Hissa Luna. Mais grâce à toi, mon nom est inscrit en lettres lumineuses sur la stèle qui offre mes poupées à l’adoration des peuples…
… tu savais quoi ?
… ton éclosion russe, je t’admirais de loin. Je sus que tu couvais une portée de dindes. Je savais que tu avais creusé une tranchée pour les rebelles, que les autorités avaient abdiquées devant ton cran. C’est là que j’ai connu… Barnaby.
… bibliquement ?…
… qu’est-ce à dire ?
… ben comme Eve ?
… mais, voyons, Josef tu plaisantes ? Il aurait fallu un ange Gabriel pour ça. Non, il venait me voir à cause de toi…
… moi ?
… oui, tu t’es confessé à ce GI. Il ne comprenait point ton inclination, mais il avait compris que ton russe pouvait le servir. Il voulait que tu deviennes cadet. Gottfried avait rassemblé la famille pour t’orienter…
… oh ! mais alors…
… ah ! Tu croyais qu’il suffisait que tu penses pour te croire libre. Observe l’enchaînement Josef : Barnaby t’a vu apprendre le russe en six semaines des quatre jeudis, il ambitionne au moins quatre étoiles, comme il est nul en russe, il te recrute, sachant que tu jactes aussi la langue de ta mère… que personne ne comprend.
… ma mère n’est pas Russe…
… ta mère est Algonquin… tu m’as trouvée. Je vais prendre ton destin en main…
À ce moment-là, Josef eut un sentiment obscur… presque un obscur pressentiment. Son inconscient recherchait le nom de l’auteur qui avait écrit :
« Ni Dieu ni maître ! »
La formule était alléchante parce que concise. Pourtant, son soubassement avait accéléré le triomphe rouge – ce qui semblait contradictoire avec cette devise…
… nous allons conquérir ce campus, puis la ville. Enfin, la Bannière perdra ses étoiles, ce design de tigre de papier… tu piges ?
… Blanqui… c’est Blanqui, le génial Blanqui, qui formula cet apophtegme :
« Ni Dieu ni maître ! ».
… tu me plais, toi… t’as d’beaux yeux… tu sais… dit-elle pensive.
Il y eut un hourra dans l’agora, on venait de livrer les nouveaux Mc en do majeur tout chaud…
Puis on en vint au plat de résistance…
… quel cycle suis-tu ?
… le meilleur ! répondit-elle.
… combien de…
… le temps n’a aucune importance, car j’étudie les Centuries de Nostradamus…
… le vieux François… ?
… l’Ancien… il sait tout.
Alors soudain arriva un groupe d’étudiants qui entourèrent la diva. Josef se sentit brusquement relégué au second plan, tel l’insecte rejetant sa vieille carapace après sa mue.
Ils mouftaient les langues en woke extrême… prémonitoire des années se profilant à l’horizon.
Mais plus que le mot, c’était le contenu du mot qu’il ne parvenait point à saisir…
Ils déclinaient leur glossaire en cancel-culture matinée de Coca…
Josef admit son incompétence…
Cela le chagrina fort… car enfin, il était Prophète… et il n’avait rien vu venir.
Car ces turlupins prétendaient également devenir les tenants de la pensée universelle en endossant le costume petit-bourgeois de leurs géniteurs alors au sommet de l’échelle sociale après que l’institution aurait validé leur savoir. En une nuit, le papier en poche, ils coupaient barbe et cheveux, brûlaient leurs oripeaux comme les pèlerins de l’Ancien Monde pour enfiler le look du notable parvenu.
Un auteur « françois » avait caractérisé cette situation d’une sublime concision : « Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary. »
On sautait de la jactance woke au soft language reconstruit, le tour était joué…
Au milieu, Franziska se dilatait dans le nuage des fragrances d’herbes bien de chez eux…
Une certaine lueur d’incompréhension illumina Josef. Il devait faire retraite. C’est ainsi que procédait Jérémie…
Il profita d’une nouvelle vague d’arrivants loqueteux pour se faire la belle en prenant la tangente pendant que l’autre, assise sur le tabouret, les jambes croisées, continuait de jacter.
Nul ne sut comment Josef revint au bercail…
Rosalie n’avait pas bougé…
Gottfried penché sur sa table de travail… dessinait le futur château d’eau…
On se rendit compte, que Josef n’était plus Josef…
Il n’avait même plus l’idée de ce qu’il était devenu…
Il avait envisagé sa future ontologie, mais elle se dérobait.
Un grand barouf l’agitait.
Il eut la prémonition que son temps sur terre était échu et que son rêve était déchu. Alors, il chut loin des vivants pour aller retrouver ses dindes dans son tepee : elles caquetèrent bruyamment en le voyant rejoindre le nid…
Aber warum ?
Ce fut une scène de ménage, avec prises de bec et cous bien droits – plusieurs chapitres d’intensités progressives que nous allons reconstituer…
En chœur, les femelles à plumes se relayèrent pour lui exprimer leur indignation… Elles gloussaient, elles jasaient, elles trompetaient, elles stridulaient en toutes langues pour fustiger son égoïsme et le fait de les avoir quittées pour retrouver cette Russe sur le campus…
Josef se récria que son évolution n’était point close et que le prophétisme l’attendait non loin…
L’explication en dindo-langage universel que Josef parlait à merveille fut musclée…
La pousselado (autrement dit ce troupeau de dindes nommé dans un jargon des troubadours latins), après cette entrée en matière, les dindes se groupèrent pour le snober. Elles exécutèrent une sorte de fandango dans lequel chaque dinde, telle une ballerine, traversa la scène devant Josef sur la pointe des ergots en l’ignorant. Ce fut la fameuse minute de dédain… théâtral bien sûr, car, au fond de leur cœur, les dindes temporairement courroucées gloussaient de chaleur filiale.
N’oubliez jamais que Josef les sauva du bain de sang auquel Gottfried les avait promises pour cette ignoble fête…
Josef comprenait leur réaction – un père a une âme pour ses dindes…
Alors, elles se calmèrent et vinrent toutes les huit se pelotonner contre lui…
Ce fut un moment sublime et rare au cours duquel Josef put enfin reprendre le fil de ses pensées fortement fracassées par l’apparition de Franziska, jambes croisées, cigarette au bec, sur son tabouret de bar…
… ce n’était pas la Franziska de ton éveil… assurèrent les huit… elles en savaient un rayon les filles…
… suis-je à ce point ?
… imbécile avec ce romantisme goethien… tu l’es !
Alors, il jura mais pas trop tard… qu’il suivrait la voie de Jérémie.
Ce fut une nuit prophétique…
Le voile de peau de bison qui constituait la porte du tepee s’ouvrit et la tante Algonquin proposa à Josef de venir manger, mais il avait promis, par égard paternel et solidarité animale, de partager le repas avec ses dindes.
La tante livra la pâtée, faite de son, d’épeautre cuit et de jaunes d’œufs bouillis mixés avec des graminées. Elle avait rajouté une délicatesse : des pointes d’ortie du dernier regain et des asticots vivants qui avaient colonisé les jarres d’orges de la réserve de Gottfried où il brassait sa Saxe-pale-ale… une bière maison bien à lui.
La couvée, ne pas confondre avec la cuvée, et leur géniteur se restaurèrent…
Lorsque la gamelle fut vide, la cellule reformée se plongea dans un sommeil profond…
Mais vous savez sans doute que les dindes ont l’oreille fine. Souvenez-vous de Tite-Live qui raconta le soir à la veillée que les dindes réveillèrent les Romains en voyant venir les Gaulois en catimini…
… c’étaient des oies ! précisa le correcteur.
… eh bien, j’élève mes dindes à ce même titre salvateur ! répondit Josef : parole de Prophète, sans se démonter.
Elles se dressèrent sur leurs pattes et sortirent, furieuses, du tepee, en jappant encore mieux qu’un loup écoutant la venue de l’intrus…
… holà, les filles ! intervint Josef.
Elles se calmèrent, mais n’en jactaient pas moins. L’arrivant sentait la brillantine « Sabre au clair » des GI de West-Point. Le costume était au pli. Le poil du crâne était ras. Les lunettes Ray-Ban en sautoir comme il se doit dans le premier bouton de la chemise amidonnée. L’appaloosa regimba au milieu des gallines qui auraient bien aimé lui croquer un bout de paturon…
… ho !
Le cavalier souhaitait pacifier les préambules…
Et il sauta sur le sol, ce qui provoqua l’envol des gardiennes à plumes…
« Quo vadis domine ? » proclama le hiérarque romain.
« Trattare ! » déclara l’officier cavalier.
Alors, militairement, le GI prit la tête du détachement, suivi des bipèdes et le cénacle s’éloigna afin que nul ne puisse entendre ce qui allait se trattarer…
Mais vous le savez sans doute : tout se sait…
… je suis au courant, commença le GI.
Vous avez bien sûr reconnu Malcom George Barnaby. L’officier Parker, l’ange protecteur autoproclamé…
Josef, tel le Prophète resta mutiquement silencieux, il attendait.
Barnaby prenait son temps pour qu’aucune oreille traînante ne puisse espionner son propos. Seules les dindes suivaient, attentives à la sécurité de leur géniteur…
Barnaby s’immobilisa un instant, se retourna et fit face aux huit paires d’yeux des filles à plumes…
… aucun souci, dit Josef. Elles ont besoin de ma protection, elles ne me quittent pas, et en plus elles savent se taire.
… oui, mais ce que je dis sera écouté, enregistré, divulgué…
… allons, Barnaby, ce sont des dindes… poursuivit Josef en faisant un clin d’œil aux oiselles…
Rassuré, il reprit sa progression par les prés et les champs et oublia la couvée qui derrière eux suivait le cou droit, le regard clair, l’oreille aux aguets…
… voilà… je voulais te dire ! commença Barnaby. Tu es au centre d’un immense complot…
nein?
yeah!
… le cosmos est indigent…
… non, tu as vécu ton premier jour inaugural à l’université…
… ah, tu sais ça aussi !
… j’ai mes mouchards.
… oh !
… on t’a joué un sale tour…
… … !
… la fille que tu as vue à l’entrée du campus assise sur la stèle qui supportait la mappemonde inaugurée par l’ancienne maîtresse du premier manager de ce temple du savoir universel étasunien… eh bien…
… eh bien ?
… c’est cette fille qui fit disparaître la mappemonde en béton que nul n’a revue…
… elle est kleptomane ?
… non c’est pas ta déesse slave, c’est une espionne à la solde des forces contraires… Elle se faisait passer pour ton égérie…
… je m’en doutais…
… sache aussi que depuis l’avènement du Mur effondré à l’Est, nous sommes envahis par ces peuples qui n’ont qu’une idée en tête : celle de nous coloniser. Nous, les US, le peuple le plus pacifique de la noosphère. Nous savons, nous, dans les services de renseignements, qu’ils ont envoyé des succubes sur tout le territoire des étoiles, ils arrivent par la bande pour nous espionner et nous voler les recettes de nos McDo… ils ont commencé par envahir l’université…

… je me disais aussi…
… décris-moi ton apparition…
… elle était blonde…
… évidemment…
… elle avait des yeux vert…
… toutes les Russes ont les yeux verts…
… le teint de porcelaine…
… le meilleur indice des espions… c’est le teint… imparable…
… elle fumait des cigarettes Severnaïa Palmira…
… nouvelle preuve soviétique…
… mais du tabac de Virginie…
… il te fait penser à quoi, ce tabac ?…
… il est virginal… !
… tu es tombé dans le piège de la virginité…
… elle était vêtue d’un sarafan authentique…
… pour te piéger, car ce costume russe est une ruse, il masquait une paire de couilles, mon ami, bien authentiques…
… je n’ai pas osé tâter, je comprends pourquoi elle avait les jambes croisées…
… tu aurais dû ! Et tu aurais compris le stratagème, tout s’explique !
… mais alors… où est Franziska ?
« Qui veut trouver la fille cherche ses empreintes parfumées ! » suggéra mystérieusement Barnaby, en citant un fameux proverbe west-pointien…
La procession progressait progressivement dans le processus de la connaissance. Ce dernier moment stoppa net la progression. Josef, affranchi des menaces qui planaient sur sa tignasse indienne, tourna les talons et se trouva nez à nez avec Barnaby et les dindes, qui incidemment s’étaient rapprochées du cénacle pour n’en perdre aucune miette…
… on t’avait prévenu… lui souffla à l’oreille l’une des huit…
Josef fit face à son destin…
… alors, que me conseilles-tu ?
… tu dois persister dans la voie !
… je retrouverai Franziska. Je le promets à la face du monde, à ses pompes, à ses œuvres…
… sois modeste, Josef, pense d’abord aux US…
Après la fac, tu iras à l’école des cadets de West-Point. Je veille sur toi, mais sois vigilant. Méfie-toi, les Russes travestis en succubes nous cernent, nous espionnent, veulent la peau de nos étoiles. Crois en moi ! C’est la domination du monde qui risque de nous échapper…
… ça, jamais ! caquetèrent les dindes.
… peux-tu imaginer que la noosphère, les peuples, les tribus, les continents doivent vivre sous le joug de l’Ours russe et son orthodoxie, que les moujiks soient contraints d’abandonner la langue étasunienne pour la cyrillique que le Mc à Do disparaisse au profit du bortsch à tous les repas enfin que le Co and Ca soit remplacé par la Vo and Ka ?
… ça, jamais ! jacassèrent les huit.
… alors Barnaby fut triomphant : ” Père, gardez-vous à droite ; Père gardez-vous à gauche!” ainsi que le disait Philippe le Hardi. Ouais, j’étais présent à la leçon…
Et c’est ainsi que s’en revinrent l’officier, l’impétrant et les huit dindes qui se dandinaient fièrement en position de serre-files. Le sujet qu’elles venaient d’entendre était analysé dans ses moindres détails. Faut pas croire, une dinde n’est conne que parce qu’on la traite ainsi, mais huit dindes ensemble, ça cause.
… comment trouves-tu l’appaloosa ?
… hélas ! soupira une ingénue.
… comment ça, « hélas » ?
… il a perdu ses roustons…
… mais il porte beau…
… c’est de la frime…
… il faudra aider notre saint Josef, il a tendance à tout confondre. Tu as vu avec les succubes. L’autre, elle en avait dans les brailles et il s’est gouré en le prenant pour la donzelle…
… la Franziska… il l’avait vue une fois chez Hissa Luna… il y a au moins vingt siècles…
… la seule fois…
… puis elle a disparu…
… depuis, elle a dû grandir, la petiote… mais le Vater, il reste sur son image de sainte…
… va savoir dit une autre, si la Franziska de chez Hissa Luna… n’avait pas une paire de cojones
… c’est vrai, pourquoi on l’a fait/faite disparaître
… il faudra en causer au Vater.
… il s’égare… la preuve, l’autre se fait passer pour la môme en causant russe… avec son sarafan ukrainien… qui masquait…
… ses grelots…
On était parvenu à rejoindre les abords du tepee dans le périmètre sécurisé. Dehors, sur l’aire ouverte de l’hacienda, étaient réunis les membres de la famille, tantes, oncles, papooses, ancêtres, autour du feu. On avait sorti les arcs et les flèches ; les tomahawks étaient aiguisés à la pierre philosophale, ils brillaient d’un gris aigüe. Le Russe pouvait venir. Pas de quartier comme à Little Rock ! La famille fut émue de revoir Barnaby. Il fut fêté comme il se doit. Il était devenu frère lors d’un pacte de sang, où il avait mélangé son sang à son nouveau frère après avoir lardé un coup de poignard sur leurs bras et les avoir liés l’un à l’autre…
Ce fut émouvant, sauf pour l’appaloosa qui se faisait chambrer par les dindes au sujet de ses amourettes absentes. Les filles caquetaient en souvenir du coq de la basse-cour de Gottfried qui avait perdu ses glaouis. Pourtant, il poursuivait toujours les poules à grand renfort de battements d’ailes et de cocoricos de haute-contre…
Les minettes lui tiraient la langue, se gaussaient…
L’appaloosa se morfondait en attendant Barnaby, il jouait au coq…
… c’est un bon guy, pontifia-t-il… Allez ! On y va militaire !
Il parlait de Josef…
Et le fier cavalier reprit son chemin vers son home… Quel homme !

 Comment Josef allait-il franchir cette césure de vie ? Il resta un long moment à observer les postérieurs de l’appaloosa qui traversait les champs fièrement en fouettant ses flancs musclés des longs crins de sa queue. Les dindes caquetaient. Elles prétendirent qu’avec son crincrin, il faisait diversion pour nous faire oublier l’absence de ses joyaux de famille – ceux-là mêmes qui démangeaient Josef… Lisez donc la suite et vous saurez !

[1] « Tiens, mais c’est Josef ! » Cette phrase apparaît immédiatement dans la paperolle du manu-script afin que le lecteur ne se perde point dans l’écriture inventée par saint Cyrille – le russe traduit, en somme…

                                           Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

Hissa Luna raconte la passion de Josef pour Franziska… il avait trois ans et six mois…

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28… temple…

Le lecteur se souvient que nous sommes dans un espace sacré au Japon, dans lequel Josef s’est retiré pour suivre une retraite spirituelle. Là, il est assailli par les instants passés de sa vie. Tel l’insecte dans sa nouvelle chrysalide poursuit sa mutation qui le transformera. Le chapitre qui vient de se clore tenta de décrire la période rose. Il reste quelques témoignages que nous versons au dossier, en particulier lorsque Hissa Luna tentait de décrire les mutations de Josef…
… eh bien, puisque monsieur Josef ne veut pas jouer avec nous, nous jouerons sans lui !
Hissa Luna se fit conteuse, elle narra les humeurs de l’écolier Josef aux Dames de tous âges qui étaient regroupées autour d’elle. Ces mères avaient, elles aussi, des enfants et elles étaient curieuses de recueillir le témoignage d’une brillante représentante de l’art éducatif étasunien
… un jour, commença Hissa Luna, il resta trois semaines sans nous adresser un mot. Pas ça ! Dit-elle en claquant l’ongle du pouce sur les incisives carnassières de sa mâchoire supérieure qu’elle avait puissante.
Des femmes d’origines non confondues attendaient patiemment comment la pédagogie allait résoudre ce mutisme, car elles aussi avaient des papooses qui jouaient ce jeu-là…
… allons donc, ce n’est pas un jeu !
… ah bon ?
… au bout de trois semaines, j’eus une idée…
… dites !
… tes camarades te regardent…
… peufff ! fit-il.
… ils te donnent une note de conduite…
… pooff ! refit-il.
… elle… aussi…
… qui ?
… Franziska !
C’était la solution…
… c’est qui Franziska ? interrogea une jeune dame Équatorienne qui avait presque réussi à s’étasuniser tant sa vêture en denim était quasi étasunienne.
… ah, Franziska ! soupira Hissa Luna.
Et le groupe cosmopolite… soupira en écholalie…
… un jour qui commença tôt le matin, Josef quitta Rosalie, qui venait de se garer devant notre école. J’accueillis Josef dans la cour. Il était guilleret, comme toujours, alerte, sautillant, tête en l’air, les cheveux en bataille, il venait de fêter une année dans notre école. Dans ces moments, on ne parvenait pas à distinguer son origine sa race si je puis dire. Il avait des traits de Peau-Rouge sous une tignasse blonde, mais sous son bras gauche, il portait une sacoche estampillée « made in Germany »… ce qui brouillait les pistes…
… ce jour-là, nous recevions une délégation de pèlerins venant du Grand Est Là-bas… très loin… à l’est… de l’autre côté des mers Atlantes…
Il était comme toujours en train de faire la toupie. Il tournait sur lui-même comme le font souvent les enfants, mais lui, il rajoutait quelques demi-heures de plus avant de se plonger dans la contemplation… du ciel.
Ce jour-là, il interrompit sa toupie à peine commencée pour écouter les membres du groupe qui parlaient un idiome inconnu de nous tous. Il leva la tête, il suivit la délégation. Pendant la visite, quelqu’un salua ce papoose qui écoutait dans une langue que nul ne pouvait décoder…
… eh bien, madame… voilà qu’il répond à une question…
… en quoi est-ce étrange ?
… parce qu’il répond en russe…
… pourquoi en russe ? s’étonna une grand-mère Irlandaise originaire du Bénin.
… c’était la langue des visiteurs !
… et alors ? questionna une jeune maman du Costa Rica…
… mais… Josef ne parlait pas russe… précisa Hissa Luna.
… vous venez de dire qu’il a répondu en russe…
… oui, mais ici on n’enseignait pas cette langue…
… il avait sans doute dissimulé ce détail… les enfants sont malins…
… mais, madame… le russe…
… et nous, alors ? Comment on a fait ? Nous, les Indiens, lorsque les Blancs sont arrivés, on a bien dû se mettre à parler l’étasunien… sinon…
… tu as déjà vu, toi, un Blanc qui parle sioux comanche ou volapük ?
… le volapük c’est pas Indien…
… mais ça y ressemble !
… nous, on a vu un type de l’université, qui venait avec des micros pour enregistrer les vestiges de nos pères. Tu parles, pour nous voler notre patrimoine à cause du pétrole, oui !
Le débat devenait technique, Hissa Luna devait le recentrer immédiatement…
… c’est à ce moment-là que Josef vit Franziska !
On reprit du souci pour écouter l’histoire de Franziska.
… c’était la fille d’un immigré Russe un grand personnage, car la voiture qui la conduisait à l’école était longue comme deux Ford T2.
Le groupe inter ethnie se pâma devant le carrosse long comme deux Ford T2… nouvelle mesure à usage indigènes outre-frontières…
L’histoire devenait odysséenne…
… nous avions accepté son inscription dans notre école, alors qu’elle jargonnait à peine notre universelle langue, je me souviens qu’elle répétait sans cesse qu’elle aimait beaucoup le ketchup depuis qu’elle l’avait découvert au self-service de l’école – car notre école œuvrait aussi pour que cette petite jeunesse découvre les merveilles culinaires étasuniennes…
… le ketchup c’est pas d’ici ç’est Germain…
… et alors qui s’en souvient ?
La délégation quitta notre école, rassurée sur la qualité de nos services…
Franziska tenait une grande poupée qu’elle démonta selon un principe qui nous était inconnu : il s’agissait de multiples poupées éponymes qui s’emboîtaient les unes dans les autres – ce qui fit merveille dans la foule des petits – et des grands.
… on dit poupées girondes… dit une Texane…
… non poupées gigotes… contredit une Italienne…
… poupées gigognes… je crois dit Hissa Luna après une incertaine intense réflexion…
… j’aurais jamais cru… susurra une femme venue d’ailleurs… dont on ne voyait que les yeux…
Là, au milieu des enfants, Josef s’illumina sans qu’on sache si c’était à cause de la poupée ou de Franziska. La cloche sonna et la volée de bambins reflua vers les maîtres, à l’exception de Josef et de Franziska.
Franziska, assise le dos contre un tronc d’arbre, vit Josef se jeter à genoux devant elle. Il lui psalmodia un cantique de sa création en russo-germain, que Josef parlait à la perfection…
C’était une adorable petite fille, mais pas plus adorable que la moyenne, sauf qu’elle avait de longs cheveux blonds doux comme de la soie. Deux lacs illuminaient ses yeux. C’étaient sans doute ces signes extérieurs qui avaient ému Josef – miroirs dans lesquels, j’en suis certaine, se mira l’âme de Josef, car à partir de ce jour, il fut totalement transformé.
… que c’est beau confessa une native de Louisiane… et toutes soupirèrent.
En l’espace d’une journée, il abandonna ses longues périodes mutiques. Il devint profondément compassionnel et se présenta comme un rempart envers les faibles : il aidait les uns, corrigeait les autres, allégeait le fardeau de celui-là et n’hésitait pas à se battre pour défendre son prochain. Il prit même la tête d’une révolte contre les systèmes : une révolte en somme où il avait groupé la classe retranchée derrière une barricade de tables et chaises, il commença à creuser une tranchée afin d’ériger un bastion de rebelles. Il rédigea un texte en douze langues qu’il intitula Manifeste d’un primaire révolté : no passaran.
… qu’est-ce que ça veut dire ?
… c’est crypté…
On tenta un dialogue, mais rien n’y fit, Franziska l’avait changé. On accepta ses conditions…
Il devint totalement apathique le jour où elle disparut…
Les forces russes avaient décidé que cette enfant devait rejoindre un lieu orthodoxe – sans doute celui de ses ancêtres.
Alors Josef émigra au fond de la classe pour se créer une cellule d’anachorète…
… c’est quoi un anachorète ?
… quelqu’un qui se retire du monde…
… à son âge ?…
… Josef était précoce…
… certes… mais à quatre ans et six mois… c’est un peu tôt, non ?…
… il n’y a pas d’âge pour être anachorète… Quatre ans, ça peut parfaitement convenir, tout comme sept, voire soixante-seize… et même plus… Une majorité n’y parvient jamais…
… ça mange encore, un anachorète ?
… mais oui… quand il a faim ?
… alors ça sert à quoi ?
… allez lui demander !
On fut rassuré car Hissa Luna était pédagogue.
Il resta là quelques années jusqu’à ce qu’il ait terminé sa croissance…
… pourquoi là ?
… je savais que vous poseriez cette question. Eh bien, je crois pouvoir y répondre. Notre école avait été le lieu d’éveil de ce mutant. Ici, restait l’arbre qui avait soutenu le dos de Franziska – un quasi-totem qu’il vénérait tous les matins en arrivant à l’école. Il cognait chaque écolier qui venait gratter son écorce pour y graver des cœurs fléchés ou des déclarations d’amour comme : « Bill aime Hilary ».
C’était pour lui un sanctuaire. Aussi se mit-il en faction lors de chaque récréation, pendant laquelle il lisait ses grammaires, ses manuels de syntaxe, ses opus russes en authentique langue de là-bas.
… et toi, ton fils… il y arrive ? demanda une authentique Africaine à sa voisine.
… à quoi ?
… à parler…
… oui… dernièrement, il s’est mis à causer avec un accent… il a changé tous ses habits…
diable !
… non… non c’est la cancel-culture…
il paraît que c’est du wokisme… de l’illumination…
Alors toutes ces dames se tournèrent vers Hissa Luna pour entendre son diagnostic et découvrir quelle était son ordonnance médicale…
… c’est ce qu’on appelle l’acculturation, ou si vous préférez, l’adoption et l’assimilation de la culture de Los Angeles, une sorte de déconstruction…
… alors il devient étranger !
… étranger à qui ?
… ben, à moi !
… si on veut !
… ben, je veux pas !
… oui, mais avec son accent, dit la jeune intégrée, il a toutes les chances de devenir rockeur ou banquier…
… parce qu’il faut un accent ?
… c’est mieux !
… ça gagne bien ?
… j’te dis pas ! Même qu’on dit golden boy
… les rockeurs ?
… non, les banquiers…
… j’y comprends rien, avec son père, on voulait qu’il suive les traces de son arrière-grand-père…
… quel métier ?…
… conducteur de tram…
… ça n’existe plus, ça…
… si… il faut aller à l’université… là où on enseigne les piqûres…
… tu veux dire la médecine ?…
… c’est ça !
Toutes ces dames attendaient qu’une très vieille tante y aille de son anecdote et histoire de famille, mais elle n’osait pas le faire, car comment retracer le jardin antique qu’elle avait parcouru à pied, derrière l’appaloosa de son époux, à la recherche d’un espace vert pour planter son tepee, organiser le campement, faire le feu, cuisiner le pain banique… Elle essuyait une larme…
… j’aurai cent ans à la prochaine lune…
… vous êtes encore bien verte !
… c’est la lune rousse… je lis sans lunettes. J’entends le moindre gazouillis des perdrix des steppes. Même les bourgots. Tu sais, ces escargots qui glissent. Eh bien, je les entends aussi…
Personne n’avait jamais vu de bourgot ni entendu le son du pied de ce mollusque glissant sur les herbes…
… dans la steppe, à l’époque, il y avait tout ce que tu voulais…
… oui, mais il n’y a plus de steppe…
… voilà… c’est bien ça, la steppe nourrissait les bisons, les lièvres, les perdrix et le bourgot…
… nous on va au Wal-Mart… pour se nourrir…
Elle partit dans un grand récit sur les chemins de l’éveil des steppes, la mixité, les mélanges, les métis, la musique, la danse autour du feu, et même les chevaux – les appaloosas, eux, avaient retrouvé leur origine avec les courses dans les grands espaces ; ils étaient devenus des mustangs et ils galopaient toujours… c’est ce qu’elle ne comprenait pas…
… qu’est-ce qui vous chagrine ?
… c’est pas égal, certains retrouvent leurs racines pendant que d’autres les perdent !
On se récria…
… comme ton petit qui parle avec l’accent los-angélésien ! Ces maladies sont provoquées par les Blancs, moi je sais que je ne reverrai plus les bourgots dans la rosée du matin…
… y’en a peut-être au rayon congélation…
Soudain éclata « Le « Born in the USA » la cithare, le violon, les vents unifièrent la diagonale de la nef.
La foule sembla se fondre dans le même moule sur la tonalité volumique du magma sonore Etasusien. Les chairs vibraient, pénétrées par les volutes des ondes hertziennes. L’ancêtre poursuivait son récit mais tel un film muet, car on n’entendait plus sa voix, bien que ses lèvres se mussent encore…
Une tante plus jeune aurait voulu raconter urbi et orbi une autre aventure de Josef, mais l’œcuménisme sonore ne le lui permettant pas, elle se la remémora pour elle-même.
… c’était une affaire bien curieuse… Gottfried avait construit une basse-cour gigantesque. Un jour, il revint à l’office en se grattant le crâne :
… c’est curieux, ce matin, la dinde n’a pas pondu d’œufs.
… si ! répondit Yépa.
… où sont-ils ?
… Josef les couve !
… ça, c’est nouveau ! Bon, je l’emmène à l’école !
… non ! ordonna Yépa… Il couve !
Et Josef, pendant trente jours, ne quitta pas ses œufs. Il avait installé sa couvée dans un tepee. Tous les Indiens de la famille vinrent à leur tour installer deux autres tepees, où ils émigrèrent trente nuits et trente jours, assurant le manger, la toilette et la chaleur humaine. On installa les feuillets, sorte de W.-C. indien, un trou creusé dans la terre et entouré de cannes – car les Amérindiens sont très pudiques…
Pendant les heures où il couvait, Josef révisa ses grammaires russes, allemandes, françaises. Le latin, l’araméen, le grec n’étaient point en reste. Il ouvrit un manuel de japonais qui l’amena au chinois puis à la langue mongole.
Bref, Josef en bonne couveuse bonifia ses esprits et sa compassion… extrême.
Et le trentième jour, alors qu’il lisait un texte en occitan, il accoucha d’une pousselado, une portée de petites dindes : huit joyeux bambins fort remuants. Josef les alimentait lui-même, en confectionnant des pâtés de son-farine-maïs allongés d’asticots et de lombrics qu’il récoltait dans la mare. Il saisissait lui-même la pâtée dans le bac puis tendait sa bouche qu’il sculptait en forme de bec vers les petits qui venaient picorer la manne nourricière directement à ses lèvres…
C’était touchant…
Sauf que, pendant trois mois, Josef fut absent de l’école. Cet espace-temps permit aux dindes de devenir adultes…
… je m’en souviens ! souligna Hissa Luna qui avait suivi l’histoire, bien que muette, sur l’écran pensif de l’encéphale de la conteuse…
… puis Josef reprit l’école. Ah, il fallait voir ses retours, lorsqu’il descendait de Rosalie ! Les huit dindes lui faisaient une fête de tous les diables…
Alors survint la date fatidique du jeudi 23 novembre. On s’apprêtait à fêter Thanksgiving et à occire une des huit pour remercier le Seigneur de ses bonnes grâces, comme le veut la tradition depuis les Pères de la terre promise.
Josef fit alors une grande crise homérique : il refusa tout net que l’on sacrifiât ses dindes, des êtres vivants qui mangeaient… respiraient… chiaient… cacardaient… aimaient… forniquaient… s’écharpaient… tout comme nous.
On assista à une belle empoignade entre le fils et le père.
Yépa parvint à calmer les échanges. On baptisa chaque dinde et elles vécurent ainsi jusqu’à ce que mort de vieillesse s’ensuive, mais elles eurent à jamais une dent contre Gottfried. Il décida alors, une fois pour toutes, qu’il n’y aurait plus de dindes dans sa basse-cour. Les canards vivaient dans les mares – ce serait donc bien plus compliqué pour couver et puis on n’immole pas un canard pour Thanksgiving.
Quoique, avec Josef… rien d’impossible… il couvait tout ce qu’il décidait de couver.
Et la tante de sourire alors que le « Born in the USA of Springsteen  » résonnait pour la douzième fois. Ce dernier multi-bis permit au trio de coiffer des plumes d’aigle et d’abandonner une guitare pour torturer un tambour sioux. On gagna en basses
fréquences…
C’était le but.
Puis ce fut le calme qui allait réunir le Grand Conseil des Anciens autour du tapis vert…
… et vous… vos enfants… ils ont aussi un accent ?
Ce qui prouvait que ces dames avaient à cœur de savoir. On interrogeait Hissa Luna.
… moi… mais tous les enfants… sont mes enfants…
… oui, mais… c’est pas de votre chair…
… on n’est plus certain de tout ça… vous savez !
… quoi ? Mais moi, mon petit, je l’ai fabriqué pendant neuf mois, je sais de quoi je parle…
… oui, mais… tu sais… maintenant… on peut faire fabriquer son petit par une autre…
… ah bon ?
… comment ça ?
La jeune maman expliqua cette nouvelle méthode…
Nous n’entrerons pas dans ces dédales techniques qui requièrent un maximum de connaissances en obstétrique. Néanmoins, l’excipit qui conclut ce débat prémonitoire sur l’avenir des peuples traduisit l’état d’effarement de ces dames à l’idée des liasses de billets verts qu’il fallait rassembler pour parvenir à cette nouvelle gestation…
… moi je peux encore sans les billets…
Le trio de musiciens débranchait les guitares, le dernier hoqueta « Born in zzzz…»  puis resta muet…
Hissa Luna eut quand même le soin d’ajouter :
… c’est la beauté de l’enseignant que d’accueillir toute cette humanité qui va naître dans ce creuset universel et transmettre ce grand message qui va s’épanouir sur le monde !
Les dames restaient pensives… sur les cancel-culture… qui arrivaient par vagues…
Les partitions étaient pliées…
Les guitares aussi…
On pourrait réentendre à loisir le « Born… in… » sur un vinyle – un microsillon si on veut – à l’école ou chez soi pour rester dans le ton…
Hissa Luna organisait des séances culturelles. Ses vinyles étaient offerts par des associations qui venaient de tous horizons. Le « Born… in… » avait beaucoup de succès, d’autres titres bien moins – forcément, on ne pouvait pas lire la langue qui s’étalait sur la pochette…
… c’est du cyrillique ! précisa Josef.
Nous te rappelons, lecteur, que nous sommes au Japon, où nous retraçons les étapes métamorphiques de Josef…
Nous poursuivons en live…
Akio ouvrit le manu-script
« Aujourd’hui, à l’heure du cheval, c’est-à-dire entre 11 heures et 13 heures, Josef poursuit sa passionnante passion, qui, j’espère, passionnera les passionnés des métamorphoses céphaliques passionnantes. Il a décidé de ratisser seul la grande allée qui part de la porte d’entrée, c’est-à-dire le torii vermillon qui sépare l’enceinte sacrée du monde profane – une épreuve en quelque sorte.
Il est sur la voie de la connaissance, c’est prométhéen que de parvenir à ce stade ultime, il y a tant d’écueils. Alors, il a décidé de ne se consacrer qu’à cet exercice, vingt-quatre heures sur vingt-quatre… c’est sublime. Le sensei l’a encouragé à suivre cette voie et lui a prodigué de très courts conseils sous forme de haïkus dans le ton du plus célèbre de tous…                

authentique de la main de Akio

Un ruban de gravier
Un râteau de bambou
Le silence masqué des grenouilles
Ha !

Josef découvrit lors de la première minute de son sacerdoce que le raclement du râteau de bambou perturbait les élévations cosmogoniques des grenouilles de la mare où se miraient les symboles du temple. Il resta donc immobile, en l’attente de la fin du rituel batracien – ce qui prouvait une fois de plus l’extrême sensibilité à laquelle il était parvenu…
Par respect, il ne bougea point, de l’aube au couchant. Le sensei, ne voulant pas interrompre cette mystique communication de l’homme avec la nature ambiante, délégua une armée de moines qui, en moins de temps que je ne le fis pour écrire ce texte, ratissa large et fin, car le sensei avait lui aussi ses liturgies dont le premier commandement était :
“Au boulot !” – ce qui n’enlève rien à l’élan du cœur, mais le complète.
Le premier jour de ce combat entre l’accomplissement du devoir de pénitence et son dérangement causé à la gent batracienne fut intense et passionnant, jusqu’au moment où Josef dut aller pisser.
Alors, il rompit le cadre et l’illumination se fit…
De quel droit s’autorisait-il à ratisser alors que les batraciens jouissaient sans entraves ?
Mais de quel droit ?
Sans doute, ce fut un combat dialectique entre la raison de l’un et la déraison des autres. L’allée du hondo d’une longueur de huit cents mètres sur dix de large en souffrit – elle qui, depuis la nuit des temps, chaque jour bercée par le raclement des râteaux dut faire son deuil de cette symphonie raclatoire – ce fut le second éclair d’illumination par lequel le voile se déchira ; il révéla à Josef ce haïku limpide…

Le choix du jour
Relègue tous les autres
Alors, coassez les grenouilles !
Dans l’eau.

 On retrouva le râteau, dont le manche était soigneusement adossé à une branche de sakura – le fameux cerisier des jardins ; le graphisme calligraphique en fut sublimé.
Josef poursuivait sa progression…
Nous avons vu que la petite enfance de Josef fut vécue entre l’école de Hissa Luna, l’hacienda de Gottfried et l’adoration de Franziska…
Qu’à l’issue de la réunion du Grand Conseil des Anciens, le sort de Josef en fut jeté, sous la houlette de l’oncle banquier et de Barnaby protecteur : il intégrerait l’espace universitaire proche.
Gottfried se sacrifia…
Enfin, il sacrifia un hectare de terre en bordure de la ville qui galopait vers les lointaines banlieues bâtissables. Le banquier se sacrifia, lui aussi, car il en était en quelque sorte l’héritier (puisque l’arrière-grand-père de l’un était venu avec l’arrière-grand-père de l’autre). Il tira un bon prix de la terre, bien qu’un Indien eût levé le doigt sur la réalité de la propriété…
Le banquier lui répondit qu’il était anachronique de planter un tepee dans une cour d’usine, qui allait générer son pesant de dizaines de millions de produits universels pour le bien du peuple, et que lui, l’Indien, ne pouvait opposer un tepee « au jouir sans frontières…
On lui joua « Born… in… ».
Il comprit illico et reçut une reconnaissance sur papier-parchemin héraldique de cent grammes aux armes de la Pennsylvanie, qu’il accrocha au mur de la grande nef…
C’est avec le pécule constitué par ce partage que Josef partit à l’université de Pittsburgh, Pennsylvanie. La recette de cette vente ne fut pas totalement utilisée pour les frais de scolarité, le reste fut géré par notre banquier en bon père de famille.
Et pour prouver qu’il s’occupait bien de ce magot, il venait chaque année rencontrer Gottfried au volant de sa dernière berline, dont l’étoile à trois branches cerclée d’un rond parfait rayonnait si on peut dire, afin d’attester sa probité.
C’est ainsi que Josef quitta le camp retranché de Hissa Luna pour le campus ouvert de l’université.
Comment décrire ce moment de déchirement ?
Il est impossible de le reproduire avec nos pauvres mots. Hissa Luna pleura et versa toutes les larmes dont son généreux corps avait la capacité de produire.
Josef se présenta avec une tronçonneuse pour découper l’arbre qui avait vu et touché le dos de Franziska. Hissa Luna ne put qu’accepter ce dernier don De soi… enfin ce don De tronc.
On vit alors un Josef, qui, hier encore, n’était qu’un bambin, maintenant devenu mâle, jurer comme un bûcheron et tirer la corde de la tronçonneuse pour extraire le derme de la pruche, du conifère à feuilles persistantes. Ce prélèvement permit de créer une saignée – telles ces niches que l’on observe à l’angle des bâtiments anciens, au niveau du premier étage, où irradie un saint qu’une bigote main a placé là – dans laquelle Hissa Luna posa une poupée russe… gigogne…
Si vous passez par-là, n’oubliez pas de demander à votre guide de réaliser un crochet pour saluer les yeux clairs de la divinité. Encore de nos jours, on a ajouté des fanions qui claquent au vent. Parfois, des lumignons luminent autant qu’ils illuminent et des miroirs reflètent l’image au ciel.
Et dernièrement, un élève, passant devant le sanctuaire, a recouvré l’usage de la parole. C’est étrange… curieux… mystérieux… miraculeux.
Quant à Josef, il s’en revint à l’hacienda, avec son bout de pruche qui illumine toujours sa chambre, entre autres talismans…
Akio referma le manu-script, car Josef venait d’entrer dans la cellule… (Lecteur on revient au Japon où Josef est en état de mutation… NDLR)
Que se passait-il ?
Il était fébrile, il fouillait son coffre, il cherchait quelque chose…
Akio s’enquit de sa quête.
… la photo ! marmonna-t-il, hagard…
Akio savait ce qu’il voulait, mais le cheminement du pénitent était complexe. La lumière devait émerger d’elle-même. Certes, le sensei, le sage, voire l’aide-de-camp, pouvaient lui donner la solution, mais cela aurait été une erreur, car alors l’impétrant pénitent interromprait son cheminement sur la voie. Josef était comme un conducteur désemparé qui venait de crever un pneu et qui n’avait pas de roue de secours.
Oui, c’était la même situation, Josef en était là…
Il fit alors ce que devait faire tout sage qui voulait le devenir. Il déménagea le lit, le tabouret et le coffre de sa chambre dehors sur l’aire de gravier qui lui meurtrissait les pieds, car il transportait ses meubles pieds nus. Il revint avec un balai, un seau plein d’eau et de lessive, il se mit à frotter le carré – son carré – à genoux sur la pierre froide.
Akio était admiratif devant une telle passion à vouloir atteindre l’inatteignable. Puis il fallut attendre que le sol séchât…
Josef ouvrit grand la porte et la fenêtre. Là, il s’assit en position du Lotus, il observa l’évaporation des sols, une communion entre la pierre et le cosmos…
Quand ce fut sec…
Dehors, il neigeait…
Le sage n’en avait cure…
Akio avait placé un ventilateur de huit cents watts qui permit aux mystères des évaporations de réussir son miracle…
Le sage suggéra qu’un son viendrait de l’espace bienveillant… pour l’inspirer.
Akio ne le contredit point…
Josef cherchait toujours sa photo.
Il se redressa, sortit, revint avec un cadre, qu’il posa dans l’angle. Il n’y avait pas de photo – incantation qu’il marmonnait toujours…
Il sortit à nouveau et revint avec la planche : matelas du lit… de deux mètres sur quatre-vingts centimètres, qu’il inspecta minutieusement…
Hélas, toujours pas de photo…
Mais le sage ne s’impatiente jamais, il poursuit son cheminement vers la lumière…
… ma photo… je ne suis rien sans ma relique…
Troisième voyage… suivant, il revint avec les roseaux enroulés, tels ces palimpsestes égyptiens qui recelaient jadis des révélations bibliques. Là, ce fut encore plus minutieux. Il déroula précautionneusement la canisse, qui contenait nada
Toujours pas de photo…
Les heures succédaient aux heures…
Mais le sage n’interrompait point sa quête…
Josef vida totalement son coffre, chaque livre fut épluché, page après page, un long travail de fourmi, car le coffre était plein… de livres…
Si long qu’Akio eut le temps de faire une nuit de sommeil, son ratissage quotidien, ses ablutions, ses dévotions, pendant que le sage cherchait toujours…
Josef termina ce cheminement par l’auscultation de chaque vêtement du paquetage, qui était réduit à deux caleçons, deux brailles et deux kimonos…
Enfin…
Devant l’espace vide…
Il resta le tabouret… qu’il retourna…
Rien !
La photo sacrée était introuvable…
Alors Josef posa son cul sur le siège, il leva les yeux au cieux pour implorer le dieu des couillons qui perdent une photo…
Et là, il vit…
Sa photo accrochée au mur.
Elle regardait le sage…
Ce fut une illumination sans frontières…
Et la création spontanée d’un haïku devenu célèbre :

… depuis Akio est devenu célèbre…

 

Le gravier murmure
Aux pieds nus de l’éveil
  En levant la tête !
Quel Grand couillon.

 

 

 

Josef devint translucide, après être devenu lucide. Akio, lui, élucida la situation en calligraphie sur le manu-script, car la force d’un miracle réside dans la torsion de la syntaxe recueillie par le scribe, le livre étant le seul réceptacle du fait – il n’y avait point de caméra ni de témoins professionnels pour transmettre ce moment. Lui, Akio, le fit selon la ritualité précautionneuse du disciple envers son maître.
Et c’est ainsi que le « Fabuleux » devient « Réel » lorsqu’il est consigné sur le parchemin.
Assis, perdu dans la contemplation, Josef méditait. Il n’y a pas d’heure pour méditer, il n’y avait plus de jour, il n’y avait plus d’année… Josef était sur la voie…
Une cloche sonna le moment de la sustentation du corps…
Sauf que, depuis trois jours, Josef, qui venait de vivre sa révélation photographique, n’avait pas suivi le lavage à grande eau de l’épreuve :
… Josef-Jérémie… tu cocottes !
Direction les douches et les lieux d’aisances humides.
Un haïku révéla :

L’eau qui coule
 Délivre le Josef qui pue
Vers le rata qui sonne
Grouille !

… c’est toi qui l’as inventé, Akio ?
Là Josef reçut ses seaux d’eau sur l’occiput, qui le délivrèrent des miasmes stratifiés sur sa peau qu’il avait très sensible.
Toute virginité revenue, Josef précéda Akio…
Ils pénétrèrent dans le réfectoire…
Les moines s’étaient immobilisés pendant le temps des ablutions, l’espace d’une demi-heure à la montre cosmique – autrement dit, une nanoseconde, qui ne peut être comparée à l’illumination de Josef ayant retrouvé sa photo…
Ils se courbèrent…
Ils s’assirent…
Seul le sensei pouvait dire un mot…
Il le formula :
… c’est donc la photo du gri-gri pruche, ce conifère de Pennsylvanie qui effleura le dos de Franziska, que vous ôtâtes du tronc pour le protéger par-devers vous, que votre surmoi recherchait… isn’t ?
Josef inclina la tête, car le sage sachant doit rester muet…
Et ils mangèrent…
Froid !
Après le casse-croûte, Akio nota vite cette pensée dans le manu-script
« Nous eussions pu prendre une autre voie que celle qu’emprunta Josef pour retrouver le
lieu où gisait sa photo…
Si je lui avais révélé l’endroit, nous n’eussions point mangé froid et Josef n’eût point vécu cet instant d’illumination ni obtenu cette revanche sur l’adversité des choses et des êtres qu’illustre si bien cet aphorisme selon lequel la vengeance est un plat qui se mange froid ! Car on venait d’apprendre que Barnaby, nommé général Parker, quittait Yokosuka en prétendant qu’il n’avait jamais eu de relations personnelles avec ce GI – seulement des rapports hiérarchique d’officier supérieur à matelot…
Quel hypocrite !
Maintenant, je comprends pourquoi Josef recherchait tant cette photo, ce talisman immortel… qui le reliait à ses origines… Quel homme ! »
Lecteurs, sachez une bonne fois pour toutes que l’éclosion d’un sage qui veut devenir prophète n’est pas une affaire de tout repos. Dame ! elle mobilise tant le corps que la raison… et… que…  même parfois la raison faut la rechercher, perdue qu’elle est dans les méandres des choses de la vie quotidienne qui emmouscaillent les minutes qui passent. Heureusement, Josef avait retrouvé son bout de pruche, qui même en photo le ravissait fort.
Alors, il se dilata…
Après le rata froid, il partit dans une lévitation dont Akio sera le témoin pour les générations futures…

                                                       Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu