… éveil de la chair avant sanctification…

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30… éveil de la chair… mais Barnaby rode…   

 Où il s’avère que les renseignements du cavalier monté sur l’appaloosa sont justes et pertinents… Les mises en garde se vérifient dans la chair même de Josef. Que dit Akio le fidèle aide-de-camp qui assiste à l’éclosion antéro-postérieure du sage Jérémie ?
… je sais, Josef, c’est dur, mais c’est la voie ! Tu te repentiras plus tard pour tes péchés. Accouche donc !
L’injonction était de nature ésotérique autant qu’érotérique…
… c’est pas au dico…
… je pensais à marotique…
… ça rime ?
… c’est ça ! de marotte…
Alors un narrateur reprit du service. Il poursuivit la rédaction du palimpseste… Akio était en congé…
Saluons, ici, l’abnégation des scribes sans nom qui prirent la relève. Jérémie avait connu, lui aussi nombre de quidams qui œuvrèrent pour son livre aux oracles rassemblés.
Ces anonymes reposent quelque part dans les mausolées de l’histoire de la littérature comme tant d’autres nègres inconnus…
… on ne dit plus nègres, on dit « sous-traitant » ou bien « prête-plume » Oracle de HYWH !…
Josef jeûnait, se mortifiait, s’imposait des contraintes de tous ordres, physique, chimique, biblique. Bref, il tentait de muter, sauf que la chair refusait parfois les ordonnances.
Il eut fallu une bonne b…
… où tu veux, j’irai… baiser !
… ben…
… tu voulais biaiser… ou bais…
… j’endurerai toutes les souffrances…
Et un soir, à l’heure où les coqs se couchent, libérant les chiens qui gardent pendant que les sangliers maraudent, deux ombres sautèrent dans un taxi. La nuit nous empêche de distinguer ces « Hombres »
Où allaient-ils ?
Biaiser, que diable !… une fois n’est pas coutume.
A-t-on ici un élément dans les livres qui puisse laisser à penser que les prophètes ne furent pas tentés par la chair ?
Je vous le demande… ma Chère !
Allons, soyez magnanimes et honnêtes avec vous-mêmes. Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre…
… dans un taxi, c’est difficile il n’y a pas de cailloux… avoua celui qui accompagnait l’autre en regardant la moquette à la recherche du rocher sacrificiel…
La course révélait une certaine pulsion de la part des occupants, ils avaient revêtu leurs masques les plus neutres afin de franchir les dédales des chausse-trappes qui jalonnaient le parcours…
Tous feux éteints, le véhicule fit halte devant une enseigne sans lumière. Les apparences du réel toquèrent à la porte qui s’ouvrit à hauteur des yeux une sorte de judas grillagé qui encadrait un regard masqué…
Le spectre en attente sur le seuil délivra un mot de passe, le lumignon de l’alcôve s’éteignit. L’huis s’entrouvrit sur une noire béance, les deux ombres glissèrent sans bruit dans la chaude matrice.
Des fragrances assaillirent les deux « hombres »…
On se souvenait d’eux !
Ah ! Ah !
Le décorum ouaté était à la hauteur du besoin de leur future mutation. Ils suivirent le guide vers un espace où bruissaient des tintements, des froissements d’ailes, des frous-frous d’étoffes suaves. Des mains libérèrent chaque arrivant de ses défroques profanes pour le nimber d’un linge souple et vierge. Puis elles les dirigèrent vers une étuve où montait une vapeur dilatatoire…
Le voile tomba. Le corps dénudé fut immergé dans une chaude empreinte en water-amniotique. Alors les chairs s’apaisèrent temporairement dans le flux aromatisé.
Les deux corps clapotaient dans le bain chaud…
Ils n’étaient point seuls…
Autour d’eux, on papotait, assis sur le bord du bassin ou perdu dans un rêve adultérin peuplé en queue et tête !
Le barbotage n’était que prolégomènes naturels vers l’étape suivante. Ils furent invités à se placer entre des mains agiles, qui à grande eau bouillante inondèrent des tables sur lesquelles, nus et crus, ils s’allongèrent sur le dos, tous grelots offerts à la sagacité technique des malaxeurs de chair.
L’athlète nippon avait ceint ses hanches d’une braille qui ne masquait que ses pendentifs, torse et jambes nus, il entreprit de récurer le corps du gisant, telles les deux faces d’une crêpe, selon une progression académique, de bas en haut – « étriller » – serait plus juste. Chaque angle, chaque pli, chaque jointure, chaque pliure, chaque muscle, chaque anfractuosité, chaque concavité fut passée en revue. L’athlète écarta les deux segments que d’aucuns nomment jambes qui libérèrent les bijoux de famille. Le trinôme fut délicatement soulevée afin d’en analyser ses dessous. Puis lorsque l’exploration fut terminée, le délicat préparateur physique reposa sur son aire, la triade dûment étrillée et apte à se trémousser ailleurs selon son humeur.
Pour finir, il jeta un grand seau d’eau plus que chaud pour libérer l’être redevenu.
Les ombres fumantes pouvaient alors se jeter sous une fontaine d’eau glacée… entrer dans une pièce aux pierres brûlantes pour éliminer quelques toxines… et rejoindre un guichet qui offrait une serviette-éponge ajoutée d’un kimono présentés dans une enveloppe transparente cachetée, totalement stérile…
On franchit un espace entre étuve et séductions. Là, ils se vêtirent et, plus blancs que la virginité vierge, ils pénétrèrent dans un grand salon où s’alignaient une trentaine de couches. Certaines étaient déjà occupées…
Ce fut l’étape d’un autre massage… après l’eau, direction les onguents…
Ils consultèrent le menu, qui proposait des massages des pieds, du dos, de face, de profil – bref, toutes les surfaces du corps étaient tarifées…
Ils optèrent pour la séance des pieds, qui dura quasiment une heure…
L’office était assuré par des donzelles en tenue vaporeuses
On fut hors-sol…

Ils planèrent… le temps d’une plombe.
La nuit était largement avancée. On franchit l’heure du rat allègrement pour entrer dans l’heure du bœuf – ce qui réveilla le taureau en rut qui était en eux.
Ils attendaient l’apothéose avec impatience, car ils n’en pouvaient plus, les pauvres, de se faire triturer, titiller, tâter, mater, masser, bouléguer. Le vit en alerte était désormais d’attaque turgescente…
Et le divin vint…
Juchés sur des semelles de vent après tant de frotti-frotti, ils quittèrent le dortoir qui s’était plongé dans un sommeil collectif pour rejoindre l’alcôve qui leur avait été attribuée…
Là attendait le miel de l’ultime épreuve celle de la « jouissance sans entraves »… lu dans un French canard made in France…
La maquerelle de l’établissement avait procédé au choix des chairs pour leur ravissement…
Ils avançaient dans un nuage d’ivresse qui émoustillait les neurones. Les ondes sonores musicales d’instruments électroniques s’ajoutaient à ce spleen. Un seul membre de leur corps était encore conscient. Ils n’étaient plus qu’un nœud qui cherchait la matrice…
Les corps s’unirent dans une extase quasi biblique – comme dans le premier livre, celui de la Genèse, avant que le Tout-Haut annonce la chute et la honte…
… ça t’ennuie…
… quoi ?
… la honte !
… je te dirai ça plus tard… il faut savoir avant de dire…
… c’est prophétique…
… à chacun son Job…
Laissons ces sybarites zélés à leurs ébats. Songeons que ces pauvres êtres furent privés des délices de la chair durant leurs macérations dans le temple. À présent, ils mettaient les bouchées doubles… hé bé !
Le manu-script d’Akio développe d’ailleurs une pensée fort judicieuse à ce sujet – nommée étape « post-éjaculatoire » une forme de révélation…
« Car, que tu sois moine, dévot, ascète, ermite, chaste ou religieux, comment peuvent-ils comprendre le renoncement des dilatations de la chair s’ils n’en connaissent point les ivresses, hein ? Certes, il n’est pas nécessaire de se rouler dans le fangouïas, selon l’archaïsme des poètes méridionaux qui en connaissent un rayon au sujet de l’ivresse de l’homme. Mais après un bon bain, un étrillage du corps, un massage des terminaisons nerveuses, il est judicieux de faire suivre ces prémices par un massage du gland dûment reluisant, propre et sain…
Sain, il faut souligner ce concept. Ne baiser que dans un environnement sain. Voilà le secret de l’illumination du saint. Il ne faut pas s’en priver, même si certains textes de scrogneugneux vous agitent du contraire. Baisez à couilles rabattues, car c’est la meilleure façon de comprendre le renoncement trimestriel qui suit…
C’est ainsi que le saint ne peut parler que du tempo sain qu’il connaît. Le prophète, bien que sain lui-même, n’est pas encore saint. Il prophétise, tous les méandres malsains de la pensée humaine ne doivent avoir aucun secret pour lui… pour parvenir à la saine pensée…
Au fond conclut Akio : Dans ce dessin, baisser saint dans un physique sain vont insainble… »
Les deux cénobites, les bien nommés, ne connurent qu’un élan, certes, répétitif, mais un élan bien rut qui les conduisit jusqu’à l’heure du lièvre, vers les 6 heures du mat. Après avoir exprimé plusieurs fois généreusement les arpèges de leurs gammes, ils quittèrent ce local que beaucoup pudiquement nomment : « bordel ».
C’était un peu iconoclaste un brin canaille après tant d’illuminations…
C’est en anachorètes devenus, après avoir revêtu leur costume séculier, que les deux ombres reprirent le taxi, dans lequel elles s’effondrèrent en béatitudes…
Une pensée traversa le physique… non l’esprit des voyageurs. Ni l’un ni l’autre ne se souvenaient ni du corps, ni du visage, ni du galbe, ni des cheveux, ni des fragrances de peau, ni même du nom – si elles en avaient un – de la chair d’une nuit. Seule vibrait encore la pensée du membre au souvenir de la chaude matrice…
… la prochaine fois ! proposa l’un…
… parfaire la connaissance ! dit l’autre…
Pour l’instant, l’extase… les inondait…

Josef allait quitter le Japon… il était salué…

Après cette nuit torride, le taxi les déposa devant le torii dont le grand portail était clos.
Ils pénétrèrent dans le lieu saint par la porte de service…
Promptement, mais sûrement, ils troquèrent leur tunique pour le vêtement monastique des travailleurs du matin et arrivèrent au moment même où se rassemblait le collège des moines cantonniers qui allait ratisser l’allée du temple. Chacun empoigna son outil.
Pendant deux heures… soutenus par deux lignes de moines ratisseurs, plongés dans un profond sommeil, selon une réflexe pavlovien… ils avancèrent en ligne pour virginiser l’allée de gravier concassé et accomplir la pénitence du matin…
Le recueillement était total…
Arrivés au bout des huit cents mètres, après récupération, ils s’éveillèrent.
Nuls n’avaient vu Josef, il était resté dans les starting-block de la ligne de départ. Il méditait… deux heures dura cette introspection sur la jouissance qui irradiait toujours le pensant…
Le sensei salua cette illumination qui forçait l’admiration vers l’accomplissement de la dévotion méditative intérieure de moine…
C’est ainsi que la discipline se révèle chaque jour méthodique et identique : la pénitence permet à la lumière de jaillir au centre de l’être… surtout si on l’attend deux heures de rang…
La journée fut vécue comme un grand moment de recueillement… après tant de purification des chairs…
Akio était debout, tel un androïde qui ne pensait qu’à l’heure du chien pour se mettre au lit ; Josef cheminait accroché à son ombre. Lors des psalmodies en position du Lotus, il s’endormit dans le dojo – ce que le sensei salua comme la quintessence du savoir méditatif, tant le visage, aux yeux clos, illuminé de béatitude forçait l’admiration…
Josef ne revivait pas sa nuit… il dormait… simplement… prophétiquement s’entend.
Si l’art de la concentration se confondait avec le sommeil profond et si le sensei l’assurait, alors toutes les hypothèses étaient possibles…
Et Josef les envisagea.
Dans un élan pavlovien, il repartit voguer dans ses années archéologiques à l’université – celles de son éveil.
Là-bas, il avait découvert le karma sous draps
Ce qui permit de rajouter une paperolle au manu-script
« Nous sommes revenus dans notre carré après le frugal repas du soir, révélait le : manu-script d’Akio. Jugez plutôt : un bol de soupe de légumes sans légumes, puis un bol d’indices de légumes bouillis, enfin pour terminer un légume épicé sans légume. Non, pas de boisson, car la soupe remplit déjà cet office. Un claquement d’un long bois de sycomore sur un autre, tel un clap cinématographique, et nous fûmes restaurés…
Avec ce régime, Josef avait perdu tous les kilos qu’il avait stockés au cours de ses stations précédentes dans les cafeterias Mc-truck visitées autour de la planète, il avait troqué une nouvelle taille de kimono…
Il faut le dire : jadis, inconscient, il entrait chaque fois dans le saint cadre étasunien qui ennoblit le vrai boy franchissant la guérite d’enceinte. Il pénétrait dans un vaste espace au centre duquel flottait une bannière. Bien exposé, se situait le centre de restauration qui offrait ses richesses, au monde ébloui qu’envient toutes les nations de la planète – que l’on nomme l’universalité universelle vers quoi tend l’univers : le Mc-Cola-ketchup-muf en prime… (Précisons que la syllabe “muf” dans ce néologisme n’est pas la lettre grecque “μι” évadée d’une formule mathématique. Que nenni ! la racine « Muf » désigne le muffin, qui rassasie le GI au dessert…)
Mais avant de faire ce périple transplanétaire, Josef, vous vous en souvenez, fut un étudiant consciencieux… »
Il n’était pas encore rassasié de savoir…
Il voulait tout connaître, bien que déjà très avancé dans sa dizaine d’années  – car au moment où il franchit les portes de l’université, il jactait déjà par le menu dix-huit langues totalement fluently et une bonne douzaine d’autres très moyennement qu’il se proposait d’améliorer…
Il fut repéré par des admiratrices qui succombèrent au charme de ce garçon d’une rare beauté, né du croisement d’un Germain et d’une Indienne Algonquin…
Vrai… c’était pas banal !
Bien que l’amphi fût peuplé de gentilés de tous les pays, la couleur blanche dominait – la couleur de peau, dois-je souligner, car pour les cheveux, les vêtements, les pompes et autres attributs divers, c’était un kaléidoscope de nuances dignes d’un rayon de Wal-Mart…
Josef fut donc câliné par une folle troupe de groupies autant pour sa belle tignasse indienne blonde de germain que pour son joli derme de Peau-rouge…
Mais si la plupart des adoratrices quémandaient son attention, c’était surtout pour qu’il se penche sur leurs travaux. Sachez que d’affreux professeurs imposaient des dissertations aussi sottes que grenues…
Alors Josef se penchait sur les donzelles qui donnaient à voir d’autres devoirs bien jubilatoires.
C’est ainsi que Josef pondait spontanément, en l’espace d’une petite heure, une douzaine de papiers sur des sujets les plus divers que ces demoiselles lui demandaient de traduire en langue souhaitée parmi les divers idiomes colonisés de cette même Mitteleuropa, qui était le berceau des gènes de notre héros.
Par ce biais, il put approfondir ses connaissances en matière linguistique, car la progression des notes de ces étudiantes le renseignait sur sa propre évolution (il passa ainsi avec succès une dizaine de diplômes de fin d’année) ainsi que dans une autre matière plus… plutôt moins diplômante… où en travaux pratiques charnels, il était excellent… car les donzelles offraient des remerciement jouissifs.
Notre homme découvrit éros avec héroïsme – une sorte de monnaie d’échange, dans le style :
« Je te baille une copie en échange d’un coït »
Il découvrit que la connaissance des langues pouvait lui donner accès à la connaissance des corps, des cul-tures, des chairs, des postures, des techniques, dans toute leur diversité… kama et sous draps… compris…
Mais puiser dans ces ébats peut épuiser le quidam…
Un matin, il se retrouva seul sur son siège alors que chaque aube le voyait entouré de nouvelles créatures…
« Non, cette fois-ci, ç’en est trop… Tu ne pourras pas continuer à ce rythme… j’y mets le holà !
… qui es-tu ?
… ne me reconnais-tu donc point ?
… je travaille beaucoup… tu sais…
… Franziska ! Enfin…
Là, le scribe ne sut jamais s’il fallait ponctuer avec un point d’exclamation ou d’interrogation. Il opta donc pour les points de suspension, qui sont la marque de l’hésitation dubitative…
Là, Josef eut la révélation du fameux « double bind » d’un certain Bateson que l’on peut traduire par « double contrainte ». Le concept était célèbre.
Disséquons-le néanmoins dans notre menu…
Josef se trouvait face à une nana qui prétendait être Franziska (premier bind), mais qu’il ne reconnaissait pas (toujours le même bind) elle était bien carrossée (on est encore dans le bind initial)
Or, en toile de fond, une injonction de Barnaby le taraudait, tel un tintinnabule à clochettes :
« Take care, Josef, tu es au centre d’un complot… « Père, prends garde à droite ; père, prends garde à gauche » gare à la multiplication des pains… et des succubes ! »
( ça … c’était le second bind.)
Double contrainte… grand écart… que faire au milieu ?
Tâter : avaient conclu les dindes…
Là… à la cafétaria… ben… c’est… pas con-fortable…
L’objet de son interrogation était plus qu’agréable à regarder. Mais doit-on se fier à cette impression-là ?
… quel est l’énoncé de ton devoir ? proposa-t-il.
… je n’ai aucun devoir imposé par ces mandarins, seulement celui que je m’impose à moi-même pour te protéger contre toi-même !
Gottfried lui avait appris alors qu’il était encore nouveau-né que toute relation était toujours tarifée, même et surtout les impositions du fisc, selon un leitmotiv devenu rituel :
Wieviel ? combien ?
Et quelqu’un qui vient te dire qu’il te protège gratuitement, c’est suspect !
… mais l’Ancien Testament ?
propaganda, ajoutait-il… il y a un vice kolossaaaaaaaal… Tu dois prendre tes distances avec ces écrits. Verstanden?… il voulait dire : tu as compris… en un seul mot ! Ah, ils sont forts ces germains…
Elle avait de beaux yeux, des lèvres pulpeuses. La concupiscence jouait un grand rôle dans les relations humaines… dit-on.
« Les lèvres du premier étage sont la clé de celles offertes au rez-de-chaussée ! » prophétisait Gottfried et Josef redécouvrait la poésie pratique de son père, que certains nomment « practicum poeticum ».
Ou quelque chose d’approchant…
Franziska, elle aussi, s’approchait.
Josef eut une idée…
Il s’adressa à ses pulpeuses lèvres en russe – ce qui ne désarçonna en rien la demoiselle, qui répondit dans son jargon cyrillien… c’était un bon indice.
Alors suivit un dialogue que nous tenons à restituer en intégralité :
… comment savoir si tu es vraiment celle qui fut la lumière de mes yeux…  il y a tant d’années ?…
Elle : eh bien, vérifie ! en multi-langue… si tu veux!
Lui : c’était dans une cour !
Sie : c’est ça, un espace…
Er : je te vis en face de moi…
 : vis-à-vis…
他: tu étais adossé à l’ombre
Elle suite : sans soleil…
Lui luit : la taulière africaine t’avait pris par la main…
… elle était noire…
… c’était un matin…
… avant midi…
… il y avait un peuple…
… des gens…
… je te vis, plus tard tu quittas ce lieu…
… pour aller ailleurs…
… je te perdis…
… moi aussi…
… mais alors tu sais tout ce que nous avons vécu…
… forcément puisque c’est moi…
… ah, Franziska… je te retrouve enfin !
Ce fut la soixante-septième révélation bis que Josef obtint ce jour-là. Il en oublia Barnaby et ses avertissements oiseux.
Hélas ! car l’icelle n’était pas Franziska mais sa doublure une succube russe qui espionnait sans vergogne… vous vous en doutiez perspicace lecteur…
Le texte authentique révélait une quantité de paperolles enflammées retraçant ce moment…
Dès lors, Josef ne pondit plus d’in-folio pour les donzelles qui se lamentaient en recevant leurs productions caviardées de red pencil sévère – vengeance du correcteur qui se gaussait de tant de nullités.
Sa protectrice veillait à repousser les assauts des séductions ; elle enflammait les foules, car elle prophétisait l’égal, le juste, le partage, voire la spoliation pour ceux qui bavaient des ronds de chapeau et étaient pressés de jouir…
La foule écoutait l’égérie – enfin un commencement de foule. Josef fut le premier témoin du discours de la zélote russe…
Un après-midi, à la fin d’un cours dans un amphi peuplé de quidams, la voilà qui interpelle le mandarin de service dans une envolée lyrique. Elle avait distribué des tracts ronéotypés qu’elle fabriquait dans une cave. Elle s’était inspirée d’un écrivain français qui avait intitulé l’un de ses romans Les Faux-Monnayeurs dans les caves du Vatican ou quelque chose de très proche. Elle tenait son journal de bord comme le célèbre scribe, qui avait noté dans le sien :
« Le mauvais romancier construit ses personnages ; il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les regarde agir ; il les entend parler dès avant que de les connaître, et c’est d’après ce qu’il leur entend dire qu’il comprend peu à peu qui ils sont. »
… voilà, dit-elle à l’adresse du mandarin qui n’en demandait pas tant, votre diktat nous impose de devenir des clones… de penser selon vos codes… mais sans vos moyens ni vos comptes en banque, ni vos passe-droits, ni votre berline sport ! Or, nous voulons être et être entendus !
Le mandarin était rompu à ces épisodes. Il posa ses lunettes et ses pieds sur le bureau, puis attendit que la donzelle eût terminé sa causerie – ce qu’elle n’était pas prête à faire…
Quelques bolcheviques l’approuvèrent en applaudissant. Soudain, une banderole fut déployée pour revendiquer le droit au droit du droit à l’endroit des droits de toutes sortes que le quidam doit exiger à son endroit afin d’être l’égal en droit et en moyens : c’était adroit… le tout en cancel-culture…
Ce fut un beau ramdam pour valoriser le discours réclamant le droit selon l’antithèse de la droite, c’est-à-dire la gauche à la sauce US, s’entend…
Mais on vit – ou plutôt on entendit – les accents révolutionnaires des jacteurs qui souffraient de faiblesses linguistiques. Car, dans leurs émois, la phonétique révélait des peuples au passé proche de la vastitude russe d’origine sibérienne, ukrainienne, ouzbek, iakoute, bélarusse ou moscovite. Les Géorgiens de Tbilissi mêlèrent leurs voix aux Géorgiens d’Atlanta. Ils n’étaient point cousins, mais, dans cet œcuménisme de revendications, ils pourraient, peut-être gagner quelques dollars…
« Le vrai… l’enseignement vrai… doit non pas cloner… mais laisser la parole aux acteurs, les écouter, les regarder agir. Votre enseignement bourgeois est tout le contraire. À l’extrême limite, vous ne servez à rien… car le vrai est en face de vous… l’authentiquement vrai. Nous ne sommes pas que des numéros. Vous passez à côté de l’insondable… le sublime… le peuple… tous ces êtres qui ont une vie profonde incommensurable… telle celle de cet homme… Oui, je vous le dis, cet homme est l’égal de mille fois votre misérable nature… Lui, c’est un prophète… Josef… lève-toi et marche… parle au monde… »
Un grand hourra accueillit ce sermon…
Et Josef ne jugea pas nécessaire de se lever… il voulait voir avant tout…
L’oratrice poursuivit son oracle en forme de panégyrique :
… il parle dix-huit langues sans avoir suivi les cours d’oncques émérites. Dans ses gènes coule le sang de l’histoire. Il n’a besoin d’aucun certificat pour être, car il est. Nous non plus, nous n’avons besoin d’aucun papier, parce que nous sommes. Il n’y a qu’à investir les start-up par notre seule présence pour que la croissance bondisse…
Parle, Josef…
Josef alors se souvint des célèbres BD comics qu’il lisait jadis… celle de Hagar Dunor le célèbre Roi Viking qui répondit :
«  Oui, mais pour dire quoi ? »
Josef n’était qu’un Béotien, un néophyte des amphis urbains, un cul-terreux du nord de Pittsburgh, un pauvre philistin n’ayant encore jamais pratiqué l’art revendicatif en public.
Certes, la postulation à la fonction de prophète ne comble pas l’abîme entre le vouloir et le pouvoir !…
Alors Josef s’y abîma en racontant sa révolte selon une métaphore devenue célèbre :
« Sacrifier mes dindes… jamais ! »
On applaudit et le peuple devint fervent, car enfin occire une dinde, n’était-ce point un acte barbare où l’horreur se mêlait au racisme pur et dur envers la gent à plumes ?
Alors Josef conta :
« Il était une fois une hacienda modeste de quarante hectares sur laquelle un peuple de migrants se fixa voilà des lustres. Ils venaient de la Mitteleuropa et étaient démunis, pauvres, mais unis. Comme vous tous, ils voulaient s’intégrer. Ils défrichèrent le sol, coupèrent les arbres et repoussèrent les assauts des gens d’en face qui tentaient de les chasser. Ces Pèlerins venaient évangéliser les tribus qui vivaient sur ces arpents. Oh ! Dieux ! Odieux ! Ce furent de sanglants combats, certains d’entre nous périrent… »
Il eut fallu choisir un sacrifice symbolique : occire la dinde un 4 juillet pour réaliser la renaissance intégrale dans la Bannière étoilée. Mais mon cœur ne le put…
… Un jour… c’était un matin…
Et Josef s’arrêta pour jouir de l’effet oratoire, l’amphi était en extase, il poursuivit :
« La dinde avait pondu huit œufs… Je les subtilisai contre le diktat du Vater, qui jura qu’on ne l’y reprendrait plus à nourrir des dindes qui ne pondaient plus d’œufs. Je m’installai dans un tepee et couvai les huit œufs »
Le peuple émit un grand « Wouahhhhh ! ». polyphonique.
Franziska « Approuvouahhh » elle aussi de sa vouah !
… c’est vrai, j’ai vu et j’ai cru ! affirma-t-elle.
… depuis, à l’hacienda, mes huit dindes vivent en paix et l’on ne sacrifie plus cet être sur l’autel de la consommation selon les rites barbares du symbolisme étoilé…
Et pendant que je couvais, j’eus la révélation, que moi aussi, j’étais devenu un barbare… comme tous ceux descendus du Mayflower, je vous le dis mes sœurs et frères, qui assassinèrent ce peuple Indien qui occupait ces lieux depuis vingt mille ans… alors que nous étions venus pour les évangéliser.…
Depuis, je me promis de rectifier cette situation et de rendre à ce peuple les terres et doits qu’ils lui reviennent… depuis je me morfonds je me fustige je me frappe… je me maudis…
… j’ose dire avec fierté qu’en couvant je me confesse de tout ce mal…
Un tonnerre d’applaudissements et de contre-applaudissements salua cette conclusion, qui marqua la fin de la représentation et du cours de cet après-midi-là, car une partie était pour, l’autre contre…
… mais que suis-je ?… ajouta Josef après que le vacarme se fut calmé par la voix autoritaire de la modératrice…
Alors des vagues contradictoires se formèrent dans le peuple amphibien…
Josef vécut son premier sermon d’apprenti prophète…
« Tu n’en resteras pas là ! » conclut Franziska.
Elle avait gagné le premier round. Les adhésions au Mouvement pour la Libération des dindes, dindons et coyotes : la Mouli augmentèrent de jour en jour…
En réalité, souligna le scribe-narrateur, la fille gangrenait le campus… en discours déconstructeur…
Un jour, c’était juste avant midi, la fièvre du vendredi matin allait emporter celle du samedi soir… un anachronisme caché bouleversa les foules…
La fille haranguait le peuple estudiantin avec une fougue qui en amusait certains et en traumatisait d’autres, car enfin qui viendrait emplir les caves et les caisses enregistreuses des salles enfumées pour la sacro-sainte messe du soir, de la nuit et du petit matin ?…
Cette déstabilisation ponctuelle pouvait dégénérer en graves désordres qu’un célèbre transfuge polonais avait décrit sous la théorie dite de « l’effet dominos » qu’il ne faut pas confondre avec « l’effet Dominus » de nos lointains ancêtres – cette théorie veut que, dans certains cas, le premier pion qui tombe entraîne les suivants dans sa chute. L’université de Pittsburgh était célèbre à cause de son melting-pot. Allait-elle gangrener selon la théorie le reste des cinq mille autres campus ?
La donzelle russe le savait et voulait en profiter. Elle étendit son management subversif.
Elle harcelait Josef de courtes injonctions qui le dopaient afin qu’il ponde des oraisons, sermons et prédicats de tous ordres pour qu’ensuite la fille, juchée sur un tonneau renversé, métamorphosée en philosophe existentiel, les lise urbi et orbi à la terre entière… au milieu du campus.
Le mouvement faisait tache d’huile – une réaction qui est également citée pour illustrer l’effet dominos…
Elle devint célèbre… Josef, dans son ombre, produisait autant de textes qu’à l’époque où il soutenait les étudiantes, sauf que l’échange n’était plus aussi fructifieux, fructifiant, fructificatoire…
« Tu baiseras plus tard ! Il faut que les révolutions se passent… »
Un matin… c’était à l’aube…
Josef dormait benoîtement dans son tepee au milieu de ses dindes. Voilà la donzelle qui rapplique.
Les dindes sortirent en furie et se jetèrent sur l’arrivante qui n’était pas seule, car une foule de témoins venait témoigner de visu
« Voilà, mes amis… le sort… l’enfance… la genèse d’un prophète… Voyez comme il conduit sa vie… ! »
Et les flashs de flasher, les caméras de camérer, les téléphones de dreliner car en ce temps-là, ils n’avaient qu’une fonction : le transport de la parole par électron maîtrisé… téléphonie en somme. Ce ne fut que plus tard que la mutation transforma l’instrument en preneur de photos, reléguant le transport son au second plan…
Mais n’allons pas trop vite dans l’enfance d’un prédicateur ni dans la révolution des bécanes électroniques…
« C’est ici que cet homme pond… »
Le peuple ébloui cherchait l’œuf…
« … ses textes… »
Et elle exhibait des liasses de feuillets noirs de calligraphie en ronde à la plume sergent-major…
« Ils vont devenir le sel du peuple… le sang des martyrs… le pain des pauvres… ! »
C’est à ce moment-là qu’arriva Gottfried…
Oh, il n’était pas seul…
Une troupe sur le sentier de la guerre chargeait. Une troupe armée pour de vrai…
De loin, on entendit un certain brouhaha. De près, ce fut un cri de ralliement que Gottfried poussait à chaque dizaine de mètres en se rapprochant. Donc sur cent mètres, il hurla quasi dix fois. Au début, la donzelle, les reporters, les témoins, les groupies, les lobbyistes, les badauds, les pique-assiettes ne comprenaient rien au message et tous croyaient que cette troupe allait se mélanger à leur caravane.
Ce ne fut qu’au septième cri poussé par Gottfried qu’ils comprirent ou plus exactement entendirent sans comprendre, car le Vater jactait en Germain. Il s’époumonait dans un slogan combatif :
« Die Russen kommen! »
… Mais on n’est pas russes ! s’étonna un authentique quidam lorsque éclata le premier coup de feu…
Il restait trente mètres donc trois cris de guerre. Le son s’amplifiait, car Gottfried s’était placé dans le sens du vent qui s’était allègrement allié aux Germains et aux Indiens. Il venait à pas de loup…
… c’est pas juste ! sur les terres des bannières ! dit un témoin qui y perdit son chapeau, car les preneurs de son, d’images et d’intimité refluaient vers l’arrière.
C’est à ce moment que l’on put évaluer la quantité des prosélytes. À l’aller, la donzelle s’était désolée de ne compter qu’un petit groupe, mais lorsque vous les recevez tous sur le paletot, vous mesurez le poids de cette vague…
« Die Russen kommen! »
Gottfried, la pétoire Winchester à la main, le sombrero sur le crâne, tel Custer à la bataille de Greasy Grass, dévalait ses champs, les Indiens à sa suite…
Une douzaine d’Algonquins, de Sioux, d’Apaches, peut-être même quelques Comanches, parents, proches, amis de Yépa, mère de Josef, formaient l’arrière-garde du patriarche germain…
C’était sérieux…
Ils étaient armés de couteaux, d’arcs et de flèches et ils jactaient en langue indienne que nul ne put comprendre, à part les derniers autochtones en liberté qui refusaient de rester derrière une vitre dans un musée.
Ils arrivèrent vers le tepee de Josef, alors, on fut certain que l’hostilité était proche, car tous arboraient des peintures de guerre sur leurs visages… sauf le Vater qui venait de prendre sa douche.
La troupe emmenée par la donzelle russe se délita, se débanda, se replia, hélas, en désordre, dans une fuite éperdue synonyme de bataille perdue. Pourtant, une petite partie qui avait l’esprit vif se tourna vers l’escadron menaçant. Les caméras panotaient… Gottfried hurlait…
Les Indiens posaient pour le journal du soir – on ne passe pas à côté d’un tel moment de gloire : c’était le dernier et ils le savaient.
Devant le tepee donc, l’escadron retrouva quelques monceaux composés de paletots, de casquettes, d’appareils photo, de bouteilles, de chaussures, de lunettes dernier cri, d’un sac à dos plein de paires de chaussures de ballerines, d’un jeu de Monopoly et même de trois jeans qui furent brandis comme de sublimes trophées à l’instar de l’ancien scalp…
Alors les Indiens, sous les ordres de Gottfried, ramassèrent le tout, car la propreté du Germain est proverbiale. Une fois qu’ils eurent recueilli l’ensemble, ils se proposèrent de le revendre au marché du lendemain matin sur une place de Pittsburgh réservée aux minorités qui troquent de pauvres choses contre quelques billets verts…
Ils faisaient les comptes devant le tepee…
La ravageuse… la conductrice… l’oratrice… avait toujours son micro à la main, son amplificateur en sautoir privé de batteries… un petit groupe s’était réfugié dans son dos qu’elle avait large…
Allait-on assister au pire ?
Elle aussi éructait dans son sabir. Elle interpellait les dindes qui montaient la garde devant l’entrée du tepee…
Les Indiens n’en croyaient pas leurs yeux ni leurs oreilles, car les dindes parlaient russe…
« Ça, c’est fort ! dit un éclaireur Sioux.
… mais comment est-ce possible ? s’étonna un Algonquin de passage qui allait faire ses courses au supermarché en construction…
… Josef !

Alors Gottfried leur rappela les capacités du Petit. C’est Josef qui avait instruit ces dames à plumes et elles tenaient tête, ces braves filles, physiquement, car, nul ne comprenait le contenu des échanges…
On se résolut donc à attendre la fin des débats. Gottfried eut le temps de tirer sur un vol de palombes qui eurent la mauvaise idée de passer par là…
« On aura du pigeon aux lentilles demain ! »
Les Indiens détestaient le pigeon. Et pour cause : depuis plus de trois cents ans, c’étaient eux que l’on canardait en les prenant pour ces volatiles. Ils s’assirent donc tranquillement selon la mode indienne et fumèrent la clope du vainqueur…
La donzelle jactait toujours…
Les dindes caquetaient tout autant…
Josef restait absent…
Alors, au loin, on vit venir un appaloosa qui hennit en idiome universel – ce qui pouvait passer pour un prolégomènes pacificateur…
Là, les Indiens jetèrent leur mégot en ricanant…
Les dindes gloussèrent, car elles allaient pouvoir se payer encore une tranche de caquètements en dindo-langage connu d’elles seules… hormis Josef… of course.
La donzelle cria, désespérée :
« Encore lui ?… mais comment fait-il pour savoir ? »
Mais comment cette pauvre fille pouvait-elle ignorer qu’un officier des renseignements US sait tout ?
« Non ! Je ne savais pas ! » confessa-t-elle.
Tout simplement parce que tout ce qui est russe est suspect. C’est le principe même du fondement de la légitimité du parc agressif, défensif, subversif, dissuasif, offensif et même impératif autant que vomitif de l’US-Land – enfin, cette Bannière donnait du travail à son peuple. N’était-ce point, le seul argument ? Construire des canons ou des McDo, peu importait : l’essentiel, c’était le job… contre le Russe.
Eh bien, ce n’était pas le seul. À preuve, Gottfried lui-même n’avait-il pas pris les armes au seul cri de « Die Russen kommen! » ?
Gottfried n’était natif  US que depuis plusieurs générations. Il venait de la Mitteleuropa qui avait vu l’Ours russe…
Cet épouvantail lointain était suffisant pour provoquer l’effroi, le froid, ma fois… parce qu’il était russe et lointain… na !
L’appaloosa vint…
Les dindes se dandinèrent…
Le militaire sauta sur le sol…
… je viens faire la paix… selon les principes étasuniens…
… c’est fait ! dit un vieux Comanche.
… oui, mais je viens signer… cette paix !
Tel César, il se dirigea vers le tepee, ouvrit la peau de bison qui en marquait le seuil, porta son clairon à la bouche et sonna le « Réveille-toi, soldat »
Une fois… deux fois… trois fois… le tepee ne bougeait pas…
Alors… seules… les dindes pénétrèrent dans l’espace réservé aux hôtes qui généralement habitaient ce lieu… le clairon se tut…
Quelques minutes plus tard, Josef sortait sur le seuil…
Il dit :
« I have a dream! »
La fille poussa aussitôt le volume de son ampli portable qui portait haut sa voix après avoir acheté des batteries au comptoir Indien…
« Pour l’emploi, la liberté, l’expression, le partage des riches… »
… arrête de blasphémer ! ordonna le militaire.
Il claqua des doigts… Alors arriva une escouade de GI qui saisit la donzelle par les sentiments. Les caméras s’étaient débandées, les photos épuisées. Nul ne put déchiffrer ce moment puisque aucune image ne parvint à la postérité…
Ce fut donc un non-événement : pas de journalistes, pas de caméras, donc réalité inexistante. On causa, bien sûr… mais sans preuves TV… état rédhibitoire.
Il ne resta devant le tepee que Josef, ses dindes, le militaire, l’appaloosa, les Indiens et Gottfried…
Nul ne sut quel rêve avait remué Josef…
Sauf que Barnaby s’approcha de Gottfried. En privé, il lui souffla très bas, afin qu’aucun
Indien ne puisse l’entendre :
« Cette fille qui poursuit votre fils est un danger pour les étoiles. Elle est l’avant-poste russe qui veut conquérir les territoires en bandes serrées… une espionne qui travaille dans l’ombre… »
… une cinquième colonne !
… ah, vous savez… rassurez-vous, nous la surveillons…
… c’est la fameuse Fran…
… chut ! ne prononcez pas son nom !
… pourquoi ?
… c’est une transfuge… !
… un succube !
… ah, vous savez !
… Josef est-il en danger ?
… lui… non… mais ma carrière… oui !
… que faire ?
… vous savez que je suis à ses côtés ! Je veille !
… bon… j’y vais !
… nous aussi… on va au marché », confirmèrent les Indiens.
C’est ainsi que chacun retourna à ses occupations… et Josef à son rêve…
Heureusement, les dindes veillaient.
Mais nul ne savait ce qui se mijotait dans le crâne de Josef, sauf ceux qui découvriront plus tard ce palimpseste en élaboration. Mais disons-le tout net, Josef, vous l’avez bien compris, se construisait comme tout un chacun. Il allait devenir prophète et ça ne naît pas par enchantement, ce type de bonhomme. Il faut un bon nombre de paperolles, mues et mutations métamorphiques, doutes et redoutes, sans doute…

Laissons ce verbiage et poursuivons… si vous le voulez bien !

                                                Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

 

 

 

Josef idéalise Franziska à la cafétéria de l’Uni… ce n’était qu’un/une succube… Russe…

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29… Who’s this ?

On se souvient que Josef, grand multiglotte devant l’Éternel, avait commencé un manu-script qui fera date dans les études métamorphiques des prophètes, car il décrivait la mutation d’un natif de Pittsburgh en Jérémie réincarné. On se souvient aussi qu’il évoluait par petites touches pointillistes entre le karma du plus haut grattouille-ciel et la ratiocination bas-du-cul de Béotien. Or, il voulait que cela se sache, en ajoutant des « paperolles » pendant son cheminement.
Adonc, lecteur, trouvez ci-après le fameux texte paperollé lors de son entrée à l’université universelle de l’US-Land… qui surgit bien avant son époque GI…

… « Эй, но это Йозеф[1]! »

Josef en resta coi… :
quoi ? Moi qui ne connois oncques citoyens en ce lieu, m’échoir ce salut pacificateur universel en russe ? Serait-ce un signe ?
Il était en mouvement pour quitter la vénérable Rosalie dont les cylindres ronronnaient rond. Moment jubilatoire : Gottfried avait accroché des papiers crépon aux poignées des portes et des fanions érigés sur les ailes qui lui donnaient un air de dragon rouge en goguette. Les étudiants qui stationnaient sur le parvis du gigantesque campus étasunien crurent voir la voiture promo-publicitaire du cirque qui donnait représentation dans l’un des faubourgs de la ville…
Josef, un pied dehors, un pied sur le marchepied, se laissa happer par la foule au sein de laquelle il disparut.
« C’est ainsi que commencent les grands hommes… dans l’anonymat ! – observation digne d’intérêt de Akio – dûment consignée dans le manu-script… le hasard rend souvent bien des services pour que certains deviennent célèbres par le miracle des conjonctions », ajouta Akio réflexion faite.
Et Josef se jeta à genoux devant celle qui était négligemment assise sur le pilier de la rampe d’escalier, à l’endroit même où jadis trônait une mappemonde bétonnée d’un cycle cosmique révolu.
Une Franziska en chair et en os… surtout en chair !
Elle venait d’apostropher Josef, qui était à des années-lumière de sa première adoration dans la cour de l’école primaire de Hissa Luna. À nouveau, la magie du verbe illumina l’impétrant à l’université qui le rendit aussitôt célèbre.
Car on fit cercle autour du passionné : certains applaudirent, d’autres posèrent un doigt sur leurs lèvres fermées en signe de mutique respect, des hosannas furent psalmodiés suivis de selfies. L’heure devint sacrée. Des murmures murmurèrent que cet homme était un Prophète. Il venait de distinguer… nul ne sut quoi… car prestement après son salut, la fille assise venait, elle aussi de se fondre dans la masse ondulante des étudiants…
… hé, prophète… c’est l’heure !
Josef se leva, transfiguré, il suivit la foule qui gravissait les degrés pour atteindre, au loin… le savoir. Franziska s’était immergée dans ce peuple. L’humilité de cette fille était un nouvel indice dont le sens échappait à Josef. Il voulait en avoir le cœur net.
Par un effet conjugué du hasard et de la fuite des corps vers un lieu fort vaste – une sorte d’hémicycle – il sut qu’il venait d’atteindre le saint des saints, c’était écrit sur la porte.
Il entra et vit la foule qui s’échelonnait sur des gradins, sans apercevoir l’objet de son illumination. On le poussait…
… ô, prophète… trouve-toi un siège… reste pas planté sur le seuil !
Il suivit le judicieux conseil…
Il prit place…
Il attendit que le concept vienne à lui comme les abeilles vont aux pistils des fleurs…
Un éminent personnage surgit au centre de l’amphi, sortit des feuilles qu’il posa entre lui et un micro… il tapota l’outil comme s’il voulait en faire tomber la dernière goutte. Il se croyait peut-être encore dans la pissotière. On entendit quelque ploc-ploc. Les portes se fermèrent. Les participants s’ouvrirent aux paroles du dernier arrivant omniscient sur l’estrade.
Ce fut un long laïus sur la nature évolutive des langues, qui était le thème du jour, car Josef suivait les cours de cette science qui étudie les signes linguistiques à la fois verbaux autant que verbeux que l’on nomme sémiologie, mais à la sauce étasunienne.
Ce premier cours fut le moment épiphanique… la réalité cachée ne se manifestait pas… car au bout de quelques minutes, Josef surprit l’hémicycle, qui contenait au bas mot deux fois une centaine d’âmes, se ramollir sous le poids de cet envahissant verbiage… des sons indifférents s’indifféraient…
Josef se leva et formula noblement :
… la thèse sans les parenthèses pour la synthèse de l’exemple, c’est de la foutaise…
C’était osé, mais il osa.
Le cacochyme du pupitre en avala son discours qui portait sur la transhumance des adjectifs épithètes…
… vas-y prophète…
… c’est prévu dans le cours… questionna un étudiant qui se réveillait.
On eut droit à la vraie transhumance des adjectifs, car Josef lia ce voyage à celui de ses ancêtres pour parfaire la chose.
L’autre au pupitre ne devait son titre d’ancien qu’à la seule fonction de son âge, alors que l’ancien Josef le devait à ses racines séculaires – autrement dit, le jeune Ancien en  culotte courte en savait plus que l’Ancien Émérite en culotte longue.
Bref, Josef développa sa thèse. Pour être clair, il prit un exemple avec un mot qui, bien que désignant une chose en réalité, pouvait en désigner une autre – thèse défendue victorieusement par un Suisse aux alentours de 1910…
… si je parle de l’antique Rosalie, par exemple, que je lui affecte un vocabulaire affectueux, affectif, admiratif, mais que je ne précise pas son âge, vous sombrez dans l’évanescent. L’image d’un être se forme dans votre cortex. Vous supputez que le sens de ma prognostication – selon les termes mêmes du très grand Rabelais – vous suggère que je cause d’une gente donzelle puisque Rosalie est un prénom féminin. Or, si j’emploie à présent un verbe… disons, « rouler ». L’histoire devient cocasse. Certes, une donzelle peut rouler des mécaniques… pourtant « Rosalie roule » semble abracadabrant. De quel roulement parle-t-on ? Roule-t-elle des hanches ? des épaules ? des meules ?
Progressivement, Josef, de degré en degré, descendait les marches de la nef. L’émérite s’était tu…
Dans les rangs on se soufflait de bouche à oreille : « c’est un prophète ! »
Le fonctionnaire rangea ses papiers dans une serviette de cuir fauve ayant vécu, sortit un grand mouchoir-éponge et se moucha bruyamment…
Josef arriva à sa hauteur…
L’autre en devint tout rabougri au point de se lever incidemment, de quitter l’estrade et de rejoindre un siège libre tout en bas pour que Josef le Grand poursuive cette magistrale leçon inaugurale que le peuple but à grande lampée…
Un Prophète qui supplante un Émérite… un exemple de cancel-culturenew-age.
… or, dit Josef, Rosalie n’est point une fée, encore moins une tante, ni même une jeune écervelée en guipures de l’époque Renaissance…
… Rosalie est une Ford T2 !
Ce fut l’apothéose…
On vécut un grand moment…
Mais ce n’était point tout…
Il eut le génie de tendre une passerelle entre l’oral et l’écrit, lorsqu’il saisit :
« A chalk to write on the blackboard » afin de décliner des algorithmes et autres extrapolations au tableau…
L’ex-génial professeur émérite avait sorti un portable vierge coréen, il notait le nouvel appli qu’il venait d’entendre, peu importe d’ailleurs sa place dans l’hémicycle, son salaire tombait tout aussi régulièrement…
Puis, l’émérite cessa son tipotap il commença à écouter… peut-être même pour la première fois.
Il était fort le Prophète !
Cette fin d’épisode fit date dans l’histoire de ce campus. Il fallut au bas mot trois quarts d’heure aux étudiants pour déchiffrer le palimpseste du tableau blanc devenu aussi chargée et codée que la stèle d’Hammourabi en cunéiforme…
Puis, l’hémicycle se vida, ne restèrent plus que trois acteurs dans l’agora selon le triptyque classique grec : l’ancien émérite, Jérémie-renaissant et Franziska, qui avait tout vu… tout entendu… et tout compris…
… grec… dites-vous ?
… personne n’a parlé d’Homère…
… j’ai qualifié d’homérique, bien sûr, mais par-dessus tout dramatique, car le nouveau supplantait l’ancien – l’émérite redevenu scolaire en bas de fosse.
La fille juchée aux cimaises de l’hémicycle riait comme une bossue, selon l’expression authentique, bien qu’elle soit dépourvue de cette anomalie physique, à son avantage.
Donc tension.
Le fils venait de tuer le père…
… c’est la référence grecque…
… au figuré of course nota la paperolle de Akio

Oui, le père blessé ruminait cette escobarderie… il comptait saillir pour reprendre la main. La fille, telle une Chimène acide, comptait les points. Nul ne pouvait prévoir le tiercé gagnant, car les personnages s’étaient murés en cire tel le Musée de la Mère Tussauds…
Le temps s’était arrêté jusqu’au moment où une main vint tapoter l’épaule de Josef et qu’une voix émit un message dynamique :
… on ferme !
… le musée ? souffla Josef en relevant la tête.
… non, l’hémicycle ! Répliqua la technicienne des surfaces qui appartenait à l’équipe du soir.
Enfuis, les foules…
Où avaient-ils sombré ces peuples qui avaient écouté la voix… muets d’admiration devant ce florilège de sapience ?
… à la cantine suggéra la technicienne des surfaces.
… Franziska ? murmura Josef en se redressant.
… non, moi… c’est Angelina… dit la balayeuse.
Il commençait à descendre les degrés de l’escalier…
… vot’ biasse ! dit l’Ange au balai, qui l’interpellait afin qu’il n’oublie pas son cartable en authentique peau « made in Germany ».
Aurait-il rêvé ?
Avait-il vécu un enchantement des situations ?
Il voulait en avoir le clair cœur. Il chercha un meilleur adjectif, mais n’en trouva pas sur le moment. Il n’était plus très net ; il oscillait entre deux mondes entre l’épithète et l’attribut, dans lesquels le seul lien tangible serait Franziska, car elle avait tout vu.
Il fallait donc qu’il la revoie.
Mais allez donc retrouver ce lien dans cette foule…
Il cogita, tel le philosophe dans son extase lors de sa découverte du Cogito ergo sum alors qu’il était en panne d’idées – tout comme Josef présentement.
Alors, il erra.
Tout en cogitant, il se perdit dans les dédales du campus, il ouvrait des portes sur des salles vides, des amphis presque déserts, des bureaux intimes, des hémicycles pour recyclages. Chaque fois, il auscultait le public restant, tête après tête, rang après rang, en dévisageant tout ce peuple indifférent, qui le laissait poursuivre sa quête de savoir. C’est en cheminant ainsi qu’il découvrit une formule devenue fameuse, tandis qu’il observait trois étudiants qui montaient les degrés d’un escalier…
« Parmi ces trois voyageurs, s’adressa-t-il à eux, il doit y avoir un enseignement. Il y a quelque chose à apprendre de chacun et de tous. Il faut choisir le bon exemple de chacun et le suivre, mais éviter leurs mauvaises manières ! »
… c’est de 孔子… assura l’un des passants qui jactait le confucéen…
Il fut contrit… sauf que Jérémie avait vécu avant Confucius, la citation du Chinois philosophe n’était autre que celle du Prophète… un plagiat sans doute.
… nonobstant, auriez-vous entraperçu celle qui hante mes nuits, illumine mes jours, astrolabe de mes chemins ? s’enquit Josef aux trois voyageurs ?
… oui, dit un des trois.
… elle est dans son amphi
tryon… ajouta le troisième, sans rire.
… il décrivit la voie… pour atteindre la femelle…
Nanti enfin du sentier qu’il déclina à chaque rencontre – illustrant ainsi le dit de孔子 : choisir le bon exemple, le suivre et éviter les chausse-trappes – il parvint enfin à la cafétéria…
C’était un vaste espace clos par une immense verrière, une chaude agora – telle la matrice femelle…

L’une d’elles était juchée sur un haut siège que, généralement on ne rencontre que dans les bars aux néons mouchés le soir dans de profondes caves enfumées. Que faisait-elle ici ? Nul ne le savait. Elle avait les jambes croisées avec art, il faut le dire. Elle le regardait venir à elle – tel l’aimant qui regarde la ferraille qui va se faire emboutir par les ondes magnétiques aussi sûrement que le moucheron va s’emplâtrer sur le pare-chocs de la loco lancée à vitesse grand V ou… pour filer une autre métaphore, le moineau, hypnotisé par les yeux verts du serpent, paralysé par ce pouvoir, immobile, va se faire gober par le reptile…
… eh bien, Josef… te voilà enfin !
Cette apostrophe lancée à son encontre l’émoustilla fort… elle sentait le biblique…
… comment as-tu fait pour me reconnaître ? La dernière fois que je te vis… c’était…
… dans la cour de Hissa Luna, cette salope…
… c’est ça…
… elle m’a piqué mes Hershey’s !
… tes chocolats… !
… je dépérissais…
… à ce point… ?
… alors l’orthodoxie de ma famille me retira de ce gourbi…
… le chocolat était meilleur là-bas ?
… c’était du шоколад.
… je comprends : chocolat !
… tu es doué…
… c’est toi qui le dit !
… bon, et à part ça ?
… …
Quelques amphis-bis venaient de se vider. Les étudiants remplirent alors l’agora chaude afin de restaurer les fonctions mises à mal par toute cette énergie dépensée à fixer le cogito de chacun.
Josef et la donzelle furent interrompus par le « Brou ! ha ! ha ! » qui s’apaisa lorsque le flux ayant pris place s’appliqua mutiquement à se régénérer.
Elle tira sur sa cigarette, jeta un nuage et dit :
… il faut s’élever hors des cadres, moi, je vais le faire. Tu n’as qu’une vie… Toi qui prétends au sublime, en réalité, tu n’es que germain…
ach was !
… je sais, j’ai tout suivi de loin. J’avais mes espions, c’est même eux qui t’ont fourni la tronçonneuse pour découper le tronc de la pruche de la cour de l’horrible Hissa Luna. Mais grâce à toi, mon nom est inscrit en lettres lumineuses sur la stèle qui offre mes poupées à l’adoration des peuples…
… tu savais quoi ?
… ton éclosion russe, je t’admirais de loin. Je sus que tu couvais une portée de dindes. Je savais que tu avais creusé une tranchée pour les rebelles, que les autorités avaient abdiquées devant ton cran. C’est là que j’ai connu… Barnaby.
… bibliquement ?…
… qu’est-ce à dire ?
… ben comme Eve ?
… mais, voyons, Josef tu plaisantes ? Il aurait fallu un ange Gabriel pour ça. Non, il venait me voir à cause de toi…
… moi ?
… oui, tu t’es confessé à ce GI. Il ne comprenait point ton inclination, mais il avait compris que ton russe pouvait le servir. Il voulait que tu deviennes cadet. Gottfried avait rassemblé la famille pour t’orienter…
… oh ! mais alors…
… ah ! Tu croyais qu’il suffisait que tu penses pour te croire libre. Observe l’enchaînement Josef : Barnaby t’a vu apprendre le russe en six semaines des quatre jeudis, il ambitionne au moins quatre étoiles, comme il est nul en russe, il te recrute, sachant que tu jactes aussi la langue de ta mère… que personne ne comprend.
… ma mère n’est pas Russe…
… ta mère est Algonquin… tu m’as trouvée. Je vais prendre ton destin en main…
À ce moment-là, Josef eut un sentiment obscur… presque un obscur pressentiment. Son inconscient recherchait le nom de l’auteur qui avait écrit :
« Ni Dieu ni maître ! »
La formule était alléchante parce que concise. Pourtant, son soubassement avait accéléré le triomphe rouge – ce qui semblait contradictoire avec cette devise…
… nous allons conquérir ce campus, puis la ville. Enfin, la Bannière perdra ses étoiles, ce design de tigre de papier… tu piges ?
… Blanqui… c’est Blanqui, le génial Blanqui, qui formula cet apophtegme :
« Ni Dieu ni maître ! ».
… tu me plais, toi… t’as d’beaux yeux… tu sais… dit-elle pensive.
Il y eut un hourra dans l’agora, on venait de livrer les nouveaux Mc en do majeur tout chaud…
Puis on en vint au plat de résistance…
… quel cycle suis-tu ?
… le meilleur ! répondit-elle.
… combien de…
… le temps n’a aucune importance, car j’étudie les Centuries de Nostradamus…
… le vieux François… ?
… l’Ancien… il sait tout.
Alors soudain arriva un groupe d’étudiants qui entourèrent la diva. Josef se sentit brusquement relégué au second plan, tel l’insecte rejetant sa vieille carapace après sa mue.
Ils mouftaient les langues en woke extrême… prémonitoire des années se profilant à l’horizon.
Mais plus que le mot, c’était le contenu du mot qu’il ne parvenait point à saisir…
Ils déclinaient leur glossaire en cancel-culture matinée de Coca…
Josef admit son incompétence…
Cela le chagrina fort… car enfin, il était Prophète… et il n’avait rien vu venir.
Car ces turlupins prétendaient également devenir les tenants de la pensée universelle en endossant le costume petit-bourgeois de leurs géniteurs alors au sommet de l’échelle sociale après que l’institution aurait validé leur savoir. En une nuit, le papier en poche, ils coupaient barbe et cheveux, brûlaient leurs oripeaux comme les pèlerins de l’Ancien Monde pour enfiler le look du notable parvenu.
Un auteur « françois » avait caractérisé cette situation d’une sublime concision : « Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary. »
On sautait de la jactance woke au soft language reconstruit, le tour était joué…
Au milieu, Franziska se dilatait dans le nuage des fragrances d’herbes bien de chez eux…
Une certaine lueur d’incompréhension illumina Josef. Il devait faire retraite. C’est ainsi que procédait Jérémie…
Il profita d’une nouvelle vague d’arrivants loqueteux pour se faire la belle en prenant la tangente pendant que l’autre, assise sur le tabouret, les jambes croisées, continuait de jacter.
Nul ne sut comment Josef revint au bercail…
Rosalie n’avait pas bougé…
Gottfried penché sur sa table de travail… dessinait le futur château d’eau…
On se rendit compte, que Josef n’était plus Josef…
Il n’avait même plus l’idée de ce qu’il était devenu…
Il avait envisagé sa future ontologie, mais elle se dérobait.
Un grand barouf l’agitait.
Il eut la prémonition que son temps sur terre était échu et que son rêve était déchu. Alors, il chut loin des vivants pour aller retrouver ses dindes dans son tepee : elles caquetèrent bruyamment en le voyant rejoindre le nid…
Aber warum ?
Ce fut une scène de ménage, avec prises de bec et cous bien droits – plusieurs chapitres d’intensités progressives que nous allons reconstituer…
En chœur, les femelles à plumes se relayèrent pour lui exprimer leur indignation… Elles gloussaient, elles jasaient, elles trompetaient, elles stridulaient en toutes langues pour fustiger son égoïsme et le fait de les avoir quittées pour retrouver cette Russe sur le campus…
Josef se récria que son évolution n’était point close et que le prophétisme l’attendait non loin…
L’explication en dindo-langage universel que Josef parlait à merveille fut musclée…
La pousselado (autrement dit ce troupeau de dindes nommé dans un jargon des troubadours latins), après cette entrée en matière, les dindes se groupèrent pour le snober. Elles exécutèrent une sorte de fandango dans lequel chaque dinde, telle une ballerine, traversa la scène devant Josef sur la pointe des ergots en l’ignorant. Ce fut la fameuse minute de dédain… théâtral bien sûr, car, au fond de leur cœur, les dindes temporairement courroucées gloussaient de chaleur filiale.
N’oubliez jamais que Josef les sauva du bain de sang auquel Gottfried les avait promises pour cette ignoble fête…
Josef comprenait leur réaction – un père a une âme pour ses dindes…
Alors, elles se calmèrent et vinrent toutes les huit se pelotonner contre lui…
Ce fut un moment sublime et rare au cours duquel Josef put enfin reprendre le fil de ses pensées fortement fracassées par l’apparition de Franziska, jambes croisées, cigarette au bec, sur son tabouret de bar…
… ce n’était pas la Franziska de ton éveil… assurèrent les huit… elles en savaient un rayon les filles…
… suis-je à ce point ?
… imbécile avec ce romantisme goethien… tu l’es !
Alors, il jura mais pas trop tard… qu’il suivrait la voie de Jérémie.
Ce fut une nuit prophétique…
Le voile de peau de bison qui constituait la porte du tepee s’ouvrit et la tante Algonquin proposa à Josef de venir manger, mais il avait promis, par égard paternel et solidarité animale, de partager le repas avec ses dindes.
La tante livra la pâtée, faite de son, d’épeautre cuit et de jaunes d’œufs bouillis mixés avec des graminées. Elle avait rajouté une délicatesse : des pointes d’ortie du dernier regain et des asticots vivants qui avaient colonisé les jarres d’orges de la réserve de Gottfried où il brassait sa Saxe-pale-ale… une bière maison bien à lui.
La couvée, ne pas confondre avec la cuvée, et leur géniteur se restaurèrent…
Lorsque la gamelle fut vide, la cellule reformée se plongea dans un sommeil profond…
Mais vous savez sans doute que les dindes ont l’oreille fine. Souvenez-vous de Tite-Live qui raconta le soir à la veillée que les dindes réveillèrent les Romains en voyant venir les Gaulois en catimini…
… c’étaient des oies ! précisa le correcteur.
… eh bien, j’élève mes dindes à ce même titre salvateur ! répondit Josef : parole de Prophète, sans se démonter.
Elles se dressèrent sur leurs pattes et sortirent, furieuses, du tepee, en jappant encore mieux qu’un loup écoutant la venue de l’intrus…
… holà, les filles ! intervint Josef.
Elles se calmèrent, mais n’en jactaient pas moins. L’arrivant sentait la brillantine « Sabre au clair » des GI de West-Point. Le costume était au pli. Le poil du crâne était ras. Les lunettes Ray-Ban en sautoir comme il se doit dans le premier bouton de la chemise amidonnée. L’appaloosa regimba au milieu des gallines qui auraient bien aimé lui croquer un bout de paturon…
… ho !
Le cavalier souhaitait pacifier les préambules…
Et il sauta sur le sol, ce qui provoqua l’envol des gardiennes à plumes…
« Quo vadis domine ? » proclama le hiérarque romain.
« Trattare ! » déclara l’officier cavalier.
Alors, militairement, le GI prit la tête du détachement, suivi des bipèdes et le cénacle s’éloigna afin que nul ne puisse entendre ce qui allait se trattarer…
Mais vous le savez sans doute : tout se sait…
… je suis au courant, commença le GI.
Vous avez bien sûr reconnu Malcom George Barnaby. L’officier Parker, l’ange protecteur autoproclamé…
Josef, tel le Prophète resta mutiquement silencieux, il attendait.
Barnaby prenait son temps pour qu’aucune oreille traînante ne puisse espionner son propos. Seules les dindes suivaient, attentives à la sécurité de leur géniteur…
Barnaby s’immobilisa un instant, se retourna et fit face aux huit paires d’yeux des filles à plumes…
… aucun souci, dit Josef. Elles ont besoin de ma protection, elles ne me quittent pas, et en plus elles savent se taire.
… oui, mais ce que je dis sera écouté, enregistré, divulgué…
… allons, Barnaby, ce sont des dindes… poursuivit Josef en faisant un clin d’œil aux oiselles…
Rassuré, il reprit sa progression par les prés et les champs et oublia la couvée qui derrière eux suivait le cou droit, le regard clair, l’oreille aux aguets…
… voilà… je voulais te dire ! commença Barnaby. Tu es au centre d’un immense complot…
nein?
yeah!
… le cosmos est indigent…
… non, tu as vécu ton premier jour inaugural à l’université…
… ah, tu sais ça aussi !
… j’ai mes mouchards.
… oh !
… on t’a joué un sale tour…
… … !
… la fille que tu as vue à l’entrée du campus assise sur la stèle qui supportait la mappemonde inaugurée par l’ancienne maîtresse du premier manager de ce temple du savoir universel étasunien… eh bien…
… eh bien ?
… c’est cette fille qui fit disparaître la mappemonde en béton que nul n’a revue…
… elle est kleptomane ?
… non c’est pas ta déesse slave, c’est une espionne à la solde des forces contraires… Elle se faisait passer pour ton égérie…
… je m’en doutais…
… sache aussi que depuis l’avènement du Mur effondré à l’Est, nous sommes envahis par ces peuples qui n’ont qu’une idée en tête : celle de nous coloniser. Nous, les US, le peuple le plus pacifique de la noosphère. Nous savons, nous, dans les services de renseignements, qu’ils ont envoyé des succubes sur tout le territoire des étoiles, ils arrivent par la bande pour nous espionner et nous voler les recettes de nos McDo… ils ont commencé par envahir l’université…

… je me disais aussi…
… décris-moi ton apparition…
… elle était blonde…
… évidemment…
… elle avait des yeux vert…
… toutes les Russes ont les yeux verts…
… le teint de porcelaine…
… le meilleur indice des espions… c’est le teint… imparable…
… elle fumait des cigarettes Severnaïa Palmira…
… nouvelle preuve soviétique…
… mais du tabac de Virginie…
… il te fait penser à quoi, ce tabac ?…
… il est virginal… !
… tu es tombé dans le piège de la virginité…
… elle était vêtue d’un sarafan authentique…
… pour te piéger, car ce costume russe est une ruse, il masquait une paire de couilles, mon ami, bien authentiques…
… je n’ai pas osé tâter, je comprends pourquoi elle avait les jambes croisées…
… tu aurais dû ! Et tu aurais compris le stratagème, tout s’explique !
… mais alors… où est Franziska ?
« Qui veut trouver la fille cherche ses empreintes parfumées ! » suggéra mystérieusement Barnaby, en citant un fameux proverbe west-pointien…
La procession progressait progressivement dans le processus de la connaissance. Ce dernier moment stoppa net la progression. Josef, affranchi des menaces qui planaient sur sa tignasse indienne, tourna les talons et se trouva nez à nez avec Barnaby et les dindes, qui incidemment s’étaient rapprochées du cénacle pour n’en perdre aucune miette…
… on t’avait prévenu… lui souffla à l’oreille l’une des huit…
Josef fit face à son destin…
… alors, que me conseilles-tu ?
… tu dois persister dans la voie !
… je retrouverai Franziska. Je le promets à la face du monde, à ses pompes, à ses œuvres…
… sois modeste, Josef, pense d’abord aux US…
Après la fac, tu iras à l’école des cadets de West-Point. Je veille sur toi, mais sois vigilant. Méfie-toi, les Russes travestis en succubes nous cernent, nous espionnent, veulent la peau de nos étoiles. Crois en moi ! C’est la domination du monde qui risque de nous échapper…
… ça, jamais ! caquetèrent les dindes.
… peux-tu imaginer que la noosphère, les peuples, les tribus, les continents doivent vivre sous le joug de l’Ours russe et son orthodoxie, que les moujiks soient contraints d’abandonner la langue étasunienne pour la cyrillique que le Mc à Do disparaisse au profit du bortsch à tous les repas enfin que le Co and Ca soit remplacé par la Vo and Ka ?
… ça, jamais ! jacassèrent les huit.
… alors Barnaby fut triomphant :  » Père, gardez-vous à droite ; Père gardez-vous à gauche! » ainsi que le disait Philippe le Hardi. Ouais, j’étais présent à la leçon…
Et c’est ainsi que s’en revinrent l’officier, l’impétrant et les huit dindes qui se dandinaient fièrement en position de serre-files. Le sujet qu’elles venaient d’entendre était analysé dans ses moindres détails. Faut pas croire, une dinde n’est conne que parce qu’on la traite ainsi, mais huit dindes ensemble, ça cause.
… comment trouves-tu l’appaloosa ?
… hélas ! soupira une ingénue.
… comment ça, « hélas » ?
… il a perdu ses roustons…
… mais il porte beau…
… c’est de la frime…
… il faudra aider notre saint Josef, il a tendance à tout confondre. Tu as vu avec les succubes. L’autre, elle en avait dans les brailles et il s’est gouré en le prenant pour la donzelle…
… la Franziska… il l’avait vue une fois chez Hissa Luna… il y a au moins vingt siècles…
… la seule fois…
… puis elle a disparu…
… depuis, elle a dû grandir, la petiote… mais le Vater, il reste sur son image de sainte…
… va savoir dit une autre, si la Franziska de chez Hissa Luna… n’avait pas une paire de cojones
… c’est vrai, pourquoi on l’a fait/faite disparaître
… il faudra en causer au Vater.
… il s’égare… la preuve, l’autre se fait passer pour la môme en causant russe… avec son sarafan ukrainien… qui masquait…
… ses grelots…
On était parvenu à rejoindre les abords du tepee dans le périmètre sécurisé. Dehors, sur l’aire ouverte de l’hacienda, étaient réunis les membres de la famille, tantes, oncles, papooses, ancêtres, autour du feu. On avait sorti les arcs et les flèches ; les tomahawks étaient aiguisés à la pierre philosophale, ils brillaient d’un gris aigüe. Le Russe pouvait venir. Pas de quartier comme à Little Rock ! La famille fut émue de revoir Barnaby. Il fut fêté comme il se doit. Il était devenu frère lors d’un pacte de sang, où il avait mélangé son sang à son nouveau frère après avoir lardé un coup de poignard sur leurs bras et les avoir liés l’un à l’autre…
Ce fut émouvant, sauf pour l’appaloosa qui se faisait chambrer par les dindes au sujet de ses amourettes absentes. Les filles caquetaient en souvenir du coq de la basse-cour de Gottfried qui avait perdu ses glaouis. Pourtant, il poursuivait toujours les poules à grand renfort de battements d’ailes et de cocoricos de haute-contre…
Les minettes lui tiraient la langue, se gaussaient…
L’appaloosa se morfondait en attendant Barnaby, il jouait au coq…
… c’est un bon guy, pontifia-t-il… Allez ! On y va militaire !
Il parlait de Josef…
Et le fier cavalier reprit son chemin vers son home… Quel homme !

 Comment Josef allait-il franchir cette césure de vie ? Il resta un long moment à observer les postérieurs de l’appaloosa qui traversait les champs fièrement en fouettant ses flancs musclés des longs crins de sa queue. Les dindes caquetaient. Elles prétendirent qu’avec son crincrin, il faisait diversion pour nous faire oublier l’absence de ses joyaux de famille – ceux-là mêmes qui démangeaient Josef… Lisez donc la suite et vous saurez !

[1] « Tiens, mais c’est Josef ! » Cette phrase apparaît immédiatement dans la paperolle du manu-script afin que le lecteur ne se perde point dans l’écriture inventée par saint Cyrille – le russe traduit, en somme…

                                           Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

Hissa Luna raconte la passion de Josef pour Franziska… il avait trois ans et six mois…

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28… temple…

Le lecteur se souvient que nous sommes dans un espace sacré au Japon, dans lequel Josef s’est retiré pour suivre une retraite spirituelle. Là, il est assailli par les instants passés de sa vie. Tel l’insecte dans sa nouvelle chrysalide poursuit sa mutation qui le transformera. Le chapitre qui vient de se clore tenta de décrire la période rose. Il reste quelques témoignages que nous versons au dossier, en particulier lorsque Hissa Luna tentait de décrire les mutations de Josef…
… eh bien, puisque monsieur Josef ne veut pas jouer avec nous, nous jouerons sans lui !
Hissa Luna se fit conteuse, elle narra les humeurs de l’écolier Josef aux Dames de tous âges qui étaient regroupées autour d’elle. Ces mères avaient, elles aussi, des enfants et elles étaient curieuses de recueillir le témoignage d’une brillante représentante de l’art éducatif étasunien
… un jour, commença Hissa Luna, il resta trois semaines sans nous adresser un mot. Pas ça ! Dit-elle en claquant l’ongle du pouce sur les incisives carnassières de sa mâchoire supérieure qu’elle avait puissante.
Des femmes d’origines non confondues attendaient patiemment comment la pédagogie allait résoudre ce mutisme, car elles aussi avaient des papooses qui jouaient ce jeu-là…
… allons donc, ce n’est pas un jeu !
… ah bon ?
… au bout de trois semaines, j’eus une idée…
… dites !
… tes camarades te regardent…
… peufff ! fit-il.
… ils te donnent une note de conduite…
… pooff ! refit-il.
… elle… aussi…
… qui ?
… Franziska !
C’était la solution…
… c’est qui Franziska ? interrogea une jeune dame Équatorienne qui avait presque réussi à s’étasuniser tant sa vêture en denim était quasi étasunienne.
… ah, Franziska ! soupira Hissa Luna.
Et le groupe cosmopolite… soupira en écholalie…
… un jour qui commença tôt le matin, Josef quitta Rosalie, qui venait de se garer devant notre école. J’accueillis Josef dans la cour. Il était guilleret, comme toujours, alerte, sautillant, tête en l’air, les cheveux en bataille, il venait de fêter une année dans notre école. Dans ces moments, on ne parvenait pas à distinguer son origine sa race si je puis dire. Il avait des traits de Peau-Rouge sous une tignasse blonde, mais sous son bras gauche, il portait une sacoche estampillée « made in Germany »… ce qui brouillait les pistes…
… ce jour-là, nous recevions une délégation de pèlerins venant du Grand Est Là-bas… très loin… à l’est… de l’autre côté des mers Atlantes…
Il était comme toujours en train de faire la toupie. Il tournait sur lui-même comme le font souvent les enfants, mais lui, il rajoutait quelques demi-heures de plus avant de se plonger dans la contemplation… du ciel.
Ce jour-là, il interrompit sa toupie à peine commencée pour écouter les membres du groupe qui parlaient un idiome inconnu de nous tous. Il leva la tête, il suivit la délégation. Pendant la visite, quelqu’un salua ce papoose qui écoutait dans une langue que nul ne pouvait décoder…
… eh bien, madame… voilà qu’il répond à une question…
… en quoi est-ce étrange ?
… parce qu’il répond en russe…
… pourquoi en russe ? s’étonna une grand-mère Irlandaise originaire du Bénin.
… c’était la langue des visiteurs !
… et alors ? questionna une jeune maman du Costa Rica…
… mais… Josef ne parlait pas russe… précisa Hissa Luna.
… vous venez de dire qu’il a répondu en russe…
… oui, mais ici on n’enseignait pas cette langue…
… il avait sans doute dissimulé ce détail… les enfants sont malins…
… mais, madame… le russe…
… et nous, alors ? Comment on a fait ? Nous, les Indiens, lorsque les Blancs sont arrivés, on a bien dû se mettre à parler l’étasunien… sinon…
… tu as déjà vu, toi, un Blanc qui parle sioux comanche ou volapük ?
… le volapük c’est pas Indien…
… mais ça y ressemble !
… nous, on a vu un type de l’université, qui venait avec des micros pour enregistrer les vestiges de nos pères. Tu parles, pour nous voler notre patrimoine à cause du pétrole, oui !
Le débat devenait technique, Hissa Luna devait le recentrer immédiatement…
… c’est à ce moment-là que Josef vit Franziska !
On reprit du souci pour écouter l’histoire de Franziska.
… c’était la fille d’un immigré Russe un grand personnage, car la voiture qui la conduisait à l’école était longue comme deux Ford T2.
Le groupe inter ethnie se pâma devant le carrosse long comme deux Ford T2… nouvelle mesure à usage indigènes outre-frontières…
L’histoire devenait odysséenne…
… nous avions accepté son inscription dans notre école, alors qu’elle jargonnait à peine notre universelle langue, je me souviens qu’elle répétait sans cesse qu’elle aimait beaucoup le ketchup depuis qu’elle l’avait découvert au self-service de l’école – car notre école œuvrait aussi pour que cette petite jeunesse découvre les merveilles culinaires étasuniennes…
… le ketchup c’est pas d’ici ç’est Germain…
… et alors qui s’en souvient ?
La délégation quitta notre école, rassurée sur la qualité de nos services…
Franziska tenait une grande poupée qu’elle démonta selon un principe qui nous était inconnu : il s’agissait de multiples poupées éponymes qui s’emboîtaient les unes dans les autres – ce qui fit merveille dans la foule des petits – et des grands.
… on dit poupées girondes… dit une Texane…
… non poupées gigotes… contredit une Italienne…
… poupées gigognes… je crois dit Hissa Luna après une incertaine intense réflexion…
… j’aurais jamais cru… susurra une femme venue d’ailleurs… dont on ne voyait que les yeux…
Là, au milieu des enfants, Josef s’illumina sans qu’on sache si c’était à cause de la poupée ou de Franziska. La cloche sonna et la volée de bambins reflua vers les maîtres, à l’exception de Josef et de Franziska.
Franziska, assise le dos contre un tronc d’arbre, vit Josef se jeter à genoux devant elle. Il lui psalmodia un cantique de sa création en russo-germain, que Josef parlait à la perfection…
C’était une adorable petite fille, mais pas plus adorable que la moyenne, sauf qu’elle avait de longs cheveux blonds doux comme de la soie. Deux lacs illuminaient ses yeux. C’étaient sans doute ces signes extérieurs qui avaient ému Josef – miroirs dans lesquels, j’en suis certaine, se mira l’âme de Josef, car à partir de ce jour, il fut totalement transformé.
… que c’est beau confessa une native de Louisiane… et toutes soupirèrent.
En l’espace d’une journée, il abandonna ses longues périodes mutiques. Il devint profondément compassionnel et se présenta comme un rempart envers les faibles : il aidait les uns, corrigeait les autres, allégeait le fardeau de celui-là et n’hésitait pas à se battre pour défendre son prochain. Il prit même la tête d’une révolte contre les systèmes : une révolte en somme où il avait groupé la classe retranchée derrière une barricade de tables et chaises, il commença à creuser une tranchée afin d’ériger un bastion de rebelles. Il rédigea un texte en douze langues qu’il intitula Manifeste d’un primaire révolté : no passaran.
… qu’est-ce que ça veut dire ?
… c’est crypté…
On tenta un dialogue, mais rien n’y fit, Franziska l’avait changé. On accepta ses conditions…
Il devint totalement apathique le jour où elle disparut…
Les forces russes avaient décidé que cette enfant devait rejoindre un lieu orthodoxe – sans doute celui de ses ancêtres.
Alors Josef émigra au fond de la classe pour se créer une cellule d’anachorète…
… c’est quoi un anachorète ?
… quelqu’un qui se retire du monde…
… à son âge ?…
… Josef était précoce…
… certes… mais à quatre ans et six mois… c’est un peu tôt, non ?…
… il n’y a pas d’âge pour être anachorète… Quatre ans, ça peut parfaitement convenir, tout comme sept, voire soixante-seize… et même plus… Une majorité n’y parvient jamais…
… ça mange encore, un anachorète ?
… mais oui… quand il a faim ?
… alors ça sert à quoi ?
… allez lui demander !
On fut rassuré car Hissa Luna était pédagogue.
Il resta là quelques années jusqu’à ce qu’il ait terminé sa croissance…
… pourquoi là ?
… je savais que vous poseriez cette question. Eh bien, je crois pouvoir y répondre. Notre école avait été le lieu d’éveil de ce mutant. Ici, restait l’arbre qui avait soutenu le dos de Franziska – un quasi-totem qu’il vénérait tous les matins en arrivant à l’école. Il cognait chaque écolier qui venait gratter son écorce pour y graver des cœurs fléchés ou des déclarations d’amour comme : « Bill aime Hilary ».
C’était pour lui un sanctuaire. Aussi se mit-il en faction lors de chaque récréation, pendant laquelle il lisait ses grammaires, ses manuels de syntaxe, ses opus russes en authentique langue de là-bas.
… et toi, ton fils… il y arrive ? demanda une authentique Africaine à sa voisine.
… à quoi ?
… à parler…
… oui… dernièrement, il s’est mis à causer avec un accent… il a changé tous ses habits…
diable !
… non… non c’est la cancel-culture…
il paraît que c’est du wokisme… de l’illumination…
Alors toutes ces dames se tournèrent vers Hissa Luna pour entendre son diagnostic et découvrir quelle était son ordonnance médicale…
… c’est ce qu’on appelle l’acculturation, ou si vous préférez, l’adoption et l’assimilation de la culture de Los Angeles, une sorte de déconstruction…
… alors il devient étranger !
… étranger à qui ?
… ben, à moi !
… si on veut !
… ben, je veux pas !
… oui, mais avec son accent, dit la jeune intégrée, il a toutes les chances de devenir rockeur ou banquier…
… parce qu’il faut un accent ?
… c’est mieux !
… ça gagne bien ?
… j’te dis pas ! Même qu’on dit golden boy
… les rockeurs ?
… non, les banquiers…
… j’y comprends rien, avec son père, on voulait qu’il suive les traces de son arrière-grand-père…
… quel métier ?…
… conducteur de tram…
… ça n’existe plus, ça…
… si… il faut aller à l’université… là où on enseigne les piqûres…
… tu veux dire la médecine ?…
… c’est ça !
Toutes ces dames attendaient qu’une très vieille tante y aille de son anecdote et histoire de famille, mais elle n’osait pas le faire, car comment retracer le jardin antique qu’elle avait parcouru à pied, derrière l’appaloosa de son époux, à la recherche d’un espace vert pour planter son tepee, organiser le campement, faire le feu, cuisiner le pain banique… Elle essuyait une larme…
… j’aurai cent ans à la prochaine lune…
… vous êtes encore bien verte !
… c’est la lune rousse… je lis sans lunettes. J’entends le moindre gazouillis des perdrix des steppes. Même les bourgots. Tu sais, ces escargots qui glissent. Eh bien, je les entends aussi…
Personne n’avait jamais vu de bourgot ni entendu le son du pied de ce mollusque glissant sur les herbes…
… dans la steppe, à l’époque, il y avait tout ce que tu voulais…
… oui, mais il n’y a plus de steppe…
… voilà… c’est bien ça, la steppe nourrissait les bisons, les lièvres, les perdrix et le bourgot…
… nous on va au Wal-Mart… pour se nourrir…
Elle partit dans un grand récit sur les chemins de l’éveil des steppes, la mixité, les mélanges, les métis, la musique, la danse autour du feu, et même les chevaux – les appaloosas, eux, avaient retrouvé leur origine avec les courses dans les grands espaces ; ils étaient devenus des mustangs et ils galopaient toujours… c’est ce qu’elle ne comprenait pas…
… qu’est-ce qui vous chagrine ?
… c’est pas égal, certains retrouvent leurs racines pendant que d’autres les perdent !
On se récria…
… comme ton petit qui parle avec l’accent los-angélésien ! Ces maladies sont provoquées par les Blancs, moi je sais que je ne reverrai plus les bourgots dans la rosée du matin…
… y’en a peut-être au rayon congélation…
Soudain éclata « Le « Born in the USA » la cithare, le violon, les vents unifièrent la diagonale de la nef.
La foule sembla se fondre dans le même moule sur la tonalité volumique du magma sonore Etasusien. Les chairs vibraient, pénétrées par les volutes des ondes hertziennes. L’ancêtre poursuivait son récit mais tel un film muet, car on n’entendait plus sa voix, bien que ses lèvres se mussent encore…
Une tante plus jeune aurait voulu raconter urbi et orbi une autre aventure de Josef, mais l’œcuménisme sonore ne le lui permettant pas, elle se la remémora pour elle-même.
… c’était une affaire bien curieuse… Gottfried avait construit une basse-cour gigantesque. Un jour, il revint à l’office en se grattant le crâne :
… c’est curieux, ce matin, la dinde n’a pas pondu d’œufs.
… si ! répondit Yépa.
… où sont-ils ?
… Josef les couve !
… ça, c’est nouveau ! Bon, je l’emmène à l’école !
… non ! ordonna Yépa… Il couve !
Et Josef, pendant trente jours, ne quitta pas ses œufs. Il avait installé sa couvée dans un tepee. Tous les Indiens de la famille vinrent à leur tour installer deux autres tepees, où ils émigrèrent trente nuits et trente jours, assurant le manger, la toilette et la chaleur humaine. On installa les feuillets, sorte de W.-C. indien, un trou creusé dans la terre et entouré de cannes – car les Amérindiens sont très pudiques…
Pendant les heures où il couvait, Josef révisa ses grammaires russes, allemandes, françaises. Le latin, l’araméen, le grec n’étaient point en reste. Il ouvrit un manuel de japonais qui l’amena au chinois puis à la langue mongole.
Bref, Josef en bonne couveuse bonifia ses esprits et sa compassion… extrême.
Et le trentième jour, alors qu’il lisait un texte en occitan, il accoucha d’une pousselado, une portée de petites dindes : huit joyeux bambins fort remuants. Josef les alimentait lui-même, en confectionnant des pâtés de son-farine-maïs allongés d’asticots et de lombrics qu’il récoltait dans la mare. Il saisissait lui-même la pâtée dans le bac puis tendait sa bouche qu’il sculptait en forme de bec vers les petits qui venaient picorer la manne nourricière directement à ses lèvres…
C’était touchant…
Sauf que, pendant trois mois, Josef fut absent de l’école. Cet espace-temps permit aux dindes de devenir adultes…
… je m’en souviens ! souligna Hissa Luna qui avait suivi l’histoire, bien que muette, sur l’écran pensif de l’encéphale de la conteuse…
… puis Josef reprit l’école. Ah, il fallait voir ses retours, lorsqu’il descendait de Rosalie ! Les huit dindes lui faisaient une fête de tous les diables…
Alors survint la date fatidique du jeudi 23 novembre. On s’apprêtait à fêter Thanksgiving et à occire une des huit pour remercier le Seigneur de ses bonnes grâces, comme le veut la tradition depuis les Pères de la terre promise.
Josef fit alors une grande crise homérique : il refusa tout net que l’on sacrifiât ses dindes, des êtres vivants qui mangeaient… respiraient… chiaient… cacardaient… aimaient… forniquaient… s’écharpaient… tout comme nous.
On assista à une belle empoignade entre le fils et le père.
Yépa parvint à calmer les échanges. On baptisa chaque dinde et elles vécurent ainsi jusqu’à ce que mort de vieillesse s’ensuive, mais elles eurent à jamais une dent contre Gottfried. Il décida alors, une fois pour toutes, qu’il n’y aurait plus de dindes dans sa basse-cour. Les canards vivaient dans les mares – ce serait donc bien plus compliqué pour couver et puis on n’immole pas un canard pour Thanksgiving.
Quoique, avec Josef… rien d’impossible… il couvait tout ce qu’il décidait de couver.
Et la tante de sourire alors que le « Born in the USA of Springsteen  » résonnait pour la douzième fois. Ce dernier multi-bis permit au trio de coiffer des plumes d’aigle et d’abandonner une guitare pour torturer un tambour sioux. On gagna en basses
fréquences…
C’était le but.
Puis ce fut le calme qui allait réunir le Grand Conseil des Anciens autour du tapis vert…
… et vous… vos enfants… ils ont aussi un accent ?
Ce qui prouvait que ces dames avaient à cœur de savoir. On interrogeait Hissa Luna.
… moi… mais tous les enfants… sont mes enfants…
… oui, mais… c’est pas de votre chair…
… on n’est plus certain de tout ça… vous savez !
… quoi ? Mais moi, mon petit, je l’ai fabriqué pendant neuf mois, je sais de quoi je parle…
… oui, mais… tu sais… maintenant… on peut faire fabriquer son petit par une autre…
… ah bon ?
… comment ça ?
La jeune maman expliqua cette nouvelle méthode…
Nous n’entrerons pas dans ces dédales techniques qui requièrent un maximum de connaissances en obstétrique. Néanmoins, l’excipit qui conclut ce débat prémonitoire sur l’avenir des peuples traduisit l’état d’effarement de ces dames à l’idée des liasses de billets verts qu’il fallait rassembler pour parvenir à cette nouvelle gestation…
… moi je peux encore sans les billets…
Le trio de musiciens débranchait les guitares, le dernier hoqueta « Born in zzzz…»  puis resta muet…
Hissa Luna eut quand même le soin d’ajouter :
… c’est la beauté de l’enseignant que d’accueillir toute cette humanité qui va naître dans ce creuset universel et transmettre ce grand message qui va s’épanouir sur le monde !
Les dames restaient pensives… sur les cancel-culture… qui arrivaient par vagues…
Les partitions étaient pliées…
Les guitares aussi…
On pourrait réentendre à loisir le « Born… in… » sur un vinyle – un microsillon si on veut – à l’école ou chez soi pour rester dans le ton…
Hissa Luna organisait des séances culturelles. Ses vinyles étaient offerts par des associations qui venaient de tous horizons. Le « Born… in… » avait beaucoup de succès, d’autres titres bien moins – forcément, on ne pouvait pas lire la langue qui s’étalait sur la pochette…
… c’est du cyrillique ! précisa Josef.
Nous te rappelons, lecteur, que nous sommes au Japon, où nous retraçons les étapes métamorphiques de Josef…
Nous poursuivons en live…
Akio ouvrit le manu-script
« Aujourd’hui, à l’heure du cheval, c’est-à-dire entre 11 heures et 13 heures, Josef poursuit sa passionnante passion, qui, j’espère, passionnera les passionnés des métamorphoses céphaliques passionnantes. Il a décidé de ratisser seul la grande allée qui part de la porte d’entrée, c’est-à-dire le torii vermillon qui sépare l’enceinte sacrée du monde profane – une épreuve en quelque sorte.
Il est sur la voie de la connaissance, c’est prométhéen que de parvenir à ce stade ultime, il y a tant d’écueils. Alors, il a décidé de ne se consacrer qu’à cet exercice, vingt-quatre heures sur vingt-quatre… c’est sublime. Le sensei l’a encouragé à suivre cette voie et lui a prodigué de très courts conseils sous forme de haïkus dans le ton du plus célèbre de tous…                

authentique de la main de Akio

Un ruban de gravier
Un râteau de bambou
Le silence masqué des grenouilles
Ha !

Josef découvrit lors de la première minute de son sacerdoce que le raclement du râteau de bambou perturbait les élévations cosmogoniques des grenouilles de la mare où se miraient les symboles du temple. Il resta donc immobile, en l’attente de la fin du rituel batracien – ce qui prouvait une fois de plus l’extrême sensibilité à laquelle il était parvenu…
Par respect, il ne bougea point, de l’aube au couchant. Le sensei, ne voulant pas interrompre cette mystique communication de l’homme avec la nature ambiante, délégua une armée de moines qui, en moins de temps que je ne le fis pour écrire ce texte, ratissa large et fin, car le sensei avait lui aussi ses liturgies dont le premier commandement était :
“Au boulot !” – ce qui n’enlève rien à l’élan du cœur, mais le complète.
Le premier jour de ce combat entre l’accomplissement du devoir de pénitence et son dérangement causé à la gent batracienne fut intense et passionnant, jusqu’au moment où Josef dut aller pisser.
Alors, il rompit le cadre et l’illumination se fit…
De quel droit s’autorisait-il à ratisser alors que les batraciens jouissaient sans entraves ?
Mais de quel droit ?
Sans doute, ce fut un combat dialectique entre la raison de l’un et la déraison des autres. L’allée du hondo d’une longueur de huit cents mètres sur dix de large en souffrit – elle qui, depuis la nuit des temps, chaque jour bercée par le raclement des râteaux dut faire son deuil de cette symphonie raclatoire – ce fut le second éclair d’illumination par lequel le voile se déchira ; il révéla à Josef ce haïku limpide…

Le choix du jour
Relègue tous les autres
Alors, coassez les grenouilles !
Dans l’eau.

 On retrouva le râteau, dont le manche était soigneusement adossé à une branche de sakura – le fameux cerisier des jardins ; le graphisme calligraphique en fut sublimé.
Josef poursuivait sa progression…
Nous avons vu que la petite enfance de Josef fut vécue entre l’école de Hissa Luna, l’hacienda de Gottfried et l’adoration de Franziska…
Qu’à l’issue de la réunion du Grand Conseil des Anciens, le sort de Josef en fut jeté, sous la houlette de l’oncle banquier et de Barnaby protecteur : il intégrerait l’espace universitaire proche.
Gottfried se sacrifia…
Enfin, il sacrifia un hectare de terre en bordure de la ville qui galopait vers les lointaines banlieues bâtissables. Le banquier se sacrifia, lui aussi, car il en était en quelque sorte l’héritier (puisque l’arrière-grand-père de l’un était venu avec l’arrière-grand-père de l’autre). Il tira un bon prix de la terre, bien qu’un Indien eût levé le doigt sur la réalité de la propriété…
Le banquier lui répondit qu’il était anachronique de planter un tepee dans une cour d’usine, qui allait générer son pesant de dizaines de millions de produits universels pour le bien du peuple, et que lui, l’Indien, ne pouvait opposer un tepee « au jouir sans frontières…
On lui joua « Born… in… ».
Il comprit illico et reçut une reconnaissance sur papier-parchemin héraldique de cent grammes aux armes de la Pennsylvanie, qu’il accrocha au mur de la grande nef…
C’est avec le pécule constitué par ce partage que Josef partit à l’université de Pittsburgh, Pennsylvanie. La recette de cette vente ne fut pas totalement utilisée pour les frais de scolarité, le reste fut géré par notre banquier en bon père de famille.
Et pour prouver qu’il s’occupait bien de ce magot, il venait chaque année rencontrer Gottfried au volant de sa dernière berline, dont l’étoile à trois branches cerclée d’un rond parfait rayonnait si on peut dire, afin d’attester sa probité.
C’est ainsi que Josef quitta le camp retranché de Hissa Luna pour le campus ouvert de l’université.
Comment décrire ce moment de déchirement ?
Il est impossible de le reproduire avec nos pauvres mots. Hissa Luna pleura et versa toutes les larmes dont son généreux corps avait la capacité de produire.
Josef se présenta avec une tronçonneuse pour découper l’arbre qui avait vu et touché le dos de Franziska. Hissa Luna ne put qu’accepter ce dernier don De soi… enfin ce don De tronc.
On vit alors un Josef, qui, hier encore, n’était qu’un bambin, maintenant devenu mâle, jurer comme un bûcheron et tirer la corde de la tronçonneuse pour extraire le derme de la pruche, du conifère à feuilles persistantes. Ce prélèvement permit de créer une saignée – telles ces niches que l’on observe à l’angle des bâtiments anciens, au niveau du premier étage, où irradie un saint qu’une bigote main a placé là – dans laquelle Hissa Luna posa une poupée russe… gigogne…
Si vous passez par-là, n’oubliez pas de demander à votre guide de réaliser un crochet pour saluer les yeux clairs de la divinité. Encore de nos jours, on a ajouté des fanions qui claquent au vent. Parfois, des lumignons luminent autant qu’ils illuminent et des miroirs reflètent l’image au ciel.
Et dernièrement, un élève, passant devant le sanctuaire, a recouvré l’usage de la parole. C’est étrange… curieux… mystérieux… miraculeux.
Quant à Josef, il s’en revint à l’hacienda, avec son bout de pruche qui illumine toujours sa chambre, entre autres talismans…
Akio referma le manu-script, car Josef venait d’entrer dans la cellule… (Lecteur on revient au Japon où Josef est en état de mutation… NDLR)
Que se passait-il ?
Il était fébrile, il fouillait son coffre, il cherchait quelque chose…
Akio s’enquit de sa quête.
… la photo ! marmonna-t-il, hagard…
Akio savait ce qu’il voulait, mais le cheminement du pénitent était complexe. La lumière devait émerger d’elle-même. Certes, le sensei, le sage, voire l’aide-de-camp, pouvaient lui donner la solution, mais cela aurait été une erreur, car alors l’impétrant pénitent interromprait son cheminement sur la voie. Josef était comme un conducteur désemparé qui venait de crever un pneu et qui n’avait pas de roue de secours.
Oui, c’était la même situation, Josef en était là…
Il fit alors ce que devait faire tout sage qui voulait le devenir. Il déménagea le lit, le tabouret et le coffre de sa chambre dehors sur l’aire de gravier qui lui meurtrissait les pieds, car il transportait ses meubles pieds nus. Il revint avec un balai, un seau plein d’eau et de lessive, il se mit à frotter le carré – son carré – à genoux sur la pierre froide.
Akio était admiratif devant une telle passion à vouloir atteindre l’inatteignable. Puis il fallut attendre que le sol séchât…
Josef ouvrit grand la porte et la fenêtre. Là, il s’assit en position du Lotus, il observa l’évaporation des sols, une communion entre la pierre et le cosmos…
Quand ce fut sec…
Dehors, il neigeait…
Le sage n’en avait cure…
Akio avait placé un ventilateur de huit cents watts qui permit aux mystères des évaporations de réussir son miracle…
Le sage suggéra qu’un son viendrait de l’espace bienveillant… pour l’inspirer.
Akio ne le contredit point…
Josef cherchait toujours sa photo.
Il se redressa, sortit, revint avec un cadre, qu’il posa dans l’angle. Il n’y avait pas de photo – incantation qu’il marmonnait toujours…
Il sortit à nouveau et revint avec la planche : matelas du lit… de deux mètres sur quatre-vingts centimètres, qu’il inspecta minutieusement…
Hélas, toujours pas de photo…
Mais le sage ne s’impatiente jamais, il poursuit son cheminement vers la lumière…
… ma photo… je ne suis rien sans ma relique…
Troisième voyage… suivant, il revint avec les roseaux enroulés, tels ces palimpsestes égyptiens qui recelaient jadis des révélations bibliques. Là, ce fut encore plus minutieux. Il déroula précautionneusement la canisse, qui contenait nada
Toujours pas de photo…
Les heures succédaient aux heures…
Mais le sage n’interrompait point sa quête…
Josef vida totalement son coffre, chaque livre fut épluché, page après page, un long travail de fourmi, car le coffre était plein… de livres…
Si long qu’Akio eut le temps de faire une nuit de sommeil, son ratissage quotidien, ses ablutions, ses dévotions, pendant que le sage cherchait toujours…
Josef termina ce cheminement par l’auscultation de chaque vêtement du paquetage, qui était réduit à deux caleçons, deux brailles et deux kimonos…
Enfin…
Devant l’espace vide…
Il resta le tabouret… qu’il retourna…
Rien !
La photo sacrée était introuvable…
Alors Josef posa son cul sur le siège, il leva les yeux au cieux pour implorer le dieu des couillons qui perdent une photo…
Et là, il vit…
Sa photo accrochée au mur.
Elle regardait le sage…
Ce fut une illumination sans frontières…
Et la création spontanée d’un haïku devenu célèbre :

… depuis Akio est devenu célèbre…

 

Le gravier murmure
Aux pieds nus de l’éveil
  En levant la tête !
Quel Grand couillon.

 

 

 

Josef devint translucide, après être devenu lucide. Akio, lui, élucida la situation en calligraphie sur le manu-script, car la force d’un miracle réside dans la torsion de la syntaxe recueillie par le scribe, le livre étant le seul réceptacle du fait – il n’y avait point de caméra ni de témoins professionnels pour transmettre ce moment. Lui, Akio, le fit selon la ritualité précautionneuse du disciple envers son maître.
Et c’est ainsi que le « Fabuleux » devient « Réel » lorsqu’il est consigné sur le parchemin.
Assis, perdu dans la contemplation, Josef méditait. Il n’y a pas d’heure pour méditer, il n’y avait plus de jour, il n’y avait plus d’année… Josef était sur la voie…
Une cloche sonna le moment de la sustentation du corps…
Sauf que, depuis trois jours, Josef, qui venait de vivre sa révélation photographique, n’avait pas suivi le lavage à grande eau de l’épreuve :
… Josef-Jérémie… tu cocottes !
Direction les douches et les lieux d’aisances humides.
Un haïku révéla :

L’eau qui coule
 Délivre le Josef qui pue
Vers le rata qui sonne
Grouille !

… c’est toi qui l’as inventé, Akio ?
Là Josef reçut ses seaux d’eau sur l’occiput, qui le délivrèrent des miasmes stratifiés sur sa peau qu’il avait très sensible.
Toute virginité revenue, Josef précéda Akio…
Ils pénétrèrent dans le réfectoire…
Les moines s’étaient immobilisés pendant le temps des ablutions, l’espace d’une demi-heure à la montre cosmique – autrement dit, une nanoseconde, qui ne peut être comparée à l’illumination de Josef ayant retrouvé sa photo…
Ils se courbèrent…
Ils s’assirent…
Seul le sensei pouvait dire un mot…
Il le formula :
… c’est donc la photo du gri-gri pruche, ce conifère de Pennsylvanie qui effleura le dos de Franziska, que vous ôtâtes du tronc pour le protéger par-devers vous, que votre surmoi recherchait… isn’t ?
Josef inclina la tête, car le sage sachant doit rester muet…
Et ils mangèrent…
Froid !
Après le casse-croûte, Akio nota vite cette pensée dans le manu-script
« Nous eussions pu prendre une autre voie que celle qu’emprunta Josef pour retrouver le
lieu où gisait sa photo…
Si je lui avais révélé l’endroit, nous n’eussions point mangé froid et Josef n’eût point vécu cet instant d’illumination ni obtenu cette revanche sur l’adversité des choses et des êtres qu’illustre si bien cet aphorisme selon lequel la vengeance est un plat qui se mange froid ! Car on venait d’apprendre que Barnaby, nommé général Parker, quittait Yokosuka en prétendant qu’il n’avait jamais eu de relations personnelles avec ce GI – seulement des rapports hiérarchique d’officier supérieur à matelot…
Quel hypocrite !
Maintenant, je comprends pourquoi Josef recherchait tant cette photo, ce talisman immortel… qui le reliait à ses origines… Quel homme ! »
Lecteurs, sachez une bonne fois pour toutes que l’éclosion d’un sage qui veut devenir prophète n’est pas une affaire de tout repos. Dame ! elle mobilise tant le corps que la raison… et… que…  même parfois la raison faut la rechercher, perdue qu’elle est dans les méandres des choses de la vie quotidienne qui emmouscaillent les minutes qui passent. Heureusement, Josef avait retrouvé son bout de pruche, qui même en photo le ravissait fort.
Alors, il se dilata…
Après le rata froid, il partit dans une lévitation dont Akio sera le témoin pour les générations futures…

                                                       Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

… Josef’s destiny : banker or soldier ?

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27… destin de Josef…

Banker or soldier?

… Jérémie !… ô Jérémie !

Josef se redressa sur la claie de roseaux couverte d’une fine toile de coton d’une épaisseur calibrée de deux dixièmes de centimètre. Ces deux strates étaient posées sur une planche d’un résineux local fort de vingt-deux millimètres. Cet ensemble constituait le plan de repos pour la nuit… qui était courte.
L’injonction ne se répéta point.
À l’autre angle du dortoir…
Un autre plan sur lequel Akio écrasait les pauvres roseaux de toute sa masse qui pesait à peine un demi-quintal. Il dormait ou bien il faisait semblant. Était-ce lui qui soufflait son nom ?
Il était 3 heures… Tel le coucou d’une horloge suisse, il sauta de son étagère, se plaça au pied de la couche de Josef et porta le clairon à sa bouche pour jeter aux quatre coins cardinaux la note du réveille-matin…
Après ça, il battit des mains, car le gisant gisait encore…
… Attends, mon coco !
Mais il fut bientôt sur pied… Alors ils chaussèrent des mules… et à la queue leu leu, tels les muletiers du clair de lune… en colonne… le buste droit… le pas glissant… la tête courbée… la jambe hésitante… ils parcoururent les couloirs lisses et ombragés du matin levant.
Parvenus à la salle d’eau, ils laissèrent leurs mules pour qu’elles croquent leur picotin d’avoine qui attendait dans un sac de chanvre tressé et ils pénétrèrent dans le lieu avec aisance.
Là, Josef avait mission de quitter sa chrysalide de nuit pour entrer dans une enveloppe de bain. Quant à Akio, il avait la charge de porter des seaux d’eau qu’il jetait sur la tête du postulant à l’éveil.
Cet effort générait une élévation pour le jeteur d’eau… dans un but illuminatoire, s’entend.
Le seau rempli, il montait six niveaux d’une échelle en bois de rose, qui en comptait sept… Une fois le sommet presque atteint, il versait la somme du contenant et redescendait pour répéter huit fois cette libation du matin – ce qui avait le même effet que le coucou Suisse, sauf qu’il fallait un aide-de-camp, une échelle en bois de rose, un seau, de l’eau et une serviette-éponge.
Après ce rituel, le novice avait le devoir de se sécher pendant que l’aide-de-camp passait sous la douche. Le rituel n’admettait aucun centimètre carré de peau mouillée, même humide. Il fallait que tout soit sec afin que les illuminations soient plus fortes…
« C’est ainsi ! » dit Akio.
Alors, il ouvrait une armoire et passait sa vêture du jour – celle qu’il avait déposée hier soir nuitamment – repliait selon le rituel, la chrysalide de nuit, puis il fermait la porte du casier en bois de pin sylvestre aux nœuds ruisselants de résine…
C’était le début de l’éveil pour celui qui disait que le bois même coupé produisait encore une vivante énergie – autrement dit, une métaphore antique sur la vie et la mort des bois, des hêtres… et des êtres…
C’était aussi bouleversant que collant, mais ils passaient outre ce collatéral détail… L’illumination restait un certain temps avec la résine sur les doigts.
Le parcours illuminatoire se poursuivait par un grand tour du hondo, un circuit qui faisait une boucle, donc une forme géométrique plus ou moins sphérique, telle l’horloge suisse parfaitement ronde…
Oui, mais dans quel sens circumdéambuler ?
Tel fut le dilemme, la première fois lorsqu’il fallut tourner… Devait-on tourner selon les Suisses ou dans le sens contraire ?
« Je ne connais point ce secret ! » souffla Akio, contrit d’une profonde contrition…
Josef dut alors lui expliquer la technique de l’horloge suisse, car Akio n’avait aucune idée de ce qu’était une horloge et encore moins ce territoire… il savait seulement que le monument devait toujours se situer à main droite…
« Eh bien, comme les aiguilles d’une montre suisse… ! »
Depuis, Akio admirait les aiguilles des montres suisses qui avaient la sagesse de tourner dans le même sens que la dévotion du temple.
Le chemin, le sentier, la voie devait se réaliser quelles que soient les sautes d’humeur de la nature… Après la douche suivait parfois une seconde douche, de grêle, de neige, de bourrasques… Les savates chaussant les pieds nus souffraient… les pieds aussi… mais ils progressaient ainsi tous les matins vers l’illumination du soleil levant qui, au fil des saisons, parfois luisait dans leur dos rond…
C’est ainsi qu’ils éprouvèrent les caprices de l’astre…
Ils n’en eurent cure…
Ils accomplissaient, tous les matins, le grand tour…
Puis ils arrivaient devant la porte sacrée du dojo, se déchaussaient pour chausser de nouvelles mules qui leur permettaient de parcourir le couloir conduisant au sein du saint des saints sains, ils quittaient le couloir autant que les mules pour pénétrer dans le lieu de prière, après avoir effectué une inclinaison de la tête en forme de dévotion, et s’asseoir en position du lotus sur la surface nue.
Nous vécûmes lors de la lecture du chapitre précédent comment fut escagassé celui qui n’était point éveillé à cette liturgie : le pauvre Barnaby, les genoux noués d’être resté dans cette extase durant un gros quart d’heure de montre US…
Les moines, parmi lesquels se fondit Josef, pouvaient stationner là jusqu’au rata de midi qui survenait à 13 heures… Cependant, il arrivait que l’un d’entre eux quitte le sol, non pas pour léviter mais pour aller pisser… Il revenait et poursuivait plus léger son extase – jusqu’à ce qu’un autre l’imite.

Josef béotien moine de dos… il médite!

Le sensei donnait le ton… Josef avait pénétré depuis longtemps les langues hiragana et kanji…
Il écoutait, en se posant la seule question qui vaille pour un apprenti pèlerin des choses du monde…
Est-ce que tout ça a un sens ?
Question parfaitement iconoclaste…
Non pas qu’il doutât du sacré rituel en soi… il était bon ton de douter… attitude fort éloignée des us et coutumes de celui de la Bannière étoilée de l’US-Land.
Oui, Josef doutait…
Le sensei le vit…
Il n’avait rien dit, aucun mouvement d’humeur, mais le dos de Josef se releva sous l’injonction des deux coups de bâton que le moine frappeur assenait à chaque assis pour qu’il ne perde pas le fil de la méditation…
Le sensei voyait tout !
Jusqu’à l’impalpable…
Il ne disait rien…
Seuls les moines prenaient la parole ou plutôt lisaient des textes, cent mille fois relues à un peuple bien apaisé – neuf moines….
Josef tenta alors le jeu de la comparaison avec Casque d’or… Lui aussi disait beaucoup… il répétait « America First ! » à un peuple – trois cent cinquante millions d’âmes, sans doute bien remontées…
Puis il s’endormit…
Le moine frappeur le fustigea alors avec sa canne, et Josef revint à sa dernière pensée…
Celle qui tentait de faire la lueur quant à la différence des peuples, et particulièrement leur tendance à copier le maître et à se soumettre à lui sous leurs airs rebelles : ces peuples qui jactaient en US dialecte… bouffaient de la merde en McDo majeur… idolâtraient le vert surtout en liasses de coupures de mille… mais surtout s’agglutinaient sous le parapluie nucléaire en criant : « Au loup ! »
Chemin faisant, selon le principe du rembobinage des pellicules, il revint progressivement sur les pas de sa première vie…
Soudain…
Bien plus tard…
Au milieu d’un matin…
Dans la sérénité du dojo…
Echo de loin, on entendit résonner le pas rythmé des pompes quarante-huit ferrées… Le son se rapprochait, on le sentait joyeux, martial tout autant qu’ému… Étrange, cette émotion métallique… Le ton en mono passa soudain en stéréo pour s’épanouir en quadriphonie ferrée universelle et…

Barnaby s’encadra dans la porte du dojo, rejoint par les moines-pantoufles, tout essoufflés d’avoir tant couru derrière ce dynamisme.
Barnaby s’immobilisa et, dans un grand cri solennel, il jeta à la ville et à la terre :
« Je l’ai ! »
Neuf têtes se tournèrent vers l’astre et attendirent son explication en silence…
« Mon étoile ! Visez-la les mecs ! »
Alors, mes amis, vous auriez dû assister à cette explosion de joie des neuf assis au centre de l’espace sain. Ce fut un muet clignement d’œil, puis un long balancement de la tête, qui reprit son attitude synchronisée et s’orienta vers le mur du fond où se tenait l’effigie de Guanyin silencieuse.
« Je suis muté ! Je suis venu vous dire adieu ! »
Les moines-pantoufles sur le qui-vive attendaient le moment pour déchausser…
« Pas le temps… j’ai laissé quelques présents ! Méditez bien ! Adieu ! »
Barnaby – venu colonel repartait général – peut-être avec de nouvelles pompes de circonstances, tant les fers semblaient neufs.
Josef se pencha vers Akio…
… il m’a livré à la CIA au FBI à l’oncle Sam pour une poignée de dollars… il m’a pompé jusqu’à l’os… voilà le résultat… il a gagné son étoile sur mon dos… il m’ignore…
… Akio fut outré par cette révélation…
On dit… mais est-ce vrai ?… qu’un froissement d’ailes d’un papillon qui se propage à travers l’espace peut provoquer un cataclysme par l’amplitude de sa démultiplication
Josef passa le reste de sa méditation à réfléchir à cette pensée qui avait changé sa vie… un papillon chaussé de quarante-huit ferré…
Les cloches ayant sonné la fin des déductions, les moines refluèrent alors vers leur lieu de compensation des pertes, c’est-à-dire le réfectoire…
Dans la cour du hondo, ils furent confrontés à un monceau de caisses, de cartons et autres sacs éclatants qu’un bahut de l’US-Land avait déchargés…
Le moine économe se grattait la tête, ne sachant que faire de ces corps étrangers autant qu’étranges :
« Singe en boîte » « Soap lyophilisée » « Élément carné séché enrobé de pâte » « Beer »…
Autant que de ces cartons de boîtes de コカコーラ dont l’imprimé de l’une proposait « Kokakōra » venait d’exploser : un liquide aux émanations pharmaceutiques moussait et maculait le gravier de l’allée… sur une surface d’un mètre carré et demi…
Josef s’interrogeait quant au pourquoi, devant l’hétéroclite amas…
Le sensei ordonna une action énergique. Il craignait les contagions. En à peine plus de temps qu’il ne faut pour le noter, arriva une section de plusieurs unités de blanc vêtues, selon les normes de sécurité des industries nucléaires, casquées et masquées, pour pouvoir agir contre les émanations toxiques. Un plateau tiré par quatre hommes suivait. Le tas fut chargé prestement, puis quitta les abords du hondo. Il ne restait que cette tache brune, collante, incrustée dans le gravier… ce  Kokakōra » qui semblait vouloir prendre possession des entrailles du temple…
Le sensei ordonna à nouveau…
Alors une envolée de moines piocheurs ratisseurs bêcheurs encercla le stigmate. Ils parcoururent la profondeur de la croûte terrestre et doublèrent la matière nauséeuse qui émettait ces effluves chimiques autant que pharmaceutiques. Voilà l’allée du hondo où s’ouvrit d’une plaie béante, à ciel ouvert. Les scories s’entassaient dans une douzaine de paniers d’osier. Le plateau revenu livra de nouveaux matériaux vierges, sains, nippons en somme, et emporta les déchets aux gémonies…
Alors les moines fouisseurs rebâtirent le soubassement, le surbassement, le derme du sol et étalèrent le concassé, calibré au micron près selon les normes du temple…
Et, telle la vague de Hokusai prenant toute la largeur de l’allée du hondo, les moines ratisseurs en ligne mouvante râtelèrent au râteau de bambou les huit cents mètres de la voie montante vers le temple, mais descendante vers la sortie, pour effacer les longues souillures parallèles des gommes… qui avaient livré ces scories étasuniennes afin de revenir à la virginité… antique.
Et ce fut bien !
Car, par la même occasion, Josef en perçut objectivement et consciencieusement une illumination.
Mais en trois temps…
D’abord, il n’en crut pas ses yeux quand il vit le tas…
Ensuite, il comprit…
Et enfin, il comprit qu’avec la première étoile de Parker Barnaby qu’il n’y avait rien à comprendre…
Et ce fut l’illumination…
Il lui fallut bien les huit cents mètres pour en expliciter le sens – ce qui occasionnait parfois des stations pour saisir les circonvolutions de la pensée. Heureusement, Akio était présent pour couvrir la surface que Josef allait traiter. La dernière station qu’il fit se situait juste avant une déclivité, devant lui, la vague des ratisseurs s’y engagea, il ne la revit plus, noyé qu’il était dans ses réflexions… ce ne fut que plus tard lorsqu’elle qu’elle revint face à lui, libérée de la force initiale qui avait contraint les moines râteleurs à virginiser l’allée.
Le sensei, dans sa grande humilité, avare de mots, sauf pour faire jaillir l’étincelle, franchit l’espace proche de Josef et le loua muettement pour son acte de ratissage…
Il était inutile d’en dire plus.
Et ce fut bien !
Akio lui enleva le râteau des mains… libérant les paumes qui conservaient encore quelques pansements et aplats de soins, ce qui prouvait une fois de plus que les différentes parties du corps ne s’illuminaient pas à la même vitesse : certaines, telles ses mains, avaient plus de difficultés que les synapses de l’encéphale qui, elles, pétillaient de dynamisme.
Ce constat fut bon !
Enfin presque…
Car l’illumination provoquée par ce monceau de produits US vint fracasser Josef.
Akio écrivit dans le manu-script :
« Josef devient de plus en plus désossé… il perd sa mauvaise graisse… Il faut dire qu’avec les seuls bols de riz et de légumes qu’il becquette à coups de baguettes, il ne risque pas de se charger en gras. Néanmoins, je lui trouve de plus en plus… ou de moins en moins… de poids… rapport à ses lumières… Hier, il est monté sur le mur du hondo en disant :
“D’ici, je vais prendre mon envol… telle la mouette !”
Je lui rappelai que la mouette quittait le nid grâce à ses ailes et que les siennes étaient encore à l’état embryonnaire – ce qu’il admit volontiers… Il me répondit :
“Je t’entends, moine ! Je reste pour parfaire ma boussole… mais viendra le temps où ma croissance sera achevée et ce sera alors la transhumance ailée pour accomplir ma migration !”
Là, il redescendit… mais il se promit de recommencer…
Parfois, dans le dojo, il entonne des cantiques que nul ne comprend, où surnagent les noms de Hissa Luna, Franziska, Rosalie et Jérémie datant de son époque rose…
Le soir même du jour où le colonel Barnaby devint le général Parker, Josef eut un cauchemar qu’il faut raconter dans ses moindres détails…
“Alors… je vis…
Ce tas…
La lumière se fit…
Je compris ces siècles passés où les débarquants du Mayflower, pour amadouer les indigènes purs de pureté, leur tendirent des miroirs, des verroteries et des perles d’un Opéra de Quat’sous…
Les natifs, innocents enfants de la terre, ne savaient pas qu’ils se faisaient rouler dans la farine… Ils se miraient dans le verre tain… ils se découvraient… ils s’admirèrent… ils perdirent leur sens… ils divinisèrent ceux qui venaient leur apporter cette révélation… et ils gagnèrent l’enfer, qui les privait de leurs terres conquises de plus affreuse manière.
Et toi, Barnaby, tu poursuis ton étoile et ta bassesse, en livrant ta soupe pour solde de tout compte – un bazar de misérables dollars pour une étoile…
Mécréant… boutiquier…
Voilà tes manœuvres… Je vois clair… Non, tu ne voulais pas que ma gloire traductrice monte au firmament des forces secrètes… Tu voulais que je fusse le maillon inconnu de ta chaîne carriériste…
Je fus ton moyen…
Je fus l’alien… aliéné…
L’Indien goba l’opium du peuple… ton mercantilisme sucré, lénifiant, infantilisant, mcdonalisant…”
Mais le pire advint lorsqu’il se leva…
Et vint me tirer de ma natte de roseaux, où je dormais comme une souche…
Il voulait m’étrangler, en me traitant d’affreux…
“Auguste pèlerin, lui dis-je, que ta raison se reprenne !… Je ne suis point le quidam que tu sollicites… Je suis ton très humble et très attaché aide-de-camp… Mais si tu poursuis ce pugilat, je me verrai, hélas, dans l’obligation de t’aider à trouver un autre partenaire… !”
Il n’en fit qu’à sa tête et poursuivit l’enserrement de ma glotte, consciencieusement, avec cette inconscience qui caractérise les rêves inconscients.
Alors ?
Alors il se prit deux pains dans le buffet… enfin deux atémis qui le ramenèrent recta dans le droit chemin…
La voie ?
Non… son paddock… silencieusement.
L’illumination !
Non, le sommeil…
Depuis je veille… »
Effectivement, Josef mutait à tel point qu’il fallut lui donner une taille de kimono inférieure à celle qu’il portait… on le perdait dans les plis du coton de celui de son incorporation.
Après son époque rose, il se dilua au cœur de son époque bleue, souvent il mélangeait le rose et le bleu… La couleur qui émergeait passait par toutes les nuances du spectre… Josef, spectre lui-même, se levait… divaguait… soliloquait… s’extrayait de sa chrysalide telle une métamorphose kafkaïenne…
Akio reprit son manuel du bushido pour diversifier les atémis qu’il portait à Josef lors de ses nocturnes sorties.
Akio avait la sagesse : il visait chaque nuit une nouvelle partie du corps de Josef – car l’atémi est un coup porté sans arme à une partie vitale. Or, Josef se levait chaque nuit… Hélas, ses parties vitales ne se renouvelaient point, elles étaient les mêmes d’une nuit à l’autre… il fallut ruser.
Le manuel proposait plusieurs solutions de grands maîtres.
Après les atémis, Akio utilisa la sophrologie – une médecine alternative aux atémis, mais qui pouvait être complémentaire… Je te sophrologue… Si tu mouftes, tu prends deux atémis…
Le traitement fut efficace, mais, comme toujours, la nature finit par s’adapter et Josef également…
Alors Akio se dirigea vers l’hypnose, pseudoscience selon le qualificatif de l’Académie, mais science néanmoins…
Enfin, Josef put s’épancher oralement et nuitamment sur son tapis de roseaux…
Là, il exposa tout ce qui lui venait en tête et même ailleurs… sans queue ni tête de chapitre…
Akio comprit…
Beaucoup de choses…
Il nota l’essentiel…
Lisons…
« Il est 1 heure 36 minutes et 12 secondes, l’“heure du bœuf”… Josef se lève… enfin saute comme un taureau castillan… Il rue… il éructe… le mufle écumant… il se prend pour un novillo – cet animal à cornes de quatre ans, plein de sève et d’énergie…
Bon… et après ?
Il se calme, court puis marche au pas… c’est ainsi toutes les nuits…
Phase 1 : Le soir, après le bol de riz, après les dévotions du soir, après le sutra ouvrant la porte des sommes, Josef sombre… Son matelas de roseaux crissant geint sous le dormeur en crise… C’est ainsi que je peux, moi aide-de-camp, réparer mon corps pendant les deux périodes dites “heure du sanglier” puis “heure du rat”, car Josef écrase ses roseaux avec une application qui fait merveille.
Phase 2 : Parfois, dès la première minute de l’“heure du bœuf”, le voilà qui s’agite… L’autre jour, il coursait une femelle, qui lui répondit : “À l’heure du bœuf, les novillos ne draguent pas les nanas !” Ça l’a calmé !
Phase 3 : Eh bien, nous y sommes !
Je résume, car les incohérences de Josef sont légions étranges au temple.
Josef revisite son parcours archaïque ancien enfui par bribes, tels ces peintres pointillistes qui chaque jour rajoutent une pointe de pinceau sur une surface de quatre par trois : un point par matin, soit trois cent soixante points par an… Combien d’années faudra-t-il pour donner un sens à la surface ? Ce cadre était trop étroit pour Josef : il alignait au bas mot entre trois cents et quatre cent cinquante-six touches par nuit…
Car la somme des vies passées de Josef était incommensurable… Alors, il augmenta les touches… Son record était de deux mille… pendant la pleine lune.
Je vous laisse vivre ces instants tels qu’ils furent vécus – un film à vingt-cinq images seconde… Et je passe la parole au scribe de service qui recompose ce monument… »
L’aide-de-camp put enfin pioncer, mais il veillait…
Car la séquence se déroule dans l’hacienda des parents de Josef, à Pittsburgh, en Pennsylvanie…
Il y a foule…
… Quel est donc l’événement que l’on fête ? demanda le narrateur que l’on avait invité.
… Le passage répondit Gottfried.
… Celui qui décide de l’entrée de Josef dans le giron…
… Le giron ?
… Celui de sa vie d’adulte dans l’environnement…
… Sa profession, en somme…
… C’est ça…
… Autant de personnes pour ce…
… Passage…
Ses interlocuteurs le quittèrent pour rejoindre les nouveaux arrivants. Un service d’ordre accueillait les invités, qui se garaient dans la cour de l’hacienda…

Voilà Cheval-Fou, frère de la mère de Josef… Il était venu avec sa squaw et ses huit papooses qui sautèrent de la Ford T rouge neuve qui fit de l’œil à Rosalie…
À côté vint se ranger le frère de l’oncle de Gottfried, vêtu de l’authentique Lederhose bavarois – cette culotte de cuir tanné par les ans qu’affectionne cette tribu. Il se déracina avec regret de sa berline qui faisait corps avec la culotte. Le peuple vit l’autre éclatant symbole bavarois que la voiture arborait, dont le « made in Germany » avait récemment gagné les cœurs des édiles et des nobles élus : l’étoile à trois branches inscrite dans un cercle parfait…
Ainsi, ce melting-pot mixait les anciens fossiles de la Mitteleuropa en totale mutation avec d’authentiques fossiles amérindiens des plaines de l’Ouest en permutation.
On dressa les tepees…
On poussa et repoussa les limites des murs de la grande salle commune, qui put alors contenir la cinquantaine de sages, car, outre le rituel des agapes, ce peuple était venu pour conseiller le petit…
C’est-à-dire aider Josef lui-même à choisir sa voie.
Bon, ce n’était pas encore le moment…
Il fallut tout un matin de soleil calme pour que la troupe se rassemble dans la nef de l’hacienda… Gottfried avait sorti les rallonges de la table antique qui traversa la pièce en diagonale… Quelques squaws, de vieux Sioux et une troupe d’Algonquins choisirent les tapis proches de l’âtre où tournaient des poitrails de bisons… Dans l’angle opposé, on entreposa la fanfare qui s’était augmentée d’un nouveau membre : un cousin hongrois musicien, il était venu avec sa femme et ses instruments (une cithare et un violon) pour réveiller les genoux lors de quadrilles chaloupés…
Mais ce n’était pas tout…
La famille était d’une grande sagesse pour conseiller les marmots – surtout ceux qui regimbaient : les sanctions pleuvaient et le petit filait droit… ah ça mais !
… Nous avons invité… dit Gottfried dans un élan d’ondes excentriques dans lesquelles le peuple comprit qu’il venait de dire une parole authentique…
À preuve, il continuait :
… afin de relativiser…
Il venait d’apprendre l’existence de ce mot qu’il trouvait beau et forcément il voulait le placer…
… l’institutrice de Josef…
… directrice… souffla Hissa Luna…
… qui directricera les débats… et monsieur l’officier qui officiera les avis… !
Personne n’avait compris le jargon autant que le traitre-mot… Cependant, Josef n’oublia pas cette expression « traître mot », il s’en souviendrait plus tard ! Mais il fallait boire et manger. Alors le peuple applaudit à tout rompre – ce qui fut le sésame ouvrant le ban des agapes.
Quelques convives se penchèrent pour obtenir une traduction, mais ils furent vite repris par d’autres épanchements plus liquides que solides…
Et ce fut bon.
Imaginez l’humanisme qui imprégnait ce peuple qu’Abraham dans sa pleine croissance n’eût imaginé : une foule de Lederhosen et de Dirndl partageant l’atmosphère avec une troupe d’Anishinaabeg et autres Sioux en jeans coiffés de plumes d’aigle. Tous étaient liés par un lien unique, ce sang universel qui réunit les peuples et transcende les différences… L’Indien et le Germain portaient la fameuse montre suisse, made in Switzerland, symbole de la transacculturation qui efface les frontières des peuples et des sexes…
Car, gens ! songez… Il suffit de regarder le cadran du bracelet de son poignet pour savoir, quel que soit l’idiome dans lequel vous jactez, définir l’heure, ce qui est l’alpha et l’oméga de l’espace-temps du dollar, du franc suisse, du mark, du rouble, du yen, de la livre sterling, qui sont les mesures universelles, dont la plus égale était en haut de l’échelle des temps-monnaies : le sieur $…
… On raconte d’ailleurs, dit un cousin de Gottfried à un neveu algonquin en US langage, que le billet vert, le dollar si tu veux, est la démocratisation de la monnaie du Saint Empire germanique nommée thaler
… Comme quoi… « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! » pontifia l’Indien en citant Lavoisier, il ne voulait pas être en reste.
Puis, il termina sa bière brassée selon les principes de Linz dans son verre ad hoc de trente-neuf centilitres.
Un observateur aurait eu intérêt à se glisser de couple de hasard en voisin d’imprévu, de face-à-face de coïncidence en diagonale d’impossible confession, mais cela aurait été indiscret et somme toute d’une pauvre banalité – car ces peuples communiquaient si naturellement qu’il était inutile d’en rajouter…
Yépa, la mère de Josef se trouvait quelque part dans cette foire œcuménique. En cherchant bien, telle une gazelle des grands espaces, elle effectuait les déplacements entre l’office et la salle à manger où cuisinaient un groupe de squaws et quelques Dirndl en tabliers colorés.
C’était sublime.
Heureusement, elle était secondée par l’épouse d’un Kamarad de Gottfried, laquelle était capable de transporter huit chopes de bière, quatre dans chaque main, en un voyage… Elle dépassait Yépa d’une tête et, selon une heureuse expression d’un classique de la littérature française que Josef avait lu récemment dans le texte, l’épouse du Kamarad avançait grâce à « un authentique pas de hussard » que Barnaby admira fort.
Josef philosophait benoîtement…
Il s’était retiré sur le tapis dans l’angle, entre un vieil Algonquin qui fumait son calumet et une mamma squaw qui lui racontait des histoires inouïes de l’époque ancienne des Inuits. Ses deux sœurs jouaient avec les cousins algonquins dans une salle de jeux que Gottfried avait construite pour l’occasion – une sorte de bowling à quatre pistes… C’était bruyant… mais, avec les enfants, ne faut-il point lâcher un peu la bride ?
Quant aux convives, la bride était largement débridée. On atteignit sans frontières le sommet des festins du démiurge du Walhalla du Grand Ouest, où la Kartoffelsalat le disputait aux « rognons de veau et de bison à la sioux », suivis de salades de « Löwen-Zahn et aux lardons et fromage de bouc » qui accompagnaient les « Kartoffeln en gratin », sans oublier « les perdrix des neiges façon rôtis des Sioux » qui se mariaient bien avec des « Kartoffeln en robe de champ »…
Bref, une extrême variété de potatoes, qui venaient toutes des champs de Gottfried – de même que les bisons gros producteurs de rognons, les perdrix des neiges, les Löwen-Zahn, autrement dit les « pissenlits » cueillis dans ses prés, les huiles tirées de ses colzas… Il avait fallu acheter le sel… En réalité, Gottfried avait négocié cet achat en non-achat, en échangeant trois canards contre cinq kilos de sel et trois litres de vinaigre…
C’était équitable… Or, ses billets verts craignaient le froid, mais surtout le commerçant devait lui rendre la monnaie au pfennig près, un poids métallique inutile qui trouait les poches.
Le premier invité passa sous les oriflammes du portail à 9 heures du matin, le dernier n’arriva qu’à 11 heures – deux heures d’horloge qui furent consacrées aux salutations, présentations, félicitations, vaticinations et autres solennisations. Puis ce fut l’échange de cadeaux… On avait apporté des strudels faits maison… des boîtes à outils… des rideaux qui pourraient servir plus tard comme traînes pour le mariage des filles… Un cousin rhénan offrit une magnifique cisaille aux bras escamotables pour élaguer les gourmands des pommiers sans monter à l’échelle… Un neveu avait même déniché dans une brocante deux phares pour Rosalie qui ravirent Gottfried… On ne comptait plus ni les tronçonneuses, ni les socs de charrue, ni les Cocotte-Minute, ni les quelques sacs de semences des nouvelles variétés de Kartoffeln…
Le narrateur se surprit à poser une question :
… et les natifs… qu’est-ce qu’ils avaient offert… car… eux aussi… étaient…
Allez donc y voir ! Lui répondit un touriste qui revenait de la Capitale des Gones…
Dans la remise où Rosalie se reposait, Gottfried avait dressé une grande estrade où chaque arrivant venait déposer son tribut. Les heures passants, le plateau s’était achalandé des multiples dons. Chaque présent était accompagné d’une enveloppe où un titulus vous renseignait sur l’identité de l’illustre donateur. Certains s’étaient permis une coquetterie en calligraphiant leur nom en gothique luthérien du meilleur style…
L’exposition était impressionnante parce qu’elle impressionnait.
Mais…
Où étaient les témoignages des natifs… ?
Là !
… Ah !
Il fallut se pencher sur un carré de toile aux ornementations tissées dans la matière… Oh ! le carré devait bien mesurer soixante mètres sur deux… Il était plié… c’était donc un carré rectangulaire, chamarré, sur lequel reposaient des… des quoi ?
Des dents… des pierres… des sachets poussiéreux… des colliers… des os… des bracelets de cuir… un vieux calumet emplumé… une parure de tête, telle la queue d’un paon en plumes d’aigle… une hache… des plumes… des scalps… des lanières de cuir… un tibia percé devenu flûte… un arc et des flèches… une paire de mocassins… et, debout, un totem…
… c’est un nom algonquin ! souffla le guide au narrateur.
Il culminait à trois mètres au-dessus de cette brocante avec une indifférence de grand sage… Certes, Gottfried avait pesté contre les géniteurs de cette érection… Il ne sut jamais comment, en quelques minutes, le peuple algonquin avait réussi à creuser une alvéole pour ficher le symbole qui interpellait le visiteur.
La face aux grands yeux, le nez de rapace, la bouche peinte… tous ces traits forçaient le respect. Le visiteur s’attendait à ce que s’animent les deux courtes ailes blanches et vertes…
Comme il n’en était rien, chacun pouvait alors admirer les rutilants outils des vingt mètres carrés de l’autel des dons qui conféraient à ce peuple, cette cosmologie pratique si célèbre. Ils éclipsaient, hélas, le tissu, coloré de motifs complexes, trop complexes sans doute, couvert de cailloux que le regard du quidam ébloui ne parvenait plus à isoler du tout…
Néanmoins, là, sur ce présentoir, les deux communautés étaient présentes à égalité… Ici, la quincaillerie pratique « dernier cri » du Nouveau Monde, là, quelques cailloux occultes d’« un jardin » Ancien Monde…
… À chacun son monde ! dit le guide.
Le narrateur ne parvint jamais à savoir si le guide était de l’ancien ou du nouveau, bien qu’il lui ait posé la question…
… Ni l’un ni l’autre… je suis avocat !
Un autre monde… en somme.
Pendant tout le temps qu’il fallut pour garnir les rayons, les invités qui avaient souscrit à ce rituel – après les accueils – se devaient alors d’honorer les flots, flux et autres fluides qui arrosent les glottes – certains étaient gazeux, d’autres aqueux… Enfin, les eaux de feu rosirent les joues…
Une infime proposition offrait des laits de bisonne, de jument, de brebis, de vache, de chamelle et de chèvre, tous issus du cheptel de Gottfried, et autres laits fermentés additionnés de sirops…
Chacun se délecta selon son inclination, laquelle pour certains fut tangente. Car la verticale devint fuyante ou plus exactement fluctuante, passant de la position – 20 degrés bâbord à + 22 tribord… Certains ne résistèrent point à 24 degrés de gîte… Ils s’inclinèrent devant la qualité des fluides pour cuver un moment le temps d’un somme régénérateur gustatif…
Il faut le dire, la route du matin pour venir à la fête avait été éprouvante…
Sur le coup des 13 heures donc, le peuple était rassemblé autour de la table, sauf ceux qui avaient préféré les tapis, les coussins et les tables basses des campements… Josef était de ceux-là…
Gottfried n’avait formulé aucune remarque pour que le rejeton siège à la table communautaire et même s’il l’eût fait, l’ontologique attitude de Josef n’eût point muté des peaux de vache vers la diagonale paternelle…
C’était d’ailleurs dans ces occasions que le peuple pouvait par le menu, si l’on ose dire, constater que Josef, bien qu’étant le fils d’un Germain, aimait se situer généralement dans l’espace géographique des Algonquins…
Hissa Luna l’avait remarqué immédiatement… Elle s’en ouvrit à Barnaby, qui lui caressait l’épaule de ses cheveux en brosse d’officier promu…
Malgré l’insistance de son poil dru, elle poursuivait son observation, puisque ses remarques pouvaient avoir un intérêt anthropologique – car, ne l’oublions point, Hissa Luna n’était ni Amérindienne ni Germaine, ni… ni…
… Ben, elle vient d’où, alors ?
afro-étasunienne… !
Le seul point commun qu’elle avait avec Yépa, c’était leur période petites filles où les bons pères et bonnes sœurs, l’une dans une banlieue du Québec, l’autre dans un boui-boui baptiste de Louisiane, leur avaient chanté des cantiques latins…
Mais qu’il était loin, ce temps où Josef courait vers elle, Hissa Luna la protectrice, pour se reposer sur son sein chaud pacificateur !
Hissa Luna rêvait à ces temps enfuis, pendant que Barnaby lui pelotait la cuisse droite sous la table… Heureusement, elle put continuer son rêve, car Barnaby fut interrompu. Un convive repoussa la chaise du voisin qui était allé gagner de l’espace par un déstockage fort à propos – car les côtes de bœuf rôties arrivaient mit Kartoffeln dazu, « accompagnées de patates », si on veut traduire… car chez Gottfried la patate dominait…
L’homme était jovial, un authentique représentant de la Mitteleuropa établi dans les plaines de l’Ouest. Il avait ôté sa coiffe bavaroise qui l’apparentait aux Indiens algonquins par la plume – était-ce du canard, de l’oie ou de l’aigle ? Nul ne sut. Il n’était point ornithologue, mais banquier.
… Vous, c’est quoi votre job ?
… Général !
Ach !
Ce qui lui permit d’ouvrir grand la bouche pour savourer le premier carré de viande accompagné de Kartoffeln… Puis il s’écoula un certain temps pendant lequel le convive absent revint, décala sa chaise, chamboula le plan de table et se barra à l’autre bout… Le banquier avala.
… Et ça gagne combien ?
Barnaby venait, lui aussi de recevoir sa côte de bœuf mit Kartoffeln dazu… Il huma le plat, coupa la viande, enfourna un morceau, mâcha et avala, puis émit :
… Vous êtes un parent ?
… Mon ancêtre est arrivé avec l’ancêtre de Gottfried… !
… en quelle année ?
… ich weisse überhaupt nicht mehr ! je ne sais plus…
Là, l’homme se leva… la chope avec lui… Il tonna le ton et, comme un seul homme, des dizaines de chopes se dressèrent au-dessus des têtes – ce fut le chant coreligionnaire « Ein Prosit… ein Prosit… ! » qui permit tout à la fois de refaire l’harmonie, de resservir une chope et de desservir le plat vide que certains avaient terminé…
Le banquier avait marqué son terrain pendant qu’un autre se préparait à le suivre…
Il se pencha vers Barnaby, qui n’avait pas répondu…
Wieviel ? Suivi du geste des doigts qui palpent l’oseille… Combien ?
Là, Barnaby se lança dans le plaidoyer de l’ordre universel, que d’aucuns eussent qualifié de nouvelle noblesse du genre Homo Americanus. L’officier était un pur produit de l’US-Land – mais, notez-le bien, un de ces soldats qui s’adaptaient à toutes les configurations de la planète…
Ach ! redit le banquier.
… Mais parce qu’il s’exprime en US-Universal-Language, songez que son territoire est le plus important au monde… avec ses bases dans toutes les provinces de la planète… ! Il n’a même pas besoin de passeport, ni de visa, ni de tracasseries administratives… il voyage sans frontières !
Ach, c’est comme nous… À la banque, on peut saluer tous les Kollegen dans nos succursales… ! Nous aussi, on n’a pas besoin de passeport… En un clic, on rapatrie les virements de cinq, dix, vingt zéros… ! »
Et l’homme se leva et tendit une main à Barnaby qui gicla de sa chaise et lui serra la pogne comme un étau…
Freundschaft… Amitiés totales !
Et les deux hommes s’étreignirent virilement comme de vieux Kameraden retrouvés…
L’avenir de Josef en était l’horizon proche.
Hissa Luna n’avait écouté que d’une oreille, mais, soudain, elle ne voulut plus quitter le fil de l’évolution de l’échange… Elle avait consenti à prendre une assiette de Kartoffeln sans viande… Elle voulait rester zen… enfin, si possible… car elle avait tendance à s’épanouir dans ces ambiances…
Hissa Luna était émerveillée de voir cette Indienne, cousine et mère de trois enfants, mince comme un fil de fer, évoluer au milieu de cette humanité bien en chair…
Elle voltigeait sur ses mocassins dans sa longue robe de peau brodée. Hissa Luna enviait ses longs cheveux noirs corbeau, qui lui descendaient dans le dos et qui flottaient au vent, alors qu’elle-même devait passer des heures chez la coiffeuse pour obtenir le même effet… enfin presque…
Profitant de l’instant où Yépa vint prendre de ses nouvelles, elle se risqua à lui demander :
… Comment faites-vous pour rester aussi mince ?
Yépa se lança en trois mots dans un récitatif sanitaire :
… brouets de légumes à l’eau, lait de jument, fromage de bisonne… herbes des champs…
… Mais… ? interrogea Hissa Luna.
… Oui… Gottfried cuisine son menu et moi le mien…
… Et les enfants ?
… Les filles mangent comme le père…
… Et Josef… ?
Hélas Yépa dut quitter Hissa Luna pour répondre à une demande qui semblait plus pressante… La voilà, tel un elfe, qui s’en allait rejoindre la tante qui, près de l’âtre, lui exposa en détail son problème, et le menu de Josef resta un mystère.
Hissa Luna reporta alors son attention sur les échanges des deux nouveaux amis…
Il n’était question que de stratégies universelles, de conquêtes de places fortes, de libération des peuples qui seraient conquis de gré par la force du marché, de la démocratie sous la houlette du protecteur et son bras séculier : la finance…
Les deux hérauts de cette vague géante étaient face à face, unis dans la croisade transcontinentale… L’officier et son alter ego le banquier…
… C’est l’avenir de Josef !
Le temps qui ne négocie rien s’était écoulé au sablier des devenirs en cours… Un bon tiers des convives planait dans un rêve ensommeillé… Les deux autres tiers s’étaient mélangés par affinités : les Indiens avec les Indiens… les Germains avec les Germains… Les langues régionales se déliaient…
Quelques volontaires faisaient le voyage entre la table et l’office pour remplir le plateau de forêts-noires, de strudels, de Streusel, de Linzer Torten. Cette arrivée massive permit de constater que les Algonquins ne se servaient point de friandises – remarque fugace sur le défaut de fougasses.(sic)
Et le peuple ravi, refit corps autour du plateau…
Hissa Luna avait abandonné les deux amis pour recevoir sa part de sucreries. Elle cherchait Josef, qui et vous avez pu le constater, était absent ou, plus exactement, était resté sur son tapis entre le fumeur de pipe et la tante Anishinaabek qui poursuivait sa confession…
Josef était, ce jour-là, un grand garçon… Quel âge avait-il ?… Au bas mot, entre quelques mois et plusieurs années… Hissa Luna n’avait jamais réussi à connaître la date de naissance exacte de Josef, qui semblait ne point faire son âge. Là, à le voir, tel un angelot écoutant la vieille tante indienne, on l’aurait pris pour un bébé qui jargonnait à peine ses premiers mots quand, à d’autres moments, alors qu’il analysait les textes de Jérémie, il avait l’air d’une sommité émérite universitaire chenue.
La vieille tante lui donnait son potage à la cuillère… une phrase… une cuillère… il restait la bouche grande ouverte… une phrase… une cuillère… jusqu’à la fin des temps.
Et soudain, le cousin hongrois ouvrit le bal avec un nostalgique air bohémien qui cadrait bien avec le campement mélangé… Ce fut le délire lorsque le violon reprit la phrase musicale principale de la cantilène… et l’explosion des sens quand les vents démultipliant les accords jurèrent qu’ils avaient encore du souffle, même après ces agapes dignes de sieur Pantagruel…
On chantait, on dansait et surtout on pleurait sous le choc des musiques en mode mineur – une tonalité qui fracasse toute âme mitteleuropéenne bien née.
Pendant ce concert, sur les peaux de bêtes, les Algonquins attendaient leur heure… Un trio en authentiques parures d’époque installa sur l’espace restant du campement une panoplie d’instruments…
Quelques spectateurs qui s’étaient plongés dans un somme réparateur furent régénérés par la mystique musicale que la cithare, le violon et le saxophone ensemble susurrèrent. Ils attendaient à présent de découvrir les complaintes de ces Algonquins qui avaient coutume de retracer en chansons les époques de leurs pères qui, jadis, avaient franchi les détroits en provenance des terres jaunes. Eux aussi racontaient la transhumance des vrais pionniers venus de l’Est avec arcs et flèches, mais qui n’avaient point rencontré de bohémiens allant vers l’Ouest. Puis les flots se dégelèrent, le détroit devint infranchissable, ils durent s’adapter sur cette terre nouvelle depuis plus de vingt mille ans. Ces musiques évoquaient cette saga antique où la nostalgie le disputait à la construction des tepees…
La cithare cessa. On entendit encore vibrer quelques instants le murmure des cordes. Le violon laissa mourir sa dernière note dans le long vibrato d’un la bémol langoureux qui n’en finissait pas d’émouvoir le dos des âmes…
Puis vint le silence qui seul permet la jouissance du son entendu, celui qui s’éteint dans la mémoire, presque évanescent, à peine un souffle qui s’étire vers un…

« Born in the USA ! »

Le trio d’Indiens attaquait son concert par une révolte de décibels qui, selon le principe du volume, allait unifier l’universel dans une même dilatation exponentielle englobante – à preuve, l’âme slave avec ses cordes en boyau de vache s’y noya.

et Bruce vint…

Mais quel souffle !… loin des steppes… des détroits… des arcs et des flèches… !
Barnaby, exalté, cherchait Hissa Luna, qui s’était déplacée…
Le banquier terminait un Linzer Torte qui fleurait bon la framboise, la cannelle et le kirsch…
Le cousin hongrois, la violoniste souabe et le saxophoniste bavarois profitèrent de ce déluge pour aller se désaltérer, terminer les forêts-noires qui patientaient sagement et boire le café fumant arrosé d’un schnaps…
Le trio avait conquis l’espace dans une harmonie universelle… Il suffisait de trois Indiens… trois Chinois… trois Turcs… trois Africains… trois Moldaves… trois plombiers polonais… bref, trois individus… trois guitares… mais surtout d’une armoire clignotante productrice d’énergie en gros volume… pour qu’agisse la magie du verbe « Born in the USA » qui devenait l’hymne des peuples pour la fin des temps…
Les constructeurs de l’armoire conseillaient aux spectateurs de se tenir à une dizaine de mètres du meuble pour avoir une meilleure vue, sans doute…
Car… le son décoiffait.
Après cette suffocation harmonique d’une bonne heure, on s’achemina vers le point culminant de cette œcuménique réunion…
Les instruments se turent… Vaincus par la réalité des avenirs en gestation, les acteurs qui portaient une voix, sinon leur voie, se retrouvèrent devant un tapis vert pour échanger les cartes… Ce n’était pas un jeu, mais une gymnastique intellectuelle qui offrait au corps un geste ludique pendant que les synapses entre deux schnaps  s’interrogeaient sur l’avenir de Josef… Le tripot s’était réfugié en bout de table, bien qu’il en occupât une bonne moitié… Le banquier et Barnaby siégeaient aux bonnes places. Gottfried présidait la séance tout en jetant les cartes sur le tapis… Hissa Luna, qui n’était pas en reste, était installée en face de Barnaby, qui, sous la table, lui faisait du pied… Autour, des grappes, acteurs, spectateurs, jeteurs de sort, bonimenteurs, escamoteurs, hâbleurs et même emmerdeurs étaient tous là.
Sauf Josef et Yépa.
On œuvrait à l’avenir de ce garçon…
Gottfried avait posé une question… C’est Hissa Luna qui répondit la première :
… Moi… je n’ai jamais vu un garçon qui se mette à genoux devant une fille… pour l’élire au sommet… !
… Franziska ? suggéra un témoin anonyme.
… C’est qui Franziska ? demanda le banquier.
… La fille d’un orthodoxe !
… Russe ?
… Je crois…
… Un bolchevique défroqué, quoi… chez nous… ici… !
… Oui, mais, dit Hissa Luna, lorsqu’il l’a vue, il s’est mis à parler russe… tout d’un coup… comme par miracle… c’est incroyable !
… Et alors ? dit Barnaby. Moi, quand j’étais petit, je jouais aux soldats de plomb et je suis devenu officier !
… Voilà la vérité… l’armée… la banque… c’est l’avenir !
… Il a le choix !
… Oui, mais, dit Hissa Luna, comment comprendre qu’il puisse parler quatorze langues aussi facilement ?… Il faut qu’il utilise cette compétence !
Un cousin de Gottfried, qui était professeur dans une université citée comme la cité du savoir, cita son manuel :
… L’adverbe “facilement” que vous employez me semble une argutie elliptique oratoire qui n’a que faire dans cette évaluation…
On laissa causer l’intello, car l’âme peut se gâter si elle rumine sans cesse le même solo in petto… Il démontra que les quatorze langues de Josef n’étaient en fait qu’une résurgence atavique grégaire… Au fond, ses origines comme…
… Vous, madame vous êtes noire… comme Josef parle quatorze langues… ! C’est naturel !
… Oui, mais c’est sublime !
… Ça gagne combien ? répéta le banquier qui abattit son brelan.
… Hum ! Hum ! Répliqua Gottfried.
On eut les avis des autres joueurs et spectateurs, car le tour de table fut saisi. On nota les métiers en pointe : la banque, ce lien transculturel… l’armée, cette libération du monde…
… La justice ! dit un témoin.
… Avocat ! Compléta un autre.
On élimina les activités liées à la terre : paysan, sauf si on possédait six cents hectares… Le pétrole, oui, mais alors dans les pays du Golfe où la main-d’œuvre a rejeté depuis la nuit des temps ces pratiques syndicales archaïques qui nous agacent la vie… Progressivement, on rejeta toute activité qui s’exerçait sur le territoire, car l’avenir était à l’espace planétaire… Mars était encore dans les limbes…
« La banque ! », « L’armée ! » furent les leitmotivs…
Et soudain, le banquier eut une idée :
… Il commence par l’armée… passe ses galons… et termine à la banque… !
Une sublime trajectoire… toute tracée…
… Mais son génie des langues… !
… il peut le diriger dans les services secrets…
… Pourquoi “secrets” ?
… Pour traduire… L’armée a besoin de ces êtres qui parlent facilement plusieurs idiomes !
… Ah, vous voyez… lui aussi, il utilise l’adverbe…
… Oui, mais c’est dans un autre contexte, madame !
Le cousin était pincé par la remarque de Hissa Luna… qui…
… Moi, je le connais bien… il est resté chez nous plusieurs années… je l’ai vu… comment il a fait connaissance de Jérémie… il pouvait lui parler en plusieurs langues… il le connaissait par cœur, son Jérémie !
… Qui c’est, ce Jérémie ? s’insurgea le banquier. Qu’est-ce qu’il vient foutre ici ? C’est encore un Russe ?
… Mais non… Jérémie… celui qui…
… Bon… oui, Jérémie… et alors ?…
… Le prophète !
Le banquier faillit en avaler le cigare qu’il venait juste d’allumer…
… le second après Isaïe !
… Madame, vous n’allez pas me faire croire que vous avez eu dans votre école les prophètes Jérémie et Isaïe… Ça fait longtemps qu’ils sont revenus aux pays de leurs pères… à moins que vous soyez immortelle… sauf votre respect.
Surgit alors un instant de flottement… Il y avait longtemps que la quasi-totalité du cercle de table n’avait point ouvert le Saint Grimoire aux pages des prophètes, on risquait l’acculturation, peut-être même l’inculture en action… voire le désert culturel… coupable… bien coupable !
Il fallut se ressaisir…
… L’armée secrète me paraît une bonne idée… !
Gottfried semblait en phase… mais il restait sur ses interrogations…
… Ça gagne combien… restait le leitmotiv…
Ce ne fut ensuite que détails sur la solde… ses aspects collatéraux… sécurité sécurisée…
… En somme, dit le banquier, puisqu’il est logé, nourri blanchi, on peut dire que sa solde, c’est son argent de poche… !
… C’est c’la même ! ajouta Barnaby.
… Il peut se faire de bons placements…
Le soir venant, on annonça qu’on pouvait finir les restes… ceux qui voulaient…
Ce fut le grand branle-bas de combat…
… Les jeux sont faits… murmura Hissa Luna.
Barnaby lui demanda négligemment si elle avait besoin d’un moyen de locomotion pour rentrer chez elle… Il se proposait de la reconduire selon le docte style des officiers de West-Point…
… Merci… mais mon ami aura terminé son match de rugby… il vient me chercher dans quelques minutes.
L’homme était ponctuel, car on vit entrer un ressortissant tout en muscles de Louisiane, qui inspira un très grand respect à Barnaby…
C’est ainsi qu’en l’espace de quelques heures s’égrenèrent les départs des convives qui dépeuplèrent peu à peu l’espace…
La diagonale devint déserte… les instruments reprirent leur place dans leurs étuis… les armoires à sons disparurent…
Les bûches dans l’âtre s’effondraient lentement…
Le vieil Algonquin terminait son huitième calumet… la tante Anishinaabek suçait un fruit…
Josef dormait, la tête au creux de l’épaule de l’ancêtre…
Dehors, Yépa visitait les tepees que ses cousins avaient construits pour les enfants en vue d’une fête les jours prochains…
Le narrateur aurait pu en dire plus ou moins suivant la résistance du lecteur. On aurait pu même résumer ce chapitre à quelques mots. Allons plus loin : le livre aurait pu se résumer au lapidaire titre Le Révérend Smith et son aide-de-camp. Nonobstant, à ce stade du récit, ce titre n’a toujours pas de sens – car Josef n’avait encore rien prouvé sauf son prédicat… qui fracassa Parker. 

Josef dormait… c’est pendant son somme que s’était joué son destin!!!

Si vous voulez comprendre ce basculement du destin, lisez donc la suite…

                                                    Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                      L’Ange Boufaréu

 

 

De l’encombrement des génitoires pour s’assoir en tailleur…

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26… de l’utilité du moine-pantoufle…

Hi !
La salutation était bien plus suave que celle dédiée au soleil que Josef pratiquait depuis presque quarante jours après le seau d’eau froide de 3 heures du matin. Il tourna la tête. Akio, au loin, n’avait pas ouï la voix et pour cause : cette civilité ne lui était pas adressée.
Josef, Moine-au-râteau sur le chemin de la connaissance était alors en train de ratisser l’allée bordant le mur de clôture du temple, leva la tête. Était-il ému ? Sans doute, mais on ne le sut point…
« Vous faites retraite, matelot ? »
La personne qui cabotait le long du mur d’enceinte venait de le reconnaître. Pourtant, il pensait que ce visage émacié, ce crâne tondu, ce corps flottant dans son kimono aurait effacé l’ancienne enveloppe.
Un indice avait trahi son ancien état – oui, mais lequel ?
« La main, dit-elle, le stigmate de l’ampoule dans la paume ! »
Cette précision révéla à Josef la différence ontologique des chairs.
La peau d’Akio révélait une absence de callosité classique chez l’indigène ratisseur qui contrastait avec les stigmates cutanés de Josef… indices d’évolution de la chair du pèlerin vers la mutation d’un prophète… qui commence par des ampoules…
« J’admire le novice », dit-elle.
Puis elle s’en fut…
C’était un signe !
Pensif, le ratisseur s’émut enfin. Le manche sous le menton, la seconde main couvrant l’extrémité, il s’abîma dans une profonde réflexion qui lui stigmatisa totalement sa seconde paume de main, car le poids de sa pensée reposait sur le dos de l’autre main…
C’est ainsi qu’il gagna ses estampilles d’impétrant dans les deux mains… tel un Prophète de l’antique livre – une épreuve qu’Akio interrompit, car l’heure de remiser les outils avait sonné.
Ils remontèrent la grande allée du hondo. Josef suivait en méditant, Akio ouvrait la voie en portant un râteau dans chaque main.

Un matin…
Dans le dojo…
Josef, les deux mains enrubannées, ne s’éveilla point sous le choc du seau d’eau ni n’enchaîna aucune salutation au soleil. Il méditait sur les stigmates que ses macérations suscitaient. Là vinrent plusieurs moines, qui, autour de lui, s’assirent en tailleur… ils psalmodièrent le réconfort… vers la voie de l’éclosion.
Akio, lui ratissait toujours – sans doute, un exercice dont Josef n’avait pas encore pu percer le sens profond… en réalité, il ratissait le carré que Josef handi-capé avait laissé.
Alors qu’ils étaient dans cette position de recueillement méditatif, on entendit au loin sonner les fers des talons d’un individu qui arrivait d’un pas martial.
La cadence était aussi métronomique qu’athlétique. Les moines relevèrent la tête, ils cherchèrent à identifier la source de ce bruit…
Ah ! Mais ! Josef savait.
Et Barnaby Parker (car c’était lui) s’encadra dans le chambranle de la porte du dojo… Le son des talons armés de fers cloutés cessa ; un vent d’after-shave souffla.
Derrière lui, essoufflé, un moine servant le doubla pour lui barrer la route qui l’aurait conduit dans l’espace interne du dojo… le moine-pantoufle courbait le dos, en tenant un chausson dans chaque main…
Il fallut se rendre à l’évidence : Parker devait accomplir son kotow, qui est la version chinoise de la rituelle prosternation…
Dilemme…
« Comment ? Moi… futur étoilé… je dois… subir l’affront du front sur la terre ! Moi qui viens pacifier ce territoire antique pour en pondre une noosphère Mcdolienne ? Ah ça ! »
… Enlève tes pompes, Parker, tu vas rayer le sol !
C’était donc ça… un sol rayé perd sa lumière… Et le moine-tatane recueillit les quatre kilos des deux rangers en cuir de bison argenté de l’Ouest universel étoilé.
Parker se sentit soudain léger lorsqu’il pénétra dans l’espace saint… une révélation.
… Pose ton cul ! souffla Josef en langage codé US pour que les moines ne pigent rien.
Là, nous eûmes droit à un débat qui fit date dans les relations entre l’Orient et l’Occident, si bien qu’il fallut rappeler Akio qui ratissait toujours pour tenir la plume du manu-script.
La lecture en vaut le détour.
Imaginez, si vous le pouvez… un dojo… dans lequel sont assis en position du Lotus huit moines tous parfaitement identiques… crânes rasés… en robes de moine… tous nippons… quasi immobiles… dans ce groupe se camoufle un blond rasé nippon par les frusques soumis aux règles nippon-frustes… cheminant sur la voie…
Dans ce groupe un des membres est vêtu d’une robe de couleur brune… c’est le sensei… le maître, si vous voulez…
En face d’eux, le nouveau venu se différencie par plusieurs traits… il se dandine d’une fesse sur l’autre pour trouver confort sur son coussin… il a les parties, attributs de sa masculinité, parfaitement écrasées dans l’enveloppe de son uniforme tendu comme une armure sous la tension de la position non réglementaire – d’ailleurs, le tailleur n’avait pas prévu cette façon de s’asseoir, il a le dos courbé alors qu’il est droit comme le mat du régiment lorsqu’il pose son séant sur une chaise US dans son bunker… bref, cet homme est bien différent… il se nomme Barnaby Parker… aspire-t-il lui aussi à l’érémitisme tangentiel…
« Non… On peut dire même qu’il est antithétiquement autant qu’esthétiquement différent ! » souligna Akio dans le manu-script.
Akio avait délaissé le manche du râteau pour le manche du pinceau qu’il tira de la manche de son kimono… son geste resta suspendu à la parole de l’hôte qui tournicotait son cul sans cesse sur le coussin… Nul ne comprenait cette technique de méditation… Barnaby se leva, dégrafa ses guipures qui enserraient sa taille de guêpe, recadra ses attributs puis reposa son séant sur le tissu du coussin et tenta de l’amadouer en le creusant successivement une fesse après l’autre. Le sensei, Akio et Josef, immobiles, attendaient que l’hôte ôte un linge encombrant pour s’en libérer. L’attente permit aux assis-lotus de psalmodier le petit manuel complet du parfait impétrant. Le groupe allait se lever lorsque Akio écrivit enfin la phrase entendue :
« Je suis prêt ! »
C’était le « signal » attendu – le lever de rideau, en somme.
Le thème fut posé :
« De l’art de la méditation en tant que thérapie universelle pour les peuples en manque ! »
L’annonce fut faite par un moine excentré qui jouait le rôle attribué par la configuration assise. Ce fut sa seule prestation. Le sensei dit :
« Puis-je, honorable visiteur, saluer votre venue dans mon petit home, vous grand west-pointien devenu, parmi nous assis, si grand sire à s’assoir… ! »
Akio nota la transe qui étreignait Barnaby…
Sans doute une des génitrices coinçaient encore entre le calle-son et le coussin…
Le colon souffrait… en silence…
Puis la palabre pas à pas palabra… Par ici, par là, ils palatalisaient fort dans ce palais… et malgré quelques palinodies bien de chez nous, ils trouvèrent le fil du labyrinthe…
Barnaby récusa manu militari le terme « universelle » qui aurait qualifié la méditation… Les neuf se turent, en l’attente de son explication.
Il balança un demi-séant bâbord vers l’autre demi-séant tribord à trois reprises pour creuser le nid pour caser ses « bōru… amourettes… cojones… suivant les cultures »  puis enchaîna oralement :
« L’universel est un concept vernaculaire ouestien, je dirais même plus, un brevet déposé lorsque le Mayflower et ses Pères posèrent le pied sur les rives du cap Cod… Sauf votre respect, grand sensei, vous barjaquez sur l’idée de méditation comme thérapie universelle… Qu’est-ce donc que ce dégoisement ?… Seule est universelle la compassion de l’universel US-Land… qui vous protège… avec ses dollars et ses GI. La protection serait une thérapie ?… J’en doute… La protection est une intense profonde et désintéressée compassion… elle ne mégote point sur ses milliards de billets verts… car elle en attend l’usufruit.
Enfin, grand sensei, convenez avec moi que la meilleure thérapie contre les maux de notre monde en manque de repères, c’est de suivre les étoiles et les voies de la Bannière… La voilà la vraie thérapie… !
Un instant… trop bref sans doute… j’ai failli analyser votre pensée oh ! sensei… mais l’universel n’est pas ici… l’universel est ailleurs… à l’Ouest… chez nous… une marque déposée ! »
Akio nota l’émotion qui mut le sensei pour chasser une mouche qui venait s’interposer entre l’orateur et son encéphale, en prenant son crâne pour une aire de repos…
« J’ai compris, dit Parker Barnaby, avec cette brève expérience qui consiste à m’asseoir au sein de votre confrérie, les rapports entre l’esprit et la posture… J’ai senti le sens du mouvement… qui souffle lorsque l’on pose son arrière-train… Eh bien, cela fit naître un regain de sentiments nouveaux… L’élévation transcendantale me fut révélée par ce simple acte qui agit sur les génitoires, lesquelles expulsèrent le prana vers le cerveau d’une bénéfique irrigation des sens… sensationnels… c’est sublime… »
Les neuf n’en croyaient point leurs oreilles, à l’exception de Josef, qui était plus réservé.
Le sensei était toujours aux prises avec sa mouche, qui préférait son crâne à tous les autres. Mais lorsque le diptère sentit la température s’élever dans le fondement de la boîte crânienne, il comprit qu’il valait mieux se barrer… ce qu’il fit.
Le sensei, libéré, l’esprit clair, sourit à Barnaby et, dans une envolée sublime, griffonna :
« N’est-ce point merveilleux que vous fûtes parvenu par ce déchaussement à vous élever à ce point dans les méandres de notre misérable réflexion… nous qui sommes ainsi assis depuis plus de vingt siècles à méditer l’universa… je veux dire… L’US-Land uni… enfin la grande chose qui nous anime… et continuera sans doute à nous élever… nous tous ! »
Puis ce fut tout.
Barnaby inclina la tête selon la componction de circonstance…
Le silence revint…
On ne sut plus quel thème de l’ordre du jour allait succéder à ce moment historique… alors le sensei libéra les corps…
Akio titra son chapitre :
« Rencontre d’un sage chaussé de santiag avec un groupe de moines équipé de tatanes ! »
C’était juste, clair, lapidaire… sauf que le sage ne parvenait plus à déplier ses jambes, un nœud semblait avoir réussi un cadenas d’une solidité à toute épreuve. Les moines debout entourèrent l’assis sagement noué. Un groupe tirait à bâbord, l’autre à tribord. Deux autres moines, derrière lui, le hissaient dans l’espace pour libérer les cannes qui avaient pris le pli sous le buste soutenant l’encéphale lourd. Lui seul avait bénéficié de l’énergie utile aux réflexions concernant l’universalité de la Bannière et de l’US protection, forcément, l’afflux sanguin avait été concentré dans le haut, laissant le bas de marbre, qui refusait à présent de se déplier, faute de carburant.
Enfin, au bout de quelques quarts d’heure de temps forts de soixante minutes à la montre, soutenu, aidé, étayé, cornaqué, le sage grâce à deux pieds-de-biche en quinconce recouvrit sa verticalité. Toujours soutenu, il fit un pas, deux pas, trois pas… et, pas à pas, se rendit sur l’aire passante où il retrouva le moine-babouche qui ne guettait qu’une chose : récupérer les savates qui avaient chaussé le grand sage… depuis, elles sont exposées au musée du temple.
Mais ce n’était pas terminé.
Quatre  moines –  tenaient fermement les épaules du colon pour qu’il puisse glisser le pied dans les santiag qu’il fallut enfiler… deux moines à bâbord et à tribord officiaient à cette tâche, il lui présentaient l’objet.
Enfin, le sage – oxygéné redevint Barnaby d’occident – il tint debout grâce à ses quarante-huit… westpointiens made.
Tel un vol de moineaux, les moines s’esbignèrent… Ne resta que Josef.
« Tiens, tu es là, toi ? » S’étonna Barnaby.
J’oubliais… Akio assistait aussi à cette anthologique scène qu’il suivit avec le plus de précision possible pour que les générations futures puissent être éduquées.
« Suis-moi ! »
Le temple résonna alors du clair martèlement des talons ferrés des chaussures de l’US Army de Barnaby – tel le tempo de l’ordre qui se penchait sur le monde.
« Casque d’or… c’est ça ? souffla Josef.
… C’est c’la même ! » répondit le sage clouté.
Akio suivait…
Ils se retirèrent sous un chêne propice aux échanges, le même à l’identique qui vit Abraham, Héraclès, la Toison d’or, Jeanne la bonne Lorraine et, encore plus proche de nous, les Pères du Mayflower qui délivrèrent à la ville et au monde la parole libre et universelle des protections US.
Parker eut un soupir qui en disait long sur le mot qu’il allait prononcer – car plus de trente siècles les contemplaient…
Mais il fit face.
« Fiat lux… prononça Parker.
Et lux fuit… ! » conclut le novice.
Le dialogue codé secret des services du nom éponyme de l’US Bunker…
Deux factotums, qui attendaient non loin, les rejoignirent et posèrent deux gros attachés-cases plombés de documents secrets que Barnaby ouvrit.
Des masses de notes classées secret-défense en innu-aimun…
« Les Tortues blondes sont actives… »
Une remarque qu’Akio inscrivit dans le manu-script.
« Il faut faire vite ! » chuchota Barnaby.
Les deux MP au service de la future étoile sur le tableau du prochain avancement, sortirent un dictaphone. Tandis que l’un tenait l’appareil et actionnait la touche « power » pour donner le signal du « start », l’autre tendait une note sous les yeux de Josef qui la traduisait à la vitesse de l’éclair…
Ainsi, de page en page, de note en note, de feuille en feuilles, les six mille trois cent vingt-deux messages furent traduits en l’espace lumineux de la moitié d’un vingt-quatrième espace-temps de la trois cent soixante-cinquième portion d’une année de Bannière étoilée.
« Colossal ! » triompha Barnaby en claquant les fermetures des mallettes…
Les deux factotums se retirèrent loin du tronc noueux du chêne.
« Maintenant, je sais tout ! »
Effectivement, si l’on peut l’énoncer ainsi… Casque d’or allait foutre le bordel (c’est ce qui ressortait des traductions) dans l’Orient moyen tout comme au nord, le Pays du soleil, qui, malgré les injonctions de la Bannière étoilée, continuait de se lever chaque matin… Mais surtout Casque d’or faisait litière – c’est le mot juste :
« Je m’en cague ! »
… aurait-il prononcé lors d’une réunion dans l’ovale bureau, utilisant la célèbre formule occitane des troubadours des Alpilles. Heureusement, Josef savait, sauf que Casque d’or refusait de signer les divers accords mondiaux que son prédécesseur avait négociés avec pour seule base son « America first ! » qui reposait sur le principe simple du libre-échange – mode qui avait d’ailleurs conquis la planète depuis le Mayflower – mais la sauce Casque d’or… avait d’autres idées.
Tout simplement, Casque d’or disait ce qu’il faisait… et faisait ce qu’il annonçait – ce qui changeait de ses prédécesseurs qui faisaient ce qu’ils voulaient, mais annonçaient le contraire…
Ce fut la levée des boucliers bien connue du monde et de son synonyme, autant que celle des colonnes papier des journalistes…
« Le monde a un synonyme ? demanda Akio, qui suivait le débat afin de le consigner dans le manu-script.
« Hypocrite ! » souffla Barnaby sans tourner la tête.
« Ce fut la fameuse levée de boucliers… des hypocrites ! » que nous retrouvâmes dans la paperolle ajoutée aux pages souvent lues…
Ce point semblait torturer Barnaby…
« Quel point ? » interrompit Akio.
Ce qui agaça le colon d’un certain agacement…
« Enfin, dit-il, c’est bien trop primaire. Si c’est une mise en scène, elle est trop simple, il y a forcément un sens – oui, mais lequel ? Casque d’or est trop subtil pour jouer à ce jeu primaire ! On pourrait inverser. Casque d’or est trop primaire pour jouer à ce jeu subtil, je n’ose pas… le révéler.
… tu attends ta première étoile qu’il t’avait promise à Moscou… en échange de…
… tais-toi Josef…
Akio le regard lointain resta pétrifié devant cette situation complexe qui montrait un Casque d’or jurant qu’il ne signerait pas… et…
« Ne signait pas ! »
Les cadres galonnés semblaient avoir perdu les règles du jeu – car comment s’insérer dans cette stratégie s’il n’y avait pas de mode d’emploi pour s’insérer ?
Akio sentit qu’on entrait dans la stratégie de haut vol qui se décline ensuite en éléments de tactique pratique.
Il avait déjà étudié Sun Zi, le stratège chinois, puis le grand samouraï Miyamoto Musashi, il allait enfin découvrir la célèbre sagesse west-pointienne…
Que disait le manu-script ?
« … J’écoute… je tente… je ne peux formuler une calligraphie tant ce que j’entends est complexe… Je dirais même hermétique… Je n’ose donc… il faut laisser décanter… ! »
Plus tard, après décantation, Josef résuma à Akio la situation sous forme de parabole ou plus exactement traduisit ce qu’Akio avait entendu sans piger le quart de la moitié du premier concept… Akio s’empressa de transcrire.
« Le jeu des chaises musicales ! énonça Josef.
– Connais pas !
– Bon, suppose un groupe…
– Comme dans le dojo ?
– Non, un groupe qui marche, pendant que joue une musique… Disons qu’il y a neuf personnes…
– Qui marchent…
– Oui, autour de huit chaises…
– …
– Lorsque la musique s’arrête, les neuf se précipitent sur les chaises…
– …
– Huit s’assoient et un reste debout…
– Le couillon…
– C’est ça ! Huit ont trouvé un siège, celui qui est debout est éliminé…
– C’est un piège ?
– C’est ça !
– Et Casque d’or là-dedans ?
– Ben, Casque d’or… lui… il enlève les chaises… il coupe la musique… il fait asseoir tout le monde au sol… Lui, il reste debout… il chante sa propre musique…
– C’est un vrai piège ?
– Le piège… c’est qu’il n’y a pas de piège.
– Et Barnaby n’en comprend pas le sens !
– C’est ça… mais surtout il cherche son étoile… la première pour être général ! »
Voilà donc pour quelle raison Malcom George Barnaby Parker était venu chercher les lumières du dojo. Il voulait connaître les éléments qui favorisaient le jaillissement de la vérité ils permettraient la maturation et libéreraient la graine qui poussait sa croissance vers la solution de son devenir…
« En clair, Barnaby ne veut pas rater la chaise ! émit Akio.
– C’est ça !
– Ni son étoile de général !
– La première… ! »
Akio, pensif, pensait à Sun Zi…
Il avait écrit :
« Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent ! »
Et Parker repartit, régénéré par le souffle des traductions de Josef…
Alors le temple entra dans le silence. Il ne fut plus pollué par le rythme des souliers cloutés qui avaient résonné tantôt sur les dalles polies conduisant au dojo et dont une armée de moines à genoux s’escrimèrent pendant une semaine à effacer toute trace.
Josef entra dans une profonde méditation…
Il avait conservé par-devers lui un message : le numéro six mille trois cent vingt, autrement dit l’antépénultième feuillet.
Ce message lui était adressé à lui personnellement, Josef-Jérémie.
Il disait en langage innu-aimun :
« Josef ! c’est quand que t’as fini ton noviciat ? »
C’était signé : « Les Tortues blondes ».
Le message diffusait les fragrances de Franziska…
Et ce fut le grand retournement.
Si vous voulez connaître la suite avec tous ses détails, sachez que Josef n’avait pas tout dit des six mille trois cent vingt feuillets… Josef-Jérémie lui aussi entrait dans une maturation que recherchait Barnaby… Josef approchait de l’éclosion… Le message révélait la très forte présence de Franziska…
Rendez-vous donc au chapitre deux fois dix plus sept… qui suit…

                                                  Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
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                                                                                      L’Ange Boufaréu