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36… grand barnum, enregistrement de l’émission : C’est aujourd’hui…
Je ne vous apprends rien quant aux coutumes des US TV… une émission spectacle se déroule en quatre temps : scénario, tournage, montage, diffusion… entre le début du tournage et la diffusion, il s’écoule un certain temps. Aujourd’hui, nous allons suivre les trois premières étapes…
Nous commencerons par les coulisses où eurent lieu les tractations qui en furent les prémices. Ce sont des moments de réalité qui révèlent la TV réellement et véritablement la réelle réalité des acteurs réels – « ils savent bien ce qu’ils font ! »
Bien ! Bien !
Pendant toute la semaine, les jours s’écoulaient en se languissant de l’événement…
Josef fut actif, très ! très ! actif…
Des insomniaques prétendirent l’avoir vu au lever du soleil, on était en octobre, le froid était au rendez-vous avec la lune…
Josef partait dans les espaces qui jadis s’appelaient steppes… espaces de dangers où régnait le moustique et parfois le serpent à plumes.
À présent cette zone se nomme no man’s land… le moustique et le serpent à plumes fuient ces lieux comme la peste surtout la nuit où les lumières de la ville ne brillent plus, car depuis des lustres…
« Des snipers criards les avaient pris pour cibles…
Les ayant clouées nues aux poteaux de couleurs… »
… a dit un poète François… qui venait de Charleville…
Akio n’était pas certain de sa citation, surtout concernant le terme sniper… mais la ville de sa naissance… il était sûr!
Cette zone était en quelque sorte « la madeleine » de Josef, car à son cortex, remontaient les fragrances des herbes foulées par les bisons, le ululement des chouettes qui répondaient aux coyotes et même parfois dans le lointain les sourds appels des tambours qui rappelaient les éclaireurs navajos à venir prendre le petit déjeuner autour du feu…
Sous les pas de Josef-John, ce Nouveau-Monde disparu reprenait vie… l’olfactif imprégnait la pensée du Révérend, alimentait sa verve, nourrissait son espoir d’un renouveau… fertilisait son sixième sens.
Il ne portait qu’un grand froc ceint à la taille. Ses cheveux devenus longs – car il ne les coupait plus – et sa pilosité faciale qui avait poussé d’un coup au cours d’une intense méditation lui donnait l’air d’un Prophète – ce qui était l’objectif…
En outre, il suivait à la lettre le tableau d’évolution du premier rayon de soleil, car le Révérend était méthodique – à ne pas confondre avec méthodiste – qui est une vague qu’inspira John Wesley… un concurrent…
Le tableau des rayons donnait le premier de 7 h à 17 le 1er octobre, pour culminer à 7 h 49 le 31 et dernier jour du mois. Chaque matin, il devait donc ajouter une minute à son réveille-matin pour être dans la norme solaire. Mais le Révérend était fiévreux – de cette fièvre des grands jours du samedi soir qui marquent l’histoire de l’humanité.
Alors il stimula le cosmos pour accélérer la mutation du mois en une semaine. Seuls les très, très vieux Indiens en furent affectés, car leur horloge interne décela ce coup de pouce…
Les élans femelles cornues réfugiées loin dans les plaines du nord, les bisons de l’hacienda ne s’en inquiétèrent point, ils avaient vu d’autres coups et surtout des coups de feu.
Pendant les heures qui précédaient ces longues randonnées, il se nourrissait des Saintes Écritures durement tirées de ses disques durs…
Cela dura huit jours…
Les tantes, les oncles, les cousins, Yépa, semblaient parfaitement indifférents, Josef vivait sur une autre planète – bien que, là aussi, il semblât ailleurs… ce qui est le propre d’un prophète…
Akio, consacré scribe, notait chaque mouvement, chaque instant, chaque pensée, chaque regard, chaque geste, chaque idée, chaque nuance, chaque mot, chaque parabole… car c’est ainsi que sous la plume du scribe… minute après minute… jour après jour… et la suite… naît un prophète…
On avait gommé toute référence à son ancien patronyme…
On disait :
« Le Révérend a dit… »
Ou bien :
« Le Révérend pense que… »
Ou alors :
« Connais-tu le dernier oracle du Révérend ?… »
Puis, on se recueillait…
« Le plus étrange pour moi, écrivit Akio, c’est ce calme biblique dans lequel le Révérend pacifie la tribu. Celle-ci ne semble même pas l’identifier…
Enfin, quand même, cette évolution est bien de type de révolution jérémienne que j’avais pressentie et que je vois muter sous mes yeux – une métamorphose sublime sur laquelle il eût fallu s’étonner, se pâmer, s’extasier…
Eh bien, non…
Gottfried reste concentré sur ses gouttières…
Les Indiens sur leur calumet…
Les oncles aiguisent leurs couteaux pour occire en automne les truies et produire la viande pour toute l’année… Les tantes rentrent les choux, les navets, les poireaux… und Kartoffeln dazu… avec pommes de terre en plus (trad : du correcteur relecteur)
L’Hacienda a gardé ses souvenirs des grands froids germains, bien que Pittsburgh ne soit pas une terre de neige ni de températures extrêmes, on n’en continue pas moins de vivre selon les codes de vie des ancêtres teutons. On stocke tout : le bois, les viandes, les fruits, les légumes, les alcools, les vêtements de laine, les gants de peau, les chapeaux, les humeurs inutiles. On baratte ferme la crème pour grossir les réserves de beurre, tandis que Gottfried désespère de pouvoir stocker son eau, mais en stratège des constructions, il œuvre…
On pourra alors tenir le siège d’un hiver sous la neige… avec son eau stockée dans le réservoir.
Gottfried avait décidé de travailler la nuit.
Le Révérend au retour de ses longues randonnées solitaires où il testait ses homélies, pouvait se poser à la forge, noyée dans un nuage d’étincelles. Gottfried, alors, tirait une pomme-de-terre des cendres chaudes et bibliquement l’offrait à son fils… là Josef prenait son premier réconfort sous les analyses stratégiques du Vater qui ne tarissait pas d’éloges sur le pouvoir de la flamme.
Un tableau prophétique… réunissait un Père et son Fils… une icône.
Le père et le fils étaient unis… par la patate chaude…
Et Akio de rajouter sur le manu-script :
« Il avait fallu que je vienne dans ce pays pour voir ce tableau subliblement messager ! »
Les exégètes se pencheront plus tard sur la profondeur de ce codicille. L’érudit scribe était désigné pour consacrer la pensée du Révérend comme extra-métaphysique… même si l’aide-de-camp parfois se mettait à philosopher, il n’en pipait mot ! Respectons les hiérarchies, voyons ! Le prophète prophétise, l’ordonnance consigne !
« Bon, eh bien, allons participer à la réalisation de ce : « C’est aujourd’hui » qui aura lieu plus tard… on notera que seul ce titre d’émission avait transhumé…
Le campus s’était transformé en grand cirque Mélodramelo : un walhalla de roulottes, de truck, de 4×4, de boutiques à popcorn, hamburgers, coca…
Des voyantes qui voyaient s’étaient installées dans le sillage d’un Prophète Révérend Saint… elles quêtaient les aumônières des chalands en recherche de sainteté…
Un car-régie avait garé sa carcasse hérissée d’antennes à proximité du carré de verdure où, il y a peu, Graceful, Chouchou et Akio avaient campé… chose respectable… on avait respecté l’espace des quatre piquets… sanctifiant la présence fossile ancienne…
Des entrailles du monstre jaillissait un réseau sans fin de câbles qui irriguaient le plateau installé dans l’amphi désormais célèbre sur lequel l’antique Josef était devenu John Le Nouveau.
L’esprit de la captation tentera de diviniser l’essence biblique d’un quidam devenu prophète dans ce lieu devenu Saint… par le biais des Bisons…
En réalité… mais… mais… voyons ce déroulement…
Une ruche de techniciens courait de la régie jusqu’au cœur même du savoir…
Nous allions apprendre !
Or, l’acquisition des connaissances n’est pas si simple.
Il fallut brancher tout le système.
Enfin… au moment où le premier rayon du soleil déclina vers l’ouest, ici comme ailleurs, c’est-à-dire vers les 13 heures, le maître technicien, et donc directeur des ondes frappa les trois coups. Aussitôt, les moyens furent synchronisés comme par magie – instant prémonitoire – car l’électron libérateur avait appris par ses congénères syndiqués que le cœur même du sujet était le sermon d’un prophète…
Tous les électrons répondirent présents, car ce n’était pas tous les jours qu’ils retransmettaient des images d’un saint homme en quête d’immortalité : ils se firent bien propres, bien nets, clean en somme. Certains même attendaient une bénédiction, les plus grouillots au bas de l’échelle des emplois, ceux qui tiraient les câbles par exemple, firent brûler des bougies ; d’autres pieux se privèrent du hamburger pour acheter une douzaine de candélabres…
Ils étaient émus, en l’attente d’une promotion…
Nous aussi…
Voilà pour le côté technique…
« Ça baigne ! » avait émis le directeur des modulations hertziennes… (Nous avons traduit son volapük technique)
Mais si ça baignait ici… ailleurs le bateau semblait en perdition.
Ce n’étaient point des flots de cris et chuchotements bergmaniens mais plutôt des bruits et des fureurs macbéthiens…
Akio ne pouvant se dédoubler dépêcha un scribe qui vint voir de visu et enregistra la scène ou plutôt, entendit derrière la porte les hurlements d’une voix qu’il reconnaissait sans pouvoir précisément la nommer – jusqu’à ce que la porte s’ouvrît par la magie des codes…
Alors, il vit… la décomposition de Garfield Jr. lui-même : le doyen venait de découvrir que le pourcentage de la recette publicitaire qui lui revenait avait été divisé par deux.
L’horreur !
C’était terrible !
Pourtant, Élisabeth, la directrice des programmes, avait revêtu le dernier Channel, ce qui était logique pour une directrice des ondes visuelles. Elle sentait bon le Number Five et luttait de toutes ses forces pour ne pas répondre aux vociférations du doyen, eu égard à son maquillage pharaonique Néfertitien récent qui devait tenir jusqu’à la fin des festivités.
Ce fut homérique…
Elle restait de marbre et pour cause : autour d’elle, des dames, des soubrettes, des dulcinées et autres assistantes et assistants voletaient, allant du doyen à leur patronne en décodant leurs messages…
C’était dantesque…
Le doyen, théâtral, « jura, mais un peu tard, que l’on ne l’y reprendrait plus. » Il décida de jouer la scène du « grand caprice »… un story-board en plusieurs tableaux…
… absolument, Élisabeth, vous m’avez trompé sur la marchandise !
Un homme envoyé par elle vint réciter la liste des charges pour réaliser le « C’est aujourd’hui » qui pourrait ne pas avoir lieu… si…
… vous le saviez… ce n’est pas la première émission que je vous offre !
… oui ! Mais celle-là est colossale !
… en quoi ?
… mais parce que c’est vous, parce que c’est nous, parce que ce sont eux !
… ah bon !
Le giton mignon, encore proche du doyen était vexé, face au Channel-Rive-Gauche de la directrice des programmes. Il voulait, lui aussi son Smalto Rive-Droite dernier chic. Garfield avait été obligé d’aligner un chèque qui lui avait pompé ses avant-dernières économies…
Le doyen se mura dans le silence et se réfugia derrière son immense bureau…
… foutez-moi la paix, je ne veux voir personne…
… Garfield, mon ami Jr. susurra le mignon, qui attendait la recette gros-lot des pubs à venir…
… dégage ! là !
… Oh ! Cœur est brisé !
Deux montagnes de muscles en costume vinrent fermer le bureau. Les cris, fureurs et rumeurs prospérèrent plus loin. L’angoisse montait dans les hautes sphères. Les actionnaires, ayant appris eux aussi que le bonus devenait presque un malus, suggérèrent :
« Motus ! Wait and See… ! »
Les caciques attendirent donc.
Les minutes du décompte s’égrenaient. On vit des hommes bien mis sur eux, des financiers en somme, qui vinrent glisser une enveloppe sous la porte du doyen.
Il bouddha de silence tout en comptant les biftons : il tentait de se libérer de son addiction aux bonus, mais il n’y parvenait pas… l’enveloppe était bien trop légère.
Il s’entêtait donc, malgré la seconde.
Le décompte décomptait…
C’était le seul compte sur lequel on n’avait aucune prise…
Mais pour Garfield, ce n’était plus un caprice, c’était un schisme, un Trafalgar, un tsunami…
Il ne bougerait pas…
Il se fit convoyer son breakfast du jour, car ses réserves avaient été mises à mal…
Le soleil déclinait ses heures en déclinaisons latine, germanique et russe dans une grande glaciation arctique. Les techniciens furent réapprovisionnés en Coca puis en liquide plus solide. Il commençait à y avoir pénurie de coque…
On s’en préoccupa…
Allait-on replier tous ces moyens Hi-tech devant l’intransigeance du doyen ?
Le plateau se vida, mais le car-régie se remplit. On ferma les portes pour regarder quelques films un peu grivois, classés triple X. Élisabeth avait investi une salle adjacente avec son comité de comptables et de directeurs de la publicité. Ils refaisaient les comptes et plus le temps passait et moins le compte y était.
Allait-on vers une Bérézina financière de cette émission ?
L’idée était si belle, mais sa concrétisation si chère !
Personne ne voulait se sacrifier…
C’est à ce point que l’on constata le pouvoir de Garfield… lui-même s’en étonnait… ce qui le motiva… à sur-produire des anathèmes…
Des acteurs étaient là – enfin ces personnages que l’on installait sur des chaises et qui, sous l’injonction du modérateur, récitaient promptement un texte écrit sur un prompteur que les caméras devaient oublier de retenir dans le champ de leur cadre.
Ces gens attendaient dans des réserves où on les maquillait…
Pensez un peu, se voir sur un écran, quelle joie pour les enfants et les amis !
Pourtant, hélas…
… « C’est aujourd’hui »
… sera un autre jour…
… ou jamais.
Les comptables, les banquiers, les avocats, les trésoriers, les juristes… tous secondés par les secrétaires… greffiers… assistants… chauffeurs… bodyguards…
Attendaient que Garfield plie, ce fut au septième pli (le jeu de mot était tentant ) passée sous la porte de Garfield qu’Élisabeth pria… elle avait perdu l’habitude…
… il faut un sauveur… cria-t-elle dans un déluge de larmes…
… eh bien… allez chercher le Révérend… c’est son Job…
… mais bon sang mais c’est bien sûr… et moi qui l’avait snobé !
Elle en fut si émerveillée qu’elle dut revenir promptement dans la loge de maquillage pour retoucher son masque assyrien qui subissait des craquelures métaphysiques. (On ne louera jamais assez ces dames maquilleuses aux pinceaux et baumes régénérateurs.)
Révérend… le Prophète… était là… comme par enchantement…
Nul ne l’avait vu paraître dans sa chasuble de bure ceinte d’un cordon de chanvre tressé sur un jean délavé authentique dans des mocassins algonquins cousus par Yépa.
Élisabeth ressortit toute pimpante qu’un nuage de parfum de la rue Cambon ajouta à son charme.
Le Révérend-Prophète attendait comme il se doit que sa parole puisse se déployer, selon le cadre décidé par les ondes spectrales… en l’attente il lisait Jérémie… ce célèbre passage où le prophète du Livre attendait dans le désert d’Égypte que sonne la voix de Dieu…
Elle vint… enfin, Élisabeth s’approcha… émue… mû par la dimension transcendante du Révérend… il dormait… tel un sage…
Il s’éveilla et dit :
… je sais !
La concision… absolue du sachant…
… détendez-vous ! suggéra le Révérend à la princesse des ondes numériques…
… hélas, je ne peux pas !
Elle fit un geste vague en direction de son visage, elle ne voulait point perdre la face…
… le doyen fait un caprice, il a arrêté le projet. Nous allons tout plier. On l’aurait mal traité, lui. Il prétend que son budget a été amputé. Vous comprenez, c’est une catastrophe. Enfin, le peuple va être privé de cette émission que le monde nous envie. Songez à tous ces pauvres gens qui ont travaillé dans les agences pubs, les annonces, les castings, les tournages, sans parler des directeurs financiers. Tous leurs espoirs de voir leur création réalisée se sont envolés à cause du caprice d’un homme Ancien. Oui, j’ose le dire ! Ils vont perdre tous leurs Awards, à cause d’une broutille minorée…
Le Révérend, tel le sage – il allait dans cette voie – puisqu’il avait compris le jeu de mots, constata en plus, que cette pauvre Élisabeth était inconsolable…
Le Révérend lui proposa un deal – car c’est ainsi, en US-Land, que l’on nomme ce qui allait suivre…
Élisabeth l’écouta, tout en aiguisant son sens critique : est-ce que ce va-nu-pieds à la tête de prophète qui sentait le foin des steppes allait accomplir ce que tous les comptables n’avaient point réalisé ?
… eh bien… allez le voir. Mais oui, vous êtes sur la liste des intervenants, juste après le vintage des engrais chimiques qui ont vu le jour grâce à la sommité qui tient cette chaire. Vous aurez vingt minutes pour vous refaire… je préviens le coiffeur… c’est à la vingt… non, à la quarante-huitième minute…
… combien dure l’émission…
… soixante minutes…
… il cause… Garfield ?
… mais bien sûr… très… tout… enfin… souvent…
… alors… j’y vais… mais…
Et Josef se pencha à l’oreille d’Élisabeth, il avait l’habitude avec les dindes, les coyotes et les bisons… hélas, nul ne put saisir ce qu’il lui murmura.
Grand moment théâtral…
Les deux montagnes de muscles qui s’étaient postées devant la porte du doyen s’écartèrent à la vue de ce sémite-composite merveilleux…
Le Révérend pénétra chez Garfield, et l’huis précautionneux lentement se closa.
Élisabeth se sentit liée à ce nu-pied en mocassins…
Elle songea à Jérémie… sans savoir pourquoi…
Étrange…
Les deux montagnes de muscle se dandinèrent devant la lourde…
Alors, une chape de plomb étreignit les acteurs présents dans un silence kafkaïen.
On marcha sur la pointe des pieds, les peaux se plissèrent, les nerfs se pelotèrent, les pots des toilettes se remplirent, les oreilles se tendirent vers l’espace des négociations, les directeurs des directeurs consultèrent leur montre, s’interrogèrent du regard. Les heures défilèrent à une vitesse cosmique à raison de soixante minutes par heure, mais le décompte s’amenuisait, pourrait-il mettre en boîte le script vendu aux régies publicitaires ?…
Et soudain…
La porte de l’arche d’alliance s’ouvrit…
Garfield et le Révérend le visage fermé comme des moules que l’on vient de tirer de leur tanières sortirent du bureau.
Mutiques… autant que mystiques…
… !
… alors sanglota Elisabeth…
… non seulement vous avez réduit mes commissions de moitié… mais en plus… alors que ce projet est un authentique produit de mon université… vous réduisez le temps de paroles de notre Prophète à quatre minutes et dix-sept secondes… même pas cinq minutes… alors je vous le dis en vérité : c’est non ! Le Prophète m’a illuminé de son savoir… notre concept sera selon nos normes ou ne sera pas…
Élisabeth s’effondra… dans les bras d’un banquier qui passait pas là… ce fut la cohue… on convoqua les États Généraux contre ces Gens si peu Généreux…
Pendant ce temps les régies refroidissaient, les électrons s’atrophiaient, les techniciens se diluaient, les lumières clignotaient leurs derniers spasmes avant extinction…
Au bout de quelques minutes additionnées à d’autres…
L’électron retrouva du tonus…
Élisabeth retrouvée… relookée par l’armée de « réfectrices » exposa :
… bon… j’accepte le chiffre de cinquante pour cent, pour les commissions de Garfield…
… au Révérend je propose…
… madame…
… mais…
… je réserve ma conclusion…
… mais, je n’ai rien formulé…
… vous alliez m’offrir monts et merveilles…
… c’est ça.
… ce qui me revient… c’est très aimable… alors je prends ce qui arrive…
… mais…
… on verra le résultat plus tard…
… lancez le nouveau décompte ! cria directement un directeur aux directeurs de plateau.
… ça baigne pour le nouveau décompte…
Il fallut réveiller l’ensemble de la technique réchauffer les électrons. La ruche rucha vers ses futurs rushs. Ce fut olympien…
Le directeur de plateau lança les ordres pour que rayonnent les lights, qui, tels les soleils du Nouveau Monde, inondèrent de lumière le centre de l’amphithéâtre. Les douze acteurs se placèrent chacun sur un siège au pied du podium. Une armée de personnages : scripts, maquilleurs, tireurs de câbles, porteurs de gobelets… somnolaient enfin légèrement ankylosés par cette attente rare…
Le Révérend avait disparu…
Le doyen était bien là, assis sur un siège Louis XV revisité par le design d’un décorateur de Pennsylvanie. Il était heureux, jovial, réjoui, il avait totalement oublié la présence du sauveur de ses pourcentages…
Élisabeth, suivie par ses deux maquilleuses qui l’embaumaient parfois d’un nuage de Sent-Bon de la rue Cambon, n’attendait plus que l’arrivée du Prophète pour lancer la première séquence…
… rien à foutre, on n’est pas en direct… souffla un directeur de la direction de la réalisation… tu lances… on verra au montage !
Alors, elle lança…
Et ce fut un immense lancement…
La porte côté cour à droite du plateau s’ouvrit en grand par la magie des pouvoirs surnaturels, car elle était gardée par des montagnes musclées qui ne virent rien venir et laissèrent faire…
Le Révérend entrait en guidant Graceful qui connaissait le chemin, avec Chouchou à ses côtés, suivi par huit dindes qui glougloutaient à qui mieux mieux, cornaquées par un renard des steppes. Enfin, une équipe d’Indiens algonquins maquillés, en tenue traditionnelle, munis de tambours fermait la marche sur le sentier de la guerre…
Dans les cimaises et sur les bancs publics, ce fut un triomphe…
Sur le podium, le doyen jubilait, il avait sa revanche.
Ah ! il était fort, le Révérend…
Le plateau s’éclaircit soudain, car la technique en mal d’intervention eut peur d’être agressée par les dindes qui voulaient une place sur l’image.
Graceful, occupait le meilleur angle, avec son pompon entre les deux cornes. Et pour bien marquer sa joie, elle poussa un barrissement homérique qui précipita le directeur des sons hors de sa cabine le casque à la main en se tenant les oreilles, il hurlait que ses micros avaient explosé…
Élisabeth semblait épuisée, réfugiée derrière un banc de la première rangée. Dans la déflagration, son maquillage était passé de la dynastie assyrienne à l’époque romaine version Pompéi en éruption ; elle avait perdu ses maquilleuses qui fuyaient devant les dindes, elles attaquaient tous ceux qui entraient dans le champ des caméras…
Pendant ce temps, les cadreurs furent bousculés, mais tinrent sur leur socle. Seul un technicien eut à subir une déclaration d’amour d’une dinde qui le trouvait mignon. Elle s’était entichée de lui, elle ne le quittait plus, lui titillant les mollets.
Dans le car-régie, les magnétos tournaient à plein régime. Le script était dépassé, explosé, transcendé, c’était une création totale créativité, voire en récréation. Les techniciens jubilaient, ils en avaient marre des scripts et autres story-boards concoctés par des fonctionnaires. Enfin, ils avaient du nouveau, du splendide, de la passion… biblique.
Les dindes s’intéressèrent subitement au podium et s’y installèrent, faisant fuir les invités, qui refluèrent sans combattre. Le doyen fut épargné ; il resta en place sur son siège derrière un micro. Graceful voulut aussi monter sur le podium, au risque de passer à travers à cause de son poids. Finalement, elle retrouva son coin de jadis et, en vraie diva, elle se posa face aux optiques des caméras.
Quant aux Algonquins, ils prirent la place des acteurs pleutres qui avaient déserté le monde autochtone. Au signal du Révérend, ils attaquèrent un chant indien scandé par leurs tambours, ce n’était pas prévu. Ne sachant que faire, le modérateur qui devait diriger l’émission posa son séant sur un fauteuil. Après tout, il était payé pour être présent, pas pour imposer une nouvelle mouture – ce qui tombait bien, car le story-board était dépassé.
La régie avait prévu trois chasseurs de mouches, ils arrosaient copieusement l’espace de DDT parfumé à la lavande…
Pendant ce temps, les gradins s’étaient peuplés. De mémoire d’étudiant et même de non-apprenant, nul n’avait vu un tel spectacle – et chacun de pouvoir dire plus tard :
« J’y étais ! »
La mélopée des Indiens algonquins n’avait ni queue ni tête, car plus personne ne parlait l’innu-aimun qui était la langue de ces gentilés autochtones. Et parce qu’elle n’avait ni début ni fin, elle s’étirait en longueur sous les vivats des badauds. Les flashs des portables crépitaient, les tambours tambouraient, les dindes dindonnaient en chœur une symphonie de glouglous hérissés d’harmoniques. C’était sublime…
Élisabeth était effondrée. Le doyen tapait des pieds ; il pactisait, il avait cueilli une plume sur une coiffe qu’un ancien lui avait concédée et il l’avait calée entre son oreille et son appareil acoustique qui rayonnait de décibels… enfin !
Nul ne connaissait la suite du programme…
Une vague, de fragrances, venant des steppes dans lesquelles se conjuguaient au présent les flatulences de Graceful, les fientes piétinées des dindes et les remugles des vieux cuirs indiens, flotta sur la piste… un long bourdonnement de mouches suivit.
Au bout d’un moment, qui parut très long à certains, fort divertissant pour d’autres, exécrable pour les bégueules, le son des tambours déclina lentement et cessa…
On mesura à quel point le silence permettait d’apprécier jouissivement la musique qui venait de s’éteindre…
Élisabeth se releva, mue par un instinct de conservation surhumain en cet instant œcuménique, elle tendit son visage à une troupe de rafistolage qui la requinqua alors que le modérateur tentait d’installer la nouvelle séquence. Elle se dressa, sublime et parfumée, pour diriger une scène qui lui tenait à cœur…
Mais à ce moment le Révérend prit la parole… enfin.
… En ce jour…
Mais il ne put aller plus avant dans son sermon, qui n’en avait pas encore le nom, car, sur les bancs de l’amphi, une chorale de femmes noires : les Pentecotswifes entonnèrent un chant religieux :
« À la gloire du seigneur ! » que les dindes reprirent en contrepoint. Les caméras, n’étant pas prêtes à se tourner vers le public, pivotèrent. Il fallut que le directeur de la photo se rebelle contre les diaphragmes afin qu’ils s’ouvrent sur ce Nouveau-Monde pour que le people pût voir.
Alors les écrans s’illuminèrent et le public frappa des mains, des pieds, des pupitres comme de vrais potaches, et puisqu’il était interdit d’interdire, on ne s’interdit aucune expression interdite…
Le chant fut salué et le Révérend repartit à la conquête de la parole…
… En ce jour…
Il fut à nouveau interrompu par un chant d’un second groupe. Il descendait en ondulations des gradins et envahissaient le pied de la tribune où Garfield béatifiait son futur…
C’étaient les Évangélistes-mutantes… des LGBT+plus aux roucoulements roucous-lents… sous la houlette de Thomas leur Saint Patron…
Élisabeth était retombée dans un dédoublement de sa personne qui la faisait lentement sombrer tel le Titanic dans les abysses. Les maquilleuses regardaient avec effroi leurs boîtes de crèmes vides. L’horreur devenue réalité !
… En ce jour radieux…
Lorsque le micheton du doyen prétexta que cette minute était la sienne, il entra sur le plateau, vêtu d’un string, bien ! bien étroit derrière, couvert d’une petite jupette devant. Ce fut sublime, le biquet présentait sa ligne de vêtements… en froufrous… soyeux… Zzzzzzzoli-cœur… les caméras virèrent au rouge… d’émoi…
Garfield était aux anges…
Mais les dindes ne l’entendaient de la même oreille, le Zzzzoli-coeur occupait un peu trop d’espace et dans un grand mouvement elles se liguèrent contre le girond, qui décampa, laissant admirer deux fesses, bronzées, dorées, à peau de miel… ce cul fit un tabac.
Le Révérend étendit les bras devant lui comme pour apaiser les foules…
Il y parvint…
Graceful le remercia d’un beuglement affectueux qui tira les larmes de tous les spectateurs… sauf au preneur de son…
« … radieux donc… ! »
La foule consentit à l’écouter dans un silence religieux que seule la dinde qui avait le béguin pour le cadreur perturba. Elle le titillait toujours… allez savoir pourquoi…
« … radieux donc !
… si cette dinde veut bien poser son solilesse… » suggéra le Révérend.
Ce qui eut deux effets : primo, la dinde écoutant le Prophète, obtempéra ; secundo, le peuple se signa – car un Révérend qui impose ses ordres à une dinde, eh bien – c’est quasi surnaturel ce guy là pourrait faire une immense carrière dans la politique.
L’adoration était proche…
et tel le prophète…
« Gentilés, il est temps que le peuple s’éveille. Aussi, je rends grâce à la bienveillance de notre doyen qui va nous offrir son sermon du jour…
… halte… ici, on avait prévu, interféra Élizabeth, un spécialiste du développement des investissements dans la recherche des molécules, pour que le sol soit aussi sain que saint… venez Monsieur…
… une pluie de cannettes de bières de boites de coca et divers contenants qui étaient vides de contenus s’abattit sur le spécialiste qui quitta les lieux sous la bronca.
Élisabeth sanglotait…
Le doyen se leva doctement. Sa plume frétillait… celle du chapeau bien sûr…
Il dégrafa hardiment son col de chemise – ce qui le rendit un peu canaille…
Son petit ami se pâma, quelque part planqué derrière les deux montages de muscles en costume de gardes… par crainte des dindes…
« Il est zzzzzi beau mon Jr. ! » dit-il en pensant entre autres chèques de ce cirque…
Nonobstant, Akio, discret, perdu dans la foule, n’en perdait pas une miette. L’Olympus et le manu-script chauffaient au rouge.
Il notait les élans et les soupirs des cœurs à la gloire future du Révérend… il nota bene… que le Révérend dans un sublime élan de compassion retint son discours qui resta divin parce contenu dans les profondeurs de l’être… où il se bonifiait…
« C’est à ça que l’on reconnaît un Prophète…
Fermez les guillemets du manu-script…
Garfield poursuivait…
« Merci à toi, Révérend, de me donner l’instant sublime qui nous rappelle qu’ici, sur ce sol, vivaient en liberté ces nobles êtres : bisons, bisonnes, veaux, dindes, indiens qui cohabitaient sans querelle aucune, si ce n’était pour se nourrir…
… mais qui…
A ce moment… l’oracle-du-coyote jeta son appel à la meute… le museau en l’air… il poussa le fameux cri de guerre qui dura deux minutes montre en main… il fit trembler les spectateurs… autant que les micros…
… Junior… tu l’avais oublié dans ta liste… souffla Josef…
Et Garfield de réaliser un bis quant à son introduction…
Il poursuivit…
… mais qui peut prétendre ne pas se nourrir ? Je vous le dis sans aigreur d’estomac. Dans cet éden originel, ils auraient vécu ainsi des milliers d’années si nous n’étions point venus pour élever leur standing… et l’élévation de leurs âmes…
Oui, nous arrivâmes pour répandre l’amour du prochain. Hélas, ces peuples se rabougrirent, il ne reste plus que des fossiles. Rendez grâce au Révérend de nous les avoir révélés avant que nous-mêmes n’allions rejoindre le Seigneur…
Pendant que le doyen parlait, il se passait une révolution dans l’équipe de tournage : un homme en costume trois-pièces denim s’approchait d’Élisabeth pour lui souffler sans doute une prière à l’oreille…
Mais c’est bon ça ! murmura-t-il.
… tu crois ?
… oui, ça donne un parfum œcuménique transcendantal aux spots pub. Imagine, ils deviennent saints. Oh, j’imagine déjà un découpage sublime. Il faudrait brancher un spot sur le Révérend, tu vois ce que je veux dire ?…
Elle voyait et les spectateurs le verraient, plus tard, peut-être, aussi.
Ragaillardie par cette lumineuse innovation, elle héla le directeur des spots qui avait la solution…
… discret… isn’t it?
… and what more ?
… go !
Et une troupe d’électros monta l’électron sur une flèche électrique articulée qui délivra une divine lumière au-dessus du Révérend…
… une mise en scène, style rayons de soleil dans les forêts de Bavière… profondes… mystérieuses… tu vois… ?
… you mean romantic…
… that’s it…
Ce fut : méphistophelien…
Le doyen fut inondé de photons collatéraux dont le centre rayonnait sur le Révérend… Garfield, inspiré… soupira… une inspiration… incantatoire…
« … tous ces êtres indigènes avaient cru au discours des Pères du Mayflower qui avaient faim et soif d’absolu… Eh oui, absolument… tellement absolu que bien des naïfs terminèrent sur un feu de bois comme rata de ces envahisseurs dont nous sommes les héritiers. Alors devons-nous accepter ce diktat antique ? Il faut offrir plus que de la repentance, c’est un lavage de conscience, une volonté de renaître, avec ceux qui restent, après cette catharsis à laquelle je vous invite. Chantons avec nos hôtes, leur présence nous ôte le poids de nos offenses jetées à jamais dans les hottes des abysses profondes pour ne plus pécher… »
… tu crois pas qu’il en fait trop ?…
… on coupera au montage… !
… il devient gâteux, non ?
… c’est pas ton problème… après… c’est le rancart…
… j’ai mis trois caméras pour les meilleurs angles…
… pense à l’audience… après tu prendras ton masque de joie ou de regrets !
Alors le doyen Garfield se jeta dans les bras du Révérend, qui jusque-là n’avait pas dit grand-chose.
Mais c’est à cela que l’on reconnaît les Révérends-Prophètes : c’est quand ils ne disent rien qu’ils sont les meilleurs.
« Je l’avais déjà écrit… » souligna Akio.
Le peuple applaudit…
Alors, s’éleva un troisième chœur de vierges noires en chasubles violettes. Les Born Again Sister’s entonnèrent un gospel à la gloire du Lord, qui fit pleurer le peuple et les dindes. Graceful avait faim. Après avoir tété, Chouchou alla gambader comme un petit espiègle… qu’il était…
… on se demande pourquoi on tire des story-boards au cordeau, le scénariste ça coûte un prix fou, tu les laisses jouer, tu rushes, puis tu coupes… observa un financier.
… les syndicats imposent leur grille, la parité guy-femelle-LGBT… celle des colored…
… O.K boy…
La plume de Garfield s’était dépréciée dans les étreintes avec le Révérend. Alors un vieil Indien s’inclina pour poser sur le crâne du doyen une coiffe authentiquement Indienne qui, jadis, nécessita le sacrifice de quelques aigles, ce fut un moment biblique…
On pria devant ce don De Soi – les plumes en vibraient encore d’émotion…
Garfield Jr. avait l’air d’un desperado du Wild-West. Il était fier. Son petit ami avait enfin sorti son portable et le mitraillait, coincée entre les deux gardiens du temple.
Puis, nous arrivâmes au clou, c’est-à-dire à la communion des présents dans une sanctification oratoire.
Le Révérend causa enfin… entouré de Graceful… Chouchou… les dindes et le coyote…
« Je suis venu vous rappeler que nous sommes tous atteints d’anthropophagie chronique sans nous en rendre compte. Nous le faisons en toute innocence, ce qui est grave, car nous ne savons plus…
« La Bonne nouvelle » ne vous demande pas d’adhérer à une nouvelle chapelle, elles sont toutes corrompues, même celles qui ne se réclament pas de l’Esprit Saint…
Je vous demande de revenir aux choses simples qu’il n’est point nécessaire d’énoncer, au risque de les démonétiser…
Il est temps que nos sens s’apaisent, reviennent à l’essentiel… l’instinct humain seul doit exprimer son message profond…
Nous allons rendre l’espace à nos amis…
Nous allons redonner la voix aux cœurs douloureux…
Nous allons vivre en harmonie avec nos sœurs et frères…
Nous allons rejeter les diktats qui surveillent nos moindres gestes…
Nous allons nous élever contre les organes qui tissent des écrans de mensonges…
Nous allons virer les églises qui nous bouffent notre raison…
Nous allons déboulonner les statues des esclavagistes…
Nous allons aimer nos sœurs et frères au-delà des mers… oui, même ceux qui vivent en Russie…
Nous allons entendre les voix des Tortues blondes, porte-parole de ces peuples…
Allez en paix ! »
Le vacarme était tel que les techniciens dans le car-régie eurent des tumeurs aux tympans… Il fallut les soigner sur-le-champ.
Dans l’amphi, on se levait. Le lien était lié. Mais d’autres ne le voyaient pas ainsi… Ceux qui avaient préparé un discours se rebellèrent. On s’invectiva, on se toisa, on se jura que l’on ne les reprendrait plus…
Mais que voulez-vous faire contre une marée humaine qui communiait ? Nul ne s’arrêta aux petites mesquineries égocentriques. D’ailleurs, les dindes y mirent le holà ; elles expulsèrent les contrevenants loin du point d’orgue obtenu… non mais !
Et le peuple se mélangea sur la scène. On porta le doyen qui perdit quelques plumes, recueillies religieusement par des thuriféraires gentils-garçons passionnés qui voulaient supplanter le coquin-mignon toujours planqué derrière les montagnes de muscles en costume…
Le Révérend fut hissé sur les épaules des chefs Indiens colonisés par des quidams. L’élan collectif était chaleureux.
Personne ne savait pourquoi, mais le cœur y était, c’est le mystère de la psychologie des foules que de s’enflammer pour une image forte… une bisonne et son veau… cette même foule, jadis, descendant du Mayflower les aurait occis sans états d’âme pour les bouffer.
L’heure s’était avancée dans la nuit. Le cœur gros, il fallut quitter les lieux, car les techniciens venaient d’entrer dans un autre cycle horaire qui triplait leur salaire – ce qui n’était pas pour réjouir les comptables qui comptaient…
Du côté de l’université, on était confronté au même problème avec les éboueurs, les nettoyeurs, les techniciens de surface et les femmes de ménage qui attendaient au gard’à’vo’, en silence dans les couloirs au pied de leurs appareils au repos. Pour eux aussi, les heures sup allaient leur procurer quelques dollars supplémentaires sur la feuille de mendicité.
Alors, ils bénirent le Révérend pour cette augmentation…
Au milieu du plateau, les techniciens replièrent les spots, les supports d’aluminium et les praticables, parmi des câbles qui couraient au sol et autres vestiges de la journée : gobelets, bouteilles, sacs de pop-corn, serviettes en papier et quelques flaques de Coca qui collaient aux pieds… dans l’espace devenu un nouveau théâtre des pleurs…
Les dindes s’en réjouissaient, elles n’avaient jamais été aussi guillerettes, tout comme Garfield, le Jr. avait vécu une belle journée, après son caprice de première heure.
Il n’en était pas de même pour les acteurs-intervenants qui crièrent au lèse-mutisme…
« Ça fait vingt ans que je travaille sur ce produit qui a attiré des générations d’étudiants dans ce lieu. La fac s’est engraissée sur le dos de ces inscrits, et voilà ce que j’endure : poireauter derrière le cul d’un bison…
… c’est ben plus noble que le cul d’une vache ? s’esclaffa un techno aux anges…
Élisabeth était méconnaissable : son rimmel s’effritait, s’écornait, se pelait. Les maquilleuses qui l’encadraient, telles les vestales antiques, avaient sorti un éventail et l’agitaient pour éviter la débâcle et chasser les mouches qui, attirées par la chair animale, se pourléchaient les mandibules. Une troupe de comptables comptaient les comptes ou plus exactement décomptaient le mécompte.
Les directeurs des pubs se ruèrent sur Élisabeth et juraient qu’au montage on allait insérer le spot promis. L’un d’eux glissa sur une fiente de dinde, tomba et hurla que l’on venait de salir son beau costume et sa réputation. Les rôdes ne se pressaient point, mais se pliaient en deux pour mieux en rire tout en repliant les câbles qu’il fallait nettoyer.
Par un étrange hasard, le chantier avait rassemblé des dizaines de professions qui jusque-là s’ignoraient totalement…
« C’est le bienfait de l’œcuménisme… ! » s’extasia le doyen qui avait conservé sa coiffe de plumes…
Il était entouré de quémandeurs qui quémandaient des quémandations…
« Je sais… je sais… moi aussi, j’avais fait un rêve… » répliqua Garfield dans un spasme.
Sur le podium, les Algonquins avaient relégué les chaises. Ils étaient assis en cercle selon la tradition et fumaient tranquillement le calumet… en paix. La dinde qui avait eu le béguin pour le cadreur se consolait avec une bouteille et un sac en carton d’un hamburger qui ruisselait d’Heinz Tomato Ketchup authentique. Les autres volatiles baguenaudaient de-ci, de-là en se dandinant, cherchant à picorer quelques restes, car la journée avait été longue et ces dames avaient faim – et une dinde qui a faim est très susceptible. Plus loin, Graceful s’était lâchée de plusieurs bouses qui emboucanaient l’espace.
Ce fut le signal du repli et l’arrivée des éboueurs…
Le bourdonnement cessa lorsque Élisabeth, pendue au bras du doyen, toujours coiffé des plumes d’aigle, suivi par la meute des crieurs de doléances, quitta le plateau… Enfin seuls !
Ne restèrent alors que les natifs de cette contrée du Wild-West. Sur le seuil des portes, les boueux risquaient un œil, craignant de se faire écharper par quelque sauvage, non tout était calme…
Le Révérend avait réintégrer son peuple assis à côté d’un chef algonquin, il méditait assis en tailleur… il avait la taille à ça.
Alors, s’approcha un gentilé du lieu en costume et casquette…
Prudent, il soumit son message au groupe :
« Saint homme Révérend, il serait comment dire… sain… que vous puissiez vous retirer car vous devez être fatigué, afin que nos pauvres personnes aient l’espace pour réaliser le nettoyage… des lieux… cela dit sans vous fâcher ! »
Ils se regardèrent quelques secondes, le temps de réfléchir… Puis :
« Hugh ! » dit un chef.
Sans doute, le directeur des chefs Indiens…
Alors, ils se levèrent, avec prudence comme tout Indien sur le sentier…
Et dans le quart d’heure qui suivit, la troupe avait disparu…
« Il est fort, ce Révérend ! fut la dernière sentence qu’Akio entendit et qu’il consigna dans le manu-script. J’étais le dernier à quitter l’amphithéâtre en serre-file consciencieux, laissant la place à l’armée des surfaceurs qui allait faire exploser leur feuille de salaire. Et ils bénirent le Révérend ! »
Il était quelque part un instant de la nuit lorsque Rosalie fit son entrée dans la cour de l’hacienda. Graceful jeta un cri de bonheur dans un doux vagissement qui remua les étables. On put mesurer la chaleur de cet accueil d’après les rudes ruades et hennissements des juments, des hongres, des entiers, des foals et des appaloosas… qui saluaient la prestation de la bisonne. Les dindes se précipitèrent vers leurs cantines qui regorgeaient de grains. Dans la grange, la forge rougeoyait encore, preuve que Gottfried venait à peine de la quitter. On remisa Rosalie et sa sœur jumelle prêtée par un cousin retraité, un Navajo…
Enfin, toute la clique entra dans le grand salon des pas perdus, où la vie ne s’arrêtait jamais. Les Indiens se rassemblèrent sur leurs peaux de bêtes. On mit une bûche sur les braises. Une tante qui veillait, servit quelques viandes rôties et des nouilles à la façon traditionnelle indienne – une nouveauté vue à la TV.
Akio prit place sur l’Eckbank…
Le Révérend méditait…
Le fauteuil gothique de Gottfried était vide, enfin soulagé, au repos, les bras grands ouverts… il « le valait bien ! »
« Loin dans la ville, les clameurs ne s’étaient point tues, tudieu ! Les gazettes, les revendicateurs, les sectes, les cliques, les lobbys fourbissaient leurs armes. Dans l’intimité du doyen, enfin, le petit ami avait coiffé les plumes de l’Indien et c’est déplumé, à poil donc, qu’il évoluait dans l’univers de Garfield qui n’en pouvait plus, vidé par la journée et par la donzelle qui lui comptait ses billets verts.
Si vous voulez savoir comment tout cela va se poursuivre, eh bien, lisez la suite, car la réalité dépasse la « friction »… à savoir le show montée qui sera retransmis la semaine suivante… peut-être une « fluxion » qui dépasserait largement la réalité de « l’émission »… mais l’idée était séduisante ou le contraire ! »
Bien que très fatigué… Akio se pencha un long moment… sur le manu-script… il hésitait… puis il rajouta… il me semble avoir vu un être qui ressemblait furieusement à Barnaby… Parker… Georges… ai-je bien vu… que faisait-il là… « in cognito »…
Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes
Gentilés
Si le voulez bien
Lisez suite jour prochain
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… vous trouverez les opus édités...
L’Ange Boufaréu