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28… temple…
Le lecteur se souvient que nous sommes dans un espace sacré au Japon, dans lequel Josef s’est retiré pour suivre une retraite spirituelle. Là, il est assailli par les instants passés de sa vie. Tel l’insecte dans sa nouvelle chrysalide poursuit sa mutation qui le transformera. Le chapitre qui vient de se clore tenta de décrire la période rose. Il reste quelques témoignages que nous versons au dossier, en particulier lorsque Hissa Luna tentait de décrire les mutations de Josef…
… eh bien, puisque monsieur Josef ne veut pas jouer avec nous, nous jouerons sans lui !
Hissa Luna se fit conteuse, elle narra les humeurs de l’écolier Josef aux Dames de tous âges qui étaient regroupées autour d’elle. Ces mères avaient, elles aussi, des enfants et elles étaient curieuses de recueillir le témoignage d’une brillante représentante de l’art éducatif étasunien…
… un jour, commença Hissa Luna, il resta trois semaines sans nous adresser un mot. Pas ça ! Dit-elle en claquant l’ongle du pouce sur les incisives carnassières de sa mâchoire supérieure qu’elle avait puissante.
Des femmes d’origines non confondues attendaient patiemment comment la pédagogie allait résoudre ce mutisme, car elles aussi avaient des papooses qui jouaient ce jeu-là…
… allons donc, ce n’est pas un jeu !
… ah bon ?
… au bout de trois semaines, j’eus une idée…
… dites !
… tes camarades te regardent…
… peufff ! fit-il.
… ils te donnent une note de conduite…
… pooff ! refit-il.
… elle… aussi…
… qui ?
… Franziska !
C’était la solution…
… c’est qui Franziska ? interrogea une jeune dame Équatorienne qui avait presque réussi à s’étasuniser tant sa vêture en denim était quasi étasunienne.
… ah, Franziska ! soupira Hissa Luna.
Et le groupe cosmopolite… soupira en écholalie…
… un jour qui commença tôt le matin, Josef quitta Rosalie, qui venait de se garer devant notre école. J’accueillis Josef dans la cour. Il était guilleret, comme toujours, alerte, sautillant, tête en l’air, les cheveux en bataille, il venait de fêter une année dans notre école. Dans ces moments, on ne parvenait pas à distinguer son origine sa race si je puis dire. Il avait des traits de Peau-Rouge sous une tignasse blonde, mais sous son bras gauche, il portait une sacoche estampillée « made in Germany »… ce qui brouillait les pistes…
… ce jour-là, nous recevions une délégation de pèlerins venant du Grand Est Là-bas… très loin… à l’est… de l’autre côté des mers Atlantes…
Il était comme toujours en train de faire la toupie. Il tournait sur lui-même comme le font souvent les enfants, mais lui, il rajoutait quelques demi-heures de plus avant de se plonger dans la contemplation… du ciel.
Ce jour-là, il interrompit sa toupie à peine commencée pour écouter les membres du groupe qui parlaient un idiome inconnu de nous tous. Il leva la tête, il suivit la délégation. Pendant la visite, quelqu’un salua ce papoose qui écoutait dans une langue que nul ne pouvait décoder…
… eh bien, madame… voilà qu’il répond à une question…
… en quoi est-ce étrange ?
… parce qu’il répond en russe…
… pourquoi en russe ? s’étonna une grand-mère Irlandaise originaire du Bénin.
… c’était la langue des visiteurs !
… et alors ? questionna une jeune maman du Costa Rica…
… mais… Josef ne parlait pas russe… précisa Hissa Luna.
… vous venez de dire qu’il a répondu en russe…
… oui, mais ici on n’enseignait pas cette langue…
… il avait sans doute dissimulé ce détail… les enfants sont malins…
… mais, madame… le russe…
… et nous, alors ? Comment on a fait ? Nous, les Indiens, lorsque les Blancs sont arrivés, on a bien dû se mettre à parler l’étasunien… sinon…
… tu as déjà vu, toi, un Blanc qui parle sioux comanche ou volapük ?
… le volapük c’est pas Indien…
… mais ça y ressemble !
… nous, on a vu un type de l’université, qui venait avec des micros pour enregistrer les vestiges de nos pères. Tu parles, pour nous voler notre patrimoine à cause du pétrole, oui !
Le débat devenait technique, Hissa Luna devait le recentrer immédiatement…
… c’est à ce moment-là que Josef vit Franziska !
On reprit du souci pour écouter l’histoire de Franziska.
… c’était la fille d’un immigré Russe un grand personnage, car la voiture qui la conduisait à l’école était longue comme deux Ford T2.
Le groupe inter ethnie se pâma devant le carrosse long comme deux Ford T2… nouvelle mesure à usage indigènes outre-frontières…
L’histoire devenait odysséenne…
… nous avions accepté son inscription dans notre école, alors qu’elle jargonnait à peine notre universelle langue, je me souviens qu’elle répétait sans cesse qu’elle aimait beaucoup le ketchup depuis qu’elle l’avait découvert au self-service de l’école – car notre école œuvrait aussi pour que cette petite jeunesse découvre les merveilles culinaires étasuniennes…
… le ketchup c’est pas d’ici ç’est Germain…
… et alors qui s’en souvient ?
La délégation quitta notre école, rassurée sur la qualité de nos services…
Franziska tenait une grande poupée qu’elle démonta selon un principe qui nous était inconnu : il s’agissait de multiples poupées éponymes qui s’emboîtaient les unes dans les autres – ce qui fit merveille dans la foule des petits – et des grands.
… on dit poupées girondes… dit une Texane…
… non poupées gigotes… contredit une Italienne…
… poupées gigognes… je crois dit Hissa Luna après une incertaine intense réflexion…
… j’aurais jamais cru… susurra une femme venue d’ailleurs… dont on ne voyait que les yeux…
Là, au milieu des enfants, Josef s’illumina sans qu’on sache si c’était à cause de la poupée ou de Franziska. La cloche sonna et la volée de bambins reflua vers les maîtres, à l’exception de Josef et de Franziska.
Franziska, assise le dos contre un tronc d’arbre, vit Josef se jeter à genoux devant elle. Il lui psalmodia un cantique de sa création en russo-germain, que Josef parlait à la perfection…
C’était une adorable petite fille, mais pas plus adorable que la moyenne, sauf qu’elle avait de longs cheveux blonds doux comme de la soie. Deux lacs illuminaient ses yeux. C’étaient sans doute ces signes extérieurs qui avaient ému Josef – miroirs dans lesquels, j’en suis certaine, se mira l’âme de Josef, car à partir de ce jour, il fut totalement transformé.
… que c’est beau confessa une native de Louisiane… et toutes soupirèrent.
En l’espace d’une journée, il abandonna ses longues périodes mutiques. Il devint profondément compassionnel et se présenta comme un rempart envers les faibles : il aidait les uns, corrigeait les autres, allégeait le fardeau de celui-là et n’hésitait pas à se battre pour défendre son prochain. Il prit même la tête d’une révolte contre les systèmes : une révolte en somme où il avait groupé la classe retranchée derrière une barricade de tables et chaises, il commença à creuser une tranchée afin d’ériger un bastion de rebelles. Il rédigea un texte en douze langues qu’il intitula Manifeste d’un primaire révolté : no passaran.
… qu’est-ce que ça veut dire ?
… c’est crypté…
On tenta un dialogue, mais rien n’y fit, Franziska l’avait changé. On accepta ses conditions…
Il devint totalement apathique le jour où elle disparut…
Les forces russes avaient décidé que cette enfant devait rejoindre un lieu orthodoxe – sans doute celui de ses ancêtres.
Alors Josef émigra au fond de la classe pour se créer une cellule d’anachorète…
… c’est quoi un anachorète ?
… quelqu’un qui se retire du monde…
… à son âge ?…
… Josef était précoce…
… certes… mais à quatre ans et six mois… c’est un peu tôt, non ?…
… il n’y a pas d’âge pour être anachorète… Quatre ans, ça peut parfaitement convenir, tout comme sept, voire soixante-seize… et même plus… Une majorité n’y parvient jamais…
… ça mange encore, un anachorète ?
… mais oui… quand il a faim ?
… alors ça sert à quoi ?
… allez lui demander !
On fut rassuré car Hissa Luna était pédagogue.
Il resta là quelques années jusqu’à ce qu’il ait terminé sa croissance…
… pourquoi là ?
… je savais que vous poseriez cette question. Eh bien, je crois pouvoir y répondre. Notre école avait été le lieu d’éveil de ce mutant. Ici, restait l’arbre qui avait soutenu le dos de Franziska – un quasi-totem qu’il vénérait tous les matins en arrivant à l’école. Il cognait chaque écolier qui venait gratter son écorce pour y graver des cœurs fléchés ou des déclarations d’amour comme : « Bill aime Hilary ».
C’était pour lui un sanctuaire. Aussi se mit-il en faction lors de chaque récréation, pendant laquelle il lisait ses grammaires, ses manuels de syntaxe, ses opus russes en authentique langue de là-bas.
… et toi, ton fils… il y arrive ? demanda une authentique Africaine à sa voisine.
… à quoi ?
… à parler…
… oui… dernièrement, il s’est mis à causer avec un accent… il a changé tous ses habits…
… diable !
… non… non c’est la cancel-culture…
… il paraît que c’est du wokisme… de l’illumination…
Alors toutes ces dames se tournèrent vers Hissa Luna pour entendre son diagnostic et découvrir quelle était son ordonnance médicale…
… c’est ce qu’on appelle l’acculturation, ou si vous préférez, l’adoption et l’assimilation de la culture de Los Angeles, une sorte de déconstruction…
… alors il devient étranger !
… étranger à qui ?
… ben, à moi !
… si on veut !
… ben, je veux pas !
… oui, mais avec son accent, dit la jeune intégrée, il a toutes les chances de devenir rockeur ou banquier…
… parce qu’il faut un accent ?
… c’est mieux !
… ça gagne bien ?
… j’te dis pas ! Même qu’on dit golden boy…
… les rockeurs ?
… non, les banquiers…
… j’y comprends rien, avec son père, on voulait qu’il suive les traces de son arrière-grand-père…
… quel métier ?…
… conducteur de tram…
… ça n’existe plus, ça…
… si… il faut aller à l’université… là où on enseigne les piqûres…
… tu veux dire la médecine ?…
… c’est ça !
Toutes ces dames attendaient qu’une très vieille tante y aille de son anecdote et histoire de famille, mais elle n’osait pas le faire, car comment retracer le jardin antique qu’elle avait parcouru à pied, derrière l’appaloosa de son époux, à la recherche d’un espace vert pour planter son tepee, organiser le campement, faire le feu, cuisiner le pain banique… Elle essuyait une larme…
… j’aurai cent ans à la prochaine lune…
… vous êtes encore bien verte !
… c’est la lune rousse… je lis sans lunettes. J’entends le moindre gazouillis des perdrix des steppes. Même les bourgots. Tu sais, ces escargots qui glissent. Eh bien, je les entends aussi…
Personne n’avait jamais vu de bourgot ni entendu le son du pied de ce mollusque glissant sur les herbes…
… dans la steppe, à l’époque, il y avait tout ce que tu voulais…
… oui, mais il n’y a plus de steppe…
… voilà… c’est bien ça, la steppe nourrissait les bisons, les lièvres, les perdrix et le bourgot…
… nous on va au Wal-Mart… pour se nourrir…
Elle partit dans un grand récit sur les chemins de l’éveil des steppes, la mixité, les mélanges, les métis, la musique, la danse autour du feu, et même les chevaux – les appaloosas, eux, avaient retrouvé leur origine avec les courses dans les grands espaces ; ils étaient devenus des mustangs et ils galopaient toujours… c’est ce qu’elle ne comprenait pas…
… qu’est-ce qui vous chagrine ?
… c’est pas égal, certains retrouvent leurs racines pendant que d’autres les perdent !
On se récria…
… comme ton petit qui parle avec l’accent los-angélésien ! Ces maladies sont provoquées par les Blancs, moi je sais que je ne reverrai plus les bourgots dans la rosée du matin…
… y’en a peut-être au rayon congélation…
Soudain éclata « Le « Born in the USA » la cithare, le violon, les vents unifièrent la diagonale de la nef.
La foule sembla se fondre dans le même moule sur la tonalité volumique du magma sonore Etasusien. Les chairs vibraient, pénétrées par les volutes des ondes hertziennes. L’ancêtre poursuivait son récit mais tel un film muet, car on n’entendait plus sa voix, bien que ses lèvres se mussent encore…
Une tante plus jeune aurait voulu raconter urbi et orbi une autre aventure de Josef, mais l’œcuménisme sonore ne le lui permettant pas, elle se la remémora pour elle-même.
… c’était une affaire bien curieuse… Gottfried avait construit une basse-cour gigantesque. Un jour, il revint à l’office en se grattant le crâne :
… c’est curieux, ce matin, la dinde n’a pas pondu d’œufs.
… si ! répondit Yépa.
… où sont-ils ?
… Josef les couve !
… ça, c’est nouveau ! Bon, je l’emmène à l’école !
… non ! ordonna Yépa… Il couve !
Et Josef, pendant trente jours, ne quitta pas ses œufs. Il avait installé sa couvée dans un tepee. Tous les Indiens de la famille vinrent à leur tour installer deux autres tepees, où ils émigrèrent trente nuits et trente jours, assurant le manger, la toilette et la chaleur humaine. On installa les feuillets, sorte de W.-C. indien, un trou creusé dans la terre et entouré de cannes – car les Amérindiens sont très pudiques…
Pendant les heures où il couvait, Josef révisa ses grammaires russes, allemandes, françaises. Le latin, l’araméen, le grec n’étaient point en reste. Il ouvrit un manuel de japonais qui l’amena au chinois puis à la langue mongole.
Bref, Josef en bonne couveuse bonifia ses esprits et sa compassion… extrême.
Et le trentième jour, alors qu’il lisait un texte en occitan, il accoucha d’une pousselado, une portée de petites dindes : huit joyeux bambins fort remuants. Josef les alimentait lui-même, en confectionnant des pâtés de son-farine-maïs allongés d’asticots et de lombrics qu’il récoltait dans la mare. Il saisissait lui-même la pâtée dans le bac puis tendait sa bouche qu’il sculptait en forme de bec vers les petits qui venaient picorer la manne nourricière directement à ses lèvres…
C’était touchant…
Sauf que, pendant trois mois, Josef fut absent de l’école. Cet espace-temps permit aux dindes de devenir adultes…
… je m’en souviens ! souligna Hissa Luna qui avait suivi l’histoire, bien que muette, sur l’écran pensif de l’encéphale de la conteuse…
… puis Josef reprit l’école. Ah, il fallait voir ses retours, lorsqu’il descendait de Rosalie ! Les huit dindes lui faisaient une fête de tous les diables…
Alors survint la date fatidique du jeudi 23 novembre. On s’apprêtait à fêter Thanksgiving et à occire une des huit pour remercier le Seigneur de ses bonnes grâces, comme le veut la tradition depuis les Pères de la terre promise.
Josef fit alors une grande crise homérique : il refusa tout net que l’on sacrifiât ses dindes, des êtres vivants qui mangeaient… respiraient… chiaient… cacardaient… aimaient… forniquaient… s’écharpaient… tout comme nous.
On assista à une belle empoignade entre le fils et le père.
Yépa parvint à calmer les échanges. On baptisa chaque dinde et elles vécurent ainsi jusqu’à ce que mort de vieillesse s’ensuive, mais elles eurent à jamais une dent contre Gottfried. Il décida alors, une fois pour toutes, qu’il n’y aurait plus de dindes dans sa basse-cour. Les canards vivaient dans les mares – ce serait donc bien plus compliqué pour couver et puis on n’immole pas un canard pour Thanksgiving.
Quoique, avec Josef… rien d’impossible… il couvait tout ce qu’il décidait de couver.
Et la tante de sourire alors que le « Born in the USA of Springsteen » résonnait pour la douzième fois. Ce dernier multi-bis permit au trio de coiffer des plumes d’aigle et d’abandonner une guitare pour torturer un tambour sioux. On gagna en basses
fréquences…
C’était le but.
Puis ce fut le calme qui allait réunir le Grand Conseil des Anciens autour du tapis vert…
… et vous… vos enfants… ils ont aussi un accent ?
Ce qui prouvait que ces dames avaient à cœur de savoir. On interrogeait Hissa Luna.
… moi… mais tous les enfants… sont mes enfants…
… oui, mais… c’est pas de votre chair…
… on n’est plus certain de tout ça… vous savez !
… quoi ? Mais moi, mon petit, je l’ai fabriqué pendant neuf mois, je sais de quoi je parle…
… oui, mais… tu sais… maintenant… on peut faire fabriquer son petit par une autre…
… ah bon ?
… comment ça ?
La jeune maman expliqua cette nouvelle méthode…
Nous n’entrerons pas dans ces dédales techniques qui requièrent un maximum de connaissances en obstétrique. Néanmoins, l’excipit qui conclut ce débat prémonitoire sur l’avenir des peuples traduisit l’état d’effarement de ces dames à l’idée des liasses de billets verts qu’il fallait rassembler pour parvenir à cette nouvelle gestation…
… moi je peux encore sans les billets…
Le trio de musiciens débranchait les guitares, le dernier hoqueta « Born in zzzz…» puis resta muet…
Hissa Luna eut quand même le soin d’ajouter :
… c’est la beauté de l’enseignant que d’accueillir toute cette humanité qui va naître dans ce creuset universel et transmettre ce grand message qui va s’épanouir sur le monde !
Les dames restaient pensives… sur les cancel-culture… qui arrivaient par vagues…
Les partitions étaient pliées…
Les guitares aussi…
On pourrait réentendre à loisir le « Born… in… » sur un vinyle – un microsillon si on veut – à l’école ou chez soi pour rester dans le ton…
Hissa Luna organisait des séances culturelles. Ses vinyles étaient offerts par des associations qui venaient de tous horizons. Le « Born… in… » avait beaucoup de succès, d’autres titres bien moins – forcément, on ne pouvait pas lire la langue qui s’étalait sur la pochette…
… c’est du cyrillique ! précisa Josef.
Nous te rappelons, lecteur, que nous sommes au Japon, où nous retraçons les étapes métamorphiques de Josef…
Nous poursuivons en live…
Akio ouvrit le manu-script…
« Aujourd’hui, à l’heure du cheval, c’est-à-dire entre 11 heures et 13 heures, Josef poursuit sa passionnante passion, qui, j’espère, passionnera les passionnés des métamorphoses céphaliques passionnantes. Il a décidé de ratisser seul la grande allée qui part de la porte d’entrée, c’est-à-dire le torii vermillon qui sépare l’enceinte sacrée du monde profane – une épreuve en quelque sorte.
Il est sur la voie de la connaissance, c’est prométhéen que de parvenir à ce stade ultime, il y a tant d’écueils. Alors, il a décidé de ne se consacrer qu’à cet exercice, vingt-quatre heures sur vingt-quatre… c’est sublime. Le sensei l’a encouragé à suivre cette voie et lui a prodigué de très courts conseils sous forme de haïkus dans le ton du plus célèbre de tous…
Un ruban de gravier
Un râteau de bambou
Le silence masqué des grenouilles
Ha !
Josef découvrit lors de la première minute de son sacerdoce que le raclement du râteau de bambou perturbait les élévations cosmogoniques des grenouilles de la mare où se miraient les symboles du temple. Il resta donc immobile, en l’attente de la fin du rituel batracien – ce qui prouvait une fois de plus l’extrême sensibilité à laquelle il était parvenu…
Par respect, il ne bougea point, de l’aube au couchant. Le sensei, ne voulant pas interrompre cette mystique communication de l’homme avec la nature ambiante, délégua une armée de moines qui, en moins de temps que je ne le fis pour écrire ce texte, ratissa large et fin, car le sensei avait lui aussi ses liturgies dont le premier commandement était :
“Au boulot !” – ce qui n’enlève rien à l’élan du cœur, mais le complète.
Le premier jour de ce combat entre l’accomplissement du devoir de pénitence et son dérangement causé à la gent batracienne fut intense et passionnant, jusqu’au moment où Josef dut aller pisser.
Alors, il rompit le cadre et l’illumination se fit…
De quel droit s’autorisait-il à ratisser alors que les batraciens jouissaient sans entraves ?
Mais de quel droit ?
Sans doute, ce fut un combat dialectique entre la raison de l’un et la déraison des autres. L’allée du hondo d’une longueur de huit cents mètres sur dix de large en souffrit – elle qui, depuis la nuit des temps, chaque jour bercée par le raclement des râteaux dut faire son deuil de cette symphonie raclatoire – ce fut le second éclair d’illumination par lequel le voile se déchira ; il révéla à Josef ce haïku limpide…
Le choix du jour
Relègue tous les autres
Alors, coassez les grenouilles !
Dans l’eau.
On retrouva le râteau, dont le manche était soigneusement adossé à une branche de sakura – le fameux cerisier des jardins ; le graphisme calligraphique en fut sublimé.
Josef poursuivait sa progression…
Nous avons vu que la petite enfance de Josef fut vécue entre l’école de Hissa Luna, l’hacienda de Gottfried et l’adoration de Franziska…
Qu’à l’issue de la réunion du Grand Conseil des Anciens, le sort de Josef en fut jeté, sous la houlette de l’oncle banquier et de Barnaby protecteur : il intégrerait l’espace universitaire proche.
Gottfried se sacrifia…
Enfin, il sacrifia un hectare de terre en bordure de la ville qui galopait vers les lointaines banlieues bâtissables. Le banquier se sacrifia, lui aussi, car il en était en quelque sorte l’héritier (puisque l’arrière-grand-père de l’un était venu avec l’arrière-grand-père de l’autre). Il tira un bon prix de la terre, bien qu’un Indien eût levé le doigt sur la réalité de la propriété…
Le banquier lui répondit qu’il était anachronique de planter un tepee dans une cour d’usine, qui allait générer son pesant de dizaines de millions de produits universels pour le bien du peuple, et que lui, l’Indien, ne pouvait opposer un tepee « au jouir sans frontières…
On lui joua « Born… in… ».
Il comprit illico et reçut une reconnaissance sur papier-parchemin héraldique de cent grammes aux armes de la Pennsylvanie, qu’il accrocha au mur de la grande nef…
C’est avec le pécule constitué par ce partage que Josef partit à l’université de Pittsburgh, Pennsylvanie. La recette de cette vente ne fut pas totalement utilisée pour les frais de scolarité, le reste fut géré par notre banquier en bon père de famille.
Et pour prouver qu’il s’occupait bien de ce magot, il venait chaque année rencontrer Gottfried au volant de sa dernière berline, dont l’étoile à trois branches cerclée d’un rond parfait rayonnait si on peut dire, afin d’attester sa probité.
C’est ainsi que Josef quitta le camp retranché de Hissa Luna pour le campus ouvert de l’université.
Comment décrire ce moment de déchirement ?
Il est impossible de le reproduire avec nos pauvres mots. Hissa Luna pleura et versa toutes les larmes dont son généreux corps avait la capacité de produire.
Josef se présenta avec une tronçonneuse pour découper l’arbre qui avait vu et touché le dos de Franziska. Hissa Luna ne put qu’accepter ce dernier don De soi… enfin ce don De tronc.
On vit alors un Josef, qui, hier encore, n’était qu’un bambin, maintenant devenu mâle, jurer comme un bûcheron et tirer la corde de la tronçonneuse pour extraire le derme de la pruche, du conifère à feuilles persistantes. Ce prélèvement permit de créer une saignée – telles ces niches que l’on observe à l’angle des bâtiments anciens, au niveau du premier étage, où irradie un saint qu’une bigote main a placé là – dans laquelle Hissa Luna posa une poupée russe… gigogne…
Si vous passez par-là, n’oubliez pas de demander à votre guide de réaliser un crochet pour saluer les yeux clairs de la divinité. Encore de nos jours, on a ajouté des fanions qui claquent au vent. Parfois, des lumignons luminent autant qu’ils illuminent et des miroirs reflètent l’image au ciel.
Et dernièrement, un élève, passant devant le sanctuaire, a recouvré l’usage de la parole. C’est étrange… curieux… mystérieux… miraculeux.
Quant à Josef, il s’en revint à l’hacienda, avec son bout de pruche qui illumine toujours sa chambre, entre autres talismans…
Akio referma le manu-script, car Josef venait d’entrer dans la cellule… (Lecteur on revient au Japon où Josef est en état de mutation… NDLR)
Que se passait-il ?
Il était fébrile, il fouillait son coffre, il cherchait quelque chose…
Akio s’enquit de sa quête.
… la photo ! marmonna-t-il, hagard…
Akio savait ce qu’il voulait, mais le cheminement du pénitent était complexe. La lumière devait émerger d’elle-même. Certes, le sensei, le sage, voire l’aide-de-camp, pouvaient lui donner la solution, mais cela aurait été une erreur, car alors l’impétrant pénitent interromprait son cheminement sur la voie. Josef était comme un conducteur désemparé qui venait de crever un pneu et qui n’avait pas de roue de secours.
Oui, c’était la même situation, Josef en était là…
Il fit alors ce que devait faire tout sage qui voulait le devenir. Il déménagea le lit, le tabouret et le coffre de sa chambre dehors sur l’aire de gravier qui lui meurtrissait les pieds, car il transportait ses meubles pieds nus. Il revint avec un balai, un seau plein d’eau et de lessive, il se mit à frotter le carré – son carré – à genoux sur la pierre froide.
Akio était admiratif devant une telle passion à vouloir atteindre l’inatteignable. Puis il fallut attendre que le sol séchât…
Josef ouvrit grand la porte et la fenêtre. Là, il s’assit en position du Lotus, il observa l’évaporation des sols, une communion entre la pierre et le cosmos…
Quand ce fut sec…
Dehors, il neigeait…
Le sage n’en avait cure…
Akio avait placé un ventilateur de huit cents watts qui permit aux mystères des évaporations de réussir son miracle…
Le sage suggéra qu’un son viendrait de l’espace bienveillant… pour l’inspirer.
Akio ne le contredit point…
Josef cherchait toujours sa photo.
Il se redressa, sortit, revint avec un cadre, qu’il posa dans l’angle. Il n’y avait pas de photo – incantation qu’il marmonnait toujours…
Il sortit à nouveau et revint avec la planche : matelas du lit… de deux mètres sur quatre-vingts centimètres, qu’il inspecta minutieusement…
Hélas, toujours pas de photo…
Mais le sage ne s’impatiente jamais, il poursuit son cheminement vers la lumière…
… ma photo… je ne suis rien sans ma relique…
Troisième voyage… suivant, il revint avec les roseaux enroulés, tels ces palimpsestes égyptiens qui recelaient jadis des révélations bibliques. Là, ce fut encore plus minutieux. Il déroula précautionneusement la canisse, qui contenait nada…
Toujours pas de photo…
Les heures succédaient aux heures…
Mais le sage n’interrompait point sa quête…
Josef vida totalement son coffre, chaque livre fut épluché, page après page, un long travail de fourmi, car le coffre était plein… de livres…
Si long qu’Akio eut le temps de faire une nuit de sommeil, son ratissage quotidien, ses ablutions, ses dévotions, pendant que le sage cherchait toujours…
Josef termina ce cheminement par l’auscultation de chaque vêtement du paquetage, qui était réduit à deux caleçons, deux brailles et deux kimonos…
Enfin…
Devant l’espace vide…
Il resta le tabouret… qu’il retourna…
Rien !
La photo sacrée était introuvable…
Alors Josef posa son cul sur le siège, il leva les yeux au cieux pour implorer le dieu des couillons qui perdent une photo…
Et là, il vit…
Sa photo accrochée au mur.
Elle regardait le sage…
Ce fut une illumination sans frontières…
Et la création spontanée d’un haïku devenu célèbre :
Le gravier murmure
Aux pieds nus de l’éveil
En levant la tête !
Quel Grand couillon.
Josef devint translucide, après être devenu lucide. Akio, lui, élucida la situation en calligraphie sur le manu-script, car la force d’un miracle réside dans la torsion de la syntaxe recueillie par le scribe, le livre étant le seul réceptacle du fait – il n’y avait point de caméra ni de témoins professionnels pour transmettre ce moment. Lui, Akio, le fit selon la ritualité précautionneuse du disciple envers son maître.
Et c’est ainsi que le « Fabuleux » devient « Réel » lorsqu’il est consigné sur le parchemin.
Assis, perdu dans la contemplation, Josef méditait. Il n’y a pas d’heure pour méditer, il n’y avait plus de jour, il n’y avait plus d’année… Josef était sur la voie…
Une cloche sonna le moment de la sustentation du corps…
Sauf que, depuis trois jours, Josef, qui venait de vivre sa révélation photographique, n’avait pas suivi le lavage à grande eau de l’épreuve :
… Josef-Jérémie… tu cocottes !
Direction les douches et les lieux d’aisances humides.
Un haïku révéla :
L’eau qui coule
Délivre le Josef qui pue
Vers le rata qui sonne
Grouille !
… c’est toi qui l’as inventé, Akio ?
Là Josef reçut ses seaux d’eau sur l’occiput, qui le délivrèrent des miasmes stratifiés sur sa peau qu’il avait très sensible.
Toute virginité revenue, Josef précéda Akio…
Ils pénétrèrent dans le réfectoire…
Les moines s’étaient immobilisés pendant le temps des ablutions, l’espace d’une demi-heure à la montre cosmique – autrement dit, une nanoseconde, qui ne peut être comparée à l’illumination de Josef ayant retrouvé sa photo…
Ils se courbèrent…
Ils s’assirent…
Seul le sensei pouvait dire un mot…
Il le formula :
… c’est donc la photo du gri-gri pruche, ce conifère de Pennsylvanie qui effleura le dos de Franziska, que vous ôtâtes du tronc pour le protéger par-devers vous, que votre surmoi recherchait… isn’t ?
Josef inclina la tête, car le sage sachant doit rester muet…
Et ils mangèrent…
Froid !
Après le casse-croûte, Akio nota vite cette pensée dans le manu-script…
« Nous eussions pu prendre une autre voie que celle qu’emprunta Josef pour retrouver le
lieu où gisait sa photo…
Si je lui avais révélé l’endroit, nous n’eussions point mangé froid et Josef n’eût point vécu cet instant d’illumination ni obtenu cette revanche sur l’adversité des choses et des êtres qu’illustre si bien cet aphorisme selon lequel la vengeance est un plat qui se mange froid ! Car on venait d’apprendre que Barnaby, nommé général Parker, quittait Yokosuka en prétendant qu’il n’avait jamais eu de relations personnelles avec ce GI – seulement des rapports hiérarchique d’officier supérieur à matelot…
Quel hypocrite !
Maintenant, je comprends pourquoi Josef recherchait tant cette photo, ce talisman immortel… qui le reliait à ses origines… Quel homme ! »
Lecteurs, sachez une bonne fois pour toutes que l’éclosion d’un sage qui veut devenir prophète n’est pas une affaire de tout repos. Dame ! elle mobilise tant le corps que la raison… et… que… même parfois la raison faut la rechercher, perdue qu’elle est dans les méandres des choses de la vie quotidienne qui emmouscaillent les minutes qui passent. Heureusement, Josef avait retrouvé son bout de pruche, qui même en photo le ravissait fort.
Alors, il se dilata…
Après le rata froid, il partit dans une lévitation dont Akio sera le témoin pour les générations futures…
Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes
Gentilés
Si le voulez bien
Lisez suite jour prochain
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… vous trouverez les opus édités…
L’Ange Boufaréu
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Rien compris!