Koba ou la sombre rémanence… chapitre N° 18… Les dits de Mademoiselle Zhang 张

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Les révélations de 未知 先生 avaient remué les membres de la « camarilla ». Ils avaient eu une semaine pour triturer leurs méninges et les questions se bousculaient au portillon…

C’est Atharexa qui ouvrit le feu :
« Dis-moi Weizhi qu’est-ce que tu veux dire avec ton « In principio erat Verbum »
先生 Xiansheng… se recueillit un instant… il énonça :

« Tu sais sans doute que le « In principio erat Verbum » est la première phrase de l’Evangile de Saint Jean… qui se termine par « … et Verbum erat apud Deum et Deus erat Verbum » le tout se traduit par « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. »
Tu sais aussi que l’Evangile de Saint Jean est le seul qui ne soit pas synchronisé sur les trois autres : Marc Matthieu Luc… car Jean seul apporte d’autres éléments sur la vie de Jésus…
« … et qu’est-ce que tu en déduis ! »
« Demande à Koba Sosso Iossif Djougachvili Staline… il va te le dire… »

Sosso grogne…
« Hé p’tit père… moi… j’suis pas Mao… j’ai pas à répondre pour ce Chinois qui voulait faire du communisme avec des paysans… ! Alors, Xiansheng… non Weizhi… ou le contraire je veux bien te répondre… tu peux pas nous lire un morceau de ton inconnu… ta Demoiselle Changue… pour me mettre en forme ? »
« Zhang… précisa Wei Zhi »
« Va pour Zhang… ! »
« C’est une bonne idée… »

Manuscrit de Mademoiselle Zhang…

Xiansheng tourna les pages du manuscrit… déjà bien fatigué… vous savez sans doute qu’un manuscrit doit d’abord lutter pour être accepté… surtout vis-à-vis des éditeurs frileux…
« Bon voilà un passage… nous sommes à l’époque où Mao ordonna aux paysans de tout abandonner pour construire des haut-fourneaux en terre et de fabriquer de l’acier en récupérant toutes les ferrailles y compris les ustensiles de cuisines et les socs de charrues, c’est le Grand Bond en Avant… mademoiselle Zhang va voir son frère devenu chef d’une brigade qui coupe les forêts pour alimenter les feux… elle interroge.

« Je cherche frère troisième…
« Il est là-haut… il travaille dans les arbres… avec les autres…
« Je voudrais le voir… »
Je quittais ma maison en multipliant les observations sur la venelle où j’étais née… l’ensemble respirait la désolation.
Il n’y avait plus comme jadis, le carré de légumes qui ornait le pied de chaque maison, il n’y avait plus d’enfants jouant, il n’y avait plus de vieillards qui chauffaient leurs os aux rayons du soleil. L’espace des chiffonniers qui résonnait des bruits des travaux, se résumait à d’innombrables tas de gravats. Pas le moindre bout de ferraille à fondre ou de bois à brûler… tous les tas étaient concassés triés, vidés. Au débouché de la hutong, jadis on rejoignait l’orée des bois…
Je restais pétrifiée devant le désert qui était devant moi… à perte de vue plus aucune végétation, quelques buissons résistaient, les arbres avaient été attaqués à la base, à la hache… les troncs en moignons hérissaient le versant à perte de vue.
C’était sinistre.
Je poursuivis mon chemin, il me fallut longtemps pour retrouver les équipes d’abattage.
Ils progressaient.
Je distinguai mon frère, il m’aperçut, il vint à ma rencontre. Il avait beaucoup changé. Ce n’était plus le petit dernier.

Il redressait le buste dans sa vareuse verte au col traditionnel, la casquette arborait la célèbre étoile rouge… il m’impressionna…
Tant de certitude dans l’allure, tant de fierté dans le regard, tant d’élan dans le ton :
… salut camarade Loulou…
Il me tendit franchement la main, l’attitude n’exprimait aucune équivoque, celle d’un camarade accueillant un autre camarade.
Il n’y avait aucun lien de fratrie ni de sensibilité familiale…
Au milieu de l’espace désertique, nous regardâmes le peuple qui tirait des troncs d’arbres. Depuis le haut du versant, la terre était saignée de profonds sillons que l’eau ravinait, n’ayant plus d’obstacle végétal les pluies diluviennes dévalaient la pente et emportait parfois des troncs décapités qu’elle parvenait à déterrer.
Ici, jadis, je venais rechercher des plantes médicinales, tout avait disparu. Seule la terre éventrée révélait dans ses entrailles, des racines, des cailloux, des rocs que je n’avais jamais vus.
L’humus, qui s’était accumulé pendant des siècles et qui formait une épaisse peau, produisait dans son alchimie, des dizaines de plantes chargées de vitamines aux pouvoirs de guérir. Ici, il n’y aura plus de champignons à cueillir, plus de lichens, plus de fleurs, plus de ginsengs, plus d’arnica. Ici, il y avait des jujubiers sauvages, des arbousiers, des aulx, des asperges, des fenouils, une sorte de bambou nain. On pouvait aussi trouver dans les clairières, des céréales, des tubercules… des vesses-de-loup, des pois de senteur et même du soja… ici, croissaient des arbustes qui donnaient des fruits…
Des animaux, des oiseaux, des insectes, des humains vivaient ici…
J’étais abasourdi par ce désastre…
Mon frère observa mon silence :
… avec le guide… nous reconstruirons tout ça… il n’y a pas d’obstacle à la capacité du peuple socialiste… dans trois ans, nous réaliserons dix fois les productions des Occidentaux…
Il parlait avec une conviction inébranlable… il me regarda droit dans les yeux…
Comment le contredire…
Comment le questionner…
… comment reconstruire après tant de destructions… pourquoi détruire, si l’on doit reconstruire ?
Il rompit lui-même l’entretien…
… il faut que j’aille vers eux. Déclara-t-il avec force.
Et il me laissa… »   

Weizhi referma le manuscrit… chacun avait compris le sens… mais personne ne pensait pouvoir le résumer… car comment résumer les doxas, les diktats, les dogmes… eh bien, c’est Staline qui rompit le silence… il jeta d’abord un long nuage de fumée de sa pipe bourrée de tabac de Crimée…
« Ce n’est pas parce qu’on coupe du bois… qu’on va détruire le pays… ton exemple est un peu cul-cul ! Ça n’a rien à voir avec la logique communiste. »

Sosthène Grumeucheux, jadis avait randonné sur le grand chemin marxiste… il fut léniniste… stalinien… maoïste… castriste… pour devenir social-démo-grate… comme tous les « modes philosophes »… ou les nouveaux philosophes si vous voulez… il se sentit obligé de dire un mot…

« L’exemple est banal en somme, mais révèle la structure de pensée de ces temps… que des paysans fabriquent de l’acier sans acier en coupant les forêts est parfaitement idiot… mais tous ont exécuté l’ordre au nom justement du verbe du chef… le peuple réalisait l’ordre du Dieu « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. » en croyant que la parole du dieu-guide pouvait transformer le verbe en acier… tu crois pas que c’est un peu cul-cul cette logique ? P’tit père Sosso ? »

Koba harcelait sa pipe qui ronflait en nuages de fumée… de Crimée…

« Il y a un point plus grave qui est énoncé… observa Luigi : « comment reconstruire après tant de destructions… pourquoi détruire, si l’on doit reconstruire ? »
« Au commencement était le Verbe » Mao se fout de la réalité de la forêt qui a mis des siècles à créer un écosystème local qui donne naturellement des milliers de solutions pour les soins… par les plantes… et d’ailleurs on ne peut jamais reconstruire ni dans le temps ni dans la synthèse…

« Nous… dit Staline… en montrant sa pipe… on a du pétrole en Crimée… avec on a produit tous les médicaments du monde possible… »

« Là-aussi poursuivi Raphaël à mon époque… la couleur était une alchimie composée de produits que nous allions ramasser dans la nature… chaque peintre avait sa cuisine… »

« Et alors… le peintre, tu n’as plus à te baisser, tu viens, tu achètes ta peinture et tu commences tout de suite… c’est ça le progressisme… »

comment pense une camarilla…

La camarilla était pensive… on nageait dans la dialectique… de caf’conç

« Dis-moi Sosso… proposa calmement Matriona… au fond tu justifies Mao… puisque tu ne le contredis pas… mais… »
« Toi ! moujik ! femelle !… éructa Iossif…
« Je m’en balance de tes gros sabots… dis-moi donc… tu te souviens de ton canal… celui de la Mer Blanche…
« Et alors…
« tu l’as commandé selon la même bêtise que Mao… en 31, pendant vingt mois… au mépris des hommes… venus des goulags, les zeks… tu as dit « bistro i dechevo » (« vite et à faible coût »)… Soljenitsyne écrit que le Belomorkanal a tué 250 000 hommes…

« Ne me parle pas de ce Zek…
« Mais le pire c’est que ce canal ne sert à rien… il est trop étroit il n’a que trois mètres cinquante de profondeur… tu as fait construire ce canal uniquement pour prouver que tu pouvais tout commander… même l’absurde… comme Mao. »
Koba se leva…
« J’en ai assez entendu…
Adieu… »
Il sortit…
Wei Zhi résuma… simplement… CQFD quant au prologue de Saint-Jean…
« Il suffit de remplacer Dieu… « Au commencement était le Verbe-Mao, et le Verbe-Mao était auprès de Mao, et le Verbe-Mao était Dieu-Mao. »… tu peux faire de même avec Staline…
« Au commencement était le Verbe-Staline, et le Verbe-Staline était auprès de Staline, et le Verbe-Staline était Dieu. »…

Avec cette vérité vraie : la doxa communiste… tu tournes la tête à tous les idiots de la terre y compris les nouveaux philosophes… ériger des fours pour faire de l’acier sans minerais… ou creuser un canal qui ne sert à rien…
Sauf que Dieu ne détruit pas 250 000 Zeks… souffla Matriona…
La « camarilla » était atterrée…
Matriona reprit la parole…
« En réalité, il sait tout ça le Sosso… mais ce qui le mine c’est la politique chinoise qui poursuit son développement, ils sont même en train de préparer le siècle du communiste chinois en 2049… dans 28 ans… le Verbe est toujours à côté de Dieu… et Dieu poursuit ses diktats…
La conclusion de Matriona fut le viatique-pensif du retour de chacun à la bergerie…

Gentilés
Si le voulez bien
Lisez suite semaine prochain

Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes
Article rédigé par Luigi selon les préceptes de L’Ange Boufaréu

 

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