Réflexions…

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Monsieur le Ministre

Vous avez affirmé  » On ne peut pas légiférer sous le coup de l’émotion! »

Nonobstant : nombre de drames passés liés aux mêmes conditions juridiques de la mort de cette jeune fille ne sont actuellement plus sous le coup de l’émotion mais de la raison… doit-on considérer que ni sous l’émotion ni sous la raison vous prenez position?

Dans le silence de votre auguste réflexion il eût été solidaire de vous voir aux obsèques.

Salutation citoyen.

« Et c’est ainsi que murmurent les Tortues Blondes. »

                                                                                       L’Ange Boufarèu

 

 

38 après le grand show…

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                                            38… effets collatéraux !

« C’est aujourd’hui demain » qui eut lieu hier et désempara profondément le peuple de l’Hacienda on peut se demande pourquoi… Akio avoir été abreuvé de spots-pubs qui lavent plus net, voulu en   avoir le cœur aussi net… il enquêta…
« J’écoute ! »
Dans son atelier, devant ses treize écrans, le Révérend domptait ses quatre claviers. Il répondit à la voix venue d’outre-tombe, il aimait bien ce concept popularisé par un écrivain français du XIXe siècle qu’il associait à Jérémie dont on n’avait jamais retrouvé la tombe, quant à l’auteur il reposait sur un rocher en bord de mer. Le Prophète, on le disait quelque part dans le désert égyptien… allez savoir où ?
Un clic… cliqua…
… c’est toi Révérend… dit la voix.
… c’est toi qui le dis… répondit le prophète John.
… de quel droit te mêles-tu de prêcher sur des histoires qui ne te regardent pas ? Tu n’appartiens à aucune chapelle, mon vieux. Reste dans ta cambrousse. Laisse aux prêcheurs l’art de prêcher la bonne parole…
… ô mon frère ! et l’amendement démocratique de la constitution qu’est-ce que tu en fais ?
… j’suis pas ton frère. J’appartiens à la Capapacite : Congrégation des Âmes du Paradis au Ciel et sur Terre… j’espère pour toi que tu connais !
… non… salutation… ô toi frère humain…
… attends, mon corniaud, viens pas te foutre sur nos chemins, ni dans nos centres où on communie, mon pot’… sinon on te cassera les reins…
… serait-ce le programme œcuménique de la Capapacite ?
… c’est ça, fais le mariole… avec tes discours…
… mes discours s’adressent au monde…
… mais il se prend pour une bille, le mec. Tu racontes que le peuple se fait escroquer par les sectes. Non, mais je rêve. La Capapacite Notre Congrégation serait une secte ? Sache que notre Église est reconnue par les autorités, nous prenons en charge les âmes qui ont besoin de pardons…
… les autorités ne reconnaissent que ce qui les arrange… tu connais Luther ?
… c’est qui ce mec ?
… un Germain qui dénonce les Indulgences. Contre un bon pourboire le mec repartait virginal, j’ai ouï que la Capapacite… ferait de même.
… c’est ça et la Banque des Saints Désœuvrés de Nèvweyorque accueille nos fafiots, mon vieux ! et toi t’es contre ?
… je suis contre tous les racket…
… on t’aura prévenu… !
… merci sublime représentant de la Capapacit’s Congregation.
… quel couillon ce jobastre !
Clic clac…
Au loin… les forces se liguaient, les fous de Dieu ne s’agitaient pas seulement sur les ondes…
Mais… il faut le dire, car pourquoi ne pas le dire… disons-le donc : le Révérend Prophète avait des protections surnaturelles… où ?… nul ne savait… aux cieux sans doute… généralement c’est là que les prophètes parquent les sécuritaires protections…
Le lecteur se souvient certainement que Josef était expert en secrets mythiques…
Pour l’instant, il était à une petite table, Akio aperçut soudain à travers la fenêtre un nuage de poussière dense soulevé par le galop surpuissant… de la célèbre Mustang de Lee Iacocca, un Italien US-géniteur-of-Mutang
Il allait prévenir le Révérend, que 3 V6 de 145 chevaux… dévalaient le reste de prairies… à l’Est de l’Hacienda…
… je les attendais, dit le Révérend.
Il quitta son siège et descendit pour accueillir ses hôtes. Gottfried avait gardé son masque à souder qui le protégea du nuage de poussières… terrestres…
C’était trois authentiques Ford Mustang affichant des années au compteur, rutilantes, pimpantes, virginales qui se parquèrent en chevron libre dans la cour. Les queues de raton laveur suspendues aux antennes radio se mirent alors au repos…
Une douzaine de chefs indiens en sortirent, belliqueusement calmes, chacun se distinguait par des amulettes qui appartenaient aux peuples qui jadis vécurent sur ces terres.
Les personnages de Walt Disney illustraient le plus gros volume d’icônes collées sur les espaces métalliques des monstres.
Le Révérend les attendait bras croisés sur le seuil, en hiérarque qu’il était. Les regards aux noires pupilles des yeux bridés se mêlèrent au regard bleu du Teuton, l’émotion muette vint rencontrer les cœurs saignant d’empathie…
Ils venaient pour organiser une croisade… indienne.
Le Révérend serra chaque arrivant sur son large poitrail.
Il dominait les indigènes de sa haute taille héritée des lointains Germains…
La troupe entra dans la grande salle communautaire. Moment de papotage. On resserra les liens. Puis on s’assit comme le voulait la tradition, certains sur les peaux de bêtes près du feu, d’autres sur des chaises qu’ils transportèrent autour de l’âtre.
Les tantes indiennes et germaines servirent à boire – non pas la célèbre eau de feu qui fut l’un des moyens subtilement proposés aux indigènes pour les fourvoyer, mais la célèbre Bud, copie de la Tchèque Budweiser avec laquelle les US sont en procès depuis plus de cent ans après avoir pillé le nom de l’antique marque créée en 1876 (on avait comptabilisé plus de cent vingt procès à ce jour)…
Le conflit n’était toujours pas résolu…
Akio remercia chaleureusement le (relecteur) de lui avoir communiqué cette histoire relative aux pratiques du peuple étasunien conquérant, une sorte de nota bene… qu’il nota ben… pendant qu’Akio notait…
En attendant, seuls trois ou quatre chefs ne buvaient point le célèbre breuvage, ceux-là appartenaient à la ligue antialcoolique, ils arboraient d’ailleurs sur leurs vestes en jean denim une belle médaille qui rappelait ce chemin de croix.
La tante servit des boîtes de Coca… symbole d’intégration…
… on t’a vu, mon frère !
… tu as été Grand !
On attendait la suite, le Révérend écoutait, car un Prophète privilégie toujours le silence, il préfère attendre le message de l’arrivant pour être dans le ton…
… on nous a dit que tu faisais un autre pow-wow dans l’Indiana…
… non, c’est pas lui, c’est les Blancs qui décident !
… on nous a dit qu’ils coupaient tout ce qui ne les intéresse pas… comment peux-tu délivrer ton message s’ils te coupent la chique
… mais il chique pas…
… t’avais compris…
… oui, mais, eu égard au beautiful language … il faut éviter les argots incongrus…
… Ô ! Eh !… Dis-moi… toi ! Taureau Bêlant… est-ce que les Blancs… ils z’ont toujours suivi nos règles ?
… bon, parle, frère !
Akio ne buvait pas, il écrivait…
Le manu-script devait être le témoin de cette réunion que les historiens commenteraient plus tard sous le nom de :

« Oracle de Taureau Bêlant »

« Le Révérend était pensif…
Il était sollicité par les déracinés qui voulaient l’investir d’un pouvoir d’opposition aux Blancs qui ne cessaient de remettre en cause tous les traités passés. J’ai entendu l’énumération de toutes les entorses subies depuis le début de la progression des Blancs vers l’Ouest.
En trois temps : d’abord ils s’opposent… puis ils prétendent négocier… enfin ils contestent…
Plus tard, si un avocat n’accepte pas la contestation, alors on subit les foudres des Winchesters.
Certains savants blancs appellent cela un traité… d’autres le qualifie de massacre.
C’est très docte, le résultat, c’est qu’il ne reste plus aux Indiens que quelques arpents de terre nue pour vivre. Et même s’ils parviennent à survivre dans ces réserves, voilà que des missionnaires arrivent pour ripoliner les âmes des Indiens. Comme si la vie parquée n’était pas suffisante, il fallait encore qu’ils leur déglinguent l’esprit…
« Ils ont conduit une guerre totale contre nous… Totale, tu en connais le sens… On n’épargne ni femmes ni enfants… un bon Indien, c’est un Indien mort ! »
… ça aussi, on l’a déjà dit !
… alors, on n’a plus rien à dire ?
Silence…
Je repensai à ce philosophe politologue inspiré qui avait dit : “Le droit, c’est la masse !” Et il est vrai que les trois cent mille Indiens qui restent ne pèsent pas lourd dans le jeu des conquêtes territoriales. Pourtant lorsque le Mayflower arriva, les Indigènes étaient au moins trente millions… et eux les envahisseurs… à peine une centaine…
… c’est un précepte Blanc ça marche plus… c’est donc pas qu’une question de masse…
… et le colt… et la winchester… et l’eau de feu… tu les comptes ?
… ça c’est de la dialectique guerrière ! éructa un chef Sioux… j’ai lu un Germain qui explique tout ça… et il cracha dans le feu…
… tu le connais, le nouveau guy… « Casque d’or »…
Il s’en fout de la masse. Il a reclassé des terres dans l’Utah, qu’on nous avait données… des terres d’Indiens pour ouvrir des mines… pollution… pollution…
Le Révérend écoute.
Il faudrait qu’une goutte fasse déborder le vase pour l’éliminer. Mais alors ce sera définitif, car, une fois révélé par les médias, il ne remontera plus sur son Aventin : il restera comme un fantassin dans les tranchées…
Ça, je peux le prévoir…
Mais pour l’instant le Révérend est au milieu de ses frères.
Cela m’émeut… je constate que Josef est en fait plus Indien que Germain…
Et pardon au futur lecteur si je donne dans la Jérémiade… ce sera l’unique fois !
Le pow-wow ne semblait pas se terminer. Gottfried et les Germains avaient faim. Ils s’installèrent à table et, en quelques minutes, l’assiette fut consommée pendant que les frères poursuivaient près du feu le dialogue du jour. Ensuite, les Germains, l’assiette à la main, se levèrent pour rejoindre la cuisine. Chacun prit un verre, le remplit d’eau tirée du puits et but pour s’en aller ensuite vaquer à ses occupations…
Plus tard, les visiteurs se levèrent…
En cercle… ils entourèrent Josef… ce fut une longue clameur… les 12 chefs commencèrent la danse de la concorde… Josef au centre… ils se rapprochaient lentement du centre… trois Algonquins de la famille sortirent avec les tambours et pendant des heures la danse se poursuivit… puis le son lentement s’éteignait decrescendo… jusqu’à parvenir à un grand silence où seuls les corps martelaient le sol…
Soudain… tout s’arrêta…
Chaque chef serra son Josef sur sa poitrine…
Puis tous remontèrent dans les Mustang, elles quittèrent l’Hacienda, les queues de raton laveur au vent laissant le Révérend devenu impénétrable par le message induit…
Mais je savais qu’il avait pris une décision… abyssale… fondamentale… qui atteignait son ontologie… sa compassion… son engagement en quelque sorte…
J’en étais certain… pourtant, il se tut… la résurgence faisait son chemin dans les limbes de sa conscience…
… tu vois, Akio… il y avait mon peuple… à présent, il y a le peuple… j’appartiens à tous les peuples… va te préparer… nous partons.
À l’instant où il terminait sa phrase… un écran s’anima…
… je te surveille, Révérend…
… salut Barnaby…
… je sais à quoi tu penses…
… tu es fort, Barnaby… mais cette fois-ci, j’en doute…
… tu as faim d’une tarte aux myrtilles…
… tu es génial… c’est vrai, j’avoue…
… tu partais as-tu dit… où ?
… ben, récolter des myrtilles !…
… non… c’est pas la saison…
le prophète récolte en toutes saisons…
… tu as de la répartie…
What else ?
… ça va, ça va ! Mais je t’ai à l’œil… J’ai lu ton interview dans le Pittsburgh-Afternoon-Paper-Edition, le Pape…
… tiens, tiens… Tu aimerais la lecture, Barnaby ?
… rien à foutre, mais tu sais que mon armée de fureteurs de renseignements lisent pour moi… rien ne leur échappe, mais pourquoi devrais-je m’expliquer ?
… mais parce que tu es un grand narcisse ? tu t’écoutes, tu t’entends, tu te vois…
… tu prétends trop de choses… Josef !
… mais encore ?
… tu n’as pas à révéler l’existence des langages en innu-aimun…
… c’est la langue de ma mère… ma génitrice est Algonquin ?
… mais tu n’as pas à écrire ni à révéler que le chef de l’unité de Yokosuka portait des pantys…
… je ne fais que traduire… j’apporte la culture de mes ancêtres à la grandeur des US.
… ouais… et ces parutions sur ma vie privée en danseuse étoile de l’opéra au Japon… ça sert à quoi ?
… le peuple doit connaître doit savoir comment les astres nous dirigent… je te l’ai dit… là-bas outre-mer…
… tu prends un mauvais chemin, Révérend… Tu sais cela : il n’y a qu’une vérité…
… la ! la ! lanlère !
… mon ami, j’ai eu toutes les bontés pour toi mais à présent tu transgresses…
… quelle est cette vérité ?
… « Qui n’est pas avec moi… est contre moi ! »
… il me semble que j’ai déjà entendu cet apophtegme quelque part… c’est du bushman-sohn ou de l’enfoiré de la Capapacite : Congrégation des Âmes du Paradis au Ciel et sur Terre… le mec… il m’a envoyé ses oracles sanglants…
… c’est ça, fais le malin… tu sais trop de choses…
… merci, Barnaby, à présent, je vais chercher mes myrtilles… Ah, au fait… Félicitations pour ta seconde étoile de général… Je m’incline…
… mais comment sais-tu ça ? Ma nomination n’est pas encore imprimée au Journal officiel… Casque d’or vient juste de me la notifier de vive voix dans son Ovale Bureau…
… et les voix du Seigneur tu en as entendu parlé ? Les Tortues blondes, mon ami savent tout, à Yokosuka tu savais tout avant tout le monde… tu es frustré maintenant. Mais lis le journal… tu sauras… que le reste de ta journée soit grande et lumineuse…
… c’est moi qui maîtrise la com…
… tu causes… Parker… Casque d’Or te récompense… tu as réussi ta reconversion… traitre…
Et d’un geste libérateur le Révérend rendit l’écran aveugle – ce même geste qui permit à l’aveugle de recouvrer la vue… un geste antonyme… le Révérend en était capable… le manu-script l’affirmait.
« Barnaby n’a pas aimé ! » murmura Akio en faisant son paquetage.
Il se questionna aussi à propos des articles parus dans le Pape… que tous les citoyens de Pittsburgh lisaient avec passion… Comment ? quand ? qui avait reçu les textes ? où eurent lieu les négociations ?… Akio découvrait la face cachée du Révérend en action…
« Il faut laisser le mystère au mystère ! »
Conseilla le Révérend alors qu’ils montaient dans l’avion qui décollait pour Little Rock…
Le manu-script ne fit pas mystère de la suite. Il avouait qu’il ne savait pas ce que l’on allait faire à Little Rock. En attendant d’en savoir plus, Akio consigna sur le papier cette anecdote :
« Little Rock est une ville qui, malgré l’abolition de la ségrégation par l’État fédéral, a maintenu jadis contre la loi ce rejet des Noirs dans les administrations publiques. Dans cette ville, la population blanche est devenue minoritaire… C’est à peu près tout ce que je sais…
Le Révérend m’a répondu : “C’est bien suffisant, pour l’instant ! »
Lorsque le Révérend voyageait, il ne parlait plus. Sitôt assis à sa place, il sortait le livre de Jérémie, se plongeait dans ses révélations, le Prophète disparu l’habitait. Il ne répondait à aucune sollicitation, l’hôtesse devait baisser la tablette devant lui et poser elle-même le verre. Alors Akio précisait le choix de la boisson du méditant. Si le service apportait un amuse-gueule, il le consommait… si la compagnie n’offrait rien et faisait des économies sur le dos des passagers nul n’aurait entendu le Révérend faire une remarque ; il en profitait pour jeûner le temps suspendu d’un vol… un vrai Prophète-ermite.
Le voyage devait durer quatre heures trente, mais cela ne paraissait pas avoir une influence sur le comportement du Révérend, à croire qu’il était dépourvu de papilles et terminaisons nerveuses. Il semblait totalement insensible aux différences de température, d’altitude ou d’humidité ambiante. Il portait son livre devant lui comme un Saint-Père, il souriait en regardant le monde avec bienveillance.
Parfois, il achetait une revue et un journal, en général c’étaient Playboy et l’Evangelist News. Il commençait toujours par le mensuel, puis il se plongeait dans le quotidien. À aucun moment son attitude ne changeait pendant qu’il lisait les colonnes antithétiques. Son intelligence comblait l’espace entre les deux conceptions de l’être US-americanus intégrant le message de Calvin dans les délicieux charmes des Playmates…
Puis, lorsque l’hôtesse annonçait la fin du voyage, il pliait les papiers, il les calait dans le porte-journal devant lui, serrait sa ceinture et dormait le temps d’un retour sur le plancher des bisons, des dindes, des coyotes et des Indiens jusqu’à ce que l’aéronef roule sur le béton du tarmac…
Insensible aux mouvements des passagers qui commençaient à s’agiter, à se lever, à s’agglutiner une fois l’appareil à l’arrêt pour stationner debout un bon quart d’heure avant que s’écoule le début de la file, le Révérend restait assis, ignorant magnifiquement ce remue-ménage, il trouvait bien inutile cette propension à se contorsionner dans l’allée centrale de la boîte de conserve…
Parfois derrière lui sur la travée deux à trois représentants de commerce de Wall-Street piaffaient… le Révérend priait.
Lorsque le dernier quidam laissait la voie libre, avec solennité, il se levait… prenait la suite du dernier péquin…
Le Révérend ne se pressait pas, car il n’était pas pressé…
Akio ne savait quelle attitude prendre, il suivait la foule puis il attendait dehors sur la passerelle…
Le Révérend apparaissait, salué par les hôtesses, le personnel de bord, le service de nettoyage telle une divinité antique sous sa longue chevelure blonde et sa barbe fleurie…
… il a d’la gueule, ton Révérend… lui confia un livreur de journaux qui avait lu tous les articles… à l’œil !
Dans le hall de l’aéroport attendaient trois frères indiens que l’on avait vus à l’Hacienda…
Voilà ce que résuma le manu-script :
« Little Rock aéroport, ce vendredi, 3 heures de l’après-midi. Trois chefs indiens aux yeux bridés, sans âge bien qu’adultes, nous attendent, ces hommes ressemblent plus à mes origines qu’à celles du Teuton. Le Révérend fait figure d’extraterrestre au milieu d’eux avec sa taille de prophète biblique descendu de son cosmos. Ils se saluent et s’entretiennent dans une langue indienne que je ne comprends pas. Nous rejoignons un parking où attend un Ford-Van antédiluvien.
Nous partons pour le Pinnacle Mountain, non loin de la ville. Cette hauteur est encore restée dans la plaine… en pleine nature… sauvage en quelque sorte…
J’apprends que nous allons escalader la montagne Maumelle – ainsi nommée par des trappeurs français, parce que le sommet présente l’esquisse de deux mamelles d’une poitrine de femme…
« Les visages pâles, les trappeurs… trappaient les castors les élans et les bisons… ici… » m’informa un chef.
Pendant le trajet, nous sommes assis dans l’espace habitable du van aménagé comme un petit salon avec sa kitchenette. La conversation roule comme le véhicule vers des horizons meilleurs…
Le Révérend reprend parfois sa langue de Wall Street, selon la définition d’une de ses tantes…
Une phrase résonne, revient sans cesse, retournée comme une crêpe, ses mille facettes lui donnent une vertu incantatoire… Il faut la noter…

« Le totalitarisme ne cherche aucunement à sauver les âmes,
                                                                                             mais à les transformer. »

D’où venait ce brin de palimpseste… de Qumran… de la Mer Morte… ou de Washington…
Gravir le Mont Maumelle permettra-t-il de comprendre le totalitarisme transformateur ?
L’escalade aurait-elle l’objectif de transformer nos âmes ?
Était-ce le lieu propice pour l’éveil ?
En m’élevant, je fus plongé dans un puits de questions sans réponses. »
Une heure plus tard, le van se gara au pied du sommet à gravir…
Les chefs Indiens descendent du Ford avec prudence… font quelques pas au nord… au sud… à l’ouest… à l’est… ils se regroupent devant le van… « vent nul… c’est sûr ! » dit un chef des chefs.
Alors le Révérend suivi d’Akio peuvent s’ouvrir vers l’espace, hors du véhicule…
Nous chaussons nos mocassins de randonnée. Les squaws de l’Hacienda avaient sacrifié une peau de bison d’un Talweg des Rocheuses pour confectionner ce trésor du patrimoine Indien. Josef-John-Jérémie portait le modèle de Gottfried que Yépa avait taillé lorsqu’il était chauffeur chez les verriers… un 48 aux semelles compensées en deux épaisseurs.
Puis le chef distribua des bouteilles d’eau…
Chacun s’apprêta selon son rituel…
Après qu’il eut offert un long bâton et fermé le Ford-Van à clé, la colonne quitta le camp…

Les cinq pèlerins entamèrent un sentier qui devait rejoindre le sommet, les fameuses « maumelles » selon la transgression sémiologique locale de mamelles…
Nul ne parlait…
Chacun recherchait son souffle pour synchroniser son pas… et inversement…
La piste semblait faite pour des marcheurs plutôt que les marcheurs pour cette piste…
Akio bénit les heures de randonnées matinales de l’hacienda, mais aussi ses anciennes pérégrinations à Yokosuka…
La terre de ses pères lui semblait loin, malgré les hauteurs des mamelles… l’horizon était bouché par la végétation…
Depuis qu’il était sur les arpents de l’US-Land, tant de touches pointillistes s’étaient imprimées dans son cortex ! Soudain resurgit la phrase jetée à la réflexion… « Totalitarisme… transformer… les âmes… »
Il suffisait de l’insérer dans de multiples séquences pour en recevoir un choc… Cette piste serait-elle aussi totalitaire ?
Mais au fond qu’appelait-on totalitarisme ?
Pour l’instant, les pieds se posaient dans les pas de celui qui précédait. Akio suivait le rythme, mais la pensée cheminait, elle aussi débridée par cette escapade sur le Mont Maumelle.
Quand fut atteint le haut de la célèbre Maumelle… nul ne le sut.
Cette hauteur qui semblait si gigantesque, là-bas en bas, s’effaçait dans le paysage en haut.
Akio revint spontanément à son histoire. Lorsqu’il avait atteint le sommet du mont Fuji, qui culmine à trois mille sept cents mètres, ce fut pour lui comme un élan vers l’espace… cette sensation ne le soulevait pas à présent… alors il observa…
Les Trois Chefs Indiens s’étaient immobilisés…
Le Révérend n’avait pas dit un mot de toute l’ascension… tant l’instant était sublime.
« Je ne sais pas avec qui je suis en accord ou le contraire » notait le manu-script d’Akio…
Après un grand silence, alors nous fûmes immobiles sur la haute Maumelle… un chef indien se baissa, il prit une poignée de terre, il se plaça dos au vent, il psalmodia une incantation en laissant filer doucement la terre entre ses doigts refermés… elle s’écoula en un arc de cercle emporté par le souffle…
Le second reproduisit l’incantation…
Le troisième poursuivit le rituel…
Le Révérend termina le cycle… incantatoire…
Akio s’était posté à distance, pensait à son Fuji…
Alors le chef Indien psalmodia…
… Josef… de Little Rock à Fort Smith, il y a deux cents vingt-deux kilomètres. Jadis, entre 1836 et 1839, ce tronçon faisait partie du Sentier des Larmes, où pendant quatre ans des Indiens furent déportés par les Visages Pâles… si tu veux supporter notre cause… il te faut le parcourir… on t’épargne les 1500 premiers kilomètres… après cette épreuve tu appartiendras à notre race…
… hugh… répondirent les trois sages Indiens…
… hugh… prononça sagement le Révérend…
Il courba la tête… et même le corps… chaque chef posa sa main gauche sur son crâne…
Quand ils revinrent au lien mécanique de la civilisation, le soleil était bas sur le couchant. Le chef ouvrit la porte du Ford et le campement s’organisa. Sur l’aire de repos, des foyers pour grillades avaient été construits.
La saison était douce en accord avec la sublime élévation du Révérend, le fond de l’air affichait quelques degrés, l’espace de l’aire s’était relookée en vide biblique.
Seuls deux autres véhicules étaient garés très loin… silencieux…
Les caciques telles les meilleures squaws organisèrent le repas. Des poissons imprudents grillaient sur le feu, une soupière pleine d’eau soulevait les premières épiphanies de bulles en faisant danser les épis de maïs…
Le Révérend lévitait sur une autre planète… extraterrestre… incarné…
Autour du feu, sous la seule lumière des braises et de la voûte étoilée, se créa une communion entre la terre et les êtres qui la respectaient.
Néanmoins, dans les synapses d’Akio, résonnait toujours ce leitmotiv…
« Le totalitarisme ne cherche aucunement à sauver les âmes, mais à les transformer. »… qui avait écrit ce texte… und Warum ?
Qu’est-ce que ça venait faire ici ?
Là-bas, loin, à l’est, le nouvel élu siégeait sur le trône du pouvoir universel, le prénommé Casque d’Or, n’était-il pas l’héritier de ceux qui avaient décidé de jeter sur la piste le peuple Indien afin de prendre possession de son territoire ?…
« Nous allons souffrir… » confessa Josef qui se battait avec les arêtes du poisson…
« Alors, je compris… ! »
Il y avait encore peu, Josef Schmitt, là-bas à Yokosuka avait vu, grâce aux voix des Tortues blondes, que le futur Shérif serait celui qui jetterait son :

                             « Make America Great Again ! »

Les Indiens comprirent que Casque d’Or allait se pencher sur la condition Indienne…
Hélas…
Ce cri de ralliement était taillé par des spécialistes en marketing-cow-boy pour que Casque d’Or accède au strapontin de Washington…
Le peuple élimina la concurrente de l’establishment pour élire le Shérif milliardaire venu de nulle part… sauf que l’ancêtre géniteur, le Vater venait de Germany… comme John… et ça Barnaby le savait aussi…
Autour du feu… le chef en chef : Nuage-Sombre se perdit dans de noires réflexions…
… toi… Ô Révérend… tu savais depuis ta rencontre avec Franziska… alors que tu n’avais que trois ans et six mois… tu connaissais la traîtrise de Hissa Luna… les manœuvres de Barnaby Paker… toi tu pénétras le russe sans ruse… grâce aux talents de tes neurones… toi qui compris les roueries de Barnaby qui se passionnait pour son amant Japonais dans l’opéra Nô… puis-je Ô grand sachant te poser une question…
… pose Nuage-Sombre…
… toi… savais-tu… que l’une des premières mesures de Casque d’Or né Germain comme toi… serait de déclasser les territoires des Indiens de l’Utah pour que les industries minières puissent créer des exploitations sur les terres protégées ancestrales…
… !
… tu peux pas répondre ?
… je peux répondre… Nuage Sombre…
… alors ?
… le prophète ne peut prédire que ce qui fut écrit… depuis longtemps…
… très juste… approuvèrent les chefs.

Nuage-Sombre sombra alors dans un laïus égrotant, tant il était meurtri…
… hélas, tu as raison, c’est toujours le même tabac. Au début, avec Visage Pâle, on se cause… ensuite c’est bugne à bugne… puis signature d’un traité… enfin remise en cause par la Winchester… arrivée des prédateurs, cow-boys, troupes, trompettes… Always Great Again !
Et tous louèrent la lucidité du Prophète.
… Voilà… nous sommes ici ! résuma Nuage-Sombre.
Le chef indien avait étalé une carte sur laquelle était posée une lampe-tempête qui diffusait une noire fumée, le doigt suivait le fleuve Arkansas…
… de Little Rock à Fort Smith vous suivez la rive, il y a des sentiers balisés, les croix représentent les bivouacs organisés… on se retrouve à Evansville…
« C’est ainsi que je pris connaissance du projet dans ses détails géographiques… »
… tout le long, il y a des possibilités de ravitaillements… des gîtes… des auberges… des temples ! J’ai apporté deux sacs de couchage qui supportent des températures de – 18°C. Vous ne risquez rien, sauf les bêtes sauvages. Tiens, prends ça.
Le chef tend la nouvelle arme de poing de l’US Army, le P320 de Sig Sauer, rangé dans un bel étui de poitrine : une coopération US-Germany… je l’ai eu au black… pour quelques marks… Ça te rappellera des souvenirs…
« J’ai écouté, j’ai vu et j’ai noté… Tout est consigné dans le manu-script… Reste le motif de cette randonnée… C’est la première fois que je suis lâché dans la nature avec le Révérend aussi longtemps sans main-courante. Jadis, à Yokosuka, il y avait le bunker et le temple, là-bas, je connaissais ma ville… puis ce fut l’avion, le train, le taxi… enfin ce fut l’Hacienda. Mais à présent, je suis dans la nature perdu sur les bords de la rivière Arkansas, avec un prophète qui semble ailleurs…
Devais-je écrire mes observations dans ce manu-script au risque de les faire tomber plus tard dans des mains venimeuses ?
C’est sur ces pensées que je fermai les yeux après avoir fait mes ablutions au point d’eau et retiré avec une pince à épiler une arête de poisson qui s’était plantée dans la chair d’une gencive lorsque j’avais croqué avec appétit le poisson grillé… alors je pensais à Josef qui avait dit :
« Nous allons souffrir ! »
Heureusement, j’avais emporté ma trousse de pharmacie qui ne me quitte jamais. Ça peut servir tout autant que le P320 de Sig Sauer !
J’ai installé mon sac de couchage sur une protection de plastique qui m’isole de l’humidité. Les trois Indiens dorment près de l’astre, le Révérend est au milieu… près de l’âtre.
Au-dessus de nous, la voûte est étoilée… Je surprends une étoile filante qui resta anonyme… au moment où j’allais faire un vœu… je m’endormis.
Akio dort… il en a besoin, le narrateur anonyme alors prend le relais pour immortaliser cette nuit sans histoire.
Il tenait à le signaler car l’absence a tout autant de sens que la présence, il souligna que cette nuit fut insignifiante, c’est déjà caractériser la nuit.
Plus tard, bien plus tard, les lecteurs du palimpseste se pencheront sur la météo pour y trouver un sens tragique ou fractal, peut-être même que ce manu-script sera un jour retrouvé dans la jarre d’une grotte ou d’un sanctuaire perdu au milieu d’un désert du côté de Qumran comme la citation sur le totalitaire… alors, une foule de crânes d’œufs tentera de cerner l’indiscernable.
Par quelles voies aurait-il cheminé ?…
Nul ne le sait encore… mais avec Josef, l’hypothèse est plausible…
Les marchands de manuscrits trouveront bien la solution…
Nous voilà devant une énigme… Que vient faire le Révérend sur le Sentier des Larmes ?…

Oui… au fait… What is, le Sentier des Larmes ?
Eh bien, si vous voulez le savoir, il suffit de lire la suite…

                                                       Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                  L’Ange Boufaréu

Fin de la Saga Révérend

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Gentilés de la noosphère et du cosmos… je vous salue.

alain harmas est l’auteur de ce rescrit pandémonique…  néologisme issu du substantif pandémonium : « Le Révérend John Smith et son aide-de-camp »

Un texte qui contient 55 chapitres… très « pitre » en forme d’épître… puisque ce rescrit est un pamphlet… sous le titre… la production du bélitre.
Le dernier chapitre édité fut le numéro 38… il en reste donc 17… qui décrivent la fin de Josef… oh, une fin terrible… telle celle de Jérémie son modèle qui disparut dans les sables du désert égyptien…
Je remercie les lecteurs qui se plongèrent dans cette saga, certains laissèrent des scories éructantes et sonnantes… rantanplan… plan… plan…
Mais ce blog ne restera pas muet, alain harmas compte écrire de courts billets d' »humeur » Na! Parce que je le veux/vaux/vache/cochon/poulet… bien !

L’Ange Boufaréu fut et reste toujours secondé par les célèbres Tortues Blondes :

                                                    Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
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                                                                                  L’Ange Boufaréu

37 Soirée TV à l’Hacienda…

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37… Soirée TV à l’Hacienda… la tribu est devant l’écran pour le show TV de « C’est aujourd’hui » dont la captation avait eu lieu quelques jours plus tôt.

« En ce jour, dit le manu-script d’Akio, l’activité de l’Hacienda fut inoubliable

Gottfried venait enfin d’installer une première gouttière, la voie centrale sur laquelle les autres se jetteraient pour recueillir l’eau « source de vie » avait écrit le poète. Le soleil se perdait quelque part vers le couchant. Les Indiens autour du feu lisaient les histoires du temps de Sitting Bull éditées en feuilletons offerts après l’achat du dixième hamburger au 801, Allegheny Avenue. Les tantes préparaient le Eckbank.
La tribu travaillait au second grand ravalement du salon, ce chef-d’œuvre d’organisation dit : Osterputz ou grand nettoyage de Pâques, célèbre dans tous les foyers Germain…
Gottfried avait éructé :
« Aber wir sind noch nicht an Ostern »… mais nous ne sommes pas à Pâques…
« C’est pour ce soir… ! précisa Yépa…
« Wer kommt ? qui vient ?
« C’est aujourd’hui » l’émission du Petit…
« Ach Mensch ! … expression idiosyncratique… exprimant la surprise germaine !
Les oncles paternels avaient pris une douche en plein milieu de la semaine, ils sentaient l’Eau de Cologne. Yépa, tel un elfe, avait revêtu sa dernière robe en peau de génisse, dont la texture était proche d’un tissu de soie, le cuir fin était tanné selon les techniques des Algonquins.
Yépa pouvait transcender une peau de génisse – la métamorphoser en un sublime produit. Et savoir que cette robe serait peut-être, sans doute, sûrement, la dernière produite… car ce savoir ancestral allait se perdre à jamais, on n’en était que plus admiratif…
Gottfried tardait à revenir au sein de la tribu. Dans la cour, il admirait, lui aussi son œuvre qui se profilait sur le ciel du soleil couchant. Il attendait le dernier rayon… enfin, il vint luire sur le zinc.
Libéré, le patriarche entra dans le cercle, il avait pris, lui aussi sa douche, il avait revêtu la chemise de laine le pantalon de laine et les bretelles de cuir fauve. Elles lui donnaient l’air d’un antique trappeur échoué au milieu d’un pow-wow.
Le feutre bien calé sur l’occiput, il conjuguait son unique plume de corbeau avec celles des aigles des Taureaux-Assis… Nuage-Sombre… Gazelle-Gracile… Castor-Edenté…
Certains prirent place sur le Eckbank… dont on rappelle la forme… un banc en équerre, calé dans un coin de la pièce derrière une table… le tout est en bois massif… intransportable… soulignons que le banc possède un côté à quatre places quant à l’autre il est à place unique…
Là… Gottfried posa son séant… »
À présent, nous sommes en live : le peuple est au complet pour ce préambule festif… Il y avait donc comme toujours à l’Hacienda, deux groupes :

  • les Germains et leurs collatéraux installés d’un côté autour de l’Eckbank
  • les Indiens de la steppe assis en cercle sur leur tapis de bête près du feu…

 

Parfois les repas étaient identiques, la dégustation restait propre à chaque culture… Les Germains disposaient d’assiettes en rapport avec leurs capacités gustatives le tout étant assorti de fourchettes et de cuillères pour le bien manger… sans oublier la chope couverte d’un couvercle…
Le trait d’union avec les Indiens restait le couteau qui se dépliait pour couper la viande dans l’assiette, puis se repliait d’un claquement sec à la fin des agapes, selon le rite… quant aux assis des steppes, ils portaient le bout de viande rôti à la bouche et tranchaient net la becquée sélectionnée par les incisives… enfin en principe, car beaucoup d’Anciens avaient perdu quelques touches de leur salle à manger…
Il fallait alors servir des émincés dans des assiettes, ce qui était le rôle des tantes indiennes…
Dans l’ensemble donc, on rapprochait les techniques sans mélanger les rites. Akio calcula qu’il faudrait au bas mot, trois à quarante siècles pour que l’on ne distinguât plus l’origine de ces deux communautés – à preuve, les coiffes des chefs portaient déjà des plumes…
Bref, on s’acheminait vers l’œcuménisme des couvre-chefs…
En attendant, les papilles goûtaient la choucroute, qui ravissait les édentés de toutes confessions. Les pommes de terre fumaient, les lards fumés fumaient tout autant,  mais le clou parfumé de ce mets fut quand même la rencontre des autochtones avec une baie qu’ils avaient oubliée : le genièvre, car c’est de lui dont il s’agit, ils le redécouvraient par la grâce Germaine et le chou fermenté.
Les feuilletonistes ne l’avaient pas mentionnée… ils l’avaient oubliée…
Ce fut un moment fort d’émotion – car c’est à ce moment-là que l’on perçoit tangiblement la fuite du temps, la dérive des continents ainsi que l’incontinente faiblesse de la chair que la mémoire fuit à cause de quantiques fuites.
… c’est triste ! soupira un oncle dont c’était le premier mot du jour.
… ça a déjà commencé ? répliqua son voisin.
L’heure de l’émission approchait et les tantes accélérèrent le bal de l’ordre en récurage pour que le plateau fût net afin d’y étaler les fruits confits, les fruits secs, les gâteaux, les crèmes fouettés, le café, le thé, les Strudel, les Linzer Torte… suivis des schnaps.
Enfin, tout fut prêt. Gottfried quitta le Eckbank pour le grand fauteuil gothique dont les deux appuie-main étaient lustrés par les ans. Songez qu’un multiple de quatre générations avait posé leur séant sur le cuir vert pour lequel on avait tous les égards – il était recouvert d’un tapis qu’un oncle avait ramené du Pérou…
Le peuple attendait.
Akio était installé sur le banc derrière la table, à équidistance symbolique du Révérend, qui, comme à son habitude, était assis sur le tapis de la tribu non loin du feu…
Et soudain…
Gottfried avait fait installer un écran de quatre-vingt-cinq inchs, soit deux cent seize centimètres de diagonale… il fallait du recul… pour le peuple assemblé…
L’image jaillit…
… c’est pour voir le petit ! avait claironné le Vater au vendeur… le voyage avec Rosalie fut une expédition… un oncle Germain et sept chefs Indiens montèrent sur le plateau… sans armes… sur le sentier du Supermarché…
Le peuple admira d’abord l’appareil, puis l’image qui se tortillait sur sa surface. Gottfried pianotait la télécommande, mais il commit tant d’erreurs que ces dames lui tombèrent dessus. Chacune avait son idée. Yépa se retira du jeu. Un oncle qui savait tout, éteignit l’écran par erreur, ce fut la consternation…
On demanda à Josef qui s’était endormi…
Alors Akio proposa humblement son aide : pourrait-il apporter un de ses infimes savoirs… Gottfried consentit, la tribu était haletante de voir…
Et l’image fut…
Le résultat réjouit la famille…
Le Révérend rêvait…
Gottfried boudait…
Soudain, une apparition féminine annonça d’une voix suave que la future séquence serait le bulletin météo…
Alors le peuple se complut dans un silence religieux…
Allait-il pleuvoir ?…
Gottfried ronchonna… il n’avait posé qu’une gouttière… Scheiß Wetter souffla-t-il. (que l’on peut… si… si… traduire par : Temps de merde!)
Alors un conciliabule s’organisa entre les chefs, ils conclurent qu’un des leurs avait vu des lueurs au lever du jour qui contredisaient l’affirmation… de pluie…
« encore un ragot de Blanc pour nous forcer à acheter des Regenmantel » souffla une tante qui avait déjà acheté cinq manteaux de pluie.
Un oncle prenait à témoin ses rhumatismes en disant que c’était certain, la pluie allait venir. Puis, l’image se transforma en une splendide rose des vents et la carte annonça qu’elle ne savait pas, mais que peut-être si on voulait bien, que, sans doute.
Le peuple était déçu par l’approximation d’un appareil si couteux… puis on se ravisa, car l’écran ne donnait tort à personne, on fut satisfait.
La soirée s’annonçait bien.
On fit silence…
Quelques voix se plaignirent qu’on n’entendait pas bien. Akio augmenta sensiblement le volume. Le peuple fut heureux qu’une telle compétence soit entrée dans le cercle de famille. Et pour une fois, on loua le mélange des cultures…
À présent, motus…
« C’est aujourd’hui » lança son générique.
La tribu pénétra intensément le rythme. L’écran était couvert d’écrits qui défilaient : ce fut le premier moment d’angoisse devant cette page de lecture…
… ça dure combien de temps, ça ? émit un chef qui tira sur sa pipe éteinte (captivé par l’écran, il avait oublié de téter)…
… chut ! répliqua une épouse qui croquait des graines de courge.
Après le générique de début qui récompensait les créateurs des graphismes rutilants-tortillants et surtout des annonceurs qui annonçaient…
La séquence s’ouvrit sur un plateau, une sorte de scène en forme d’hémicycle qu’aucun spectateur n’avait imaginée.
Les spots de toutes les couleurs tournaient à des vitesses cosmiques, se croisaient et formaient un pont de lumière, qui donna l’idée à Gottfried de faire de même avec ses gouttières au-dessus de la grange. Un oncle germain prétendit avoir vu ce même décor lors d’une convention démocrate d’un futur président, il ne savait plus lequel…
… les mêmes jeux de lumière…  il y avait des ballons qui tombaient du ciel…
… moi, je suis républicain… je veux pas de ballons affirma Gottfried.
Or, tous connaissaient cette histoire tant de fois racontée. Heureusement, l’image suivante ne proposa pas de ballons mais un bonimenteur qui vint sous les feux dire son admiration… sur quoi, au fait ?
… qu’est-ce qu’il dit ? questionna un chef Algonquin qui avait chaussé ses lunettes pour rendre vie à ses pupilles… il avait tant surveillé les pistes contre les cow-boys !
… il parle de la nation… répliqua une tante.
… laquelle questionna un Comanche…
… c’est quoi la nation dit un Sioux…
… on ne va pas entrer dans ces questions, on regarde on posera les questions plus tard, on attend le Petit… s’emporta une tante Algonquin qui grignotait un Linzer-Torte…
… moi j’aurai oublié la question…
Le chef secoua la tête…
C’est à ce moment que l’on vit le campus. Juste après celui qui encensait la nation vint une annonce publicitaire sur les vertus de certains fertilisants-désherbants-engrais.
Ils enseignaient que le sol coopère naturellement avec les organismes qui le fertilisent, mais il avait parfois besoin de soutiens afin de le « booster ».
Alors, on vit apparaître des graines de soja appétissantes et de séduisants épis de maïs qui provoquèrent la réaction pavlovienne attendue : les tantes distribuèrent les épis bouillis pour ceux qui mâchonnaient et les rôtis pour ceux qui croquaient…
… il est où Josef… clama Gottfried !
Le Révérend, la tête posée sur un tronc de bouleau… dormait.
… ça c’est le campus… dit Yépa.
… regarde !
Et là, sur le parking, on vit Rosalie…
Rosalie était un membre de la famille et tous par mimétisme se voyaient sur le campus de l’université…
Ce fut le ravissement…
Le panoramique fut admirable. Après le parking, on vit les couloirs de l’amphi qui grouillait de monde, car « C’est aujourd’hui » voulait démontrer son audience planétaire par la magie de l’image.
… où est Graceful ?
… chuuuuuuuuut !
On revint au centre du plateau posé au chœur de l’hémicycle. Là, assis, le doyen se tenait derrière une sorte de bureau qui masquait ses rondeurs advenues. Assis à côté de lui, presque de trois quarts, le modérateur qui animait l’émission le présenta au World… Garfield était fier…
Le doyen ne se gratta point la glotte, mais articula :
… oui, merci, je suis toujours professeur, mais surtout président… n’est-ce pas ?… Un président a des responsabilités colossales… car…
… effectivement, vous êtes la tête et les jambes… c’est sûr… Et comment vous est venue cette magistrale idée de ce retour à la nature vers les terres qui virent et voient toujours nos ancêtres ?…
… c’est qui ce guy ? cria Gottfried…
… c’est vrai, il faut le dire…
… nous le disons, et maintenant une page de nos annonceurs… car vous avez noué des relations fortes, n’est-ce pas, Doyen ?…
… oui, très fortes !
… eh bien, voyons cela…
Les spots-pubs s’enchaînaient, dans des ciels splendides, des champs à perte de vue alignaient des jeunes pousses de plants d’un vert tendre. Rien ne venait rompre cette harmonie : pas une éolienne, pas un bâtiment en béton, seul un oiseau entra dans le champ de la caméra… un miracle, bref, un nirvana graphique !…
Le jardin d’Éden sur la terre étasunienne de l’Ouest !
Puis vint en surimpression, un homme costumé en paysan en casquette et divine tenue de Terrien Traclak bien propre, tel un être cosmique, il dosait une géniale poudre qu’il versait, poussée par le vent, dans un bac aux armes du producteur – le tout sous un rayon de soleil rasant qu’un prisme optique correctement vissé sur l’objectif de la caméra donnait un sublime effet.
On fut séduit par la musique bucolique. On crut même entendre les grillons tant l’évocation était parfaite.
Puis se succédèrent des sommités qui assommèrent… de sommeil… la somme des téléspectateurs…
… on l’a payé cher, cet écran ?
… ça dure combien cette émission…
… une heure vingt… dit le journal…
… tu es sûr que le petit est là-dedans ?
… c’est presque fini… où il est ?
… tu y étais…
Akio était certain… que c’était la bonne émission… mais il ne reconnaissait pas les séquences à part l’hémicycle et Jr. Garfield…
Le peuple en voulait pour son argent. Chacun avait apporté son pécule dans l’escarcelle pour l’achat de l’écran. Ils ne s’y retrouvaient pas.
En plus, ils ne cultivaient plus autant qu’avant. Les Indiens n’avaient jamais rien cultivé, à part l’art du feu, les rythmes des tambours et les scalps. Eux, ils chassaient ce que la steppe offrait, sauf qu’à présent, il n’y avait plus de steppe et donc plus rien à chasser…
… c’est pourtant le thème de l’émission, dit une tante qui relisait le programme paru dans le Pittsburgh Week’end News…
Elle ne s’y retrouvait pas…
Soudain, on revint dans l’amphi, car avec la magie du transport et du montage, voilà Graceful qui débarbouillait son Chouchou à grands coups de langue… le peuple alors tenta de lire l’image comme on le ferait d’un article de journal, mais l’image n’a pas la même consistance qu’un texte ils n’eurent pas le temps de tout décoder : le Doyen revenait dans le studio pour prendre la parole :
« C’est ainsi que nous avons choisi ce concept pour instruire nos étudiants quant à la complexité du règne animal, car cette vie s’éloigne de nous, telle l’expansion des planètes. Or, nous avons besoin de cette communion avec la nature et le monde animal… je suis… moi… Garfield Jr. Le promoteur de ce nouveau concept… que l’on appellera désormais : cancel-culture… un must…
verdammt hurla Gottfried… er ist noch da ! ( nom de dieu… il est encore là )
… n’est-ce pas on redécouvre cette vie naturelle aussi… questionnait le modérator…
… oui, même si les publications sont vulgarisées pour chaque citoyen… car ce peuple reste très mystérieux…
… connaît-on le nombre de foyers qui prospèrent… s’unissent… enfantent… ?
… oui, on approche la connaissance, car ce peuple reste secret. Ce qui est étrange, c’est qu’il accepte le métissage, surtout avec les représentants de la Mitteleuropa.
À l’Hacienda… plus personne ne suivait le fil…
… c’est où questionna un chef…
… quoi ?
… la mittel… truck !
… loin…
Alors, s’ensuivirent de magnifiques images de l’Ouest merveilleux. L’espace n’était qu’une mer d’épis blonds et, au loin, une dizaine de moissonneuses en ligne avançaient, tel un escadron de chars d’assaut chargeant un ennemi qui se serait tapi sous les frêles tiges de blé… à côté du driver… une jeune et jolie pin-up californienne vantait la moissonneuse-batteuse… la sublime Road-field-first… construite du côté de Chicago…
Cette impression de force et de grâce était sublime…
… où sont les Indiens ?
… ben et les moissonneur-driver… c’est qui ?
C’était la victoire de l’intégration, du melting-pot du Wild-West – le rêve des Pères fondateurs posant les pieds sur ce sol fertile… les indigènes qui restent… tu les drives sur un char…
… regarde comme ils sont beaux…
Mieux que Moïse ! Il suffisait de voir l’image pour le croire.
… d’ailleurs, dit le doyen, nous eûmes leurs enfants qui comprirent l’élan de cette civilisation, le volontarisme, le charisme des pionniers ? Ces hommes nés ici se fertilisèrent au contact des arrivants qui apportaient les techniques modernes de l’Ancien Monde, grâce à notre brillante Cultural Studies boostée par l’étude de la pop culture…
… nous avons formé un homme issu de ces courants, il a suivi ce sublime cursus. Il prêche la bonne parole. Il faut revenir aux fondamentaux de la vie sur terre, n’est-ce pas ?…
Alors… la caméra panota… elle cadra en contre-plongée le Révérend qui, les bras en croix… en voix off… exhortait le peuple en surimpression dans un champ de verdure, enveloppé par une musique de spot hollywoodien pour communier dans la nature avec le dernier fertilisant des maïs transgéniques Big-green qui allaient nourrir la terre et le monde et bonifier le messianisme de Wall-Street.
Ce fut paradisiaque, mais ce n’était pas tout…
L’émission n’oublia pas de recevoir un sportif talentueux qui s’était expatrié sur le campus de Garfield.
Elle/il roucoulait sur les programmes ad hoc, la cafétéria et les conditions de vie ici en Pennsylvanie qui étaient merveilleuses que partout ailleurs dans le monde –  sous le regard concupiscent du doyen, des associations LGBT+plus
Le nouveau sacre du monde… et ses nouveaux clients…
L’émission se termina avec une séquence intitulée :
« Sur la santé ! » comme l’exige toute émission culturelle qui veut le bien de la planète.
Le petit protégé de Garfield body-buildé… sortit des blés telle une Grâce sur un vélo ultra-léger, il s’arrêta sans défaut devant la caméra afin que les yeux éblouis puissent admirer les pectoraux qu’il avait gagnés dans cette université… dirigée par le Grand le talentueux Doyen Garfield Jr. il minauda quatre seconde puis sur son bicycle stratosphérique il se retira en jetant un baiser passionné…
… zzzzze vous zzzz’aime…
Alors…
On rappela que cette terre nourricière fut transcendée par les dieux, grâce aux Winchester, avait permis de rationaliser l’élevage des bisons et des dindes, car lorsque les pionniers arrivèrent que trouvèrent-ils ?
… des steppes vides… abandonnées… où l’on pouvait vivre au rythme du… « Great Awaking of The World » (le grand réveil du monde… selon la traduction d’une tante…)
C’est ainsi que notre université s’enorgueillit d’un savoir centenaire et a permis ce développement sain de notre alimentation… que le monde nous envie.
La dernière séquence se solda par une image œcuménique où le Révérend la main gauche posée sur le col de Graceful, la main droite caressant Chouchou voyait venir à lui huit dindes et deux coyotes en parfaite osmose… en arrière-plan… quelques Indiens en tenues authentique assis regardaient le scène…
Le regard de Josef apaisa la foule traversée par un rayon lumineux du fameux spot style « rayon-de-soleil-dans-une-forêt-romantique-germaine » qu’il fallut installer en cours de manifestation.
D’ailleurs, le générique s’attarda amplement sur ce point… citant le créateur et son portable…
C’était sublime…
La musique, les spots-pubs et les titrages défilaient…
Le public restait sous le choc des images…
Ils venaient de voir Graceful, Chouchou, les dindes, les coyotes, les Indiens, le Révérend, Rosalie… mais ils ne savaient pas dans quel ordre les replacer.
Tous retinrent que le dernier surpuissant désherbant…
… pour les choux…
… les navets… aussi.
… on pourrait essayer avec le maïs…
… encore du chimique…
… c’est ça, la cancel-culture ?
… va savoir !
La soupière d’épis de maïs était vide. Des épis rôtis, il ne restait que des trognons…
Gottfried restait ahuri…
Le Révérend dormait…
Akio baissa légèrement le son…
On se regardait sans trop savoir que penser, car c’était une première, le peuple n’avait pas encore ses réflexes…
Alors, on se leva, désœuvré, frustré du peu de présence de Josef dans ce bazar…
tout ça pour ça… résuma un chef Algonquin… qui avait vu des films…
… ça… encore… émission… Visage Pâle…
Et chacun partit se poser dans ses plumes, la tête toute chaude de couleurs de lumières de rythmes and bouses que l’émission venait d’imprimer dans les cortex…
Akio assista au départ de chaque âme vers son repaire pour la nuit. Gottfried était resté dans le fauteuil gothique, il regardait l’écran éteint en secouant la tête. Les tantes vidaient le plateau en évitant adroitement le manu-script sur lequel Akio planchait encore. Les oncles germains firent claquer leurs bretelles, en repoussant leur siège du bout des fesses. Yépa veillait à chaque détail. Les chefs indiens s’étaient levés pour aller pisser dehors dans la nature comme avant. Certains revenaient prendre place à côté de l’âtre après avoir posé une bûche sur les braises. On entendait le pas des marcheurs dans l’escalier de bois qui conduisait aux espaces de repos. Les Indiens restaient au rez-de-chaussée, non pas qu’ils aient le vertige, cette infirmité ne leur était pas donnée dans leurs gènes, non, ils préféraient le plancher des vaches ou des bisons pour être immédiatement sur le pied de guerre – vieux réflexe.

Il semblerait que ce caillou soit le visage de Socrate… bien…

Quant au Révérend…
Akio demeurait la plume en l’air, avant de pouvoir élire le mot qui caractérisait cette situation…
Le Révérend dormait au milieu des chefs indiens. Akio ne se souvenait point l’avoir vu en éveil en train de regarder l’écran…
Il était assis en tailleur, la tête appuyée sur un tronc d’arbre qui avait été placé à l’horizontale sur des billots de bois. Il était entouré de coussins en cuir de bison, le visage tourné vers l’écran éteint.
Akio ne put que songer à l’image qu’il avait du Révérend là-bas, à Yokosuka.
Enfin, c’est ce qu’il pensait.
Soudain, ce fut la révélation.
Non, il était égal à lui-même, c’était l’environnement qui était différent…
Un problème d’insertion… sans doute…
Et Akio se jeta dans une analyse dans laquelle aucun philosophe ne s’était encore penché… L’être… qui est-il ?… comment est-il ?… que devient-il ?…
Tel était le mystère qui venait de tomber sur l’entendement d’Akio. Alors la plume devint alerte, car Akio, sur cette voie du mystère de l’être, se découvrait être un précurseur, un pionnier, un défricheur…
Il jubilait… Il traça cette formule :
… « Connais-toi toi-même ! » et, en écho, il entendit :
… Socrate l’a dit avant toi… murmura Josef.
… quand ça ?
… vingt-cinq siècles… au bas mot !
Cette information relativisa l’enthousiasme d’Akio…
… mais tu n’es pas obligé de répondre dans les mêmes termes que lui…
… c’est vrai… mais comment tu savais que je pensais à ça ?
… ceux qui désirent le moins de choses sont les plus près des dieux !
… au fond, dit Akio, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien !
… c’est aussi de Socrate… murmura en écho le Révérend.
… eh bien… je vais l’écrire… mais alors…
… voilà la réalité, tu ne sais rien… tu ne fais que ressasser ce que nous constatons depuis au moins vingt-six siècles… au moins.
… mais alors cette émission « C’est aujourd’hui » que l’on vient de voir ?…
… c’est du business… et… ça… ça me fait dormir… tu vois… Gottfried a acheté un écran de deux mètres seize. L’électro espion est venu l’installer. Les oncles vont acheter les derniers désherbants. Les nouvelles graines seront plantées. Quant aux bisons et aux dindes élevés en batterie, ils vont passer un mauvais quart d’heure entre deux tranches de pain en pâte de sciure arrosées de ketchup, sans oublier la rondelle d’oignon transgénique…
… mais le message…
… c’est celui-là, Akio… « Le message, c’est le massage : bouffe et tait-toi ! »
… ben…
… oui, mais ce n’est pas de moi…
… mais alors…
… alors, il n’y a pas d’issue, Akio… On est cernés…
… tu as vu Akio, comment on a été récupéré par le doyen, ses annonceurs, ses mignons, ses comptables… maintenant tu sais Akio… ce qu’est la Bannière étoilée… une vaste tarte à spots pubs… des tartines de merde… maintenant tu sais…
Souviens-toi de Barnaby… lui aussi, il est venu pour me flatter… m’enrôler dans ses cadets… il avait besoin de moi… c’est tout.
Maintenant qu’il a sa première étoile, il veut la seconde.
Garfield Jr. va devenir Doyen émérite.
… et toi Révérend ?
… c’est toujours le même scénario de l’éternel retour… drapé dans d’autres couleurs.
… tu n’es jamais que le moyen d’un médiocre… tu verras… je prépare une autre voie…
… dis-moi… Josef… j’avais observé un guy… et…
… mais bien sûr, Barnaby était là lors de la captation… je l’ai vu… il veut sa seconde étoile… mais je m’en cague…

C’est sur ces fortes paroles érudites citant un troubadour latin que se termina cette journée inoubliable. Malgré le rythme immuable des nuits et des levers de soleil, la chute des corps, la croissance des plantes et le renouvellement de la pensée, chacun avait tout loisir de colorer de son accent, de son style, de son haleine, les idées de Socrate qui ainsi reverdissaient, bourgeonnaient et fleurissaient toujours nouvelles.
Ce fut les dernières pensées d’Akio.
Le Révérend était déjà ailleurs…

                                                    Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                  L’Ange Boufaréu

 

 

… grand barnum

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 36… grand barnum, enregistrement de l’émission : C’est aujourd’hui…  

Je ne vous apprends rien quant aux coutumes des US TV… une émission spectacle se déroule en quatre temps : scénario, tournage, montage, diffusion… entre le début du tournage et la diffusion, il s’écoule un certain temps. Aujourd’hui, nous allons suivre les trois premières étapes…
Nous commencerons par les coulisses où eurent lieu les tractations qui en furent les prémices. Ce sont des moments de réalité qui révèlent la TV réellement et véritablement la réelle réalité des acteurs réels – « ils savent bien ce qu’ils font ! »
Bien ! Bien !
Pendant toute la semaine, les jours s’écoulaient en se languissant de l’événement…
Josef fut actif, très ! très ! actif…
Des insomniaques prétendirent l’avoir vu au lever du soleil, on était en octobre, le froid était au rendez-vous avec la lune…
Josef partait dans les espaces qui jadis s’appelaient steppes… espaces de dangers où régnait le moustique et parfois le serpent à plumes.
À présent cette zone se nomme no man’s land… le moustique et le serpent à plumes fuient ces lieux comme la peste surtout la nuit où les lumières de la ville ne brillent plus, car depuis des lustres…
« Des snipers criards les avaient pris pour cibles…
Les ayant clouées nues aux poteaux de couleurs… »
… a dit un poète François… qui venait de Charleville…
Akio n’était pas certain de sa citation, surtout concernant le terme sniper… mais la ville de sa naissance… il était sûr!
Cette zone était en quelque sorte « la madeleine » de Josef, car à son cortex, remontaient les fragrances des herbes foulées par les bisons, le ululement des chouettes qui répondaient aux coyotes et même parfois dans le lointain les sourds appels des tambours qui rappelaient les éclaireurs navajos à venir prendre le petit déjeuner autour du feu…
Sous les pas de Josef-John, ce Nouveau-Monde disparu reprenait vie… l’olfactif imprégnait la pensée du Révérend, alimentait sa verve, nourrissait son espoir d’un renouveau… fertilisait son sixième sens.
Il ne portait qu’un grand froc ceint à la taille. Ses cheveux devenus longs – car il ne les coupait plus – et sa pilosité faciale qui avait poussé d’un coup au cours d’une intense méditation lui donnait l’air d’un Prophète – ce qui était l’objectif…
En outre, il suivait à la lettre le tableau d’évolution du premier rayon de soleil, car le Révérend était méthodique – à ne pas confondre avec méthodiste – qui est une vague qu’inspira John Wesley… un concurrent…
Le tableau des rayons donnait le premier de 7 h à 17 le 1er octobre, pour culminer à 7 h 49 le 31 et dernier jour du mois. Chaque matin, il devait donc ajouter une minute à son réveille-matin pour être dans la norme solaire. Mais le Révérend était fiévreux – de cette fièvre des grands jours du samedi soir qui marquent l’histoire de l’humanité.
Alors il stimula le cosmos pour accélérer la mutation du mois en une semaine. Seuls les très, très vieux Indiens en furent affectés, car leur horloge interne décela ce coup de pouce…
Les élans femelles cornues réfugiées loin dans les plaines du nord, les bisons de l’hacienda ne s’en inquiétèrent point, ils avaient vu d’autres coups et surtout des coups de feu.
Pendant les heures qui précédaient ces longues randonnées, il se nourrissait des Saintes Écritures durement tirées de ses disques durs…
Cela dura huit jours…
Les tantes, les oncles, les cousins, Yépa, semblaient parfaitement indifférents, Josef vivait sur une autre planète – bien que, là aussi, il semblât ailleurs… ce qui est le propre d’un prophète…
Akio, consacré scribe, notait chaque mouvement, chaque instant, chaque pensée, chaque regard, chaque geste, chaque idée, chaque nuance, chaque mot, chaque parabole… car c’est ainsi que sous la plume du scribe…  minute après minute… jour après jour… et la suite… naît un prophète…
On avait gommé toute référence à son ancien patronyme…
On disait :
« Le Révérend a dit… »
Ou bien :
« Le Révérend pense que… »
Ou alors :
« Connais-tu le dernier oracle du Révérend ?… »
Puis, on se recueillait…
« Le plus étrange pour moi, écrivit Akio, c’est ce calme biblique dans lequel le Révérend pacifie la tribu. Celle-ci ne semble même pas l’identifier…
Enfin, quand même, cette évolution est bien de type de révolution jérémienne que j’avais pressentie et que je vois muter sous mes yeux – une métamorphose sublime sur laquelle il eût fallu s’étonner, se pâmer, s’extasier…
Eh bien, non…
Gottfried reste concentré sur ses gouttières…
Les Indiens sur leur calumet…
Les oncles aiguisent leurs couteaux pour occire en automne les truies et produire la viande pour toute l’année… Les tantes rentrent les choux, les navets, les poireaux… und Kartoffeln dazu… avec pommes de terre en plus (trad : du correcteur relecteur)
L’Hacienda a gardé ses souvenirs des grands froids germains, bien que Pittsburgh ne soit pas une terre de neige ni de températures extrêmes, on n’en continue pas moins de vivre selon les codes de vie des ancêtres teutons. On stocke tout : le bois, les viandes, les fruits, les légumes, les alcools, les vêtements de laine, les gants de peau, les chapeaux, les humeurs inutiles. On baratte ferme la crème pour grossir les réserves de beurre, tandis que Gottfried désespère de pouvoir stocker son eau, mais en stratège des constructions, il œuvre…
On pourra alors tenir le siège d’un hiver sous la neige… avec son eau stockée dans le réservoir.
Gottfried avait décidé de travailler la nuit.
Le Révérend au retour de ses longues randonnées solitaires où il testait ses homélies, pouvait se poser à la forge, noyée dans un nuage d’étincelles. Gottfried, alors, tirait une pomme-de-terre des cendres chaudes et bibliquement l’offrait à son fils… là Josef prenait son premier réconfort sous les analyses stratégiques du Vater qui ne tarissait pas d’éloges sur le pouvoir de la flamme.
Un tableau prophétique… réunissait un Père et son Fils… une icône.
Le père et le fils étaient unis… par la patate chaude…
Et Akio de rajouter sur le manu-script :
« Il avait fallu que je vienne dans ce pays pour voir ce tableau subliblement messager ! »
Les exégètes se pencheront plus tard sur la profondeur de ce codicille. L’érudit scribe était désigné pour consacrer la pensée du Révérend comme extra-métaphysique… même si l’aide-de-camp parfois se mettait à philosopher, il n’en pipait mot ! Respectons les hiérarchies, voyons ! Le prophète prophétise, l’ordonnance consigne !

« Bon, eh bien, allons participer à la réalisation de ce : « C’est aujourd’hui » qui aura lieu plus tard… on notera que seul ce titre d’émission avait transhumé…
Le campus s’était transformé en grand cirque Mélodramelo : un walhalla de roulottes, de truck, de 4×4, de boutiques à popcorn, hamburgers, coca…
Des voyantes qui voyaient s’étaient installées dans le sillage d’un Prophète Révérend Saint… elles quêtaient les aumônières des chalands en recherche de sainteté…
Un car-régie avait garé sa carcasse hérissée d’antennes à proximité du carré de verdure où, il y a peu, Graceful, Chouchou et Akio avaient campé… chose respectable… on avait respecté l’espace des quatre piquets… sanctifiant la présence fossile ancienne…
Des entrailles du monstre jaillissait un réseau sans fin de câbles qui irriguaient le plateau installé dans l’amphi désormais célèbre sur lequel l’antique Josef était devenu John Le Nouveau.
L’esprit de la captation tentera de diviniser l’essence biblique d’un quidam devenu prophète dans ce lieu devenu Saint… par le biais des Bisons…
En réalité… mais… mais… voyons ce déroulement…
Une ruche de techniciens courait de la régie jusqu’au cœur même du savoir…
Nous allions apprendre !
Or, l’acquisition des connaissances n’est pas si simple.
Il fallut brancher tout le système.
Enfin… au moment où le premier rayon du soleil déclina vers l’ouest, ici comme ailleurs, c’est-à-dire vers les 13 heures, le maître technicien, et donc directeur des ondes frappa les trois coups. Aussitôt, les moyens furent synchronisés comme par magie – instant prémonitoire – car l’électron libérateur avait appris par ses congénères syndiqués que le cœur même du sujet était le sermon d’un prophète…
Tous les électrons répondirent présents, car ce n’était pas tous les jours qu’ils retransmettaient des images d’un saint homme en quête d’immortalité : ils se firent bien propres, bien nets, clean en somme. Certains même attendaient une bénédiction, les plus grouillots au bas de l’échelle des emplois, ceux qui tiraient les câbles par exemple, firent brûler des bougies ; d’autres pieux se privèrent du hamburger pour acheter une douzaine de candélabres…
Ils étaient émus, en l’attente d’une promotion…
Nous aussi…
Voilà pour le côté technique…
« Ça baigne ! » avait émis le directeur des modulations hertziennes… (Nous avons traduit son volapük technique)
Mais si ça baignait ici… ailleurs le bateau semblait en perdition.
Ce n’étaient point des flots de cris et chuchotements bergmaniens mais plutôt des bruits et des fureurs macbéthiens
Akio ne pouvant se dédoubler dépêcha un scribe qui vint voir de visu et enregistra la scène ou plutôt, entendit derrière la porte les hurlements d’une voix qu’il reconnaissait sans pouvoir précisément la nommer – jusqu’à ce que la porte s’ouvrît par la magie des codes…
Alors, il vit… la décomposition de Garfield Jr. lui-même : le doyen venait de découvrir que le pourcentage de la recette publicitaire qui lui revenait avait été divisé par deux.
L’horreur !
C’était terrible !
Pourtant, Élisabeth, la directrice des programmes, avait revêtu le dernier Channel, ce qui était logique pour une directrice des ondes visuelles. Elle sentait bon le Number Five et luttait de toutes ses forces pour ne pas répondre aux vociférations du doyen, eu égard à son maquillage pharaonique Néfertitien récent qui devait tenir jusqu’à la fin des festivités.
Ce fut homérique…
Elle restait de marbre et pour cause : autour d’elle, des dames, des soubrettes, des dulcinées et autres assistantes et assistants voletaient, allant du doyen à leur patronne en décodant leurs messages…
C’était dantesque…
Le doyen, théâtral, « jura, mais un peu tard, que l’on ne l’y reprendrait plus. » Il décida de jouer la scène du « grand caprice »… un story-board en plusieurs tableaux…
… absolument, Élisabeth, vous m’avez trompé sur la marchandise !
Un homme envoyé par elle vint réciter la liste des charges pour réaliser le « C’est aujourd’hui » qui pourrait ne pas avoir lieu… si…

… vous le saviez… ce n’est pas la première émission que je vous offre !
… oui ! Mais celle-là est colossale !
… en quoi ?
… mais parce que c’est vous, parce que c’est nous, parce que ce sont eux !
… ah bon !
Le giton mignon, encore proche du doyen était vexé, face au Channel-Rive-Gauche de la directrice des programmes. Il voulait, lui aussi son Smalto Rive-Droite dernier chic. Garfield avait été obligé d’aligner un chèque qui lui avait pompé ses avant-dernières économies…
Le doyen se mura dans le silence et se réfugia derrière son immense bureau…
… foutez-moi la paix, je ne veux voir personne…
… Garfield, mon ami Jr. susurra le mignon, qui attendait la recette gros-lot des pubs à venir…
… dégage ! là !
… Oh ! Cœur est brisé !
Deux montagnes de muscles en costume vinrent fermer le bureau. Les cris, fureurs et rumeurs prospérèrent plus loin. L’angoisse montait dans les hautes sphères. Les actionnaires, ayant appris eux aussi que le bonus devenait presque un malus, suggérèrent :
« Motus ! Wait and See… ! »
Les caciques attendirent donc.
Les minutes du décompte s’égrenaient. On vit des hommes bien mis sur eux, des financiers en somme, qui vinrent glisser une enveloppe sous la porte du doyen.
Il bouddha de silence tout en comptant les biftons : il tentait de se libérer de son addiction aux bonus, mais il n’y parvenait pas… l’enveloppe était bien trop légère.
Il s’entêtait donc, malgré la seconde.
Le décompte décomptait…
C’était le seul compte sur lequel on n’avait aucune prise…
Mais pour Garfield, ce n’était plus un caprice, c’était un schisme, un Trafalgar, un tsunami…
Il ne bougerait pas…
Il se fit convoyer son breakfast du jour, car ses réserves avaient été mises à mal…
Le soleil déclinait ses heures en déclinaisons latine, germanique et russe dans une grande glaciation arctique. Les techniciens furent réapprovisionnés en Coca puis en liquide plus solide. Il commençait à y avoir pénurie de coque…
On s’en préoccupa…
Allait-on replier tous ces moyens Hi-tech devant l’intransigeance du doyen ?
Le plateau se vida, mais le car-régie se remplit. On ferma les portes pour regarder quelques films un peu grivois, classés triple X. Élisabeth avait investi une salle adjacente avec son comité de comptables et de directeurs de la publicité. Ils refaisaient les comptes et plus le temps passait et moins le compte y était.
Allait-on vers une Bérézina financière de cette émission ?
L’idée était si belle, mais sa concrétisation si chère !
Personne ne voulait se sacrifier…
C’est à ce point que l’on constata le pouvoir de Garfield… lui-même s’en étonnait… ce qui le motiva… à sur-produire des anathèmes…
Des acteurs étaient là – enfin ces personnages que l’on installait sur des chaises et qui, sous l’injonction du modérateur, récitaient promptement un texte écrit sur un prompteur que les caméras devaient oublier de retenir dans le champ de leur cadre.
Ces gens attendaient dans des réserves où on les maquillait…
Pensez un peu, se voir sur un écran, quelle joie pour les enfants et les amis !
Pourtant, hélas…
… « C’est aujourd’hui »
… sera un autre jour…
… ou jamais.
Les comptables, les banquiers, les avocats, les trésoriers, les juristes… tous secondés par les secrétaires… greffiers… assistants… chauffeurs… bodyguards…
Attendaient que Garfield plie, ce fut au septième pli (le jeu de mot était tentant ) passée sous la porte de Garfield qu’Élisabeth pria… elle avait perdu l’habitude…
… il faut un sauveur… cria-t-elle dans un déluge de larmes…
… eh bien… allez chercher le Révérend… c’est son Job…
… mais bon sang mais c’est bien sûr… et moi qui l’avait snobé !
Elle en fut si émerveillée qu’elle dut revenir promptement dans la loge de maquillage pour retoucher son masque assyrien qui subissait des craquelures métaphysiques. (On ne louera jamais assez ces dames maquilleuses aux pinceaux et baumes régénérateurs.)
Révérend… le Prophète… était là… comme par enchantement…
Nul ne l’avait vu paraître dans sa chasuble de bure ceinte d’un cordon de chanvre tressé sur un jean délavé authentique dans des mocassins algonquins cousus par Yépa.
Élisabeth ressortit toute pimpante qu’un nuage de parfum de la rue Cambon ajouta à son charme.
Le Révérend-Prophète attendait comme il se doit que sa parole puisse se déployer, selon le cadre décidé par les ondes spectrales… en l’attente il lisait Jérémie… ce célèbre passage où le prophète du Livre attendait dans le désert d’Égypte que sonne la voix de Dieu…
Elle vint… enfin, Élisabeth s’approcha… émue… mû par la dimension transcendante du Révérend… il dormait… tel un sage…
Il s’éveilla et dit :
… je sais !
La concision… absolue du sachant…
… détendez-vous ! suggéra le Révérend à la princesse des ondes numériques…
… hélas, je ne peux pas !
Elle fit un geste vague en direction de son visage, elle ne voulait point perdre la face…
… le doyen fait un caprice, il a arrêté le projet. Nous allons tout plier. On l’aurait mal traité, lui. Il prétend que son budget a été amputé. Vous comprenez, c’est une catastrophe. Enfin, le peuple va être privé de cette émission que le monde nous envie. Songez à tous ces pauvres gens qui ont travaillé dans les agences pubs, les annonces, les castings, les tournages, sans parler des directeurs financiers. Tous leurs espoirs de voir leur création réalisée se sont envolés à cause du caprice d’un homme Ancien. Oui, j’ose le dire ! Ils vont perdre tous leurs Awards, à cause d’une broutille minorée…
Le Révérend, tel le sage – il allait dans cette voie – puisqu’il avait compris le jeu de mots, constata en plus, que cette pauvre Élisabeth était inconsolable…
Le Révérend lui proposa un deal – car c’est ainsi, en US-Land, que l’on nomme ce qui allait suivre…
Élisabeth l’écouta, tout en aiguisant son sens critique : est-ce que ce va-nu-pieds à la tête de prophète qui sentait le foin des steppes allait accomplir ce que tous les comptables n’avaient point réalisé ?
… eh bien… allez le voir. Mais oui, vous êtes sur la liste des intervenants, juste après le vintage des engrais chimiques qui ont vu le jour grâce à la sommité qui tient cette chaire. Vous aurez vingt minutes pour vous refaire… je préviens le coiffeur…  c’est à la vingt… non, à la quarante-huitième minute…
… combien dure l’émission…
… soixante minutes…
… il cause… Garfield ?
… mais bien sûr… très… tout… enfin… souvent…
… alors… j’y vais… mais…
Et Josef se pencha à l’oreille d’Élisabeth, il avait l’habitude avec les dindes, les coyotes et les bisons… hélas, nul ne put saisir ce qu’il lui murmura.
Grand moment théâtral…
Les deux montagnes de muscles qui s’étaient postées devant la porte du doyen s’écartèrent à la vue de ce sémite-composite merveilleux…
Le Révérend pénétra chez Garfield, et l’huis précautionneux lentement se closa.
Élisabeth se sentit liée à ce nu-pied en mocassins…
Elle songea à Jérémie… sans savoir pourquoi…
Étrange…
Les deux montagnes de muscle se dandinèrent devant la lourde…
Alors, une chape de plomb étreignit les acteurs présents dans un silence kafkaïen.
On marcha sur la pointe des pieds, les peaux se plissèrent, les nerfs se pelotèrent, les pots des toilettes se remplirent, les oreilles se tendirent vers l’espace des négociations, les directeurs des directeurs consultèrent leur montre, s’interrogèrent du regard. Les heures défilèrent à une vitesse cosmique à raison de soixante minutes par heure, mais le décompte s’amenuisait, pourrait-il mettre en boîte le script vendu aux régies publicitaires ?…
Et soudain…
La porte de l’arche d’alliance s’ouvrit…
Garfield et le Révérend le visage fermé comme des moules que l’on vient de tirer de leur tanières sortirent du bureau.
Mutiques… autant que mystiques…
… !
… alors sanglota Elisabeth…
… non seulement vous avez réduit mes commissions de moitié… mais en plus… alors que ce projet est un authentique produit de mon université… vous réduisez le temps de paroles de notre Prophète à quatre minutes et dix-sept secondes… même pas cinq minutes… alors je vous le dis en vérité : c’est non ! Le Prophète m’a illuminé de son savoir… notre concept sera selon nos normes ou ne sera pas…
Élisabeth s’effondra… dans les bras d’un banquier qui passait pas là… ce fut la cohue… on convoqua les États Généraux contre ces Gens si peu Généreux…
Pendant ce temps les régies refroidissaient, les électrons s’atrophiaient, les techniciens se diluaient, les lumières clignotaient leurs derniers spasmes avant extinction…
Au bout de quelques minutes additionnées à d’autres…
L’électron retrouva du tonus…
Élisabeth retrouvée… relookée par l’armée de « réfectrices » exposa :
bon… j’accepte le chiffre de cinquante pour cent, pour les commissions de Garfield…
… au Révérend je propose…
… madame…
… mais…
… je réserve ma conclusion…
… mais, je n’ai rien formulé…
… vous alliez m’offrir monts et merveilles…
… c’est ça.
… ce qui me revient… c’est très aimable… alors je prends ce qui arrive…
… mais…
… on verra le résultat plus tard…
… lancez le nouveau décompte ! cria directement un directeur aux directeurs de plateau.
… ça baigne pour le nouveau décompte…
Il fallut réveiller l’ensemble de la technique réchauffer les électrons. La ruche rucha vers ses futurs rushs. Ce fut olympien…
Le directeur de plateau lança les ordres pour que rayonnent les lights, qui, tels les soleils du Nouveau Monde, inondèrent de lumière le centre de l’amphithéâtre. Les douze acteurs se placèrent chacun sur un siège au pied du podium. Une armée de personnages : scripts, maquilleurs, tireurs de câbles, porteurs de gobelets… somnolaient enfin légèrement ankylosés par cette attente rare…
Le Révérend avait disparu…
Le doyen était bien là, assis sur un siège Louis XV revisité par le design d’un décorateur de Pennsylvanie. Il était heureux, jovial, réjoui, il avait totalement oublié la présence du sauveur de ses pourcentages…
Élisabeth, suivie par ses deux maquilleuses qui l’embaumaient parfois d’un nuage de Sent-Bon de la rue Cambon, n’attendait plus que l’arrivée du Prophète pour lancer la première séquence…
… rien à foutre, on n’est pas en direct… souffla un directeur de la direction de la réalisation… tu lances… on verra au montage !
Alors, elle lança…
Et ce fut un immense lancement…
La porte côté cour à droite du plateau s’ouvrit en grand par la magie des pouvoirs surnaturels, car elle était gardée par des montagnes musclées qui ne virent rien venir et laissèrent faire…
Le Révérend entrait en guidant Graceful qui connaissait le chemin, avec Chouchou à ses côtés, suivi par huit dindes qui glougloutaient à qui mieux mieux, cornaquées par un renard des steppes. Enfin, une équipe d’Indiens algonquins maquillés, en tenue traditionnelle, munis de tambours fermait la marche sur le sentier de la guerre…
Dans les cimaises et sur les bancs publics, ce fut un triomphe…
Sur le podium, le doyen jubilait, il avait sa revanche.
Ah ! il était fort, le Révérend…
Le plateau s’éclaircit soudain, car la technique en mal d’intervention eut peur d’être agressée par les dindes qui voulaient une place sur l’image.
Graceful, occupait le meilleur angle, avec son pompon entre les deux cornes. Et pour bien marquer sa joie, elle poussa un barrissement homérique qui précipita le directeur des sons hors de sa cabine le casque à la main en se tenant les oreilles, il hurlait que ses micros avaient explosé…
Élisabeth semblait épuisée, réfugiée derrière un banc de la première rangée. Dans la déflagration, son maquillage était passé de la dynastie assyrienne à l’époque romaine version Pompéi en éruption ; elle avait perdu ses maquilleuses qui fuyaient devant les dindes, elles attaquaient tous ceux qui entraient dans le champ des caméras…
Pendant ce temps, les cadreurs furent bousculés, mais tinrent sur leur socle. Seul un technicien eut à subir une déclaration d’amour d’une dinde qui le trouvait mignon. Elle s’était entichée de lui, elle ne le quittait plus, lui titillant les mollets.
Dans le car-régie, les magnétos tournaient à plein régime. Le script était dépassé, explosé, transcendé, c’était une création totale créativité, voire en récréation. Les techniciens jubilaient, ils en avaient marre des scripts et autres story-boards concoctés par des fonctionnaires. Enfin, ils avaient du nouveau, du splendide, de la passion… biblique.
Les dindes s’intéressèrent subitement au podium et s’y installèrent, faisant fuir les invités, qui refluèrent sans combattre. Le doyen fut épargné ; il resta en place sur son siège derrière un micro. Graceful voulut aussi monter sur le podium, au risque de passer à travers à cause de son poids. Finalement, elle retrouva son coin de jadis et, en vraie diva, elle se posa face aux optiques des caméras.
Quant aux Algonquins, ils prirent la place des acteurs pleutres qui avaient déserté le monde autochtone. Au signal du Révérend, ils attaquèrent un chant indien scandé par leurs tambours, ce n’était pas prévu. Ne sachant que faire, le modérateur qui devait diriger l’émission posa son séant sur un fauteuil. Après tout, il était payé pour être présent, pas pour imposer une nouvelle mouture – ce qui tombait bien, car le story-board était dépassé.
La régie avait prévu trois chasseurs de mouches, ils arrosaient copieusement l’espace de DDT parfumé à la lavande…
Pendant ce temps, les gradins s’étaient peuplés. De mémoire d’étudiant et même de non-apprenant, nul n’avait vu un tel spectacle – et chacun de pouvoir dire plus tard :
« J’y étais ! »
La mélopée des Indiens algonquins n’avait ni queue ni tête, car plus personne ne parlait l’innu-aimun qui était la langue de ces gentilés autochtones. Et parce qu’elle n’avait ni début ni fin, elle s’étirait en longueur sous les vivats des badauds. Les flashs des portables crépitaient, les tambours tambouraient, les dindes dindonnaient en chœur une symphonie de glouglous hérissés d’harmoniques. C’était sublime…
Élisabeth était effondrée. Le doyen tapait des pieds ; il pactisait, il avait cueilli une plume sur une coiffe qu’un ancien lui avait concédée et il l’avait calée entre son oreille et son appareil acoustique qui rayonnait de décibels… enfin !
Nul ne connaissait la suite du programme…
Une vague, de fragrances, venant des steppes dans lesquelles se conjuguaient au présent les flatulences de Graceful, les fientes piétinées des dindes et les remugles des vieux cuirs indiens, flotta sur la piste… un long bourdonnement de mouches suivit.
Au bout d’un moment, qui parut très long à certains, fort divertissant pour d’autres, exécrable pour les bégueules, le son des tambours déclina lentement et cessa…
On mesura à quel point le silence permettait d’apprécier jouissivement la musique qui venait de s’éteindre…
Élisabeth se releva, mue par un instinct de conservation surhumain en cet instant œcuménique, elle tendit son visage à une troupe de rafistolage qui la requinqua alors que le modérateur tentait d’installer la nouvelle séquence. Elle se dressa, sublime et parfumée, pour diriger une scène qui lui tenait à cœur…
Mais à ce moment le Révérend prit la parole… enfin.
En ce jour…
Mais il ne put aller plus avant dans son sermon, qui n’en avait pas encore le nom, car, sur les bancs de l’amphi, une chorale de femmes noires : les Pentecotswifes  entonnèrent un chant religieux :
« À la gloire du seigneur ! » que les dindes reprirent en contrepoint. Les caméras, n’étant pas prêtes à se tourner vers le public, pivotèrent. Il fallut que le directeur de la photo se rebelle contre les diaphragmes afin qu’ils s’ouvrent sur ce Nouveau-Monde pour que le people pût voir.
Alors les écrans s’illuminèrent et le public frappa des mains, des pieds, des pupitres comme de vrais potaches, et puisqu’il était interdit d’interdire, on ne s’interdit aucune expression interdite…
Le chant fut salué et le Révérend repartit à la conquête de la parole…
En ce jour
Il fut à nouveau interrompu par un chant d’un second groupe. Il descendait en ondulations des gradins et envahissaient le pied de la tribune où Garfield béatifiait son futur…
C’étaient les Évangélistes-mutantes… des LGBT+plus aux roucoulements roucous-lents… sous la houlette de Thomas leur Saint Patron…
Élisabeth était retombée dans un dédoublement de sa personne qui la faisait lentement sombrer tel le Titanic dans les abysses. Les maquilleuses regardaient avec effroi leurs boîtes de crèmes vides. L’horreur devenue réalité !
En ce jour radieux
Lorsque le micheton du doyen prétexta que cette minute était la sienne, il entra sur le plateau, vêtu d’un string, bien ! bien étroit derrière, couvert d’une petite jupette devant. Ce fut sublime, le biquet présentait sa ligne de vêtements… en froufrous… soyeux… Zzzzzzzoli-cœur… les caméras virèrent au rouge… d’émoi…
Garfield était aux anges…
Mais les dindes ne l’entendaient de la même oreille, le Zzzzoli-coeur occupait un peu trop d’espace et dans un grand mouvement elles se liguèrent contre le girond, qui décampa, laissant admirer deux fesses, bronzées, dorées, à peau de miel… ce cul fit un tabac.
Le Révérend étendit les bras devant lui comme pour apaiser les foules…
Il y parvint…
Graceful le remercia d’un beuglement affectueux qui tira les larmes de tous les spectateurs… sauf au preneur de son…
« … radieux donc… ! »
La foule consentit à l’écouter dans un silence religieux que seule la dinde qui avait le béguin pour le cadreur perturba. Elle le titillait toujours… allez savoir pourquoi…
« … radieux donc !
… si cette dinde veut bien poser son solilesse… » suggéra le Révérend.
Ce qui eut deux effets : primo, la dinde écoutant le Prophète, obtempéra ; secundo, le peuple se signa – car un Révérend qui impose ses ordres à une dinde, eh bien – c’est quasi surnaturel ce guy là pourrait faire une immense carrière dans la politique.
L’adoration était proche…
et tel le prophète…
« Gentilés, il est temps que le peuple s’éveille. Aussi, je rends grâce à la bienveillance de notre doyen qui va nous offrir son sermon du jour…
… halte… ici, on avait prévu, interféra Élizabeth, un spécialiste du développement des investissements dans la recherche des molécules, pour que le sol soit aussi sain que saint… venez Monsieur…
… une pluie de cannettes de bières de boites de coca et divers contenants qui étaient vides de contenus s’abattit sur le spécialiste qui quitta les lieux sous la bronca.
Élisabeth sanglotait…
Le doyen se leva doctement. Sa plume frétillait… celle du chapeau bien sûr…
Il dégrafa hardiment son col de chemise – ce qui le rendit un peu canaille…
Son petit ami se pâma, quelque part planqué derrière les deux montages de muscles en costume de gardes… par crainte des dindes…
« Il est zzzzzi beau mon Jr. ! » dit-il en pensant entre autres chèques de ce cirque…
Nonobstant, Akio, discret, perdu dans la foule, n’en perdait pas une miette. L’Olympus et le manu-script chauffaient au rouge.
Il notait les élans et les soupirs des cœurs à la gloire future du Révérend… il nota bene… que le Révérend dans un sublime élan de compassion retint son discours qui resta divin parce contenu dans les profondeurs de l’être… où il se bonifiait…
« C’est à ça que l’on reconnaît un Prophète…
Fermez les guillemets du manu-script…
Garfield poursuivait…
« Merci à toi, Révérend, de me donner l’instant sublime qui nous rappelle qu’ici, sur ce sol, vivaient en liberté ces nobles êtres : bisons, bisonnes, veaux, dindes, indiens qui cohabitaient sans querelle aucune, si ce n’était pour se nourrir…
… mais qui…
A ce moment… l’oracle-du-coyote jeta son appel à la meute… le museau en l’air… il poussa le fameux cri de guerre qui dura deux minutes montre en main… il fit trembler les spectateurs… autant que les micros…
… Junior… tu l’avais oublié dans ta liste… souffla Josef…
Et Garfield de réaliser un bis quant à son introduction…
Il poursuivit…
… mais qui peut prétendre ne pas se nourrir ? Je vous le dis sans aigreur d’estomac. Dans cet éden originel, ils auraient vécu ainsi des milliers d’années si nous n’étions point venus pour élever leur standing… et l’élévation de leurs âmes…
Oui, nous arrivâmes pour répandre l’amour du prochain. Hélas, ces peuples se rabougrirent, il ne reste plus que des fossiles. Rendez grâce au Révérend de nous les avoir révélés avant que nous-mêmes n’allions rejoindre le Seigneur…
Pendant que le doyen parlait, il se passait une révolution dans l’équipe de tournage : un homme en costume trois-pièces denim s’approchait d’Élisabeth pour lui souffler sans doute une prière à l’oreille…
Mais c’est bon ça ! murmura-t-il.
… tu crois ?
… oui, ça donne un parfum œcuménique transcendantal aux spots pub. Imagine, ils deviennent saints. Oh, j’imagine déjà un découpage sublime. Il faudrait brancher un spot sur le Révérend, tu vois ce que je veux dire ?…
Elle voyait et les spectateurs le verraient, plus tard, peut-être, aussi.
Ragaillardie par cette lumineuse innovation, elle héla le directeur des spots qui avait la solution…
… discret… isn’t it?
… and what more ?
… go !
Et une troupe d’électros monta l’électron sur une flèche électrique articulée qui délivra une divine lumière au-dessus du Révérend…
… une mise en scène, style rayons de soleil dans les forêts de Bavière… profondes… mystérieuses… tu vois… ?
you mean romantic…
that’s it…
Ce fut : méphistophelien…
Le doyen fut inondé de photons collatéraux dont le centre rayonnait sur le Révérend… Garfield, inspiré… soupira… une inspiration… incantatoire…
« … tous ces êtres indigènes avaient cru au discours des Pères du Mayflower qui avaient faim et soif d’absolu… Eh oui, absolument… tellement absolu que bien des naïfs terminèrent sur un feu de bois comme rata de ces envahisseurs dont nous sommes les héritiers. Alors devons-nous accepter ce diktat antique ? Il faut offrir plus que de la repentance, c’est un lavage de conscience, une volonté de renaître, avec ceux qui restent, après cette catharsis à laquelle je vous invite. Chantons avec nos hôtes, leur présence nous ôte le poids de nos offenses jetées à jamais dans les hottes des abysses profondes pour ne plus pécher… »
… tu crois pas qu’il en fait trop ?…
… on coupera au montage… !
… il devient gâteux, non ?
… c’est pas ton problème… après… c’est le rancart…
… j’ai mis trois caméras pour les meilleurs angles…
… pense à l’audience… après tu prendras ton masque de joie ou de regrets !
Alors le doyen Garfield se jeta dans les bras du Révérend, qui jusque-là n’avait pas dit grand-chose.
Mais c’est à cela que l’on reconnaît les Révérends-Prophètes : c’est quand ils ne disent rien qu’ils sont les meilleurs.
« Je l’avais déjà écrit… » souligna Akio.
Le peuple applaudit…
Alors, s’éleva un troisième chœur de vierges noires en chasubles violettes. Les Born Again Sister’s entonnèrent un gospel à la gloire du Lord, qui fit pleurer le peuple et les dindes. Graceful avait faim. Après avoir tété, Chouchou alla gambader comme un petit espiègle… qu’il était…
… on se demande pourquoi on tire des story-boards au cordeau, le scénariste ça coûte un prix fou, tu les laisses jouer, tu rushes, puis tu coupes… observa un financier.
… les syndicats imposent leur grille, la parité guy-femelle-LGBT… celle des colored…
… O.K boy…
La plume de Garfield s’était dépréciée dans les étreintes avec le Révérend. Alors un vieil Indien s’inclina pour poser sur le crâne du doyen une coiffe authentiquement Indienne qui, jadis, nécessita le sacrifice de quelques aigles, ce fut un moment biblique…
On pria devant ce don De Soi – les plumes en vibraient encore d’émotion…
Garfield Jr. avait l’air d’un desperado du Wild-West. Il était fier. Son petit ami avait enfin sorti son portable et le mitraillait, coincée entre les deux gardiens du temple.
Puis, nous arrivâmes au clou, c’est-à-dire à la communion des présents dans une sanctification oratoire.
Le Révérend causa enfin… entouré de Graceful… Chouchou… les dindes et le coyote…
« Je suis venu vous rappeler que nous sommes tous atteints d’anthropophagie chronique sans nous en rendre compte. Nous le faisons en toute innocence, ce qui est grave, car nous ne savons plus…
« La Bonne nouvelle » ne vous demande pas d’adhérer à une nouvelle chapelle, elles sont toutes corrompues, même celles qui ne se réclament pas de l’Esprit Saint…
Je vous demande de revenir aux choses simples qu’il n’est point nécessaire d’énoncer, au risque de les démonétiser…
Il est temps que nos sens s’apaisent, reviennent à l’essentiel… l’instinct humain seul doit exprimer son message profond…
Nous allons rendre l’espace à nos amis…
Nous allons redonner la voix aux cœurs douloureux…
Nous allons vivre en harmonie avec nos sœurs et frères…
Nous allons rejeter les diktats qui surveillent nos moindres gestes…
Nous allons nous élever contre les organes qui tissent des écrans de mensonges…
Nous allons virer les églises qui nous bouffent notre raison…
Nous allons déboulonner les statues des esclavagistes…
Nous allons aimer nos sœurs et frères au-delà des mers… oui, même ceux qui vivent en Russie…
Nous allons entendre les voix des Tortues blondes, porte-parole de ces peuples…
Allez en paix ! »
Le vacarme était tel que les techniciens dans le car-régie eurent des tumeurs aux tympans… Il fallut les soigner sur-le-champ.
Dans l’amphi, on se levait. Le lien était lié. Mais d’autres ne le voyaient pas ainsi… Ceux qui avaient préparé un discours se rebellèrent. On s’invectiva, on se toisa, on se jura que l’on ne les reprendrait plus…
Mais que voulez-vous faire contre une marée humaine qui communiait ? Nul ne s’arrêta aux petites mesquineries égocentriques. D’ailleurs, les dindes y mirent le holà ; elles expulsèrent les contrevenants loin du point d’orgue obtenu… non mais !
Et le peuple se mélangea sur la scène. On porta le doyen qui perdit quelques plumes, recueillies religieusement par des thuriféraires gentils-garçons passionnés qui voulaient supplanter le coquin-mignon toujours planqué derrière les montagnes de muscles en costume…
Le Révérend fut hissé sur les épaules des chefs Indiens colonisés par des quidams. L’élan collectif était chaleureux.
Personne ne savait pourquoi, mais le cœur y était, c’est le mystère de la psychologie des foules que de s’enflammer pour une image forte… une bisonne et son veau… cette même foule, jadis, descendant du Mayflower les aurait occis sans états d’âme pour les bouffer.
L’heure s’était avancée dans la nuit. Le cœur gros, il fallut quitter les lieux, car les techniciens venaient d’entrer dans un autre cycle horaire qui triplait leur salaire – ce qui n’était pas pour réjouir les comptables qui comptaient…
Du côté de l’université, on était confronté au même problème avec les éboueurs, les nettoyeurs, les techniciens de surface et les femmes de ménage qui attendaient au gard’à’vo’, en silence dans les couloirs au pied de leurs appareils au repos. Pour eux aussi, les heures sup allaient leur procurer quelques dollars supplémentaires sur la feuille de mendicité.
Alors, ils bénirent le Révérend pour cette augmentation…
Au milieu du plateau, les techniciens replièrent les spots, les supports d’aluminium et les praticables, parmi des câbles qui couraient au sol et autres vestiges de la journée : gobelets, bouteilles, sacs de pop-corn, serviettes en papier et quelques flaques de Coca qui collaient aux pieds… dans l’espace devenu un nouveau théâtre des pleurs…
Les dindes s’en réjouissaient, elles n’avaient jamais été aussi guillerettes, tout comme Garfield, le Jr. avait vécu une belle journée, après son caprice de première heure.
Il n’en était pas de même pour les acteurs-intervenants qui crièrent au lèse-mutisme…
« Ça fait vingt ans que je travaille sur ce produit qui a attiré des générations d’étudiants dans ce lieu. La fac s’est engraissée sur le dos de ces inscrits, et voilà ce que j’endure : poireauter derrière le cul d’un bison…
… c’est ben plus noble que le cul d’une vache ? s’esclaffa un techno aux anges…
Élisabeth était méconnaissable : son rimmel s’effritait, s’écornait, se pelait. Les maquilleuses qui l’encadraient, telles les vestales antiques, avaient sorti un éventail et l’agitaient pour éviter la débâcle et chasser les mouches qui, attirées par la chair animale, se pourléchaient les mandibules. Une troupe de comptables comptaient les comptes ou plus exactement décomptaient le mécompte.
Les directeurs des pubs se ruèrent sur Élisabeth et juraient qu’au montage on allait insérer le spot promis. L’un d’eux glissa sur une fiente de dinde, tomba et hurla que l’on venait de salir son beau costume et sa réputation. Les rôdes ne se pressaient point, mais se pliaient en deux pour mieux en rire tout en repliant les câbles qu’il fallait nettoyer.
Par un étrange hasard, le chantier avait rassemblé des dizaines de professions qui jusque-là s’ignoraient totalement…
« C’est le bienfait de l’œcuménisme… ! » s’extasia le doyen qui avait conservé sa coiffe de plumes…
Il était entouré de quémandeurs qui quémandaient des quémandations
« Je sais… je sais… moi aussi, j’avais fait un rêve… » répliqua Garfield dans un spasme.
Sur le podium, les Algonquins avaient relégué les chaises. Ils étaient assis en cercle selon la tradition et fumaient tranquillement le calumet… en paix. La dinde qui avait eu le béguin pour le cadreur se consolait avec une bouteille et un sac en carton d’un hamburger qui ruisselait d’Heinz Tomato Ketchup authentique. Les autres volatiles baguenaudaient de-ci, de-là en se dandinant, cherchant à picorer quelques restes, car la journée avait été longue et ces dames avaient faim – et une dinde qui a faim est très susceptible. Plus loin, Graceful s’était lâchée de plusieurs bouses qui emboucanaient l’espace.
Ce fut le signal du repli et l’arrivée des éboueurs…
Le bourdonnement cessa lorsque Élisabeth, pendue au bras du doyen, toujours coiffé des plumes d’aigle, suivi par la meute des crieurs de doléances, quitta le plateau… Enfin seuls !
Ne restèrent alors que les natifs de cette contrée du Wild-West. Sur le seuil des portes, les boueux risquaient un œil, craignant de se faire écharper par quelque sauvage, non tout était calme…
Le Révérend avait réintégrer son peuple assis à côté d’un chef algonquin, il méditait assis en tailleur… il avait la taille à ça.
Alors, s’approcha un gentilé du lieu en costume et casquette…
Prudent, il soumit son message au groupe :
« Saint homme Révérend, il serait comment dire… sain… que vous puissiez vous retirer car vous devez être fatigué, afin que nos pauvres personnes aient l’espace pour réaliser le nettoyage… des lieux… cela dit sans vous fâcher ! »
Ils se regardèrent quelques secondes, le temps de réfléchir… Puis :
« Hugh ! » dit un chef.
Sans doute, le directeur des chefs Indiens…
Alors, ils se levèrent, avec prudence comme tout Indien sur le sentier…
Et dans le quart d’heure qui suivit, la troupe avait disparu…

 

« Il est fort, ce Révérend ! fut la dernière sentence qu’Akio entendit et qu’il consigna dans le manu-script. J’étais le dernier à quitter l’amphithéâtre en serre-file consciencieux, laissant la place à l’armée des surfaceurs qui allait faire exploser leur feuille de salaire. Et ils bénirent le Révérend ! »
Il était quelque part un instant de la nuit lorsque Rosalie fit son entrée dans la cour de l’hacienda. Graceful jeta un cri de bonheur dans un doux vagissement qui remua les étables. On put mesurer la chaleur de cet accueil d’après les rudes ruades et hennissements des juments, des hongres, des entiers, des foals et des appaloosas… qui saluaient la prestation de la bisonne. Les dindes se précipitèrent vers leurs cantines qui regorgeaient de grains. Dans la grange, la forge rougeoyait encore, preuve que Gottfried venait à peine de la quitter. On remisa Rosalie et sa sœur jumelle prêtée par un cousin retraité, un Navajo…
Enfin, toute la clique entra dans le grand salon des pas perdus, où la vie ne s’arrêtait jamais. Les Indiens se rassemblèrent sur leurs peaux de bêtes. On mit une bûche sur les braises. Une tante qui veillait, servit quelques viandes rôties et des nouilles à la façon traditionnelle indienne – une nouveauté vue à la TV.
Akio prit place sur l’Eckbank
Le Révérend méditait…
Le fauteuil gothique de Gottfried était vide, enfin soulagé, au repos, les bras grands ouverts… il « le valait bien ! »
« Loin dans la ville, les clameurs ne s’étaient point tues, tudieu ! Les gazettes, les revendicateurs, les sectes, les cliques, les lobbys fourbissaient leurs armes. Dans l’intimité du doyen, enfin, le petit ami avait coiffé les plumes de l’Indien et c’est déplumé, à poil donc, qu’il évoluait dans l’univers de Garfield qui n’en pouvait plus, vidé par la journée et par la donzelle qui lui comptait ses billets verts.
Si vous voulez savoir comment tout cela va se poursuivre, eh bien, lisez la suite, car la réalité dépasse la « friction »… à savoir le show montée qui sera retransmis la semaine suivante… peut-être une « fluxion » qui dépasserait largement la réalité de « l’émission »… mais l’idée était séduisante ou le contraire ! »
Bien que très fatigué… Akio se pencha un long moment… sur le manu-script… il hésitait… puis il rajouta… il me semble avoir vu un être qui ressemblait furieusement à Barnaby… Parker… Georges… ai-je bien vu… que faisait-il là… « in cognito »…   

                                                       Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités...
                                                                                  L’Ange Boufaréu