37 Soirée TV à l’Hacienda…

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37… Soirée TV à l’Hacienda… la tribu est devant l’écran pour le show TV de « C’est aujourd’hui » dont la captation avait eu lieu quelques jours plus tôt.

« En ce jour, dit le manu-script d’Akio, l’activité de l’Hacienda fut inoubliable

Gottfried venait enfin d’installer une première gouttière, la voie centrale sur laquelle les autres se jetteraient pour recueillir l’eau « source de vie » avait écrit le poète. Le soleil se perdait quelque part vers le couchant. Les Indiens autour du feu lisaient les histoires du temps de Sitting Bull éditées en feuilletons offerts après l’achat du dixième hamburger au 801, Allegheny Avenue. Les tantes préparaient le Eckbank.
La tribu travaillait au second grand ravalement du salon, ce chef-d’œuvre d’organisation dit : Osterputz ou grand nettoyage de Pâques, célèbre dans tous les foyers Germain…
Gottfried avait éructé :
« Aber wir sind noch nicht an Ostern »… mais nous ne sommes pas à Pâques…
« C’est pour ce soir… ! précisa Yépa…
« Wer kommt ? qui vient ?
« C’est aujourd’hui » l’émission du Petit…
« Ach Mensch ! … expression idiosyncratique… exprimant la surprise germaine !
Les oncles paternels avaient pris une douche en plein milieu de la semaine, ils sentaient l’Eau de Cologne. Yépa, tel un elfe, avait revêtu sa dernière robe en peau de génisse, dont la texture était proche d’un tissu de soie, le cuir fin était tanné selon les techniques des Algonquins.
Yépa pouvait transcender une peau de génisse – la métamorphoser en un sublime produit. Et savoir que cette robe serait peut-être, sans doute, sûrement, la dernière produite… car ce savoir ancestral allait se perdre à jamais, on n’en était que plus admiratif…
Gottfried tardait à revenir au sein de la tribu. Dans la cour, il admirait, lui aussi son œuvre qui se profilait sur le ciel du soleil couchant. Il attendait le dernier rayon… enfin, il vint luire sur le zinc.
Libéré, le patriarche entra dans le cercle, il avait pris, lui aussi sa douche, il avait revêtu la chemise de laine le pantalon de laine et les bretelles de cuir fauve. Elles lui donnaient l’air d’un antique trappeur échoué au milieu d’un pow-wow.
Le feutre bien calé sur l’occiput, il conjuguait son unique plume de corbeau avec celles des aigles des Taureaux-Assis… Nuage-Sombre… Gazelle-Gracile… Castor-Edenté…
Certains prirent place sur le Eckbank… dont on rappelle la forme… un banc en équerre, calé dans un coin de la pièce derrière une table… le tout est en bois massif… intransportable… soulignons que le banc possède un côté à quatre places quant à l’autre il est à place unique…
Là… Gottfried posa son séant… »
À présent, nous sommes en live : le peuple est au complet pour ce préambule festif… Il y avait donc comme toujours à l’Hacienda, deux groupes :

  • les Germains et leurs collatéraux installés d’un côté autour de l’Eckbank
  • les Indiens de la steppe assis en cercle sur leur tapis de bête près du feu…

 

Parfois les repas étaient identiques, la dégustation restait propre à chaque culture… Les Germains disposaient d’assiettes en rapport avec leurs capacités gustatives le tout étant assorti de fourchettes et de cuillères pour le bien manger… sans oublier la chope couverte d’un couvercle…
Le trait d’union avec les Indiens restait le couteau qui se dépliait pour couper la viande dans l’assiette, puis se repliait d’un claquement sec à la fin des agapes, selon le rite… quant aux assis des steppes, ils portaient le bout de viande rôti à la bouche et tranchaient net la becquée sélectionnée par les incisives… enfin en principe, car beaucoup d’Anciens avaient perdu quelques touches de leur salle à manger…
Il fallait alors servir des émincés dans des assiettes, ce qui était le rôle des tantes indiennes…
Dans l’ensemble donc, on rapprochait les techniques sans mélanger les rites. Akio calcula qu’il faudrait au bas mot, trois à quarante siècles pour que l’on ne distinguât plus l’origine de ces deux communautés – à preuve, les coiffes des chefs portaient déjà des plumes…
Bref, on s’acheminait vers l’œcuménisme des couvre-chefs…
En attendant, les papilles goûtaient la choucroute, qui ravissait les édentés de toutes confessions. Les pommes de terre fumaient, les lards fumés fumaient tout autant,  mais le clou parfumé de ce mets fut quand même la rencontre des autochtones avec une baie qu’ils avaient oubliée : le genièvre, car c’est de lui dont il s’agit, ils le redécouvraient par la grâce Germaine et le chou fermenté.
Les feuilletonistes ne l’avaient pas mentionnée… ils l’avaient oubliée…
Ce fut un moment fort d’émotion – car c’est à ce moment-là que l’on perçoit tangiblement la fuite du temps, la dérive des continents ainsi que l’incontinente faiblesse de la chair que la mémoire fuit à cause de quantiques fuites.
… c’est triste ! soupira un oncle dont c’était le premier mot du jour.
… ça a déjà commencé ? répliqua son voisin.
L’heure de l’émission approchait et les tantes accélérèrent le bal de l’ordre en récurage pour que le plateau fût net afin d’y étaler les fruits confits, les fruits secs, les gâteaux, les crèmes fouettés, le café, le thé, les Strudel, les Linzer Torte… suivis des schnaps.
Enfin, tout fut prêt. Gottfried quitta le Eckbank pour le grand fauteuil gothique dont les deux appuie-main étaient lustrés par les ans. Songez qu’un multiple de quatre générations avait posé leur séant sur le cuir vert pour lequel on avait tous les égards – il était recouvert d’un tapis qu’un oncle avait ramené du Pérou…
Le peuple attendait.
Akio était installé sur le banc derrière la table, à équidistance symbolique du Révérend, qui, comme à son habitude, était assis sur le tapis de la tribu non loin du feu…
Et soudain…
Gottfried avait fait installer un écran de quatre-vingt-cinq inchs, soit deux cent seize centimètres de diagonale… il fallait du recul… pour le peuple assemblé…
L’image jaillit…
… c’est pour voir le petit ! avait claironné le Vater au vendeur… le voyage avec Rosalie fut une expédition… un oncle Germain et sept chefs Indiens montèrent sur le plateau… sans armes… sur le sentier du Supermarché…
Le peuple admira d’abord l’appareil, puis l’image qui se tortillait sur sa surface. Gottfried pianotait la télécommande, mais il commit tant d’erreurs que ces dames lui tombèrent dessus. Chacune avait son idée. Yépa se retira du jeu. Un oncle qui savait tout, éteignit l’écran par erreur, ce fut la consternation…
On demanda à Josef qui s’était endormi…
Alors Akio proposa humblement son aide : pourrait-il apporter un de ses infimes savoirs… Gottfried consentit, la tribu était haletante de voir…
Et l’image fut…
Le résultat réjouit la famille…
Le Révérend rêvait…
Gottfried boudait…
Soudain, une apparition féminine annonça d’une voix suave que la future séquence serait le bulletin météo…
Alors le peuple se complut dans un silence religieux…
Allait-il pleuvoir ?…
Gottfried ronchonna… il n’avait posé qu’une gouttière… Scheiß Wetter souffla-t-il. (que l’on peut… si… si… traduire par : Temps de merde!)
Alors un conciliabule s’organisa entre les chefs, ils conclurent qu’un des leurs avait vu des lueurs au lever du jour qui contredisaient l’affirmation… de pluie…
« encore un ragot de Blanc pour nous forcer à acheter des Regenmantel » souffla une tante qui avait déjà acheté cinq manteaux de pluie.
Un oncle prenait à témoin ses rhumatismes en disant que c’était certain, la pluie allait venir. Puis, l’image se transforma en une splendide rose des vents et la carte annonça qu’elle ne savait pas, mais que peut-être si on voulait bien, que, sans doute.
Le peuple était déçu par l’approximation d’un appareil si couteux… puis on se ravisa, car l’écran ne donnait tort à personne, on fut satisfait.
La soirée s’annonçait bien.
On fit silence…
Quelques voix se plaignirent qu’on n’entendait pas bien. Akio augmenta sensiblement le volume. Le peuple fut heureux qu’une telle compétence soit entrée dans le cercle de famille. Et pour une fois, on loua le mélange des cultures…
À présent, motus…
« C’est aujourd’hui » lança son générique.
La tribu pénétra intensément le rythme. L’écran était couvert d’écrits qui défilaient : ce fut le premier moment d’angoisse devant cette page de lecture…
… ça dure combien de temps, ça ? émit un chef qui tira sur sa pipe éteinte (captivé par l’écran, il avait oublié de téter)…
… chut ! répliqua une épouse qui croquait des graines de courge.
Après le générique de début qui récompensait les créateurs des graphismes rutilants-tortillants et surtout des annonceurs qui annonçaient…
La séquence s’ouvrit sur un plateau, une sorte de scène en forme d’hémicycle qu’aucun spectateur n’avait imaginée.
Les spots de toutes les couleurs tournaient à des vitesses cosmiques, se croisaient et formaient un pont de lumière, qui donna l’idée à Gottfried de faire de même avec ses gouttières au-dessus de la grange. Un oncle germain prétendit avoir vu ce même décor lors d’une convention démocrate d’un futur président, il ne savait plus lequel…
… les mêmes jeux de lumière…  il y avait des ballons qui tombaient du ciel…
… moi, je suis républicain… je veux pas de ballons affirma Gottfried.
Or, tous connaissaient cette histoire tant de fois racontée. Heureusement, l’image suivante ne proposa pas de ballons mais un bonimenteur qui vint sous les feux dire son admiration… sur quoi, au fait ?
… qu’est-ce qu’il dit ? questionna un chef Algonquin qui avait chaussé ses lunettes pour rendre vie à ses pupilles… il avait tant surveillé les pistes contre les cow-boys !
… il parle de la nation… répliqua une tante.
… laquelle questionna un Comanche…
… c’est quoi la nation dit un Sioux…
… on ne va pas entrer dans ces questions, on regarde on posera les questions plus tard, on attend le Petit… s’emporta une tante Algonquin qui grignotait un Linzer-Torte…
… moi j’aurai oublié la question…
Le chef secoua la tête…
C’est à ce moment que l’on vit le campus. Juste après celui qui encensait la nation vint une annonce publicitaire sur les vertus de certains fertilisants-désherbants-engrais.
Ils enseignaient que le sol coopère naturellement avec les organismes qui le fertilisent, mais il avait parfois besoin de soutiens afin de le « booster ».
Alors, on vit apparaître des graines de soja appétissantes et de séduisants épis de maïs qui provoquèrent la réaction pavlovienne attendue : les tantes distribuèrent les épis bouillis pour ceux qui mâchonnaient et les rôtis pour ceux qui croquaient…
… il est où Josef… clama Gottfried !
Le Révérend, la tête posée sur un tronc de bouleau… dormait.
… ça c’est le campus… dit Yépa.
… regarde !
Et là, sur le parking, on vit Rosalie…
Rosalie était un membre de la famille et tous par mimétisme se voyaient sur le campus de l’université…
Ce fut le ravissement…
Le panoramique fut admirable. Après le parking, on vit les couloirs de l’amphi qui grouillait de monde, car « C’est aujourd’hui » voulait démontrer son audience planétaire par la magie de l’image.
… où est Graceful ?
… chuuuuuuuuut !
On revint au centre du plateau posé au chœur de l’hémicycle. Là, assis, le doyen se tenait derrière une sorte de bureau qui masquait ses rondeurs advenues. Assis à côté de lui, presque de trois quarts, le modérateur qui animait l’émission le présenta au World… Garfield était fier…
Le doyen ne se gratta point la glotte, mais articula :
… oui, merci, je suis toujours professeur, mais surtout président… n’est-ce pas ?… Un président a des responsabilités colossales… car…
… effectivement, vous êtes la tête et les jambes… c’est sûr… Et comment vous est venue cette magistrale idée de ce retour à la nature vers les terres qui virent et voient toujours nos ancêtres ?…
… c’est qui ce guy ? cria Gottfried…
… c’est vrai, il faut le dire…
… nous le disons, et maintenant une page de nos annonceurs… car vous avez noué des relations fortes, n’est-ce pas, Doyen ?…
… oui, très fortes !
… eh bien, voyons cela…
Les spots-pubs s’enchaînaient, dans des ciels splendides, des champs à perte de vue alignaient des jeunes pousses de plants d’un vert tendre. Rien ne venait rompre cette harmonie : pas une éolienne, pas un bâtiment en béton, seul un oiseau entra dans le champ de la caméra… un miracle, bref, un nirvana graphique !…
Le jardin d’Éden sur la terre étasunienne de l’Ouest !
Puis vint en surimpression, un homme costumé en paysan en casquette et divine tenue de Terrien Traclak bien propre, tel un être cosmique, il dosait une géniale poudre qu’il versait, poussée par le vent, dans un bac aux armes du producteur – le tout sous un rayon de soleil rasant qu’un prisme optique correctement vissé sur l’objectif de la caméra donnait un sublime effet.
On fut séduit par la musique bucolique. On crut même entendre les grillons tant l’évocation était parfaite.
Puis se succédèrent des sommités qui assommèrent… de sommeil… la somme des téléspectateurs…
… on l’a payé cher, cet écran ?
… ça dure combien cette émission…
… une heure vingt… dit le journal…
… tu es sûr que le petit est là-dedans ?
… c’est presque fini… où il est ?
… tu y étais…
Akio était certain… que c’était la bonne émission… mais il ne reconnaissait pas les séquences à part l’hémicycle et Jr. Garfield…
Le peuple en voulait pour son argent. Chacun avait apporté son pécule dans l’escarcelle pour l’achat de l’écran. Ils ne s’y retrouvaient pas.
En plus, ils ne cultivaient plus autant qu’avant. Les Indiens n’avaient jamais rien cultivé, à part l’art du feu, les rythmes des tambours et les scalps. Eux, ils chassaient ce que la steppe offrait, sauf qu’à présent, il n’y avait plus de steppe et donc plus rien à chasser…
… c’est pourtant le thème de l’émission, dit une tante qui relisait le programme paru dans le Pittsburgh Week’end News…
Elle ne s’y retrouvait pas…
Soudain, on revint dans l’amphi, car avec la magie du transport et du montage, voilà Graceful qui débarbouillait son Chouchou à grands coups de langue… le peuple alors tenta de lire l’image comme on le ferait d’un article de journal, mais l’image n’a pas la même consistance qu’un texte ils n’eurent pas le temps de tout décoder : le Doyen revenait dans le studio pour prendre la parole :
« C’est ainsi que nous avons choisi ce concept pour instruire nos étudiants quant à la complexité du règne animal, car cette vie s’éloigne de nous, telle l’expansion des planètes. Or, nous avons besoin de cette communion avec la nature et le monde animal… je suis… moi… Garfield Jr. Le promoteur de ce nouveau concept… que l’on appellera désormais : cancel-culture… un must…
verdammt hurla Gottfried… er ist noch da ! ( nom de dieu… il est encore là )
… n’est-ce pas on redécouvre cette vie naturelle aussi… questionnait le modérator…
… oui, même si les publications sont vulgarisées pour chaque citoyen… car ce peuple reste très mystérieux…
… connaît-on le nombre de foyers qui prospèrent… s’unissent… enfantent… ?
… oui, on approche la connaissance, car ce peuple reste secret. Ce qui est étrange, c’est qu’il accepte le métissage, surtout avec les représentants de la Mitteleuropa.
À l’Hacienda… plus personne ne suivait le fil…
… c’est où questionna un chef…
… quoi ?
… la mittel… truck !
… loin…
Alors, s’ensuivirent de magnifiques images de l’Ouest merveilleux. L’espace n’était qu’une mer d’épis blonds et, au loin, une dizaine de moissonneuses en ligne avançaient, tel un escadron de chars d’assaut chargeant un ennemi qui se serait tapi sous les frêles tiges de blé… à côté du driver… une jeune et jolie pin-up californienne vantait la moissonneuse-batteuse… la sublime Road-field-first… construite du côté de Chicago…
Cette impression de force et de grâce était sublime…
… où sont les Indiens ?
… ben et les moissonneur-driver… c’est qui ?
C’était la victoire de l’intégration, du melting-pot du Wild-West – le rêve des Pères fondateurs posant les pieds sur ce sol fertile… les indigènes qui restent… tu les drives sur un char…
… regarde comme ils sont beaux…
Mieux que Moïse ! Il suffisait de voir l’image pour le croire.
… d’ailleurs, dit le doyen, nous eûmes leurs enfants qui comprirent l’élan de cette civilisation, le volontarisme, le charisme des pionniers ? Ces hommes nés ici se fertilisèrent au contact des arrivants qui apportaient les techniques modernes de l’Ancien Monde, grâce à notre brillante Cultural Studies boostée par l’étude de la pop culture…
… nous avons formé un homme issu de ces courants, il a suivi ce sublime cursus. Il prêche la bonne parole. Il faut revenir aux fondamentaux de la vie sur terre, n’est-ce pas ?…
Alors… la caméra panota… elle cadra en contre-plongée le Révérend qui, les bras en croix… en voix off… exhortait le peuple en surimpression dans un champ de verdure, enveloppé par une musique de spot hollywoodien pour communier dans la nature avec le dernier fertilisant des maïs transgéniques Big-green qui allaient nourrir la terre et le monde et bonifier le messianisme de Wall-Street.
Ce fut paradisiaque, mais ce n’était pas tout…
L’émission n’oublia pas de recevoir un sportif talentueux qui s’était expatrié sur le campus de Garfield.
Elle/il roucoulait sur les programmes ad hoc, la cafétéria et les conditions de vie ici en Pennsylvanie qui étaient merveilleuses que partout ailleurs dans le monde –  sous le regard concupiscent du doyen, des associations LGBT+plus
Le nouveau sacre du monde… et ses nouveaux clients…
L’émission se termina avec une séquence intitulée :
« Sur la santé ! » comme l’exige toute émission culturelle qui veut le bien de la planète.
Le petit protégé de Garfield body-buildé… sortit des blés telle une Grâce sur un vélo ultra-léger, il s’arrêta sans défaut devant la caméra afin que les yeux éblouis puissent admirer les pectoraux qu’il avait gagnés dans cette université… dirigée par le Grand le talentueux Doyen Garfield Jr. il minauda quatre seconde puis sur son bicycle stratosphérique il se retira en jetant un baiser passionné…
… zzzzze vous zzzz’aime…
Alors…
On rappela que cette terre nourricière fut transcendée par les dieux, grâce aux Winchester, avait permis de rationaliser l’élevage des bisons et des dindes, car lorsque les pionniers arrivèrent que trouvèrent-ils ?
… des steppes vides… abandonnées… où l’on pouvait vivre au rythme du… « Great Awaking of The World » (le grand réveil du monde… selon la traduction d’une tante…)
C’est ainsi que notre université s’enorgueillit d’un savoir centenaire et a permis ce développement sain de notre alimentation… que le monde nous envie.
La dernière séquence se solda par une image œcuménique où le Révérend la main gauche posée sur le col de Graceful, la main droite caressant Chouchou voyait venir à lui huit dindes et deux coyotes en parfaite osmose… en arrière-plan… quelques Indiens en tenues authentique assis regardaient le scène…
Le regard de Josef apaisa la foule traversée par un rayon lumineux du fameux spot style « rayon-de-soleil-dans-une-forêt-romantique-germaine » qu’il fallut installer en cours de manifestation.
D’ailleurs, le générique s’attarda amplement sur ce point… citant le créateur et son portable…
C’était sublime…
La musique, les spots-pubs et les titrages défilaient…
Le public restait sous le choc des images…
Ils venaient de voir Graceful, Chouchou, les dindes, les coyotes, les Indiens, le Révérend, Rosalie… mais ils ne savaient pas dans quel ordre les replacer.
Tous retinrent que le dernier surpuissant désherbant…
… pour les choux…
… les navets… aussi.
… on pourrait essayer avec le maïs…
… encore du chimique…
… c’est ça, la cancel-culture ?
… va savoir !
La soupière d’épis de maïs était vide. Des épis rôtis, il ne restait que des trognons…
Gottfried restait ahuri…
Le Révérend dormait…
Akio baissa légèrement le son…
On se regardait sans trop savoir que penser, car c’était une première, le peuple n’avait pas encore ses réflexes…
Alors, on se leva, désœuvré, frustré du peu de présence de Josef dans ce bazar…
tout ça pour ça… résuma un chef Algonquin… qui avait vu des films…
… ça… encore… émission… Visage Pâle…
Et chacun partit se poser dans ses plumes, la tête toute chaude de couleurs de lumières de rythmes and bouses que l’émission venait d’imprimer dans les cortex…
Akio assista au départ de chaque âme vers son repaire pour la nuit. Gottfried était resté dans le fauteuil gothique, il regardait l’écran éteint en secouant la tête. Les tantes vidaient le plateau en évitant adroitement le manu-script sur lequel Akio planchait encore. Les oncles germains firent claquer leurs bretelles, en repoussant leur siège du bout des fesses. Yépa veillait à chaque détail. Les chefs indiens s’étaient levés pour aller pisser dehors dans la nature comme avant. Certains revenaient prendre place à côté de l’âtre après avoir posé une bûche sur les braises. On entendait le pas des marcheurs dans l’escalier de bois qui conduisait aux espaces de repos. Les Indiens restaient au rez-de-chaussée, non pas qu’ils aient le vertige, cette infirmité ne leur était pas donnée dans leurs gènes, non, ils préféraient le plancher des vaches ou des bisons pour être immédiatement sur le pied de guerre – vieux réflexe.

Il semblerait que ce caillou soit le visage de Socrate… bien…

Quant au Révérend…
Akio demeurait la plume en l’air, avant de pouvoir élire le mot qui caractérisait cette situation…
Le Révérend dormait au milieu des chefs indiens. Akio ne se souvenait point l’avoir vu en éveil en train de regarder l’écran…
Il était assis en tailleur, la tête appuyée sur un tronc d’arbre qui avait été placé à l’horizontale sur des billots de bois. Il était entouré de coussins en cuir de bison, le visage tourné vers l’écran éteint.
Akio ne put que songer à l’image qu’il avait du Révérend là-bas, à Yokosuka.
Enfin, c’est ce qu’il pensait.
Soudain, ce fut la révélation.
Non, il était égal à lui-même, c’était l’environnement qui était différent…
Un problème d’insertion… sans doute…
Et Akio se jeta dans une analyse dans laquelle aucun philosophe ne s’était encore penché… L’être… qui est-il ?… comment est-il ?… que devient-il ?…
Tel était le mystère qui venait de tomber sur l’entendement d’Akio. Alors la plume devint alerte, car Akio, sur cette voie du mystère de l’être, se découvrait être un précurseur, un pionnier, un défricheur…
Il jubilait… Il traça cette formule :
… « Connais-toi toi-même ! » et, en écho, il entendit :
… Socrate l’a dit avant toi… murmura Josef.
… quand ça ?
… vingt-cinq siècles… au bas mot !
Cette information relativisa l’enthousiasme d’Akio…
… mais tu n’es pas obligé de répondre dans les mêmes termes que lui…
… c’est vrai… mais comment tu savais que je pensais à ça ?
… ceux qui désirent le moins de choses sont les plus près des dieux !
… au fond, dit Akio, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien !
… c’est aussi de Socrate… murmura en écho le Révérend.
… eh bien… je vais l’écrire… mais alors…
… voilà la réalité, tu ne sais rien… tu ne fais que ressasser ce que nous constatons depuis au moins vingt-six siècles… au moins.
… mais alors cette émission « C’est aujourd’hui » que l’on vient de voir ?…
… c’est du business… et… ça… ça me fait dormir… tu vois… Gottfried a acheté un écran de deux mètres seize. L’électro espion est venu l’installer. Les oncles vont acheter les derniers désherbants. Les nouvelles graines seront plantées. Quant aux bisons et aux dindes élevés en batterie, ils vont passer un mauvais quart d’heure entre deux tranches de pain en pâte de sciure arrosées de ketchup, sans oublier la rondelle d’oignon transgénique…
… mais le message…
… c’est celui-là, Akio… « Le message, c’est le massage : bouffe et tait-toi ! »
… ben…
… oui, mais ce n’est pas de moi…
… mais alors…
… alors, il n’y a pas d’issue, Akio… On est cernés…
… tu as vu Akio, comment on a été récupéré par le doyen, ses annonceurs, ses mignons, ses comptables… maintenant tu sais Akio… ce qu’est la Bannière étoilée… une vaste tarte à spots pubs… des tartines de merde… maintenant tu sais…
Souviens-toi de Barnaby… lui aussi, il est venu pour me flatter… m’enrôler dans ses cadets… il avait besoin de moi… c’est tout.
Maintenant qu’il a sa première étoile, il veut la seconde.
Garfield Jr. va devenir Doyen émérite.
… et toi Révérend ?
… c’est toujours le même scénario de l’éternel retour… drapé dans d’autres couleurs.
… tu n’es jamais que le moyen d’un médiocre… tu verras… je prépare une autre voie…
… dis-moi… Josef… j’avais observé un guy… et…
… mais bien sûr, Barnaby était là lors de la captation… je l’ai vu… il veut sa seconde étoile… mais je m’en cague…

C’est sur ces fortes paroles érudites citant un troubadour latin que se termina cette journée inoubliable. Malgré le rythme immuable des nuits et des levers de soleil, la chute des corps, la croissance des plantes et le renouvellement de la pensée, chacun avait tout loisir de colorer de son accent, de son style, de son haleine, les idées de Socrate qui ainsi reverdissaient, bourgeonnaient et fleurissaient toujours nouvelles.
Ce fut les dernières pensées d’Akio.
Le Révérend était déjà ailleurs…

                                                    Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes

                                                                       Gentilés  
                                                                       Si le voulez bien
                                                                       Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
vous trouverez les opus édités…
                                                                                  L’Ange Boufaréu

 

 

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