J’ai lu “Errance d’un pantouflard” de Jean Benjamin Jouteur.

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Quel que soit le texte que j’entreprends d’analyser, je me place au centre géographique d’une matrice… gravide… je n’en sors qu’au moment où je lis le mot « Fin ». Tel fut le rituel me permettant d’incuber l’ « Errance d’un pantouflard ». Je m’étais arrêté un instant sur le titulus de l’opus en forme d’oxymore tel le clair-obscur, ne sachant pas encore qui de l’un est l’autre et vice versa… de la claire errance à la pantoufle obscure… ou son contraire… Dans une machine, je superpose des CD : les 1ères et 3èmes symphonies de Brahms, j’ajoute le Requiem de Mozart, je fixe le casque sur la tête… ma théière est pleine… je pars en randonnée pour trois heures environ avec JBJ… je lis le texte d’une traite sur mon écran… vaste…

J’ai Brahms puis Mozart pour guides…
J’entre dans la prose… placée sous l’incipit de Kerouac…
Pendant les 29 premières pages, je cherche à décrypter le genre du récit. La phrase pourrait être écrite par Sagan pourtant je ne suis qu’à la première symphonie : « Aimez-vous Brahms » c’est le 3ème mouvement de la 3ème. Le « Je » qui est l’auteur offre une prose lisse… tout en traitant des contradictions de la vie… de sa vie… mais dans un decrescendo distancié… le texte est doucement discursif… “pantouflard”… il a opté pour un tempo où le « Je » se décrit… quand soudain page 29…

« Je ne suis qu’un petit bourgeois stéphanois, un faux contestataire ! »

Diable ! je reprends le début pour comprendre ce qui motive cette accusation… des indices… égrenés… mais l’explicite n’est pas encore posé…
Le «Je » se fustige… changement de tempo… le rythme s’accélère le « Je » sort de son rail égo et centrique pour jeter des réflexions… logique pour un type bien construit qui vient d’éviter le service militaire, mais tout d’un coup cet éclat jure avec le début littéraire du genre… Soudain le « Je » devient révolté, il dévoile une synthèse des contradictions vécues… le nœud crispé du “Je”… éclate enfin…

« Il est beau et il sent bon le pollen son discours. J’aimerais vachement y croire. Seulement voilà ! Pendant un an, j’ai appartenu à un groupe de petits cons, fils de bourgeois et prétendus anarchistes. Je dois reconnaître que ça m’a échaudé pour longtemps du gestuel poing levé. À cause d’eux ou bien grâce à eux, j’ai compris que les révolutions, qu’elles soient armées ou pas, sont toujours à recommencer pour la bonne et simple raison qu’elles ne changent pas les mentalités. D’accord ! Mireille semble sincère, son mari aussi, mais ils ne sont qu’une minorité. »

Et…
Le « Je » devient sceptique…
Le « Je » est en déséquilibre… deux choix… entre deux limbes… tel Arthur presqu’au même âge dans son “Roman” ” On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans!”… Rimbaud un autre errant.
Or, bien qu’échaudé…
Le « Je » pourtant, ne quitte pas le centre du maelstrom qu’il dénonce et qui s’annonce… il pressent… que la suite risque… d’être… rude…
Le décor ardéchois est planté où va se jouer un sabbat… concentré… charnel… saignant… Un parcours initiatique où le «Je » joue rarement… pour parvenir à confesser à la page 122 « Je » subis… c’est le principe même du parcours initiatique que  le béotien va vivre au premier degré…Toutefois entre deux contradictions… entre deux incandescences, le « Je » nous livre des touches du puzzle, tel celles des peintres pointillistes… il faut patienter pour voir la fin du tableau, se placer à quelques encablures, cligner des yeux pour faire la synthèse… On rencontre des personnages quasi mythologiques qui présentent tous un adret fracassé en miettes mais dont l’ubac masqué serait saint… face et pile ou le contraire…

Parvenu à Mozart… il me semble que le texte peut s’interpréter de deux façons diamétralement opposées…
Il y a ceux qui n’ont jamais vibré dans les communautés de l’Ardèche ou ailleurs… dans ces peuples hors-sol qui tentent depuis Moïse Abraham Jésus de vivre d’amour et d’eau fraîche… autant que de communisme extatique… réécrit par Thomas More…
Et puis ceux… les rationalistes… qui ont expérimenté mais n’en disent mots, ils n’intègrent pas l’utopie dans les neurones de leurs cursus…
Le « Je » pense avec les mots de Brel… ils scandent son parcours… son tempo… en quelque sorte, Brel est son bâton de pèlerin… on le nomme “bourdon”… un sur-moi… ou un sur “Je”…

Quant à moi, lecteur, ce texte cette ambiance ces herbes m’offrent la résurgence des auteurs point trop anciens… le film « More » en 69 de Barbet Schroeder et la délicieuse Mimsy Farmer… la communauté n’était pas ardéchoise, elle vivait en Grèce… mais le fantasme était le même… le lumineux Henry Miller américain d’origine allemande, dans son opus « La crucifixion en rose » qui analyse une errance de dix années en France autour des années 30/40…
Voilà ce que m’a fait revivre le texte hurlant de Jean Benjamin…

J’irai au-delà…

L’écriture est charnelle… le rythme possède des changements de cadences… des enchaînements denses… des révélations soudaines… des élans humains authentiques… de multiples tonalités… des épiphanies…
J’ai eu le sentiment d’avoir lu une formidable métaphore… que « Je » a voulu nous livrer… il aurait pu parfaitement traiter le sujet selon des codes sociologiques… non, il a été acteur… avec les marges que le récit offre… il est « Je »… donc sensible… je répète “charnel”… il saigne… il sait.
Si je le suis du verbe suivre… nous serions prisonnier d’un fatalisme passif de la connaissance.
Car comment savoir ? si le “Je” refuse de vivre ce « qu’errance » signifie?
Certains ont le projet de vivre charnellement l’expérience… d’autres n’ont pas besoin d’actes pour savoir… nous sommes sur une ligne de crêtes… toute une vie quant à notre pouvoir de décision… j’y vais… ou je n’y vais pas… tous sujets confondus.
Partagé entre l’attrait de celui qui dit « viens » et celui, qui par cette invite entend « je vais découvrir… je vais savoir… je vais pouvoir…”
… entre celui qui ordonne et celui qui exécute…
… entre deux pouvoirs…
… une vie…

C’est le parcours initiatique que « Je » a vécu…
Chacun peut le vivre ou le revivre en s’immergeant dans « Errance d’un pantouflard »
Ainsi parlaient les versets de Jean Benjamin Jouteur

L’Ange Boufaréu.

 

 

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