Views: 63
34… Second grand prédicat de Josef… prophétie d’une naissance…
Où Akio découvre cette abstraction, à savoir : « la réalité qui dépasse la fiction » parfaitement intraduisible pour un fils de l’archipel nippon, né dans la péninsule de Miura en la préfecture de Kanagawa, faubourg de Yokosuka, non loin du mont Ogusu qui culmine à deux cent quarante-deux mètres, dans la chaumière des ancêtres, de laquelle il voyait chaque matin le temple bouddhique 西行院, que l’on peut traduire par « établissement qui conduit à l’ouest »…
Ça tombait bien… il y était… là, au centre universel de l’univers étasunien…
… mais où allez-vous avec ce bison ?
… c’est pas un bison !
… je rêve… c’est quoi alors ?
… une bisonne… voilà son dossier d’inscription…
Premier tableau : la réalité live vers un projet de fiction…
Un matin, Rosalie, toute pimpante sous les mains de fée du grand prêtre Gottfried, se trouva au milieu de la cour de l’Hacienda ; le moteur US, cœur de l’ancêtre, battait comme une mécanique Suisse mise à l’heure par un horloger Germain.
Pour fêter cette renaissance, Gottfried avait revêtu le costume authentique : le Lederhose, avec chapeau à plume.
Le peuple en liesse sortit sur le seuil pour admirer l’artiste et son œuvre. On faisait chorus tout autour. Les anciens de la tribu tendirent les peaux des tambours de la paix triomphale pour entonner un chant dont les paroles traduites en langue étasunienne donnaient longue vie au cheval glouton à raison de quelques galons aux cent milles US.
Cette construction était une relique des temps anciens… sanctifiée par des générations qui avaient foulé son plateau, accompli des voyages, des arrêts aussi. Toujours fidèle, elle était le pur-sang de la communauté, le lien entre les tribus, l’histoire de la conquête, l’appaloosa-mécanique symbole de l’intégration.
Une fois ce moment jubilatoire passé, Gottfried ne ressentit plus le besoin de se pâmer devant son œuvre. C’était fait. Il avait maintenant d’autres Meccano à réparer, en particulier le système d’alimentation du château d’eau qui avait trépassé un soir de tempête.
Ce fut la passation des fonctions : le Vater donna les clés au Sohn, puis s’en fut. La famille, elle aussi alla vers les lieux où ses instincts grégaires l’attendaient, on remisa les tambours et Rosalie s’inclina devant son nouveau boss.
Josef prit en main la vieille dame qui, nonobstant son grand âge, affichait des escarpins brillants avec ses nouvelles jantes alu made in Germany. Dès lors, elle pouvait ruer sur ses quatre roues motrices…
Josef commença par apprivoiser le monstre…
Il avait déjà eu à dompter d’autres rugissants lors de ses années passées sous la Bannière Etoilée. Il resta d’abord dans l’espace de l’Hacienda pour apprivoiser Rosalie afin qu’elle ne perde pas le Nord… après tant d’années de pénitences.
Quelques jours plus tard…
Deuxième tableau : métamorphose de la fiction…
La nouvelle jeune Rosalie quitta l’Hacienda et entra dans la ville comme César dans Rome. Elle se gara sur un parking, situé à quelques encablures de l’entrée de l’université. Le plateau avait été bâché afin d’en masquer le contenu – un subterfuge qui avait permis d’arriver jusqu’à ce poste avancé…
Josef abaissa la ridelle arrière qui offrait une rampe.
On fit descendre la passagère : Graceful soi-même… elle prit une longue inspiration… lança une généreuse flatulence… les environs en furent conquis…
« Graceful est cette adorable bisonne, disait la paperolle qu’Akio avait ajoutée au manu-script, celle-là même dont Josef avait tenté d’évaluer le poids. Rosalie, avec l’aisance d’une jeune sportive, supporta cette charge grâce aux nouveaux essieux installés par Gottfried. »
Rosalie serra les cardans et supporta la noble puissance de Graceful… docile, elle attendait que le prophète sécurise la vieille Rosalie…
Josef replia le plateau de métal, ferma les deux portes de la noble FordT2, prit son cartable de Révérend, son sac à dos et partit en tenant Graceful par un ruban bleu azur…
Josef connaissait parfaitement le chemin.
En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, le visiteur et sa compagne entrèrent dans l’enceinte de l’université… parvinrent à l’amphi… dans l’indifférence totale…
Une foule les suivait, le brouhaha était indescriptible, le couple était accompagné d’un nuage de mouches à la diète qui se jeta éperdu sur le poil de la femelle.
Josef, coiffé de la parure en plumes d’aigle Algonquin pénétra dans son ancien amphi, s’assit au premier rang, il accrocha le ruban de la liberté au siège à côté de lui. La femelle regarda de ses gros yeux cette foule qui caquetait autour d’elle, en chassant les mouches de sa longue queue au bout de laquelle un petit toupet s’agitait énergiquement.
Oh, ce ne fut pas long…
Troisième tableau : à ce moment-là, la fiction prit la forme de la réalité…
Mouvements de foule, les gradins étaient pleins à craquer, on voulait voir…
Une escouade de cerbères tenta d’organiser l’espace. Surgit une demi-autorité…
… qui vous a permis ?
… nous venons étudier !
… que fait cet animal ici ? Et vous, qui êtes-vous ?
… je suis étudiant… vous voulez dire Graceful ? Elle étudie aussi !
… non, mais ! Libérez immédiatement ces lieux…
Soudain, grand remous…
Voilà des caméras qui arrivent. Assis sur leur siège, tous les badauds ont sorti leurs téléphones ; on mitraille la scène. Attention prudence, celui qui détenait son autorité relative, jouait sa carrière. Les alinéas de la Constitution permettaient tout, à condition de savoir s’en servir. Les journalistes commentaient, les autorités démentaient, les étudiants complimentaient, les gardes se documentaient, la gaudriole se pimentait…
Josef n’avait toujours pas bougé de son siège…
Supputations. On se grattait l’occiput, on vérifiait le comput, on allait prendre une décision pour un output, manu militari…
Que disait le règlement interne ? où était-il ? que faisait-il ?
Il était muet sur cette question, quant à cette présence…
Graceful n’en avait cure. Elle lâcha un puissant meuglement qui provoqua l’hilarité de la salle. Enhardie par sa prestation, elle jeta une flatulence non moins puissante, un style rabelaisien qui empesta l’espace. Pour conclure, elle posa une grosse bouse qui éclaboussa la garde rapprochée de la semi-autorité et réjouit le nuage de mouches.
C’en était trop…
Appelons la police, vite… Non, d’abord les femmes de ménage…
Une nouvelle autorité parvint à se frayer un chemin pour atteindre le centre du cénacle : c’était l’autorité suprême… la suprême autorité… le boss ici… en ces lieux…
L’homme était de style cacochyme soutenu par deux aides, échevelé, il éructait, il parpelégeait, il était proche de l’apoplexie… proche de la retraite aussi… mais dans un effort surhumain sur la dernière ligne droite de chemin… il… exerçait son pouvoir… en tant que Doyen…
Garfield Jr. était son nom…
Il allait parler… qu’allait-il dire ?
… Wouaw ! fut sa thèse…
Josef se leva, vint saluer la sommité qui ne savait que dire. Il lui tendit la main. S’étaient-ils connus ? Rencontrés déjà ?
Garfield questionnait sa mémoire… car enfin…
… que puis-je pour vous ? hasarda Josef.
… que revendiquez-vous, enfin ? dit l’autorité suprême, qui s’étranglait, ne parvenant pas à faire le choix entre indignation, salutation, éructation… action…
Alors, elle choisit une conclusion :
… ça alors un bison qui vient étudier…
… et pourquoi pas ! soliloqua une douairière assise derrière Graceful…
Les arpètes du nettoyage observaient, prêtes à exfiltrer la bisonne… elles firent silence…
Comme Graceful, le doyen rumina… un Wrigley’s.
… je vous remercie de me donner la parole ! répondit alors Josef.
Et il monta en chaire…
Le service de nettoyage s’apprêtait à rendre clean, il fut stoppé net par les gardes qui, muettement sur ordre de Garfield Jr., intimèrent le silence, sur lequel planait une formidable odeur de bouse de bison des espaces de l’ouest. De grosses mouches attaquèrent. On se frappait soi-même avant de frapper les autres. La suite risquait de devenir sanglante…
Akio était là pour enregistrer ce grand concept…
Du haut de sa chaire, Josef pacifia l’espace, les bras tendus, ouverts dans un geste de paix terriblement biblique…
… peuple… je vous enjoins de vous assoir…
… toi aussi Junior, Jr.
Garfield en resta médusé…
Le prophète allait causer, pendant que les caméras se repositionnaient pour un nouveau cadrage en contre-plongée sublime…
… ce type… je le connais, songeait Garfield… mais d’où ?
On laissa un espace autour de la femelle qui se mit à ruminer tranquillement : une déglutition appliquée succédait à une mastication consciencieuse avant qu’un nouveau bol ne vienne dans le cycle, selon le rythme logique des mammifères ruminants – comme d’ailleurs la presque totalité des acteurs de cette grande révélation qui mâchaient leur chewing-gum…
L’amphi était plein comme un œuf dur… imaginez le contraire, un œuf plein d’amphi… eh bien c’est inimaginable…
Quatrième tableau : Reverendus incepit his verbis
« Mes bien chers frères… je fus… ici même… jadis… comme vous… sur ces bancs !
Après quelques années consacrées à mon éclosion et autres mutations dans des pays exotiques, je revins m’inscrire, car j’avais conscience de ma profonde carence en matière de savoir. J’y inscrivis aussi ma compagne Graceful avec qui je vis quasi maritalement, j’ai bien connu ses ancêtres… n’est-ce point le temps actuel où chacun s’accouple avec ses raisons qui transcendent les raisons darwiniennes…
… ce type… je l’ai vu à… non… a… mais ces mots… je les ai entendus… mais où ?
« J’ai rencontré les instances de cette Université célèbre, j’ai présenté le cas de Graceful… qui… elle aussi avait quelques retards dans sa formation initiale.
Il a suffi de verser l’obole de l’inscription, qui n’est pas modeste, mais enfin quand on veut on peut ! Voilà, j’ai tous ses papiers : certificats de naissance, de croissance, de baptême, ses certificats de connaissance… en plus des miens…
Dès lors qu’un péquin est inscrit, il ne lui reste plus qu’à venir accomplir sa mutation, ce que nous fîmes ce matin pour écouter la sagesse révélée…
Comment ? me dit-on : un animal ? Mais quel animal ?
Depuis qu’un taulier de Washington a choisi d’épargner chaque année une dinde afin qu’elle ne finisse rôtie… l’animal n’aurait-il pas gagné un nouveau statut ?
Les présidents qui suivirent firent de même.
Or, vous le savez, la dinde, c’est-à-dire la Meleagris-gallopavo, n’était-elle point ce volatile endémique de nos contrées, tout comme le bison : ils sont nés ici bien avant nous…
Cette terre était la leur…
… ce type… je vois… je commence à voir Jérémie non loin de là… Garfield tortillait du cul… sur son siège… il entrevoyait… le fond du ciel… au loin…
« Or poursuivait le Révérend, la première chose que firent les pèlerins qui descendirent du Mayflower fut, au nom de l’amour divin, de les occire pour prendre leur place. Songez aussi que les habitants de cette région, les Indiens, furent, eux aussi éliminés pour assouvir la grande parole authentiquement spirituelle de ces pèlerins de la paix qui n’en étaient pas à un paradoxe près. Ils venaient pour pratiquer leur religion : celle de la pensée mosaïque… relookée par Luther… fignolée par Calvin…
Ici même, dans cette ville, plus tard, que fut conçue une grande réforme, la plateforme de Pittsburgh, qui, avec raison, voulut adapter la liturgie à l’évolution de la société… Ce sera l’objet d’un grand futur discours… si Dieu le veut !
N’est-ce point louable ?
C’est ce que je me propose de faire cent trente-deux ans après… les bons mots des Father restèrent lettre morte… devant les cadavres des bisons et des dindes…
… ce type… je sais… mais… mais… c’est le petit Gottfried…
Et Garfield Jr. de se redresser sur sa cadiero… la chaise ancienne des félibres encore plus vieux que Garfield…
« Ici, disait Josef, mes frères et mes sœurs ho ! ho ! sur ce sol, où vous avez posé vos fesses éblouies par cette société, il y avait une plaine, sur son sol, une savane, dans laquelle vivaient en liberté bison dindes coyotes et Indiens, selon un cycle cosmique…
Le seul titre de propriété de cette institution, dans laquelle vous venez pour accéder à la connaissance et accepter cette science, repose sur un fait d’armes non juridique… Ce fait s’appelle l’hécatombe… suivi d’un vol.
Pour construire ce béton…
Plus de dindes…
Plus de bisons…
Plus de coyotes…
Plus d’Indiens…
Enfin, une terre vierge…
Ces nettoyeurs, mes biens chers frères sont vos ancêtres. Ils prétendirent qu’en l’absence de titre de propriété, la terre leur revenait de droit puisqu’ils venaient de la découvrir… inoccupée…
Ce sont ces préceptes que vous enseigne… cet homme… le Doyen Garfield Jr. ici présent… garant du concept.
… ce type… mais oui… bon sang mais c’est bien sûr… c’est lui qui m’avait foutu le bullshit… alors que je prenais mes fonctions… il reprend du service… ah non !
Le peuple sur les bancs commence à caqueter… non mais… et chacun de faire son auto-critique… in-petto pour certains… mais pas tous…
« J’invite vos béotiens neurones à évaluer cette situation…
« Moi… John Smith…
… non je rêve c’est le Josef Schmitt… il a changé de nom le bougre… Garfield vient de rajeunir de presque quarante ans… il est flambant neuf… il se redresse comme par miracle…
« Je vous invite de vous interroger sur cet enseignement. J’ai fait le tour du monde en plusieurs escales où j’ai occupé plusieurs postes dans des fonctions de très hauts niveaux de sensibilités planétaires.
Je sais ce que je dis. Je sais ce que j’ai vu. Je peux en déduire certaines déductions selon des analyses déductives…
Songez que d’un trait de plume, par exemple, le taulier qui nous gouverne à Washington va signer une catastrophe écologique tout en graciant devant des dizaines de caméras une dinde rescapée, alors que des milliers d’autres seront mises au pot. De la mise en scène, pour masquer les hécatombes et sa volonté de voler des territoires aux indigènes qui vivaient ici depuis vingt mille ans…
L’autorité flattera toujours votre concupiscence, jamais votre raison…
Et elle s’en lavera les mains, car c’est vous qui l’avez choisie…
Je laisse à présent l’autorité faire son travail de pacification. Je m’en remets à elle… et à sa grande sagesse…
Graceful doit se former et rattraper ses retards qui l’empêchent d’être l’égal de chacun… »
Cinquième tableau : où les effets du prédicat…
Un tonnerre d’applaudissements accueille ce dernier propos. On tapa des pieds. C’était biblique. À la différence des temps anciens, Josef… autant que John… avait un micro, ce qui était bien plus facile. (On se demande encore comment faisaient les Bédouins dans le désert devant des milliers d’assis… par jour de grand vent.)
Un pack de gardiens monta sur l’estrade…
… non… attendez… !
Le doyen avait retrouvé sa raison.
Il se redressa de toute sa petite hauteur, il devint César Impérator… non mais !
D’abord, il avait réussi à déglutir son ahurissement, puis son étonnement, enfin sa retenue.
Il était de nouveau lucide presqu’extra-lucide à l’écoute du Révérend, se disant in petto :
« Y’a pet’t ben queq chose à fair ! avec le P’ti Josef-John du côté de la cancel-culture… va tant savoir ! »
… laissez-moi voir cet homme ! Dégagez cet amphi !
C’était lui l’autorité sur cette surface juridique. C’était donc lui qui avait le dernier mot.
« S’il y a une plainte à porter eh bien c’est moi, je la porterai »
La foule curieuse reflua en jetant encore quelques flashs…
Et voilà…
Il ne resta qu’un petit groupe d’acteurs. Josef était toujours sur son estrade. Graceful n’était pas plus intimidée qu’au début, mais elle poursuivait son dégazage avec une belle application. Le sol était un vrai bourbier, l’atmosphère était irrespirable, les mouches tournaient autour du festin…
… vous, là… qui êtes-vous ? intimèrent soudain, des cerbères à l’attention d’Akio.
… je recueille les sermons de Sa Sainteté Le Prophète !
… les sermons ?
… oui de John Smith le Révérend…
Les caméras étaient toujours là. On attendait le dénouement… du clap de faim(sic).
Dans l’ambiance instable, une jeune et fringante journaliste se rapprocha de la chaire pour interroger le Révérend, mais elle fut prestement interrompue par deux montagnes de muscles qui s’interposèrent entre le futur prévenu et son micro. Garfield ne voulait pas qu’on lui pique les mots du Révérend… elle fut exfiltrée dans le couloir… où d’autres caméras arrivaient, d’autres témoins, d’autres uniformes…
Dire que l’on allait s’expliquer à huis clos serait un peu hasardeux. Sur-le-champ, les télévisions commencèrent des « live TV »
« Place au direct ! »
On se faisait beau.
L’instantané de l’information était sacré, sous les merveilles CNC : californianewscable. Les chaînes rivalisaient en ressources techniques pour « capter » le « news ». Le grand seigneur des lieux ne parvenait plus à quitter la zone qui devenait impraticable. Il se débattait entre les gardes, les femmes de ménage et des ouvriers en tenue de chantier qui arrivaient pour poser des barrières et des pancartes de sécurité :
« Be careful, slippery floor »
Soudain, Graceful décida de se coucher au milieu de ses bouses. Grand reflux du premier cercle, qui fit un saut de carpe pour éviter les escarbilles.
Le tout faisait floc-floc.
Josef-John-Jérémie était toujours juché sur l’estrade. N’écoutant que son cœur de Révérend, il sauta le mètre qui l’élevait et vint vitaliser le doyen Garfield.
Il l’attrapa et le hissa sur la Chaire-Hauteur. Enfin en sécurité, il lui tendit le micro…
« Parle Doyen ! Adresse-toi à ton peuple ! »… oracle de Josef.
L’essoufflement était masqué par les bruits ambiants. Avant que l’univers présent puisse entendre le son de sa voix, il déglutit puis déclara, pendant que filmaient les caméras des télévisions du comté de l’État et du monde entier :
« L’université est un lieu de paix… un sanctuaire, na ! »
Ce que semblaient contredire les images qui montraient un chaos d’uniformes imbriqués dans un cloaque où reposait une impénétrable bisonne…
« Je vous demande de quitter cet hémicycle… Je vais m’entretenir avec vo… vous… vos… votre… no… nom… »
On tendit un carnet à l’aïeul émérite Jr. qui lut :
« Révérend John Smith… Oui, Jo… non, John… Smith… lui-même… Je crois qu’il a un message… Je dirais même une révélation… n’est-ce point ?
Il est Révérend… on doit écouter les Révérends et en particulier le Révérend qui révèle un avenir comme le fit Luther… puis Calvin… tous nos Fathers… du Mayflower…
Je suis très honoré de vous recevoir, Révérend… Alors, je vous en prie… quittons ces lieux pour que nous puissions nous entretenir sereinement ! »
Akio n’était pas le seul à prendre des notes. Il pouvait observer qu’un grand nombre de personnes ici présentes avaient également sorti des carnets sur lesquels elles griffonnaient…
Akio compara son manu-script volumineux enflé de quelques paperolles à ces médiocres carnets, et il en fut fier.
L’espace se vidait, oh, lentement, mais il se vidait. Des gardes gardaient en regardant les femmes de ménage dont l’une, hagarde par mégarde avait posé une semelle ringarde dans la fiente et tentait de javelliser ses basques pour éviter de laisser des empreintes d’arrière-garde ; d’autres avaient enfilé des sacs transparents de sauvegarde en plastique pour épargner le même sort à leurs pompes – on se serait cru lors d’un débarquement lunaire hollywoodien. On avait acheminé d’immenses aspirateurs de chantier. Il fallut remuer Graceful qui jeta un meuglement de désespoir, en quêtant un signe du côté de Josef.
Le Révérend parla à l’oreille du doyen.
Alors…
Les portes se refermèrent sur les gardes et les instruments de lustrage disparurent dans les coursives…
Dans le cœur de l’amphi, il ne resta qu’Akio sur son banc de première classe au pied de la chaire, il écrivait.
Graceful accepta d’être mise « au coin ».
Sur la Chaire-Hauteur siégeaient la suprême autorité et le sage Révérend.
Le sol était luisant et humide et attendait le prochain délestage de Graceful.
Heureusement, que Akio était là.
Depuis le départ de son île natale, il suivait l’évolution du Révérend, mais, celui-ci étant imprévisible, Akio s’était adjoint un allié fidèle – une authentique aide électronique baptisé d’un nom grec made in Japan qui enregistrait discrètement.
Car, voyez-vous, dans cette évolution, le moindre détail, le moindre mot, la moindre attitude avaient un sens. Nul ne pouvait prévoir le moment où Josef… John… le Révérend… Jérémie… le Prophète… allait se révéler au grand jour… mais ce que l’Olympus venait d’enregistrer était grandiose…
Garfield Jr. aussi…
Sixième tableau : papotages vers le futur.
L’écriture est difficile à saisir quand nos sens sont tournés vers l’observation d’un tel phénomène. Akio ne voulait rien perdre. Or, cette nouvelle alliance permettrait à ses yeux éblouis de pouvoir se pâmer en direct devant la métamorphose de cet être… qui… quoi ? que disait-il ?… Non, pour l’instant, il écoutait le doyen…
« Je me souviens bien… je me souviens bien… de vous… Josef, c’est bien ça ? Ce n’est pas si vieux… Quoi ?… Dix ans… quinze ans… vingt ans… trente ans… que le temps passe vite ! Je fus même votre professeur… n’est-ce pas ? Oh ! Oui, je me souviens de vos discours enflammés en Jérémie-Volapük.
Alors c’est ça ? Vous voilà Révérend devenu, revenu… enfin… c’est ça… obtenu… c’est très noble. Mais je ne comprends pas encore votre message… j’imagine une hypothèse… mais… »
L’ancêtre pleurait presque, il suppliait…
L’émérite se sentait tellement tout-chose…
« Vous fûtes la fierté de cette université… vous… cette capacité de parler quinze langues sans failles et d’en côtoyer une douzaine supplémentaire sans souci. Mais vous, qu’avez-vous fait de vos talents, pour venir ici accompagné de votre femelle bisonne ?
… Graceful ! précisa Josef.
… c’est ça, Graceful… mais… moi… que vous ai-je fait ?
Josef, qui avait beaucoup de ressources, sortit un paquet de mouchoirs en ouate Kleenex authentique quatre épaisseurs US made qu’il offrit au doyen éperdu de douleur. Le pauvre homme se moucha si longuement qu’Akio pensa que ses neurones quittaient son crâne ; il éprouvait une telle détresse que tout le paquet y passa…
« Mais qu’ai-je fait au Jésus ? » parvint-il enfin à psalmodier un vieux dicton de son enfance, devant la poubelle pleine de mouchoirs.
Pourtant, il finit par se calmer, enfin soulagé et libéré de toutes ces humeurs qui l’encombraient…
Il cessa sa confession. Dehors, dans les couloirs, on entendait vaguement des remous de foule. On cognait à la porte de l’amphi, mais les portes restaient closes, pendant que les mouches se délectaient…
Alors Josef parla à nouveau…
Et ce discours fut consigné dans le manu-script sous le titulus de :
« Sermon du haut de la Chaire-Hauteur-Universelle-Etasunienne »…
… devenu célébrissime… depuis…
« Jadis, j’eusse fait préluder ce discours d’un « Monsieur le doyen », mais c’était jadis… Quinze ans, dites-vous… C’est court et c’est très long lorsque l’on ne prend aucune décision. À présent, je vous dirai « mon fils », j’utiliserai même ce lien direct qu’est le « tu » très respectueux.
Mais par égard pour votre innocence d’impétrant non encore acquise à la synthèse que je vais vous livrer, je conserverai à ton égard ma bienveillance…
Mon cher fils, vous êtes environné par le mensonge. On vous ment. Vous entendez ces énoncés devenus naturels. Vous vous en imprégnez. Vous les reprenez, si bien que vous mentez à votre tour. Si, si… ne vous récriez point… le mensonge est devenu consubstantiel de votre souffle…
Quoi ? Des exemples ? Mais voyez ! Vous aussi, vous avez gracié une dinde. N’est-ce point une mascarade ? Vous graciez urbi et orbi l’animal pour vous absoudre de l’assassinat des autres que vous allez rôtir à des fins de cannibalisme…
Le doyen cherchait d’autres Kleenex, qu’Akio tendit un paquet vierge… c’était un aide-de-camp qui prévoyait… presque tout…
… mon cher fils, tu ne connais sans doute pas cette petite histoire d’un empereur chinois qui allait assister du haut de son trône au sacrifice d’un buffle, dans la pure tradition des offrandes annuelles que la dynastie devait pratiquer. Or, par un hasard temporel, il se trouva que l’empereur vint dans les coulisses de la préparation du sacrifice. Il voulait voir si le buffle qu’on devait immoler était bien représentatif de sa munificence impériale… de sa puissance… de Sa Majesté…
Soudain, le buffle et l’empereur croisèrent leurs regards… le monarque y lut l’effroi !
Le prince en eut le souffle coupé : il eut la révélation soudaine que l’immolation de l’un était en réalité une mise à mort pour le plaisir de l’autre.
Le roi en fut bouleversé…
Aussitôt, il décréta que ce buffle soit gracié…
Les courtisans se soulevèrent, car le rite est le rite, il devait être respecté selon les grands préceptes des liturgies au risque de voir le royaume partir à la dérive…
Alors l’hégémon décida, puisqu’il fallait le sacrifice d’un animal pour pacifier le ciel… « Offrons-lui un bouc ! »
Mais il n’en suivit point les étapes de la préparation. Il n’eut donc pas à croiser les yeux du bouc qui lui aussi avait compris le sens de la fête : il savait qu’il allait vivre sa dernière journée et franchir la porte du trépas… pour le plaisir de l’autre.
La morale, mon fils…
C’est ainsi que ton pays pratique sur les autres peuples : le sacrifice par personnes interposées… le boss ne croise aucun regard… les sbires sacrifient sur ordre… et l’animal devint le « bouc-émissaire ! » que le monde copia…
On peut décliner l’histoire vraie, bien au-delà des cinquante nuances de Grey dont notre médiocrité culturelle est capable.
La première nuance, la plus importante, mon fils, réside dans ce diktat, l’autorité prescrit des rites dont le sens se perd dans la nuit des temps, tu n’as plus aucune idée à quoi se rite correspond… mais tu dois te plier… bêtement.
Cette nuance sous-entend que tu n’as même pas le poids d’une plume comparé au pouvoir du dogme d’État. Souviens-toi de Matthieu qui affirme que :
« Aucun homme ne peut servir deux maîtres : car toujours il haïra l’un et aimera l’autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon »
C’est la fameuse contradiction entre l’amour du pouvoir et le pouvoir de l’amour…
Tu préfères la première…
Septième tableau : en forme de Kyrie… élégiaque…
… imagine que Casque d’or…
… qui est Casque d’or ?
… le taulier à Washington… imagine qu’il croise le regard de Graceful, il va tout faire pour lui offrir un avenir, un geste de bonté étasunien, pendant qu’il va ordonné de virer des Indiens des réserves pour leur piquer leur pétrole.
Note, mon fils : « ce point : croiser le regard et tout devient différent »
C’est pourquoi on gracie devant la foule ébahie de tant de gratitude pour mieux occire par décret. On confie à d’autres qui ne croiseront jamais le regard de remplir cette tâche macabre…
Voilà, mon fils, sur quel contrat repose notre culture… étasunienne.
Ce que tu fais…
Une colossale hypocrisie, qui se décline en milliers de compromissions de la vie quotidienne, de renoncements, que nous théorisons…
Je suis venu pour le dénoncer…
Tu me disais il y a peu que je parlais moult language. Je te remercie pour ta mémoire. Eh bien, cette capacité avait été détournée.
Tu te souviens, mon fils, du sieur Barnaby ? Il avait compris, lui, que mes capacités pouvaient le servir. Il m’a sucé jusqu’à la moelle… et à présent, il a reçu sa première étoile de général. Sans nul doute, il s’achemine vers une autre consécration… »
Le doyen reprit de la voix :
« Mais ce bison… enfin… ça rime à quoi ? Toi, tu possèdes soixante-quatre doctorats. Tu pourrais même enseigner ici si tu le voulais. Tu pourrais faire la joie de tes parents. Songe donc, un métis issu d’une dynastie de Germains et d’Algonquins, le rêve des Pères fondateurs…
… je veux bien enseigner ici, à condition de diffuser ma pensée…
… j’y pense !
… attention, je vais te fracasser ta boutique, car je t’assure que Graceful ne sera pas la seule dans l’amphi…
… super… mais attends… tu vas attirer les foules. Elles ont soif de vents nouveaux… Tu seras leur Messie, le nouveau gourou. Enfin un Révérend qui ringardise la Californie. Tu comprends, là-bas, le soleil brille toute l’année. C’est plus facile de prêcher le paradis sur terre. Ici, il pleut, il neige, il fait froid et même il y a des faillites chez nos entrepreneurs…
… j’accepte, mon cher fils… mais il me faut du temps pour finaliser mon enseignement…
… moi aussi… oh que j’ai bien fait de t’avoir écouté…
… entendu veux-tu dire…
… si c’est la formule… je t’entends…
Alors Josef Schmitt-John-Smith-Jérémie-Révérend-Prophète se leva comme un seul homme…
Le cher fils-cacochyme-doyen suivit…
Ils se congratulèrent, tout ergastule rejeté…
On veut dire par là qu’ils allaient se rebeller contre l’esclavage de la société d’hypocrisie – un saint pacte – et surtout Garfield en reprenait pour vingt ans sur ceux qui avaient voulu sa sortie… il allait chevaucher la « cancel-culture » sa nouvelle utopie « woke » qu’il peaufinait depuis des lustres…
Voilà qu’elle émergeait grâce au prophète… Jr. en serait le porte-drapeau…
« Bis repetita… au fond Garfield Jr. faisait du Barnaby Parker… il préemptait Josef pour une seconde carrière… » conclut Akio dans son manu-script…
Les effusions mutèrent en fusions tant et tant qu’ils ne firent plus attention à Graceful. Oh, elle n’avait pas perdu son temps…
Soudain, ils entendirent un souffle puissant et un vêlement faible.
Là au coin, Graceful la pauvrette, toute seule, avait pondu un rejeton qu’elle nettoyait avec application de sa large langue.
Le veau tentait de se redresser sur ses pattes…
On venait d’atteindre le summum de l’événement tangentiel qui reclasse l’acte humain absurde en médiocre événement planétaire, voilà à quel résultat pouvait atteindre l’enseignement… une vie !
Par la grâce d’un Révérend…
Et d’un Doyen épanoui… il en reprenait pour trente ans…
Songez, mes frères, un bison donnant naissance à un veau sous le regard d’un doyen et d’un prophète dans un amphi…
« Une bonne douzaine de kilos ! »
Selon l’évaluation d’Akio…
Le suprême s’étranglait de joie à l’idée que cet acte entrerait dans Le Livre des records du Guinness… Le doyen jubilait ; il venait d’atteindre la célébrité spatiale…
… il faut ouvrir les portes pour que les caméras puissent encenser cette maternité !
Le doyen-vétéran se libéra de la stupeur qui l’oppressait encore dans ses négociations avec le Révérend, il sauta de la chaire. Mais il avait oublié que le sol était devenu le cesspool fangeux d’une étable : que l’on peut traduire par cloaque. Le voilà glissant sur les liquides nauséeux qui inondaient le parquet, battant des mains il partit en brasse coulée sur le sol total bullshit.
Sublime !
Il était baptisé, mais il ne parvenait plus à relever cette renaissance.
Il fallut le secours du Révérend et de son aide-de-camp devenu infirmier sanitaire pour qu’il puisse reprendre de la hauteur. On tira le doyen baptisé sur un banc : il avait perdu ses lunettes ; il fallait les retrouver.
Le Révérend se présenta devant une porte et annonça son ouverture…
Alors, soudain, ce fut un rush ruant de ruades… foule, caméras, gardes, uniformes se bousculèrent sur l’espace glissant… un indescriptible chaos.
Les télévisions découvraient qu’un doyen fracassé soutenu par un Révérend illuminé… contemplaient une bison femelle et son veau… né dans un amphi…
Quel scoop !
Dans ce « Pays des merveilles » selon la traduction chinoise… voilà que se révélait le vrai de vraiment merveilleux…
L’Université devenait d’un coup d’un seul célèbre in The World !
Passé le moment de chaos et de stupeur, le nettoyage reprit le dessus…
Car les mouches étaient voraces !
Sauf que la négociation à huis clos avait permis à des autorités hautement supérieures de faire leur entrée dans l’arène.
N’oublions pas que Josef avait été invité à rester chez lui. Or, il n’y était pas – ce qui était une infraction. De mémoire, personne n’avait encore eu à régler cette situation, car ce schéma ne figurait pas dans le mode d’emploi de cette institution.
La naissance d’un bison, les soins d’un doyen fracassé dans les liquides amniotiques d’un veau, l’arrestation d’un révérend qui avait troqué son nom de baptême pour un autre, le tout au cœur même de l’univers du savoir étasunien que le Monde nous envie.
Un uniforme en civil vint se placer devant le Révérend.
Il voulait l’interpeller, mais plusieurs journalistes se bousculaient pour faire la photo que les premiers arrivants avaient saisie. Il fallut alors se prêter de bonne grâce aux ordres des médias – ce que tout le monde fit avec beaucoup d’application. Pendant que le service de nettoyage épandait des tonnes de sciure sur les chiures, les metteurs en scène plaçaient le doyen et le Révérend à côté de la femelle qui s’était redressée… Le marmot nettoyé comme un sou neuf, tétait goulument.
La scène fut si touchante que le peuple fut touché. On se croyait revenu aux temps bibliques… souhait du Révérend. Les gardes en uniforme avaient la larme à l’œil de tendresse, les gardes en civil avaient même sorti de grands mouchoirs de batiste kleen pour éponger leur émotion. Le peuple communiait dans un vaste élan de bonté, de compassion et de glissades sur le sol fangeux.
Les caméras filmaient ce moment œcuménique dans un grand concert de concorde new age que le grand Rubens lui-même n’eût point snobé.
Mais enfin… car tout a une fin… tout cela se termina lorsqu’une autorité s’avisa que le doyen était vraiment en panne : revenu sur son siège, il donnait des signes de faiblesse ; il s’était écroulé sur le banc devant lui ; ses émotions avaient déteint sur son physique qui ne supportait plus ni les mouches, ni les flatulences, ni les fientes, ni les ordres et contrordres…
On l’évacua manu hospitalia…
Mais au moment où on le soulevait, il glapit haut et fort :
… Révérend, prends ma main… sinon je meurs !
C’était sublimement shakespearien. Que faire ? L’autorité policière devait-elle laisser aller ce couple main dans la main ou bien fallait-il les séparer au risque de provoquer une rupture du pauvre cœur du doyen. Heureusement, les autorités étaient sous le coup de l’émotion… le veau était si mignon…
Alors, on fut magnanime avec la demande du doyen, car la grâce compassionnelle inondait la scène…
Entrèrent alors quatre brancardiers qui posèrent avec douceur le pauvre corps du doyen sur la civière, il se tordait de pleurs en tordant la main du Révérend.
On fut ému, les présents assistèrent à ce sublime départ, rendant grâce au Révérend de tenir la main du doyen dans le transport afin de le régénérer…
Soudain, il ne resta plus que Graceful, sa progéniture, le service de nettoyage venu en force et des gardiens…
Et…
… ben et vous… vous allez nous débarrasser de ça… ! intima-t-on à Akio.
… ben… mais… c’est que…
… démerdez-vous et fissa !
Dernier tableau : la compassion étasunienne venait de subir une nouvelle éclipse…
Le tout sous l’œil gourmand des caméras…
Akio, qui avait une grande culture – car il avait vu tous les films qui se déroulaient dans l’Ouest – vint murmurer à l’oreille de Graceful. Bon, ce n’était pas un cheval, mais enfin, c’était un mammifère ouestien, sauf qu’il fallait trouver la bonne langue ou les bons mots…
Elle le regarda venir.
Avec précaution pour éviter la glissade, il se pencha vers elle et lui débita toute une litanie d’imprécations, de conseils et de suppliques, il pensait à Yépa qui, elle aussi, avait susurré des mots doux à l’oreille de la jument. (Le tout sous l’œil des caméras – on l’a déjà dit, mais il faut le rappeler… Note du lecteur correcteur.(Sic)
Et là, dame bison regarda, avec un bon gros œil, l’aide-de-camp d’un air entendu. Akio prit alors la longe bleu azur et le couple qui était devenu trois par la force biblique du Révérend se mit en mouvement à la grande satisfaction des ouvriers de nettoyage.
À cause de son accouchement, Graceful était plus faible qu’à l’aller, mais elle y allait vaillamment sous les bravos du public qui se pâmaient sans réserve.
À petits pas – car Graceful prenait soin de son rejeton – le trio arriva sur le parking. Rosalie était close, Josef ayant le sésame en poche.
Akio proposa alors que le duo mère-fils ou fille se pose sur une pelouse en bonne herbe des prés afin d’attendre le Révérend.
Là, les mouches purent enfin se rassembler avec joie. Depuis l’enfermement dans l’amphi, elles manquaient d’air… ce fut l’ivresse.
Tandis que Graceful broutait avec délice que le bambin tétait avec force Akio se posa avec patience. Les gardes plantèrent quatre piquets et tendirent une banderole de chantier aux couleurs de l’université entre les supports. Akio se sentit au milieu tel une curiosité dans un zoo. On accourait pour le voir, on commentait. Les caméras enregistrèrent l’événement. La journée s’écoula ainsi paisiblement jusqu’à la nuit tombée… puis on les oublia.
Pendant ce temps…
Dans un autre espace d’un salon intime se déroulait un conseil animé.
On avait commencé par réanimer le doyen.
Son mignon préféré était allé quérir un vêtement dans le boudoir qui jouxtait l’espace de travail.
À présent, il était digne, enveloppé dans un grand peignoir blanc aux armes de l’université. Il siégeait au centre d’un aréopage composite autant que cosmopolite.
À tout seigneur tout honneur. Le patron de la police du comté était là, un corps d’athlète taillé en lanceur de poids dans l’ébène, à côté duquel le doyen, malgré son manteau de bain blanc, semblait un peu rétréci au lavage. Quelques uniformes accompagnaient le chef au cas où il aurait été intimidé par les nombreuses sommités présentes…
Trois Églises – celles des Frères Anciens… celles des Salutations Divines et celles des Espérances Espérées – ayant vu la séquence du Révérend en direct à la TV, s’étaient ruées sur-le-champ à l’université pour revendiquer leur communauté de bien avec le Révérend. Il y avait aussi les caciques de l’université qui allaient parler haut et fort.
Mais ce n’était pas tout : le Syndicat des syndicats qui syndiquait selon Saint-Dikant, lui-même était là. Il y avait encore un délégué général des étudiants perdu au milieu de ce pathos. Mais il n’était pas seul. Là attendaient les représentants des Latinos, des Japonais, des Chinois, des Germains, des Mongols. Il y avait même un Russe qui représentait un syndicat où il n’y avait qu’un seul membre… c’était suspect.
Enfin et ce sera tout, il y avait un représentant de l’armée, car, ne l’oublions pas, Josef était un défroqué de l’uniforme – et ça, la protectrice nation US ne l’oublie jamais… Donc Barnaby n’était pas loin, même s’il n’était point-là.
Dans cet élan œcuménique, de quoi parlait-on ?
Akio se désolait de n’être point au centre des débats. Grâce à ses pouvoirs de vieux samouraï, il avait joint le scribe, qui vint sur-le-champ, il brancha son électronique portable afin qu’il enregistre en live pour son livre. Alors Akio put se consacrer à sa tâche immédiate, celle de pouponner. Hélas, le soir tomba non loin, la nuit aussi, Graceful et son rejeton n’en avaient cure.
Akio se fit bison : il bisonna donc avec philosophie.
… que reprochez-vous à cet homme ?
C’est le doyen qui formule.
Car l’œcuménisme a bon dos si la loi ne passe pas et le chef du comté avait des références…
… il a été assigné à résidence… Or, il est ici !
Grand mouvement de foule. Tous voulurent lire le papier qui mentionnait l’adresse de la résidence. Le papier passait de main en main, et tous purent authentiquement constater que nulle mention ne donnait l’adresse exacte de la résidence : cela pouvait donc être aussi bien l’Hacienda… la ville… l’université… l’État… le territoire US même… car Josef étant un vrai de vrai GI ne pouvait être que chez lui partout dans les cinquante États autrement dit, Josef possédait ce don d’ubiquité étasunien qui transcende l’être US : il pouvait être en tout lieu chez lui !
… il est écrit « ici »… voyons dit le doyen… ici, c’est chez moi…
L’athlète en uniforme reconnut le bien-fondé de la remarque, mais il s’en lava les mains – ce qui éclaircit les rangs de l’aréopage qui eut tendance à se resserrer autour du peignoir blanc… les cerbères quittèrent les lieux…
Garfield venait encore de gagner en autorité.
… de l’air ! dit l’ancien restauré.
L’Église des Frères Anciens de la Nativité Réformée, L’Éfranaré, s’avança et dit :
« Nous avons bien ouï le sermon de Josef. Il est consubstantiel de notre liturgie. Nous venons protéger notre Révérend contre les malversations de la gent autoritaire, au nom de l’alinéa number ad hoc de la Constitution. Ce moment de nativité rend notre acte protecteur ; il résonne avec notre label de nativité réformée sublime ! »
… fort bien. Et vous ?
Les Salutations Divines Cosmiques Universelles, la Sadicosun, déclarèrent :
« La parole du Révérend est en réalité une grandiose salutation que nous saluons à la mesure de son élan saluant le monde. Nous serons heureux d’étendre notre protection à ses bénédictions qu’il pourra sous notre houlette dispenser urbi et orbi tous les jours dans notre église… »
… j’ai compris ! Et vous ?
Les Espérances Espérées n’avaient aucun acronyme affirmèrent qu’il ne faut point désespérer :
« Nous qui espérons l’espoir, le voici enfin advenu. Ce qui prouve qu’il ne faut point désespérer. Nous accueillons le Révérend dans nos murs. Il recevra toute protection. Nous nous engageons à le nourrir, le vêtir et le loger. Ici et maintenant autant qu’ici ou ailleurs, c’est kif-kif ! »
« Récupérateurs… » nota Akio dans le manu-script.
… bon ! Laissons, je vous prie, les membres de notre université s’exprimer ! À toi, Arthur !
… j’ai reçu, cher Révérend, votre message avec un élan de gratitude. Enfin, et je suis tout à fait d’accord avec toi, Garfield, le Révérend, chez nous, apportera son élan… J’y consens. Vous êtes des nôtres, Révérend pour enseigner aux bisons, dindes coyotes… et mêmes indigènes s’ils veulent !
… à vous !
… nous, dit le représentant délégué général des étudiants, nous, on vous a apporté nos revendications voilà trois mois, ce serait bien qu’elles se réalisent… avec ou sans Révérend !
… eh bien, nous allons analyser vos…
… la grande muette souhaiterait-elle causer ?
… nous attendons de voir !
… c’est ce que je me proposais de faire… vous allez…
… moi, j’ai à dire quelque chose !
… encore ? Vous êtes qui, vous ?
… la CBT… la télévision numérique mondiale…
… rappelez-moi le sens de l’acronyme CBT…
… le Câble Bien Tempéré…
… eh oui, bien sûr ! Et quelle est la proposition ?
… il faut faire une émission…
… parfaitement… parfaitement…
Le doyen, dans son manteau de bain, avait acquis la certitude que tous s’étaient confessés en public et qu’à présent, ils devaient faire pénitence. Alors l’émérite invita ce peuple à se retirer. Tous se congratulèrent, ils promirent de se revoir très prochainement pour inaugurer une nouvelle relation qui allait enflammer les ondes hertziennes, la toile, les promotions et garnir les caisses, le boss en robe de chambre serra la main de chacun. Il ne resta que la chaîne CBT et le Révérend, ils avaient pris place dans un fauteuil et attendaient en lisant une revue vieille de trois siècles qui décrivait le débarquement des Fathers – revues que l’on trouve encore dans les salles d’attente chez le dentiste… où il manque un tiers des pages. Or, ici, on était dans l’une des plus prestigieuses universités de Pittsburgh, qui conservait tout ce qui était édité… et… le Doyen revint… dans le giron…
« Là, cher lecteur, vous venait de vivre une déflagration ectoplasmique. C’était le début du second règne de Garfield, l’homme au peignoir blanc, le créateur de la cancel-culture woke qui devait être placé en maison de retraite dans les prochains jours, mais qui venait de redonner un nouveau souffle à son université en faisant alliance dans cette nouvelle arche. On ne mesurera jamais assez le hasard des hasards : la découverte d’un bison étudiant et la naissance d’un veau pendant une leçon d’histoire.… Le manu-script d’Akio attendait l’enregistrement de la machine qui venait de vivre l’épopée en live… mais en attendant, il n’en pensait pas moins. »
Et c’est ainsi que murmurent les tortues blondes
Gentilés
Si le voulez bien
Lisez suite jour prochain
… vous pouvez aussi charger le lien des éditions Alain Iametti sur votre moteur de recherche : https://www.editionsalainiametti.com/
… vous trouverez les opus édités…
L’Ange Boufaréu